Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de Grande Instance de Lyon, 10ème chambre, Jugement du 21 juillet 1999
SNJ, Madame C., Monsieur Yves L., Monsieur Alain C., Madame Christine M. / La SA Groupe Progrès
article de presse - cession de droit - contrat de travail - droit d'auteur - journaliste - oeuvre collective - reproduction
EXPOSE DU LITIGE
Une autorisation d’assigner à jour fixe a été délivrée à la demande du syndicat national des journalistes SNJ et de 4 salariés du journal « LE PROGRES ».
Par acte du 18/06/1999, le SNJ, mesdames C et M, messieurs L et C faisaient assigner devant ce Tribunal la SA GROUPE PROGRES aux fins de :
– faire dire et juger que cette société « ne possède que les droits de première publication (des articles) et qu’elle est contrefacteur » ;
– lui interdire l’exploitation des sites (télématiques) sous astreinte ;
– nommer un expert pour chiffrer… le montant des redevances dues… ;
– la condamner à payer la somme de 20 000 F à chacun des demandeurs, sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
– ordonner la publication du jugement (à intervenir) dans un journal… dans la limite de 20 000 F HT ;
– ordonner l’exécution provisoire.
Les demandeurs exposent que la société GROUPE PROGRES diffuserait des articles écrits par les journalistes demandeurs sur le Minitel et l’Internet sans leur payer de droits.
La SA GROUPE PROGRES soutient que le journal constituerait une oeuvre divulguée sous son nom et qu’en application de l’article L113-5 du CPI elle serait donc investie des droits d’auteur ; les journalistes étant rémunérés forfaitairement pour leur participation.
Elle affirme en outre que la diffusion sur Minitel ou Internet ne constituerait pas une nouvelle publication ni une reproduction ;
Enfin les demandeurs ne rapporteraient pas, selon elle la preuve d’une contrefaçon.
Elle conclut au rejet des demandes et à la condamnation des demandeurs à lui payer la somme de
20 000 F au titre de l’article 700 du ncpc.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le fondement juridique de la demande et les parties au procès :
Attendu qu’il n’est pas contesté que la SA GROUPE PROGRES est à l’origine de la diffusion sur Minitel et Internet d’articles de presse précédemment ou concomitamment diffusés dans le journal LE PROGRES édité sur papier même si les pièces produites font apparaître la centrale des journalistes comme diffuseur sur Internet à l’adresse www.agence-cdj.com.
Attendu que l’instance engagée vise au respect des droits d’auteurs des journalistes ; que le SNJ dont l’action vise à défendre les intérêts collectifs de la profession est donc recevable en sa demande aux côtés des journalistes en lien contractuel avec la société défenderesse.
Sur la nature des procédures en cause :
Attendu que la SA GROUPE PROGRES soutient qu’un journal serait une oeuvre collective et que, par application de l’article L113-5 du CPI elle serait investie des droits de l’auteur.
Attendu que l’article L113-2 du CPI définit l’oeuvre collective comme étant « l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie, et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participants à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
Attendu en l’espèce que les articles des journalistes sont parfaitement identifiables (comme le serait également une photographie) et ne se fondent pas dans l’ensemble désigné comme étant le journal LE PROGRES.
Que la société défenderesse sous le nom de qui le journal est divulgué ne peut donc être investie des droits d’auteurs par application de l’article L113-5 du CPI.
Sur la cession des droits :
Attendu que les contrats de travail des journalistes demandeurs à l’action ne font pas apparaître que « chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination quant au lieu et quant à la durée » conformément à l’article L131-3 du CPI, puisqu’aucune référence ne figure quant à la diffusion éventuelle des articles sur Minitel ou Internet.
Que la cession des droits dont se prévaut la SA GROUPE PROGRES ne résulterait donc que de l’article L761-9 du code du Travail.
Attendu que ce texte dispose en son alinéa 2 : « Le droit de faire paraître dans plus d’un journal ou périodique les articles… dont les personnes mentionnées à l’article L761-2 (essentiellement les journalistes) sont auteurs est obligatoirement subordonné à une convention expresse précisant les conditions dans lesquelles la reproduction est autorisée ».
Attendu qu’il faut déduire de ce texte, que la qualité d’employeur d’un organe de presse ne l’autorise à utiliser les articles des journalistes qu’il salarie que dans un seul journal ou périodique.
Attendu dès lors qu’il convient de rechercher dans le cas d’espèce si la SA GROUPE PROGRES a utilisé les articles de ses journalistes salariés pour les faire paraître dans plus d’un journal.
Attendu que la société GROUPE PROGRES expose qu’elle fait paraître chaque jour, en plus de la version papier du quotidien, un site Internet « www.leprogrès.fr » dans lequel des articles parus sur le support papier peuvent être lus.
Qu’elle indique également que « tout intéressé a la possibilité de consulter les archives de chaque exemplaire du journal paru depuis 1997 » sur Minitel.
Attendu qu’un journal ne s’identifie pas seulement par son support mais également par son contenu, sa présentation, son lectorat, et surtout sa ligne éditoriale.
Qu’en ce sens la reproduction intégrale et à l’identique du quotidien LE PROGRES sur un support télématique ne constituerait pas la parution dans plus d’un journal au sens de l’article L761-9 du Code du Travail, mais seulement un procédé d’archivage particulier si chaque article était restitué dans l’environnement qui était le sien dans le support papier.
Que pour ce motif, le Tribunal rejettera la demande tendant à faire juger que la société GROUPE PROGRES ne possède que les droits de première publication.
Mais attendu qu’il résulte des documents produits que, aussi bien en ce qui concerne le Minitel qu’Internet, les articles peuvent être appelés à partir d’un thème ou de mots-clés ; que la totalité des articles du journal-papier ne sont pas consultables par l’Internet mais seulement 300 sur 1 200 environ, selon la SA GROUPE PROGRES ; que le lectorat est élargi au-delà de la zone habituelle de diffusion du journal-papier ;
Attendu en conséquence que le produit diffusé par voie télématique doit être considéré comme un autre journal au sens du code du travail et donner lieu à une convention expresse définissant les conditions dans lesquelles la reproduction des articles est autorisée par leurs auteurs. Que la diffusion sans autorisation constitue une contrefaçon des droits d’auteur des journalistes.
Attendu en conséquence que le tribunal fera droit à la demande d’interdiction d’exploiter les sites Minitel et Internet litigieux sous astreinte, dans les termes du dispositif.
Sur les autres demandes :
Attendu que la demande d’expertise doit être accueillie pour évaluer le montant des redevances et indemnités susceptibles d’être allouées aux demandeurs, à défaut de meilleur accord entre les parties sur ce point.
Attendu que le Tribunal fera également droit à la demande de publication dans un journal au choix des demandeurs et pour un coût maximum de 15 000 F HT.
Attendu que l’exécution provisoire est opportune compte tenu de la nature du litige et sera ordonnée.
Attendu que l’équité commande d’allouer à chacun des demandeurs, y compris le SNJ une somme de 4 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement, et en premier ressort,
– Dit que la SA GROUPE PROGRES a commis une violation des droits d’auteurs de MM. L et C et de Mesdames C et M en publiant leurs articles sur Minitel et Internet sans leur accord.
– Fait interdiction à la SA GROUPE PROGRES de poursuivre les publications litigieuses sous astreinte de 5 000 F par jour à compter du 3ème jour suivant la signification du présent jugement, l’astreinte éventuelle étant répartie entre les 4 journalistes demandeurs et le SNJ par parts égales.
– Ordonne une expertise et désigne M. D à titre d’expert avec la mission suivante :
* Donner son avis sur le montant des redevances susceptibles d’indemniser le préjudice subi par les 4 journalistes demandeurs du fait des diffusions de leurs articles sur Minitel et Internet jusqu’au jour du jugement.
– Dit qu’à défaut de meilleur accord entre les parties sur l’indemnisation, les 4 journalistes demandeurs devront consigner au greffe du Tribunal, la somme de 8 000 F à valoir sur la rémunération de l’expert avant le 31/08/1999 sous peine de caducité de la désignation de l’expert.
– Dit que l’expert devra déposer son rapport avant le 30/11/1999.
– Autorise la publication dans un journal choisi par les demandeurs et aux frais de la SA GROUPE PROGRES, de la publication du présent jugement sans que le coût de la publication soit supérieur à 15 000 F HT.
– Ordonne l’exécution provisoire des dispositions ci-dessus du présent jugement.
– Condamne la SA GROUPE PROGRES à payer à chacun des journalistes demandeurs et au syndicat national des journalistes la somme de 4 000 F (soit au total 20 000 F) sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
– Rejette le surplus des demandes comme non fondé.
– Condamne la SA GROUPE PROGRES aux dépens.
Le tribunal : M. D. Kalunzi (Vice-Président); Mme M. Zenati(Vice-Président); M. P. Goudard (Juge); Mme C. Cognet (Greffière).
Avocats : Me Y. Bismuth; Me T. Hassler / Me J.P. Forestier
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