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Jurisprudence : Vie privée

jeudi 13 octobre 2005
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Tribunal de grande instance de Libourne Ordonnance de référé 15 septembre 2005

CE Bsn Glasspack, syndicat CGT / Bsn Glasspack

vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Par acte d’huissier en date du 15/08/2005, le comité d’établissement Bsn Glasspack et le syndicat CGT du personnel de Bsn Glasspack ont fait assigner la société Bsn Glasspack, dont le siège social est situé à l’usine de Vayres (33) devant le juge des référés aux fins de voir, sur le fondement de l’article 809 du ncpc :
– ordonner le retrait de deux notes de services titrées « Ethics Hotline » en date du 10/03/2005 et « Direction usine – Numéro vert Ethique » du 19/04/2005, affichées sur le panneau d’affichage de la direction de la société Bsn Glasspack au sein de l’usine de Vayres,
– interdire à la société Bsn Glasspack d’utiliser cette procédure instaurée en application de la loi américaine de juillet 2002 et permettant aux salariés de signaler des faits délictueux,
– condamner la société Bsn Glasspack au paiement d’une indemnité de 1200 € à chacun des demandeurs en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

Au soutien de leurs prétentions, les demandeurs allèguent de la nécessité de prévenir un dommage imminent et de faire cesser un trouble manifestement illicite, caractérisés par l’atteinte aux droits et libertés individuels et collectifs résultant notamment :
– du caractère irrégulier des deux notes de service dans leur élaboration, s’agissant de modifications du règlement intérieur de l’entreprise apportées par l’employeur au mépris des dispositions de l’article L 122-36 du code du travail,
– de la mise en œuvre d’un dispositif de délation par collecte et traitement automatisé de données à caractère personnel sans autorisation préalable de la Cnil, dont la mise en œuvre serait en outre passible de sanctions pénales en application des articles 226-16 et suivants du code pénal,
– de la violation de l’article L 121-8 du code du travail résultant de l’absence d’information individuelle de chaque salarié.

Pour conclure au rejet des demandes, la société Bsn Glasspack invoque :
– à titre principal, l’absence d’urgence, de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite, outre l’existence d’une contestation sérieuse sur le fond, ne permettant pas au juge des référés de statuer,
– subsidiairement, l’absence de tout processus de délation organisé et la légalité de la procédure mise en œuvre dont l’objet n’est que de permettre aux salariés, de façon confidentielle, de signaler des fraudes en matière comptable et financière dont ils auraient eu connaissance à l’occasion de leurs fonctions, dispositif imposé à la direction de l’entreprise par la loi américaine Sarbannes Oxley de juillet 2002,
– la régularité de la procédure d’élaboration des deux notes d’informations au regard de l’article L 122-36 du code du travail, lesquelles ne sauraient être assimilées à une annexe du règlement intérieur.

La société Bsn Glasspack sollicite la condamnation des demandeurs à lui verser une indemnité de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

DISCUSSION

Il ressort des débats et des pièces produites que la société Bsn Glasspack, filiale du groupe américain Oxens Illinois depuis juin 2004, est spécialisée dans la fabrication de bouteilles en verre, activité répartie sur le territoire français au sein de plusieurs établissements, dont celui situé à Vayres.

La loi américaine Sarbannes Oxley, votée en juillet 2002 suite au scandale financier révélé par l’affaire Enron, impose désormais aux entreprises américaines ainsi qu’à leurs filiales étrangères de disposer en interne d’un processus d’alerte habilité à recevoir des informations directement des salariés concernant des fraudes ou des malversations comptables ou financières dont ils auraient eu connaissance à l’occasion de leurs fonctions.

C’est en application de ce texte que la direction de l’usine de Vayres a affiché à l’intention des salariés de l’usine les deux notes litigieuses, après une simple information du comité d’établissement.

Attendu que la prise par le juge des référés de mesures conservatoires suppose l’existence rapportée d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite ;

Attendu qu’en l’espèce, et quel que soit le droit pouvant être reconnu à la direction de l’usine de Vayres de mettre en œuvre une procédure prescrite par la loi américaine, la simple lecture de la note du 10/03/2005 intitulée « Ethics Hotline » fait clairement apparaître que les faits susceptibles d’être dénoncés anonymement par le biais d’un numéro de téléphone gratuit ne concernent pas seulement des fraudes ou malversations comptables susceptibles de mettre en péril l’équilibre financier de l’entreprise, infractions dont on perçoit d’ailleurs difficilement comment les ouvriers de l’usine, destinataire de la note, pourraient en avoir connaissance, mais sont étendus à tous faits « portant atteinte à l’éthique, tel que la fraude, le vol ou pouvant conduire à des non respects des procédures comptables ou d’audit à caractère plus général » ;

Que, quelles que soient les modalités effectives de traitement ultérieur des informations ainsi recueillies, une telle note contient en germe le risque imminent pour les salariés susceptibles d’être ainsi dénoncé anonymement, de voir déclencher à leur encontre une enquête interne et de faire l’objet d’éventuelles sanctions, sans avoir pu bénéficier des droits élémentaires de la défense ;

Qu’en outre, le présent dispositif tel que prévu à l’usine de Vayres, avec les risques de dénonciations calomnieuses qu’il implique, paraît tout à fait disproportionné par rapport aux objectifs de la loi américaine tels que rappelés par la société Bsn Glasspack et aucunement de nature en tout cas à prévenir d’éventuelles malversations financières ;

Attendu en conséquence que, sans qu’il y ait lieu dans le cadre de cette instance en référé de trancher le débat de fond quant à la qualification d’une telle note de règlement intérieur ou de note de service, ni même celui de l’applicabilité au cas d’espèce de la loi « informatique et libertés », la seule existence d’un dommage potentiel imminent pour les libertés individuelles de salariés victimes de dénonciations anonymes recueillies par le biais d’un dispositif privé échappant à tout contrôle, sans que l’intérêt de l’entreprise ne permette sérieusement de le justifier, suffit à prononcer les mesures conservatoires qui s’imposent ;

Qu’il y a lieu par conséquent d’ordonner le retrait immédiat de l’affichage des deux notes litigieuses et d’inviter la société Bsn Glasspack, en concertation avec les institutions représentatives du personnel, à reconsidérer l’adaptation des prescriptions de la législation américaine en fonction des objectifs réels de celle-ci, de la situation de l’entreprise et, en tout état de cause, en se conformant aux dispositions de la législation française ;

Attendu qu’il est équitable d’allouer aux demandeurs une indemnité de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

DECISION

Vu l’urgence,

Vu l’article 809 du ncpc,

. Constate l’existence d’un dommage imminent pour les salariés créé par l’affichage au sein de l’usine Bsn Glasspack de Vayres des deux notes de service titrées « Ethics Hotline » en date du 10/03/2005 et « Direction Usine – Numéro vert Ethique » du 19/04/2005,

. Ordonne à titre conservatoire à la société Bsn Glasspack de retirer ces deux notes litigieuses de l’affichage à destination des salariés de l’usine jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond, ou jusqu’à l’obtention d’un accord avec les institutions représentatives du personnel quant aux modalités d’application des prescriptions de la loi américaine et conformément à la législation française,

. Condamne la société Bsn Glasspack à payer à chacun des demandeurs une indemnité de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,

. Condamne la société Bsn Glasspack aux entiers dépens.

Le tribunal : M. Laurent Gebler (président)

Avocats : Me Monique Guedon, Me Marie Laurence Boulanger

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