Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Grenoble 6ème chambre civile Jugement du 23 juin 2005
CNRRH, Pierre Alexis T. / Les époux C.
constat - marques - preuve
FAITS ET PROCEDURE
Pierre Alexis T. a déposé le 21 février 1997 à l’Inpi de Lyon la marque « Eurochallenges », pour désigner les produits et services suivants : « Conseils, informations et renseignements d’affaire. Reproduction de documents. Gestion de fichiers informatiques. Publication de textes publicitaires. Organisation de voyages. Conseil, recherches et informations en relations humaines. Agence matrimoniale. »
Le 10 novembre 1997, Pierre Alexis T. a consenti une licence d’exploitation de cette marque à la société Centre national de recherche en relations humaines (Cnrrh).
Par jugement du 3 juin 2004 rendu par le tribunal de grande instance de Lyon, Stéphane C. a été condamné à payer à Pierre Alexis T. 4000 € et à la société Cnrrh 15 000 € de dommages-intérêts, pour avoir contrefait la marque « Eurochallenges ».
Par acte de huissier du 17 mars 2005, la société Cnrrh et Pierre Alexis T. ont assigné à jour fixe Ainoura C. et Stéphane C.
Ils réclament à cette dernière le paiement des dommages-intérêts alloués par le jugement précité, et aux époux C., in solidum, 10 000 € pour Pierre Alexis T. et 100 000 € pour la société Cnrrh, au titre du préjudice postérieur au 3 juin 2004, pour avoir contrefait la marque Eurochallenges.
Ils demandent sous astreinte l’interdiction de la poursuite des faits incriminés, la publication de la décision à intervenir, et ce, avec exécution provisoire, et sollicitent enfin le paiement de la somme de 7000 € au titre des frais visés à l’article 700 du ncpc.
Ils exposent en substance que :
– la société Cnrrh a pour nom commercial Eurochallenges et exploite un site internet de rencontres « eurochallenges.com » ;
– le site de rencontres exploité par Stéphane C. « french-union.com » comportait la reproduction de la marque Eurochallenges, ce qui a donné lieu à l’instance devant le tribunal de Lyon ;
– la saisie-attribution entre les mains du prestataire d’encaissement en ligne a montré qu’en réalité, les sommes dues l’étaient à Ainoura C., qui apparaît ainsi comme co-exploitante du site french-union.com ;
– aux termes de divers constats d’huissier, il apparaît que la contrefaçon s’est poursuivie ;
– le préjudice qui en résulte est important, le site french-union.com ayant reçu de nombreux visiteurs, et bénéficiant ainsi des efforts publicitaires déployés par la société Cnrrh.
Pour conclure au rejet de la demande, solliciter la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées et réclamer reconventionnellement le paiement de leurs frais irrépétibles, les époux C. répliquent que :
– la signification de l’assignation est irrégulière ;
– les deux saisies conservatoires pratiquées l’ont été de façon abusive ;
– les constats d’huissier versés aux débats ne peuvent avoir force probante, faute pour l’huissier d’avoir vidé la mémoire cache de son ordinateur et d’avoir vérifié s’il était connecté à un serveur proxy ;
– le préjudice n’est pas établi.
DISCUSSION
1°) La régularité de l’assignation :
Au préalable, il convient de noter que si, dans l’assignation, la société Cnrrh avait indiqué une adresse périmée de son siège social, la nouvelle adresse a été mentionnée dans les conclusions ultérieures.
Les époux C. font valoir que l’huissier n’a pas accompli toutes diligences pour délivrer l’assignation, car depuis le mois d’août 2003, ils ont quitté la France pour s’établir en Thaïlande, et il aurait suffit d’une simple demande auprès des services fiscaux pour connaître cette situation.
Le procès verbal de signification a été dressé dans le cadre des dispositions de l’article 659 du ncpc. Il indique que l’huissier s’est rendu à la dernière adresse connue à Grenoble, que le nom des intéressés n’apparaît nulle part, qu’elle est inconnue du voisinage et des commerces voisins, et que les services de la Poste ont refusé de donner un quelconque renseignement, de même que la commune de Grenoble n’a pu en donner.
Le fait que l’huissier n’ait pas indiqué le nom des voisins ou des commerçants interrogés est sans incidence, puisqu’il résulte des déclarations des époux C. eux-mêmes qu’ils n’habitaient plus à cette adresse depuis 2003, ce qui confirme les dires de l’huissier.
Par ailleurs, si l’administration fiscale avait été mise au courant par les époux C. de leur départ en Thaïlande, l’huissier n’était pour autant pas en mesure de se faire communiquer cette information. En effet, aux termes de l’article L 103 du Livre des procédures fiscales, les services des impôts sont soumis au secret professionnel. Certes, si des informations peuvent être obtenues par le Procureur de la République, à la demande de l’huissier, par application des articles 39, 40 et 41 de la loi du 9 juillet 1991, c’est uniquement dans le cadre de l’exécution d’un titre exécutoire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Dès lors, l’assignation délivrée sera déclarée régulière.
2°) La contrefaçon de la marque « Eurochallenges » :
Pour démontrer la contrefaçon alléguée, les demandeurs versent aux débats divers constats d’huissier.
Le 16/12/2002, Me Fradin, huissier de justice à Lyon, a constaté qu’en recherchant sur le site « Google » le vocable Eurochallenges, le troisième résultat était celui de « french-union.com/eurochallenges.htm ».
Les 24 et 28/09/2004, Me Grange, huissier de justice à Lyon, a constaté pour sa part que les sites « french-asia.com » et « matrimonial-est.com » appartenaient à Stéphane C.
Le 23/12/2004, Me Reynaud, huissier de justice à Lyon, a relevé l’existence d’un site « net-union.com » auquel on peut accéder par le terme « eurochallenges ».
Le 1er février 2005, Me Grange constate l’existence de ce terme sur le site « net-union.com ».
Enfin, le 18/02/2005, elle fait la même constatation.
Les demandeurs ajoutent que la page principale du site « net-union.com » est celle du site « french-union.com », qu’elle reproduit le terme « eurochallenges » et qu’ainsi la preuve de la contrefaçon est rapportée.
Pour contester la force probante de ces constats, les époux C. déclarent que ces actes sont incomplets, faute notamment de la mention de l’adresse IP, et que les constatations ont en réalité porté sur des pages antérieures au 3 juin 2004, car mises en cache dans le serveur de Google le 17 mars 2004, l’huissier ayant lancé sa recherche sur « Google », au lieu de cliquer sur le résultat obtenu pour l’afficher, le résultat obtenu étant celui du stockage de données sur le serveur du moteur de recherche, et non sur le serveur du site lui-même.
Pour s’assurer que les pages visualisées soient bien des pages existantes, et non des pages qui auraient pu être stockées longtemps auparavant, soit dans le propre ordinateur de l’huissier, soit dans le serveur du fournisseur d’accès de ce dernier, lors de consultations précédentes, l’officier ministériel doit s’assurer que :
– ses constatations ont bien lieu en ligne ;
– les mémoires caches de son ordinateur sont vidées ;
– l’ordinateur n’est pas connecté à un serveur « proxy » (celui du fournisseur d’accès).
En l’espèce, si les adresses IP ne sont pas mentionnées dans les constats, il résulte de ceux-ci que l’officier ministériel instrumentaire l’a vérifiée à chaque fois, de même qu’il a toujours supprimé avant le début de ses opérations le fichier des pages web visitées auparavant, et qu’il a enfin vérifié qu’il n’utilisait pas de serveur « proxy ».
Il en ressort que si une page comprenant le terme « eurochallenges » provient bien de la mémoire cache du serveur Google, (constat de Me Reynaud du 23/12/2004), les autres pages consultées l’ont bien été en ligne, comme en attestent leurs adresses figurant au bas des documents imprimés annexés aux divers constats.
En conséquence, les constats d’huissier seront retenus par le tribunal comme ayant bien force probante.
Au vu de constats dressés notamment en février 2005, le terme « eurochallenges » figure dans le code source, mais aussi sur la page elle-même, mais de façon invisible, car écrit en blanc sur fond blanc. Ainsi, en tapant l’adresse suivante, au moyen du moteur de recherche Google, « net-union.com eurochallenges », apparaît à l’écran la page d’accueil du site « french-union.com ».
En utilisant la marque « Eurochallenges » de Pierre Alexis T., Stéphane C. a dirigé vers ses sites la clientèle attachée à cette marque, alors que le site de la société Cnrrh et ceux de Stéphane C. ont tous deux la même activité, des prestations en ligne de rencontres matrimoniales.
Ce faisant, Stéphane C. a contrefait cette marque.
3°) L’imputation des responsabilités :
Il résulte du procès verbal dressé par Me Grange, le 23/02/2005, que le propriétaire des sites matrimonial-est.com et french-asia.com est Stéphane C., demeurant aux USA.
Ces sites utilisant le terme « eurochallenges » pour attirer de la clientèle, Stéphane C. sera déclaré responsable de cette contrefaçon à l’égard de Pierre Alexis T. et de ces actes de concurrence déloyale à l’égard de la société Cnrrh.
Concernant Ainoura C., elle n’est pas propriétaire des sites incriminés. En revanche, c’est elle qui a donné un mandat de gestion d’abonnement pour compte de tiers à la société Happydoo, cette société étant chargée par Ainoura C. d’encaisser les abonnements souscrits en ligne par les internautes désireux de consulter les sites incriminés.
Ce contrat a été conclu le 19/10/2002. Il stipule que Ainoura C. revêt la qualité d’éditeur de sites internet. Ainsi, elle a nécessairement agi aux côtés de son mari pour commettre les agissements litigieux, et ce, dès avant le 3 juin 2004.
Il résulte du procès verbal dressé par Me Fradin le 16/12/2002 qu’il existait à cette époque un site « french-union.com/eurochallenges.com ». Le seul nom du site suffit à démontrer la contrefaçon, sans que l’on puisse alléguer l’existence d’une mémoire cache.
Ainoura C. sera donc considérée comme coauteur des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale avant la date du jugement du 3 juin 2004.
Les époux C. seront ainsi condamnés in solidum à réparer le préjudice subi par les demandeurs.
4°) Le préjudice
Pierre Alexis T. subit un préjudice du fait de l’atteinte à ses droits de propriétaire de la marque Eurochallenges, Ainoura C. sera condamnée à payer, in solidum avec son mari la somme de 4000 € au titre du préjudice subi avant la date du 3 juin 2004.
Concernant la période postérieure, il y a lieu de considérer que l’atteinte à la marque est modérée, (elle n’est pas l’intitulé même des sites des époux C.). En l’absence de la démonstration d’une réputation et d’une notoriété de la marque au-delà d’un public restreint, les époux C. seront condamnés à payer à Pierre Alexis T. la somme de 4000 € au titre des faits dommageables postérieurs au 3 juin 2004.
Concernant le préjudice subi par la société Cnrrh, celle-ci a été victime d’agissements de concurrence déloyale, du fait de la création d’un lien commercial susceptible de tromper l’internaute désirant consulter le site de la société Cnrrh, et ainsi, de détourner la clientèle de cette dernière. Pour ce qui est des faits commis avant le 3 juin 2004, le tribunal trouve dans le dossier les éléments suffisants pour condamner Ainoura C., in solidum avec son mari, au paiement de la somme de 15 000 € au titre du préjudice subi au 3 juin 2004.
Au sujet de la période postérieure, il résulte des pièces versées aux débats que le chiffre d’affaires de la société Cnrrh progresse régulièrement chaque année depuis 1998, puisqu’il est passé durant cette période de 808 351 € à 4 387 766 €.
Dans ces conditions, le tribunal trouve dans le dossier les éléments suffisants pour fixer le préjudice subi depuis le 3 juin 2004 à la somme de 15 000 €. Les agissement des défendeurs n’ont pu avoir qu’une incidence limitée sur l’activité de la société Cnrrh, même s’il convient de prendre en compte la malignité des défendeurs, qui ont cherché à continuer à bénéficier de la marque Eurochallenges de façon plus discrète que par le passé.
5°) Les autres demandes :
Il sera enjoint aux époux C. de cesser tout acte de contrefaçon, et ce, sous astreinte.
De même, il sera ordonné la publication de la présente décision, mais uniquement sur les sites french-union.com, french-asia.com et net-union.com, aux frais des défendeurs.
Compte tenu de la persistance de la contrefaçon, l’exécution provisoire sera ordonnée.
Enfin, l’équité commande une application modérée des dispositions de l’article 700 du ncpc.
DECISION
Le tribunal, statuant par décision contradictoire, rendue en audience publique et en premier ressort,
. Déclare l’assignation régulière ;
. Déclare fondée l’action en contrefaçon de la marque Eurochallenges, enregistrée sous le n°97665926, exercée à l’encontre des époux C. par Pierre Alexis T. ;
. Condamne in solidum Stéphane C. et Ainoura C. à payer :
– la somme de 4000 € à Pierre Alexis T., en réparation du préjudice subi à la date du 3 juin 2004 et celle de 4000 € au titre du préjudice subi postérieurement à cette date, étant précisé que Pierre Alexis T. a été déjà condamné par jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 3 juin 2004 ;
– celle de 15 000 € à la société Cnrrh, en réparation du préjudice subi à la date du 3 juin 2004, et celle de 15 000 € au titre du préjudice subi postérieurement à cette date, étant précisé que Pierre Alexis T. a été déjà condamné par jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 3 juin 2004 ;
. Interdit à Stéphane C. et Ainoura C., exploitants des sites french-union.com et french-asia.com, d’user sous quelque forme que ce soit de la dénomination Eurochallenges, et ce, sous astreinte de 200 € par infraction constatée et par jour de retard à compter du 10ème jour suivant la date de signification du présent jugement ;
. Ordonne la publication de la présente décision sur les sites internet french-union.com, french-asia.com et net-union.com, aux frais des défendeurs, dans la limite de 800 € par application, en caractères de police 12 ;
. Ordonne l’exécution provisoire ;
. Condamne Stéphane C. et Ainoura C. à payer in solidum à Pierre Alexis T. et à la société Cnrrh la somme de 3000 € au titre des frais visés à l’article 700 du ncpc ;
. Les condamne aux dépens.
Le tribunal : M. Philippe Greiner (vice président), Mme Gaillard-Maunier (vice présidente), M. Comte-Bellot (juge)
Avocats : Me Mathieu Winckel, SCP Bachelard Alibeu
Voir la décision du TGI de Lyon du 03/06/2004
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.