Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Lille Ordonnance de référé 14 juin 2005
Avocats du nouveau siècle / Class Action.fr
contenus illicites
FAITS ET PROCEDURE
La SCP Avocats du nouveau siècle (Adns) a fait assigner Jean Marc G., Bertrand L.B., Roland P., Nicolas H., Eric L., Florence L.B.M., Francis C., Jean Philippe M., Carole P., Théodore P., la société Class Action.fr et la société Part’actions pour demander sur le fondement de l’article 809 du ncpc, de :
– constater l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant de la proposition au public par les sociétés Class Action.fr et Part’actions de conseil de d’assistance en matière juridique en violation des règles régissant la profession d’avocats,
– constater l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant d’acte de démarchage commis en violation des règles régissant la profession d’avocats,
– interdire aux défendeurs d’adresser quelque offre de mission que ce soit et faire cosser toutes démarches et activités de consultation juridique irrégulière,
– dire que chacune de ces interdictions sera assortie d’une astreinte de 1500 € par infraction constatée,
– ordonner sous astreinte de 10 000 € par jour de retard la fermeture du site internet www.classaction.fr,
– se réserver le droit de liquider l’astreinte,
– ordonner la publication de l’ordonnance dans 5 journaux nationaux aux frais des défendeurs, chacune des insertions ne pouvant dépasser le coût de 2000 € HT,
– condamner les défendeurs à payer à la SCP Adns la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
– dire l’ordonnance à intervenir exécutoire par provision et sur minute,
– condamner les défendeurs aux entiers dépens.
Les sociétés Class Action.fr et Part’actions demandent de leur coté, de :
– juger l’assignation nulle en vertu des articles 684 b du ncpc, 654, 655 et 656 du ncpc et 15 du ncpc,
– juger que la juridiction saisie est incompétente tant en raison de la matière que du lieu en vertu des articles 42 et 46 du ncpc, vu l’article 17 de la loi du 31 décembre 1971,
– déclarer la demande irrecevable faute d’intérêt à agir de la SCP requérante en vertu des articles 31 et 122 et suivants du ncpc,
– mettre hors de cause la société Part’actions,
– débouter la SCP requérante de toutes ses demandes en l’absence de tout trouble manifestement illicite,
– condamner la SCP Adns à payer à la société Part’actions la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc,
– condamner la SCP Adns à payer à la société Class Action.fr la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.
Les autres défendeurs, assignés à l’adresse du siège social des sociétés Class Action.fr et Part’actions n’ont pas comparu.
DISCUSSION
Les personnes physiques assignées dans la présente instance qui sont indiquées sur le site Class Action.fr comme ses animateurs ont été assignées au siège social des sociétés Class Action.fr et Part’actions à Paris.
Les assignations qui n’ont pas été délivrées à personne et qui l’ont été à une adresse qui ne peut être considérée comme leur domicile sont irrégulières.
Par suite les demandes dirigées à l’encontre de ces personnes seront déclarées irrecevables.
En ce qui concerne les assignations délivrées aux sociétés Class Action.fr et Part’actions, celles-ci en évoquent la nullité aux motifs du défaut d’indication de l’organe représentant la SCP Adns, de l’absence d’indication dans l’ordonnance ayant autorisé à assigner d’heure à heure du délai pour délivrer l’assignation et de l’absence du visa du bâtonnier s’agissant des assignations mettant en cause des avocats.
Sur ce, il convient en premier lieu d’écarter le moyen de nullité relatif à l’absence du visa du bâtonnier qui ne concerne pas les sociétés Class Action.fr et Part’actions qui n’ont pas la qualité d’avocats, rappel étant fait que les demandes dirigées contre les personnes physiques ayant cette qualité ont été déclarées irrecevables pour irrégularité dans la délivrance des assignations.
En deuxième lieu, il n’existe pas de prescription en matière d’ordonnance d’autorisation pour assigner en référés d’heure à heure obligeant de fixer le délai dans lequel les parties défenderesses devront être assignées, le juge saisi devant seulement s’assurer lors de la venue de l’affaire à l’audience qu’un délai suffisant pour organiser la défense se soit écoulé depuis la délivrance de l’assignation.
Au cas particulier les sociétés Class Action.fr et Part’actions assignées le 3 juin 2005 (jour où l’ordonnance autorisant à assigner a été rendue) pour le 7 juin 2005 ont déposé et soutenu à l’audience d’abondantes conclusions démontrant avoir eu le temps nécessaire pour préparer leur défense dans le cadre d’un référé d’heure à heure.
En troisième lieu, si effectivement la SCP Adns n’a pas indiqué dans ses assignations l’organe qui la représente légalement, en contravention avec les dispositions de l’article 648-2 B du ncpc, les sociétés Class Action.fr et Part’actions n’articulent toutefois aucun grief qui aurait pu leur être occasionné de ce fait.
Dès lors les moyens tendant à la nullité des assignations seront écartés.
Les sociétés Class Action.fr et Part’actions soulèvent ensuite l’incompétence territoriale du juge des référés du tribunal de grande instance de Lille au profit de la juridiction parisienne ainsi que l’incompétence du tribunal de grande instance de Lille à raison de la matière s’agissant d’un litige portant sur la déontologie et l’intérêt général de la profession d’avocat.
Sur ce, la SCP Adns invoque dans la présente instance à l’encontre des sociétés Class Action.fr et Part’actions qui sont des sociétés commerciales n’ayant pas la qualité d’avocats des faits de concurrence déloyale constituant pour elle un trouble manifestement illicite et résultant de ce que ces sociétés font offre par voie d’un site internet de conseil et d’assistance en matière juridique et démarchent par cette voie une clientèle qu’ils dirigent vers des avocats pour intenter une procédure collective.
S’agissant d’actes de concurrence déloyale commis par diffusion sur le réseau internet, le fait dommageable se produit en tous lieux où les informations sont mises à la disposition des utilisateurs potentiels du site et donc également dans le ressort du tribunal de grande instance de Lille.
Le litige en ce qu’il met en cause les sociétés Class Action.fr et Part’actions pour faire cesser les actes de concurrence déloyale commis par celles-ci ne vise pas à faire sanctionner les manquements à la déontologie des avocats, qualité que ne possèdent pas ces sociétés.
Les exceptions d’incompétence seront donc également écartées.
Les sociétés Class Action.fr et Part’actions invoquent ensuite le défaut d’intérêt à agir de la SCP Adns au motif que celle-ci n’est pas chargée de la défense des intérêts de la profession d’avocat et que, contrairement à ce qu’elle soutient, la société Class Action.fr qui n’est pas un cabinet d’avocat ne lui fait pas de concurrence déloyale.
Sur ce, la question de savoir si la société Class Action.fr se rend coupable de concurrence déloyale relève de l’appréciation au fond du litige dans le cadre de la présente instance et ne peut donc servir de base à la fin de non recevoir invoquée.
Il est par ailleurs évident que la SCP Adns a un intérêt à voir cesser les actes de concurrence déloyale qui seraient commis à l’intérieur de cette sphère d’activité et comme tels susceptibles de détourner d’elle une clientèle potentielle.
Cette fin de non recevoir sera en conséquence rejetée.
Au fond
La société Class Action.fr, suivant la présentation qu’elle en fait elle-même, a été créée à l’initiative d’un groupe d’avocats souhaitant disposer d’un outil informatique pour gérer des actions judiciaire d’envergure regroupant un nombre important de demandeurs et, dans ce but, a mis en place un site internet.
Ce site comporte plusieurs pages, notamment :
– présentation de l' »équipe opérationnelle de Class Action.fr »,
– informations sur la « Class Action » – qu’est-ce qu’une class action, « à quoi ça sert », quel résultat peut-on en attendre ? Combien ça coûte ? Déroulement de la procédure, comment y participer ?…,
– conditions générales d’intervention de société Class Action.fr et des avocats intervenants – définition du participant, de l’honoraire, relations entre le participant et les avocats intervenants, déroulement de la procédure…,
– comment participer : modalités d’inscription, listes des domaines des actions futures,
– offre de participation à la première action collective de masse en France à l’encontre des principales sociétés d’éditions vidéo.
Au travers de son site, la société Class Action.fr propose clairement à toute personne qui s’estime victime dans les domaines de ses actions (services, produits, environnement, droits de l’homme, actions politiques) de souscrire un contrat – moyennant versement à l’avocat intervenant d’un honoraire fixe modique (de 12 à 60 € TTC selon la catégorie de l’action envisagée) et d’un honoraire de résultat, lui, important (de 20 à 40 % selon la catégorie de l’action) – en vue d’engager une procédure judiciaire en paiement de dommages-intérêts.
« Le participant » est invité à contracter pour se joindre à des actions qui seraient engagées dans ces domaines, en s’inscrivant directement sur le site.
La société Class Action.fr a déjà mis en mouvement une action judiciaire à l’encontre de sociétés d’édition vidéo, communique le texte de l’assignation et sollicite par le biais de son site toute personne, acquéreuse de films sur support DVD et possédant un lecteur enregistreur ou un graveur DVD ou un magnétoscope de se joindre à cette action exercée par l’un des avocats faisant partie de son équipe pour réclamer une somme forfaitaire de 1000 € à la partie assignée.
La publicité ainsi faite au travers de ce site pour des prestations juridiques par la société Class Action.fr, société commerciale distincte des membres qui l’animent et qui ne figure pas au rang des personnes morales autorisées à donner des consultations juridiques, est manifestement illicite.
Les offres de service contenues dans ses messages en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux mêmes fins ou encore de proposer son assistance en matière juridique, constituent avec la même évidence des actes de démarchage interdits.
Ces pratiques qui s’adressent à la clientèle des avocats, caractéristiques envers eux d’actes de concurrence déloyale sont génératrices d’un trouble manifestement illicite que la SCP Adns est fondée à demander de faire cesser.
Il sera fait droit à la demande principale suivant les modalités et dans les limites précisées au dispositif en ce qu’elle est dirigée contre la société Class Action.fr.
En revanche la même demande dirigée contre la société Part’actions dont la participation aux actes reprochés n’est pas établies, sera écartée.
Il sera fait application des dispositions de l’article 700 du ncpc au bénéfice de la SCP Adns et au préjudice de la société Class Action.fr dans la limite de 800 €.
Par voie de conséquence, la société Class Action.fr sera déboutée de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et d’indemnité de l’article 700 du ncpc.
La société Part’actions n’apporte pas la démonstration d’une faute caractéristique d’un abus de procédure justifiant sa demande de dommages-intérêts.
L’équité commande de rejeter sa demande fondée sur l’article 700 du ncpc.
DECISION
Statuant en matière de référé, par ordonnance rendue publiquement, réputée contradictoire et en premier ressort,
. Déclare irrecevables les demandes de la SCP Adns dirigées à l’encontre de Jean Marc G., Bertrand L.B., Roland P., Nicolas H., Eric L., Florence L.B.M., Francis C., Jean Philippe M., Carole P., Théodore P.,
. Déboute la SCP Adns de ses demandes dirigées contre la société Part’actions,
. Condamne la SCP Adns aux dépens afférents à ces mises en cause,
. Ordonne à la société Class Action.fr de retirer de son site internet toute publicité, offres de service et actes de démarchage visant des consultations juridiques, la rédaction d’actes juridiques et la conclusion de contrats d’assistance juridique, ce, dans les 48 heures de la signification de la présente décision sous peine d’astreinte, passé ce délai, de 1000 € par jour de retard pendant deux mois.
. Condamne la société Class Action.fr aux autres dépens de l’instance et à payer à la SCP Adns 800 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,
. Rejette toutes autres demandes,
Le tribunal : Pierre Maitreau (premier vice président)
Avocats : Me René Despieghelaere, Me Meunier
Notre présentation de la décision
Voir décision TGI Paris du 06/12/05
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