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Jurisprudence : Contenus illicites

mardi 05 février 2008
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Tribunal de grande instance de Nevers Ordonnance de référé 07 novembre 2006

Christian B. / Nicolas S., UMP

contenus illicites

FAITS

Monsieur Christian B. a été mis en examen le 13 mai 2008 pour des faits de meurtre d’un mineur de 15 ans précédé de viol sur mineur sur la personne de l’enfant Mathias à Moulins Engilbert (Nièvre).
Faisant état de ce que Monsieur Nicolas S. a présenté lors d’un discours prononcé le 8 juillet 2006 à Ballan Mire comme coupable des faits qui lui sont reprochés, Monsieur Christian B. a fait assigner Monsieur Nicolas S. ainsi que l’Union pour un Mouvement Populaire, ci-après dénommée U.M.P, et demande au juge des référés, au visa de l’article 9-1 du code civil, de l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 809 du nouveau code de procédure civile, de :
– dire que le discours de Monsieur Nicolas S. en date du 6 juillet 2006, publié sur le site de I’U.M.P. porte atteinte à la présomption d’innocence dont bénéficie Monsieur Christian B., au regard des dispositions de I’article 9-1 du code civil, et qu’il constitue, par conséquent, un trouble manifestement illicite dont il est fondé à poursuivre la cessation, sur le fondement du dit article comme sur celui de l’article 809, alinéa 1 du code de procédure civile ;
– condamner solidairement l’U.M.P. ainsi que Monsieur Nicolas S. à supprimer l’ensemble du texte dont s’agit de leur site internet, et ce sous astreinte définitive de 1000 € par jour de retard, laquelle sera acquise à titre définitif, jour par jour, à compter du jour même du prononcé de l’ordonnance de référé à intervenir ;
– ordonner la publication de l’ordonnance de référé à intervenir dans les quotidiens le journal du Centre ainsi que dans le Figaro ;
– condamner solidairement Monsieur Nicolas S. et l’U.M.P. à régler par provision Monsieur Christian B. une somme de 10 000 € à titre de provision sur son préjudice ;
– condamner solidairement Monsieur Nicolas S. et l’U.M.P. à régler à Monsieur Christian B. la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Monsieur Christian B. fait valoir au soutien de sa demande que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence ; que cette présomption n’est pas respectée lorsqu’une personne poursuivie pénalement est présentée publiquement comme coupable, avant condamnation ; que cette présomption a été atteinte, par les propos tenus par Monsieur Nicolas S., et repris sur le site internet de I’U.M.P., et notamment par la phrase suivante évoquant la visite que le Ministre de l’intérieur avait faite aux parents du jeune Mathias “J’étais rassuré de pouvoir apprendre à ce père qu’on avait l’assassin… »

Monsieur Nicolas S. et U.M.P. concluent en réplique :
– à titre liminaire à la nullité de l’assignation comme contraire aux dispositions de la loi du 29 juillet 1981 relative à la liberté de la presse, applicable à l’ensemble des abus de la liberté d’expression, et donc au cas d’espèce, en application notamment d’un arrêt de la Cour de Cassation du 8 juillet 2004, étant précisé que l’assignation délivré à la requête de Monsieur Christian B. ne respecte pas les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
– à titre principal au non fondé des demandes dirigées contre Monsieur Nicolas S. au motif que ce dernier n’a pas tenu les propos Incriminés, dans la mesure où il s’est écarté de la trame du discours, préparé à l’avance et publié comme tel sur le site internet de I’U.M.P. ;
– à titre principal au non fondé des demandes dirigées contre I’U.M.P. dans la mesure où l’identité de Monsieur Christian B. n’est aucunement dévoilée ;
– à titre subsidiaire à la fixation à 1 € de la demande indemnitaire, la diffusion des propos litigieux ayant été extrêmement réduite puisque limitée au seul site de I’U.MP.

Monsieur Christian B. réplique à son tour que seules les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 relatives à la prescription sont applicables aux actions relatives à l’atteinte à la présomption d’innocence que par ailleurs dans le texte publié il est clairement fait référence à la personne mise en examen et placée en détention, de sorte que l’identification de Monsieur Christian B. n’est pas douteuse, bien que son nom ne soit pas expressément cité.

DISCUSSION

Sur la nullité de l’assignation délivré à la requête de Monsieur Christian B.

II convient de rechercher si l’ensemble des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse sont applicables aux actions engagées sur le seul fondement de l’article 9-1 du code civil.

La prescription de l’atteinte à la présomption d’innocence est prévue par l’article 65-1 de la loi précitée qui dispose que les actions fondées sur cette atteinte commises par un des moyens visés à l’article 23 se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour de l’acte de publicité. Elle a donné lieu à un revirement de la jurisprudence de la Cour de Cassation suivant un arrêt de la 2ème chambre civile du 8 juillet 2004.

Mais la portée de cet arrêt, qui prend le contre-pied d’un arrêt du 4 décembre 1998 qui avait isolé l’article 65.1 de l’article 65 de la loi, est d’unifier le régime de la prescription applicable aux faits commis par vole de presse, alignant ainsi le régime de la prescription de l’atteinte à la présomption d’innocence sur celui des délits de presse.

C’est vainement que Monsieur S. et l’U.M.P. en déduisent que c’est l’ensemble des dispositions de la loi de 1881 qui doit s’appliquer à une action fondée sur le seul article 9-1 du code civil, alors que dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt précité du 8 juillet 2004 la demanderesse à l’instance avait introduit son action, à raison des mêmes faits, à la fois sur une qualification de diffamation et d’atteinte à la liberté d’expression, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Si le régime de la prescription se trouve unifié, il ne s’en déduit pas que l’action fondés sur l’application de l’article 9-1 du code civil soit soumise à l’ensemble des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, et notamment aux prescriptions de l’article 53 relatives aux formalités régissant la citation.
Dés lors l’exception de nullité invoquée par Monsieur S. et par I’U.M.P. doit être rejetées, l’assignation délivrée à la requête de Monsieur B. n’étant pas soumise au formalisme de l’article 53 de la loi précitée.

Sur les demandes de Monsieur Christian B.

Monsieur Christian B. demande d’une part la suppression du passage du discours incriminé sur le site internet concerné en application de l’article 809 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile et d’autre part la condamnation solidaire des défendeurs sur le fondement de l’article 809 alinéa 2 du même code.

Aux termes de l’article 809 alinéa 1 du nouveau code de procédure civile le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l’article 809 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile, dansl es cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Par ailleurs l’article 9-1 du code civil dispose que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence et que, lorsqu’une personne est avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge, peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du préjudice subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence.

Il convient d’examiner Ie bien fondé des demandes de Monsieur Christian B. à l’égard de chacun des deux défendeurs, puisqu’il est allégué par eux une différence entre les propos tenus lors d’un discours public par Monsieur Nicolas S. et le texte mis en ligne sur le site internet de I’U.M.P.

Sur les demandes dirigées à l’encontre de Monsieur Nicolas S. :

Si Monsieur Christian B. verse aux débats un procès-verbal établi par huissier reproduisant le texte mis en ligne sur le site de l’U.M.P. Il convient à l’égard de Monsieur Nicolas S. de rechercher quels sont les propos exacts tenus par ce dernier lors de son intervention le 6 juillet 2006 dans l’Indre et Loire.

Monsieur Nicolas S. verse à cet égard un DVD, dont l’authenticité n’est pas mise en doute, d’où il résulte qu’il aurait tenu des propos sensiblement différents de ceux publiés par l’U.M.P. sur son site internet, ces derniers paraissant être le texte préparé à l’avance dont l’orateur a pu se détacher lors de son intervention.

Or il résulte de la lecture contradictoire à l’audience de ce document que Monsieur Nicolas S. a littéralement prononcé les propos suivants :

“Et enfin je voudrais parler d’un sujet très difficile qui est celui des délinquants sexuels. Je le dis comme je le pense, après avoir rendu visite à la famille du petit Mathias, nous ne pouvons plus continuer à laisser des monstres dans la nature au prétexte du droit à l’oubli et au prétexte qu’un certain nombre de gens, partant des droits de l’homme, parlent des droits des délinquants et pas des droits des victimes.

Et je ne peux pas m’empêcher, lorsque je revois le visage des parents de Mathias, que c’est I’Etat qui a laissé un monstre, déjà condamné à deux reprises pour des faits qui n’étaient pas aussi graves mais qui laissaient penser les problèmes qui étaient celui de cet individu, à coté de la famille de Mathias sans qu’on ait rien fait.

Ces propos relatifs aux délinquants sexuels ne font aucunement référence à la culpabilité de la personne mise en examen dans l’affaire du jeune Matthias, mais à ses antécédents, étant précisé de surcroît que son identité, non seulement n’est pas dévoilée, mais qu’aucun élément ne permet d’identifier l’individu comme étant le demandeur à la présente procédure.

Il y a donc lieu de rejeter la demande de Monsieur Christian B. en ce qu’elle est dirigée à l’encontre de Monsieur Nicolas S.

Sur les demandes dirigées à l’encontre de l’U.M.P.

Si le texte du discours de Monsieur Nicolas S., tel qu’il est transcrit sur le site de I’U.M.P. ne vise pas expressément le nom de Monsieur Christian B. encore faut-il que la personne visée comme étant coupable des faits ne soit pas identifiable.

Le texte, tel que retranscrit dans un procès-verbal d’huissier du 28 septembre 2006 à 11 heures, est le suivant :

« Il y a aussi la question dramatique de la criminalité sexuelle. Il y a quelques semaines, j’étais dans la famille du petit Mathias, ce gosse de 4 ans et demi, violé, noyé, assassiné. Au seuil de la porte de la ferme, le père de Mathias m’a dit : “monsieur S., avant que vous ne rentriez chez moi, je vais vous poser une question : c’est le ministre ou c’est l’homme qui rentre ?“ Je suis rentré et j’ai tout eu. La visite de la chambre de Mathias, le vélo de Mathias, la peluche de Mathias. C’était bouleversant.

J’étais rassuré de pouvoir apprendre à ce père qu’on avait l’assassin. Mais je vous livre un aveu : je n’ai pas osé lui dire, je n’ai pas eu la force de lui dire, que l’assassin avait déjà été, à deux reprises, pris dans des affaires, non pas aussi graves, mais dans des affaires de même nature.

Que pèsent certains débats parfois ahurissants sur les droits de l’homme face à un père ou une mère qui vous demande pourquoi l’Etat a laissé un monstre s’installer, sans contrôle, à côté de leur enfant. Qu’est-ce que cela pèse ? Et qu’est ce qu’on dit ?

Des cas comme celui-ci il y en a des centaines en France et peut être plus encore. Et nous, nous devisons pour savoir si un homme qui a maltraité, violé, qui a parfois tué, peut sortir de prison, sans qu’à aucun moment l’Etat n’assure sa traçabilité… »

Or le texte incriminé aurait permis probablement d’identifier la personne présenté coupable comme étant Monsieur Christian B., s’il avait été publié au moment du placement en garde à vue de Monsieur Christian B. puisque son interpellation avait alors fait l’objet d’une très importante publicité tant sur le plan régional que sur le plan national et qu’il était alors identifiable.

Environ deux mois après la garde à vue de l’intéressé et sa mise en examen, alors même que l’article incriminé mis en ligne sur le site internet de l’U.M.P. ne fait aucune référence nominative ni ne donne de précision sur la personne présentée comme coupable, le risque d’identification est faible, mais ne peut être totalement exclu.

Dans ces conditions il existe une atteinte à la présomption d’innocence de la personne présentée non pas comme un coupable possible mais comme un assassin, étant précisé à cet égard que la personne mise en examen l’a été pour meurtre et non assassinat comme cité dans le texte.

Il convient de relever qu’à la date du 31 octobre la consultation du site de I’U.M. P. faisait apparaître la suppression de la partie du texte litigieux, de sorte qu’une partie de la demande de Monsieur Christian B. devient sans objet.

Dès lors, et compte tenu des très faibles risques d’identification du demandeur et de la diffusion d’importance relative que Ie texte litigieux a rencontré, cette atteinte à la présomption d’innocence sera suffisamment réparée par la seule allocation de la somme de 1 € à titre de dommages intérêts.

Les autres demandes de Monsieur Christian B. seront rejetées.

DECISION

Statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort et en matière de référé,

. Rejetons l’ensemble des demandes de Monsieur Christian B. en ce quelle sont dirigées à l’encontre de Monsieur Nicolas S. ;

. Condamnons l‘U.M.P. à payer à Monsieur Christian B. la somme de un euro à titre de dommages intérêts ;

. Condamnons l’U.M.P. aux dépens.

Le tribunal : M. Jacques Tallon (président)

Avocats : Me Thibault De Saulce Latour, Me Blanchetier

 
 

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