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Jurisprudence : Marques

mercredi 12 décembre 2007
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Tribunal de grande instance de Nanterre 2ème chambre Jugement du 28 janvier 2002

VGC / New World Sales Ltd, Voxpop Internet Publishing

marques - nom de domaine

FAITS ET PRODECURE

Par deux actes d’huissier de justice en date du 28 novembre 2000, la Société VGC a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Nanterre d’une part la société de droit anglais New World Sales Ltd, d’autre part la société Voxpop Internet Publishing.

Elle demande au Tribunal en visant les articles L 713-5 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle et 1382 du Code Civil de dire et juger qu’en enregistrant le nom de domaine « vogicacom » la société New World Sales et la société Voxpop ont fait une exploitation injustifiée des marques notoires Vogica, et ont usurpé le nom commercial Vogica, et de prononcer à l’encontre des défendeurs des mesures de réparation et d’interdiction.

La société New World Sales n’a pas constitué avocat. Cependant la SCP Lebailly-Nadjar et autres, Huissiers de Justice à Neuilly sur Seine (Hauts de Seine) a respecté les formalités imposées par les articles 684 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile pour l’assignation d’une personne domiciliée à l’étranger, et la preuve a été apportée que le défendeur a bien été touché par l’assignation puisque l’accusé de réception de la lettre recommandée de l’huissier a été signé le 4 décembre 2000.

Aux termes de ses dernières conclusions du 22 novembre 2001, la société Voxpop fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute et qu’elle doit être mise hors de cause, et elle forme une demande reconventionnelle pour procédure abusive et sollicite la publication de la décision à intervenir sous astreinte de 10 000 francs par jour de retard et la condamnation de la société VGC aux dépens et à lui payer 30 000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dans ses dernières conclusions du 30 novembre 2001, la société VGC développe son argumentation sur l’exploitation injustifiée de sa marque Vogica et sur l’usurpation de son nom commercial ainsi que sur la responsabilité particulière de la société Voxpop pour avoir manqué à son obligation de prudence et de diligence en enregistrant sans vérification une marque notoire à titre de nom de domaine. Elle conteste le bien fondé de la demande reconventionnelle.

En conséquence elle conclut au rejet des demandes de la société Voxpop et reprenant les termes de son assignation elle demande au Tribunal de :
– dire et juger qu’en enregistrant le nom de domaine « vogica.com » la société New World Sales et la société Voxpop ont fait une exploitation injustifiée des marques notoires Vogica, et ont usurpé le nom commercial Vogica,
– condamner solidairement la société New World Sales et la société Voxpop à payer à la société VGC trois cent mille francs de dommages et intérêts,
– interdire à New World Sales et Voxpop de détenir, d’utiliser, d’exploiter sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, et notamment à titre de nom de domaine ou partie de nom de domaine, ainsi que sur les pages web d’internet, la marque “Vogica” seule ou en combinaison avec d’autres termes, et ce sous astreinte définitive et non comminatoire de 10 000 francs par infraction constatée passé le délai de 72 heures suivant la signification du jugement à intervenir,
– faire injonction à la société New World Sales et à la société Voxpop de procéder solidairement à leurs frais aux formalités de transfert de nom de domaine « vogica.com » au profit de la société VGC, sous astreinte définitive et non comminatoire de 20 000 francs par infraction constatée passé le délai de 72 heures suivant la signification du jugement à intervenir,
– dire qu’à défaut de procéder ainsi dans un délai de 15 jours suivant la date de signification du jugement, la société VGC sera autorisée à effectuer auprès de Net Work Solutions (NSI) ou de toute autre autorité compétente les dits transferts,
– dire que Net Work Solutions (NSI) devra procéder aux formalités de transfert du nom de domaine « vogica.com » au profit de la société VGC ou à défaut à sa radiation,
– ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux périodiques ou revues au choix de la société VGC dans la limite de 30 000 francs par publication, frais auxquels les défenderesses seront solidairement condamnées,
– autoriser la publication du jugement à intervenir sur le site internet correspondant au nom de domaine « vogica.com »,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– condamner solidairement les défenderesses à payer à la société VGC la somme de 50 000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
– condamner solidairement les défenderesses aux entiers dépens avec application de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de l’avocat de la demanderesse.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2001 et l’affaire a été appelée à l’audience du 10 décembre 2001.

DISCUSSION

Par application de l’article 473 du Nouveau Code de Procédure Civile la présente décision sera réputée contradictoire.

La société VGC a pour activité la fabrication et la commercialisation de meubles et d’équipements pour la maison et spécialement des meubles de cuisine et de salle de bains.

Elle est connue sous son nom commercial Vogica figurant dans son immatriculation au registre du commerce.

Elle établit qu’elle est titulaire en France de deux marques Vogica, enregistrées à l’institut National de la Propriété Industrielle pour désigner des produits de classes 11 et 20 et notamment les meubles de cuisine et salles de bains
– la marque semi-figurative Vogica enregistrée sous le numéro 1 486 630 depuis 1987, régulièrement renouvelée,
– une autre marque semi-figurative Vogica déposée le 10 décembre 1996 et enregistrée sous le numéro 96 654 736.

Les documents produits par la société VGC (publicité et enquêtes d’opinion) démontrent que la marque Vogica bénéficie d’une renommée incontestable en France où elle est notoirement connue dans une large fraction de la population.

Il est établi par le constat dressé à Neuilly sur Seine (Hauts de Seine) le 10 octobre 2000 par Me Frédéric N., huissier de justice près le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, qu’une société dénommée New World Sales, domiciliée en Grande Bretagne, a réservé le 15 décembre 1998 par l’intermédiaire du “registrar” Net Work Solutions (NSI) un nom de domaine « vogica.com » qui ne donne accès à aucun site “web”.

Dans cet enregistrement sont indiqués comme contact technique “Hot master, NetBenefit” à Londres, et comme contact de facturation “Voxpop Internet Publishing”.

Sur l’atteinte à la marque et au nom commercial

Selon l’article L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

En l’espèce l’utilisation par la société New World Sales de la marque Vogica pour réserver à son profit un nom de domaine internet cause un dommage à la société VGC en effet en saisissant le nom de domaine « vogica.com » les utilisateurs de l’internet n’accèdent pas à un site présentant les produits de la société VGC mais reçoivent un message de “page indisponible” ; cela entraîne pour elle sinon un préjudice commercial en tout cas un préjudice en terme d’image et la prive de la possibilité d’utiliser sa marque comme nom de domaine dans l’extension la plus recherchée en “.com”.

La reprise d’un nom commercial antérieur comme signe distinctif par un tiers est fautif s’il existe un risque de confusion ; en l’espèce, comme la société New World Sales n’a développé aucune activité au moyen du nom de domaine « vogica.com », l’atteinte au nom commercial de la société VGC n’est pas caractérisée puisque l’on ne peut pas affirmer qu’elle a voulu se placer dans le même secteur que la société VGC, ni la concurrencer.

Néanmoins, les demandes d’interdiction de l’usage du terme “Vogica » et de transfert du nom de domaine sont justifiées pour faire cesser le trouble résultant de l’atteinte portée à la marque, de même que le prononcé d’astreintes provisoires proportionnées à ce qui apparaît nécessaire pour assurer l’exécution de ces mesures, étant précisé que les conditions préalables au prononcé d’une astreinte définitive ne sont pas réunies (article 34 loi du 9 juillet 1991).

Aucune injonction ne peut être donnée à une société qui n’est pas dans la cause; mais dans la mesure où Network Solutions Inc. s’est engagée selon certificat du 12 mars 2001 à se conformer à une décision de justice sur le transfert du nom de domaine « vogica.com », il y a lieu de le constater.

Quant à la réparation du préjudice subi par la société VGC du fait de la société New World Sales en raison de l’atteinte aux marques Vogica, elle nécessite l’allocation de dommages et intérêts et la publication du jugement dans les conditions qui seront précisées dans le dispositif.

Sur les demandes formées contre la société Voxpop Internet Publishnig

II est constant que la société Voxpop a servi d’intermédiaire entre la société New World Sales et Net Work Solutions, spécialement pour acquitter les frais de l’enregistrement du nom de domaine « vogica.com ».

II n’est pas démontré que la société Voxpop a joué un autre rôle que celui de prestataire de service pour cet enregistrement, elle n’était pas fournisseur d’hébergement aucun site n’ayant été créé.

On ne peut pas lui imputer directement le choix du nom de domaine et l’utilisation fautive de la marque.

Et même le manquement à une obligation de prudence et de diligence n’est pas caractérisé par rapport à sa mission limitée.

Par ailleurs, la société Voxpop justifie qu’une fois informée de la réclamation de la société VGC, elle a écrit à sa cliente pour lui demander de se prêter au transfert ; elle indique ne pas avoir eu de réponse.

Ainsi à défaut pour la société VGC d’établir une faute imputable à la société Voxpop et en lien avec son préjudice, elle doit être déboutée de toutes ses demandes envers celle-ci.

Cependant la société VGC ne peut se voir reprocher d’avoir assigné cet intermédiaire pour essayer d’en connaître un peu plus sur son rôle, que l’intéressé minimise peut être ; le fait qu’il soit toujours noté comme “billing contact” (même après le renouvellement de l’enregistrement dont la première échéance était le 15 décembre 2000) pose question.

L’abus de procédure n’est donc pas caractérisé, et l’ensemble de la demande reconventionnelle doit être rejeté.

Sur les demandes accessoires

La partie perdante doit supporter les dépens par application de l’article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile ; en outre il serait inéquitable de laisser les autres frais de l’instance intégralement à la charge des autres parties.

Il y a urgence à faire cesser les actes d’atteinte à la marque Vogica et il convient donc d’assortir le présent jugement de l’exécution provisoire.

DECISION

Par ces motifs, le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,
– dit qu’en enregistrant le nom de domaine « vogica.com » la société New World Sales a fait une exploitation injustifiée des marques renommées Vogica enregistrées à l’institut National de la Propriété Industrielle sous les numéros 1 486 630 et 96 654 736,
– condamne la société New World Sales à payer à la société VGC quatre mille euros (26 238,28 francs) de dommages et intérêts,
– interdit à New World Sales de détenir, d’utiliser, d’exploiter sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, et notamment à titre de nom de domaine ou partie de nom de domaine, ainsi que sur les pages web d’internet, la marque “Vogica”, et ce sous astreinte provisoire de mille euros (6559,57 francs) par infraction constatée passé le délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir,
– enjoint la société New World Sales de procéder à ses frais aux formalités de transfert du nom de domaine « vogica.com » au profit de la société VGC, sous astreinte provisoire de six cent euros (3935,74 francs) par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification du présent jugement,
– dit que si la société New World Sales n’a pas réalisé le transfert dans un délai de 15 jours suivant la date de signification du jugement, la société VGC sera autorisée à effectuer auprès de New World Sales (NSI) ou de toute autre autorité compétente le dit transfert,
– constate que Network Solutions Inc. s’est engagé à procéder aux formalités de transfert du nom de domaine « vogica.com » ordonnées par un tribunal,
– autorise la publication du présent jugement dans trois journaux périodiques ou revues au choix de la société VGC dans la limite de quatre mille cinq cent euros (29 518,07 F) par publication, aux frais de la société New World Sales,
– autorise la publication du présent jugement sur le site Internet référencé à partir du nom de domaine « vogica.com » pendant une durée maximale de 6 mois à compter de ce jour,
– rejette les demandes formées par la société VGC contre la société Voxpop,
– rejette la demande reconventionnelle de la société Voxpop,
– ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,
– condamne la société New World Sales à payer à la société VGC la somme de deux mille euros (13 119,14 francs) en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
– condamne la société New World Sales aux entiers dépens.

Le tribunal : Mme Hélène Jourdier (président), Mme Marie Hélène Poinseau (1er juge), Mme Isabelle Orsini

Avocats : SCP Baker & Mc kenzie, Me Maya Assi

 
 

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