Jurisprudence : Marques
Tribunal de commerce de Paris Ordonnance de référé du 5 mai 2000
Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl / France Télécom et BDDP-TBWA (intervenante volontaire)
contrefaçon de marque - marques - nom de domaine - risque de confusion
Faits et procédure
Autorisées à assigner en référé d’heure à heure par ordonnance en date du 24 mars 2000 rendue sur requête, les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl, pour les motifs énoncés en leur assignation introductive d’instance, demandent à la juridiction de céans de :
– ordonner à France Télécom , sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, de procéder au retrait de la référence au domaine « vie.com » sur toutes ses publicités sur tout support, dans les 48 heures du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– ordonner la publication de la décision à intervenir dans 3 quotidiens de la presse écrite, aux frais de France Télécom, à concurrence de 100 000 F HT,
– condamner France Télécom à leur payer la somme de 10 000 F au titre de l’article 700 du NCPC,
– ordonner l’exécution sur la minute de la décision à intervenir,
– condamner France Télécom aux entiers dépens.
France Télécom se fait représenter par son conseil. La société BDDP-TBWA se fait représenter par son conseil, lequel dépose des conclusions motivées d’intervention volontaire demandant à la juridiction de céans de :
– la dire recevable et bien fondée en son intervention volontaire, l’y accueillant,
– dire les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl irrecevables,
– constater l’existence d’une contestation sérieuse et déclarer en conséquence la juridiction de céans incompétente,
– à titre subsidiaire, dire les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl mal fondées et les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– les condamner en tous les dépens.
A la requête des parties, la juridiction de céans a remis l’affaire au 18 avril 2000 pour communication de pièces et conclusions. Elle revient ce jour devant le tribunal pour recevoir solution.
Le conseil de France Télécom dépose des conclusions motivées récapitulatives demandant de : Vu les articles 31, 32, 122 et suivants et 873 du NCPC,
– à titre principal, constater que les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl ne justifient pas d’un quelconque intérêt à agir, le nom de domaine » vie.com » ayant été enregistré par une société Virgin Interactive Entertainment de droit américain ;
– en conséquence, déclarer irrecevable l’ensemble des demandes des sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl ;
– à titre subsidiaire, constater que les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl ne rapportent pas la preuve d’un trouble manifestement illicite ou d’une quelconque urgence;
– en conséquence, débouter les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl de l’ensemble de leurs demandes ;
– à titre infiniment subsidiaire, constater que le retrait de toute référence au terme » vie.com » d’une telle campagne publicitaire sur le plan national ne pourrait être effectué instantanément ;
– en conséquence, dire que le retrait de sa campagne publicitaire ne pourra être effectué que dans un délai de trois mois à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir ;
– constater que l’astreinte sollicitée par les demanderesses n’est pas justifiée ;
– constater que la publication de la décision à intervenir n’est pas fondée ;
– en conséquence, débouter les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl de leurs demandes supplémentaires à ce titre ;
en tout état de cause :
– condamner la société BDDP-TBWA à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre dans le cadre de la présente procédure ;
– condamner les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl à lui verser la somme de 20 000 F au titre de l’article 700 du NCPC ;
– condamner les sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl aux entiers dépens.
Le conseil de la société BDDP-TBWA dépose des conclusions motivées en intervention volontaire et, en réponse, demande à la juridiction de céans de :
– constater l’absence de trouble illicite, et l’existence d’une contestation sérieuse ;
– lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures.
Par conclusions motivées, le conseil des sociétés Virgin Interactive Entertainment Ltd et Virgin Interactive Entertainment Sarl réitère sa demande. Après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications, la juridiction de céans a remis l’affaire au 5 mai 2000 pour le prononcé de son ordonnance.
Moyens des parties
Les sociétés demanderesses exposent qu’elles commercialisent des jeux vidéo interactifs ;
que la société anglaise Virgin Interactive Entertainment Ltd est propriétaire du nom de domaine » vie.com » pour l’avoir acquis de la société américaine Virgin Interactive Entertainment Inc. ;
que France Télécom a lancé une campagne publicitaire portant la mention » bienvenue dans la vie.com » ; que cette campagne porte atteinte aux droits des sociétés demanderesses, générant : un risque de confusion grave dans l’esprit du public entre France Télécom et Virgin Interactive Entertainment ; un risque de banalisation du nom de domaine » vie.com » ; un risque de mauvaise identification du service proposé par Virgin Interactive Entertainment et de confusion entre les activités de France Télécom et celle faisant l’objet du site exploité par Virgin Interactive Entertainment.
Elles précisent qu’elles sont recevables à intervenir car elles justifient du transfert du nom de domaine de la société américaine à la société anglaise, comme le prouvent deux courriers échangés entre les sociétés anglaise et américaine des 3 août 1999 et 22 septembre 1999 qui mentionnent que les formalités nécessaires ont été effectuées auprès de NSI le 19 novembre 1999.
Elles demandent de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevées par les défenderesses. Les demanderesses déclarent agir sur le fondement de l’article 873 du NCPC, invoquant l’existence d’un trouble manifeste, affirment que le nom de domaine est protégé, étant assimilé à un nom commercial. Il y a de plus risque de confusion dans la mesure où France Télécom a aussi une activité de diffusion de jeux, identique à celle des demanderesse.
La présentation des mentions sur les publicités de France Télécom renforce la confusion.
France Télécom soutient à titre principal l’irrecevabilité de la demande : les sociétés demanderesses ne sont pas, au vu des pièces produites, propriétaires du nom de domaine » vie.com « , les formalités requises pour constater le transfert auprès du NSI n’ayant pas été effectuées.
Le propriétaire du nom de domaine est la société Virgin Interactive Entertainment Inc. qui n’est pas partie à la procédure. Les demanderesses ne prouvent donc pas d’un intérêt à agir.
A titre subsidiaire, France Télécom conteste l’existence d’un trouble manifestement illicite et affirme d’ailleurs que l’enregistrement d’un nom de domaine ne confère à son propriétaire aucun droit privatif sur le nom contesté. Il n’y a pas, en outre, de risque de confusion dans l’esprit du public entre la campagne publicitaire de France Télécom et le nom de domaine » vie.com « .
La concluante note par ailleurs que son slogan » bienvenue dans la vie.com » constitue un tout indivisible dont le sens est radicalement différent de celui des termes » vie.com « . Ni le trouble illicite, ni l’urgence ne sont caractérisés et il n’y a pas lieu à référé. Il convient donc de débouter les demanderesses.
En tout état de cause, il est demandé de condamner la société BDDP-TBWA, le concepteur de sa campagne publicitaire, à garantir France Télécom de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle.
La société BDDP-TBWA, qui déclare intervenir volontairement, soulève :
a) l’irrecevabilité de la demande, les demanderesses n’étant pas titulaires du nom de domaine » vie.com » ;
b) l’incompétence du juge des référés, du fait de l’existence d’une contestation sérieuse (qui s’applique même dans le cas de l’article 873 du NCPC), alors qu’il lui est demandé d’apprécier un risque de confusion entre un nom de domaine et une signature publicitaire, ce qui relève du juge du fond ;
c) l’absence de bien-fondé de la demande, par le manque d’un fondement juridique de la propriété qu’elles invoquent, par l’absence de confusion possible ni sur les adresses de sites, ni sur le fait qu’il s’agit dans un cas d’un nom de domaine et dans l’autre d’une signature publicitaire, par ailleurs insécable, par le fait que les mots » vie » et » com » sont inappropriables, par la nature et les activités différentes des deux sociétés et, enfin, par l’absence de préjudice.
La discussion
Sur la recevabilité
Attendu que, pour justifier de leur recevabilité, les demanderesses produisent :
– un fax du 3 août 1999 de Virgin Interactive (société britannique) à Irvine Games (Etats-Unis) dans lequel il est dit que cette dernière société » remplira les papiers nécessaires pour le transfert du nom vie.com à Virgin Interactive » ; fax revêtu d’une acceptation manuscrite qui est affirmée par la juridiction de céans être celle d’un responsable d’Irvine Games ;
– une lettre du 22 septembre 1999 de Virgin Interactive (Irvine – Etats-Unis) à Pixelpushers, indiquant que Virgin a décidé de transférer la propriété du domaine » vie.com » à Virgin Interactive (Europe) à Londres ; la juridiction de céans dira que ces courriers indiquent tout au plus une intention de transfert, mais n’ont pas de valeur probante sur la réalité de la cession ;
– un formulaire de Network Solutions par lequel doit être demandé et confirmé le changement de propriétaire de noms ; ce formulaire comprend des instructions précises, en particulier l’exigence que toutes les cases soient remplies (ce qui n’est pas respecté dans le cas présent) et stipule entre autres que le changement de propriétaire ne sera effectif que lorsque Network Solutions aura certifié au nouveau propriétaire que ce changement a été effectué ; or, il n’est produit aucune pièce prouvant que la demande, si elle a effectivement été présentée, ait été acceptée ;
Attendu qu’ainsi la juridiction de céans dira que le document produit est insuffisant pour prouver le transfert du domaine » vie.com » et sa propriété par les demanderesses ; que celles-ci ne peuvent donc exciper de leur qualité de propriétaire du nom de domaine pour agir.
Sur la compétence
Attendu, cependant, qu’il est excipé de ce que Virgin Interactive Entertainment Sarl, société française, exploite en fait le nom du domaine ; qu’elle a donc un intérêt à agir ;
Attendu qu’il résulte des débats qu’il existe entre les parties une contestation sérieuse et qu’il est demandé à la juridiction de céans en particulier d’apprécier le risque de confusion entre un nom de domaine et une signature publicitaire ; qu’il résulte des écritures même des parties qu’il n’y a pas évidence en l’occurrence et qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher ce litige ; que, par ailleurs, ni l’urgence ni le risque d’un dommage imminent, ni la réalité d’un trouble illicite n’ont été établis ;
Attendu que la juridiction de céans dira donc n’y avoir lieu à référé.
Sur l’article 700 du NCPC
Il apparaît équitable, compte tenu des éléments fournis, d’allouer à France Télécom une somme de 10 000 F en application de l’article 700 du NCPC, à verser par la Sarl de droit français Virgin Interactive Entertainment. Déboutant pour le surplus.
La décision
Le tribunal, statuant en premier ressort par ordonnance contradictoire :
. prend acte de l’intervention volontaire de la SA BDDP-TBWA ;
. dit la Sarl de droit français Virgin Interactive Entertainment recevable ;
. cependant, constatant l’existence d’une contestation sérieuse, dit n’y avoir lieu à référé ;
. condamne la Sarl de droit français Virgin Interactive Entertainment à verser à France Télécom 10 000 F au titre de l’article 700 du NCPC, déboutant pour le surplus, ainsi qu’aux entiers dépens.
Le tribunal : M. Rochereau (président).
Avocats : Me Véronique Bomsel di Meglio, Me Marie-Hélène Lemaître (du cabinet Kahn & associés), Me Véronique Lartigue.
Notre présentation de la décision
[Voir arret cour d’appel->?page=breves-article&id_article=375]
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