Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Créteil 1ère chambre civile Ordonnance du 1er juillet 2009
INA / YouTube
compétence - responsabilité
FAITS ET PROCEDURE
Par acte du 23 novembre 2006, l’INA a fait assigner la société YouTube devant le Tribunal de grande instance de Créteil afin d’obtenir, notamment :
– que le juge de la mise en état d’une part désigne un expert qui aurait pour mission d’identifier les extraits de programmes audiovisuels appartenant à l’INA diffusés sur le site internet de la société YouTube et de rechercher les sommes ainsi obtenues par la société YouTube, et d’autre part fasse injonction à la société YouTube de vérifier la titularité des droits des internautes qui déposent des extraits sur son site,
– que le Tribunal condamne la société YouTube à lui verser la somme de 100 000 € à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts qui lui reviennent du fait des contrefaçons constituées par la mise en ligne sans autorisation de l’INA d’extraits d’émissions pour lesquelles l’INA détient des droits de producteur, en application des articles L 215-1 et L 216-1du Code de la propriété intellectuelle et 1382 du Code civil.
Par conclusions en date du 28 novembre 2007, l’INA a demandé qu’il soit ordonné à la société YouTube de mettre en place le logiciel “signature” lui appartenant pour empêcher la diffusion de programmes ou d’extraits de programmes de son catalogue en violation de ses droits de producteur.
Dans ses conclusions en réplique sur incident du 7 avril 2009, l’INA a demandé, sur le fondement des articles 771 et 772 du Code de procédure civile, que la société YouTube mette en place le système “signature” dans le mois suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, et ce sous astreinte de 1500 € par jour de retard, la mise en oeuvre du système étant faite sous le contrôle d’un expert spécialiste en internet qui aurait pour mission de :
– faire l’inventaire des programmes ou extraits de programmes de l’INA diffusés sur le site de la société YouTube au moment de la mise en place du système “signature”,
– faire l’inventaire des programmes ou extraits de programme de l’INA que le système “signature” de l’INA aurait permis de détecter et de rejeter, pendant les cinq mois de mise à disposition du système,
– constater la mise en place et l’installation du système “signature”,
– rechercher le nombre d’internautes qui ont eu accès aux documents audiovisuels de l’INA sur le site www.YouTube.com avant la mise en place du système “signature”,
– déterminer les sommes que l’INA aurait pu percevoir au titre des visionnages des programmes ou extraits de programmes de son catalogue sur le site,
– rechercher ce qu’a été le nombre de programmes ou extraits de programmes appartenant à l’INA par rapport à l’ensemble des vidéos diffusées sur le site de la société YouTube,
– rassembler tous éléments de nature à permettre au Tribunal de chiffrer le préjudice subi par l’INA
L’INA a également demandé qu’il lui soit donné acte qu’il offrait de mettre gratuitement à la disposition de la société YouTube, pendant une durée de cinq mois, son système “signature”.
L’INA a enfin sollicité la condamnation de la société YouTube à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre sa condamnation aux entiers dépens avec application de l’article 699 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l’INA a fait valoir que son système “signature” atteignait les objectifs que tout détenteur de droits pouvait attendre pour la protection de son répertoire et avait d’ailleurs été adopté par de nombreux professionnels de l’audiovisuel et des opérateurs de plate-formes, alors que le système Vidéo ID développé par la société YouTube était inopérant pour détecter la présence de vidéos signalées comme illicites et leur remise en ligne.
L’INA a précisé qu’il résultait de la loi du 21 juin 2004 que la responsabilité d’un hébergeur était engagée dès lors qu’il avait connaissance du caractère illicite des contenus diffusés sur son site, ce qui était le cas de la société YouTube qui se contentait d’éliminer les éléments référencés portés à sa connaissance mais ne procédait pas à une complète suppression des contenus présents à d’autres adresses URL de son site internet.
L’INA a par ailleurs conclu à l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles en dommages et intérêts, au motif qu’elles ne se rattachaient pas aux prétentions originaires par un lien suffisant et qu’elles ne relevaient pas de la compétence du juge de la mise en état.
A titre subsidiaire, l’INA a conclu au rejet des demandes, dans la mesure où aucune campagne de dénigrement ne pouvait lui être reprochée et puisque le système “signature” ainsi que la technologie développée par la société YouTube n’étaient pas concurrents.
Dans ses conclusions en réplique et récapitulatives sur incident en date du 4 mai 2009, la société YouTube a conclu au rejet des demandes.
La société YouTube a demandé qu’il lui soit donné acte qu’elle réitérait son offre faite à l’INA de mettre en oeuvre les moyens technologiques dont elle disposait en matière de reconnaissance de contenus, dont l’efficacité était démontrée grâce à un constat d’huissier et un rapport d’expert, afin de prévenir la mise en ligne future sur le site YouTube de copies non autorisées d’oeuvres du catalogue de l’INA.
La société YouTube a soutenu que la solution technique développée par ses services était parfaitement à même de préserver les intérêts de l’INA, dès lors que le requérant consentait à utiliser cette technologie, dans l’attente de la décision du tribunal sur le fond du litige.
La société YouTube a fait valoir que la demande de l’INA constituait un détournement de la procédure judiciaire à des fins commerciales destiné à imposer à son concurrent l’utilisation de sa propre technologie de reconnaissance de fichiers vidéos, alors que plus de 300 de ses partenaires à travers le monde utilisaient la solution Content ID.
La défenderesse a par ailleurs exposé que la demande de l’INA aurait pour conséquence d’instaurer à sa charge une obligation supplémentaire non prévue par la loi du 21 juin 2004, laquelle ne prévoyait pour les prestataires d’hébergement aucune obligation de contrôle a priori des contenus qu’ils hébergeaient, les décisions de justice les plus récentes ne leur imposant pas une obligation de surveillance générale.
La société YouTube a en outre soutenu que la demande tendant à obtenir la nomination d’un expert ayant pour mission d’évaluer le prétendu préjudice subi par l’INA n’était pas de la compétence du juge de la mise en état, la demande d’expertise ressortant de la compétence du Tribunal statuant sur le fond du litige, qui seul pouvait être juge de l’opportunité de l’ordonner s’il estimait devoir faire droit aux demandes de l’INA formulées sur le fondement de la contrefaçon.
Reconventionnellement, la société YouTube a sollicité la condamnation de l’INA à lui verser la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et moral subi, l’INA ayant communiqué au public par voie de presse sur la présente procédure contentieuse et tenu des propos dénigrants à son égard ainsi qu’envers la solution technique d’empreinte numérique développée par elle.
La société YouTube a en outre demandé qu’il soit fait injonction à l’INA de s’abstenir, dès le prononcé de l’ordonnance, de toute déclaration relative à la procédure en cours ainsi que de tout propos dénigrant à l’égard de la société YouTube et de sa solution technologique, et ce sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée et par jour de retard.
Répondant aux moyens soulevés par l’INA, la société YouTube a soutenu que la demande de dommages et intérêts présentait un lien suffisant avec la présente procédure au sens de l’article 70 du Code de procédure civile et qu’elle entrait parfaitement dans les pouvoirs du juge de la mise en état, puisqu’il s’agissait d’obtenir une mesure provisoire nécessaire pour éviter que le préjudice déjà causé ne perdure durant le procès.
La société YouTube a enfin sollicité la condamnation de l’INA, outre aux entiers dépens, à lui verser :
– la somme de 50 000 € à titre de provision en réparation du préjudice subi, puisque l’INA avait abusé de son droit d’ester en justice en initiant le présent incident afin d’exercer une pression commerciale sur la société YouTube,
– la somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’incident a été plaidé le 3 juin 2009 et mis en délibéré au 1er juillet 2009.
DISCUSSION
Sur la demande de mise en place du système “signature” aux fins d’expertise
Selon l’article 771 du Code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour notamment ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction.
En l’espèce, l’INA sollicite que la société YouTube mette en place le système “signature” qui lui appartient, la mise en oeuvre du système étant faite sous le contrôle d’un expert spécialiste en Internet qui aurait pour mission, notamment, de faire l’inventaire des programmes ou extraits de programmes de l’INA diffusés sur le site de la société YouTube, de rechercher le nombre d’internautes qui ont eu accès aux documents audiovisuels de l’INA et de donner tous éléments de nature à permettre au Tribunal de chiffrer le préjudice du requérant.
Cependant, et comme le soutient la société YouTube, la demande d’expertise a pour objet de chiffrer le préjudice de l’INA et ne peut donc se concevoir que s’il est fait droit à l’action en contrefaçon formée à titre principal à l’encontre de la défenderesse.
La demande de mise en place sous astreinte du système “signature” aux fins d’expertise relève en conséquence de la compétence du Tribunal statuant sur le fond du litige et non de celle du juge de la mise en état.
La demande de la société YouTube tendant à obtenir qu’il lui soit donné acte qu’elle réitère son offre faite à l’INA de mettre en oeuvre les moyens technologiques dont elle dispose cri matière de reconnaissance de contenus ne relève pas non plus de la compétence du juge de la mise en état.
Sur les demandes reconventionnelles
Il résulte de l’article 771 du Code de procédure civile que le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour, notamment, accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires.
En l’espèce, la société YouTube sollicite la condamnation de l’INA à lui verser la somme de 100 000 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et moral subi, au motif que l’INA aurait communiqué au public par voie de presse sur la présente procédure contentieuse et tenu des propos dénigrants à son égard ainsi qu’envers la solution technique d’empreinte numérique développée par elle, outre la somme de 50 000 € à titre de provision en réparation du préjudice subi, soutenant que l’INA aurait abusé de son droit d’ester en justice en initiant le présent incident afin d’exercer une pression commerciale sur la société YouTube.
L’INA conclut à l’irrecevabilité et au mai fondé des demandes.
Il convient de considérer que les demandes en dommages et intérêts au titre des éventuels préjudices subis par le défendeur, ainsi que la demande d’injonction sous astreinte, ne relèvent pas de la compétence du juge de la mise en état mais de celle du juge du fond.
Sur les demandes accessoires
Aux termes de l’article 772 du Code de procédure civile, le juge de la mise en état peut statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
A ce stade de la procédure, il n’y a cependant pas lieu d’allouer à l’une ou l’autre des parties des indemnités en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Les dépens seront réservés.
DECISION
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par décision contradictoire et non susceptible d’appel indépendamment du jugement sur le fond,
. Dit que les demandes de l’INA ne relèvent pas de la compétence du juge de la mise en état.
. Dit que les demandes reconventionnelles ne relèvent pas de la compétence du juge de la mise en état.
. Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile.
. Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 14 octobre 2009 à 9 heures 30 pour conclusions de l’INA sur le fond.
. Réserve les dépens.
Le tribunal : Mme Nicolet (juge)
Avocats : SCP Baudelot-Cohen Richelet-Poitvin, Cabinet Herbert Smith LLP
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