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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 21 mai 2014
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Tribunal de grande instance de Paris 5ème chambre, 1ère section Jugement du 13 mai 2014

Cabinet d'avocats Dufour Iosca / Secib

contrat informatique - dysfonctionnement - logiciel - vendeurs profesionnels

FAITS ET PROCÉDURE

Le 22 février 2012, la Selarl cabinet d’avocats Dufour & Iosca a conclu avec la société Secib, société de services en ingénieurie informatique, un contrat d’installation sur ses ordinateurs d’un logiciel de gestion intégrée Secib Mac V12.

Mécontente du produit, elle a fait assigner, le 9 avril 2013, la société Secib devant ce tribunal.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 14 novembre 2013, elle demande, sur le fondement des articles 1184, 1315 et 1604 du code civil et sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– la résolution judiciaire du contrat précité,
– la condamnation de la défenderesse à lui payer les sommes suivantes :
* 13 601,53 €,
* 10 000 € à titre de dommages et intérêts,
* 3000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

aux motifs que :
– la société Secib a manqué à ses obligations contractuelles ; comme vendeur professionnel, il lui appartenait de se renseigner sur les besoins de l’acheteur ; or, elle n’a pas mis en garde le cabinet d’avocats sur l’incompatibilité manifeste de son logiciel avec certaines applications utilisées quotidiennement par celui-ci ;
– la défenderesse n’a, par ailleurs, pas respecté son obligation de délivrer un bien conforme aux caractéristiques convenues, dès lors qu’elle a été informée préalablement de la nécessité de livrer un logiciel compatible avec l’application Ical, ce qui constituait une fonctionnalité essentielle et non pas accessoire ; or, son prestataire informatique extérieur l’a informée que les calendriers Ical, tels que gérés par Secib, ne pouvaient pas être synchronisés via le serveur du cabinet, de même qu’ils ne peuvent pas être synchronisés par iCloud, ce que la société Secib devait admettre ; cette synchronisation n’a pas été possible avant décembre 2012 ;
– dans ces conditions, la résolution du contrat litigieux est encourue, ce qui entraîne l’obligation de restituer toutes les sommes perçues ; elle n’a jamais été informée des modalités existantes de synchronisation ;
– il a fallu subir une période de formation inutile et des pertes de temps pour essayer de travailler avec le logiciel entaché de bugs informatiques ;
– la défenderesse a manqué à son obligation de conseil.

Dans ses écritures récapitulatives en date du 14 janvier 2014, la société Secib conclut au débouté de la demanderesse et lui réclame la somme de 3500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, aux motifs que :
– le dirigeant de la société Secib, M. G., a proposé un accord amiable relatif au problème de synchronisation, causé par l’arrêt du service MobileMe par Apple, à compter du 30 juin 2012 ; la société Secib a souligné qu’il existait, jusqu’au 30 juin 2012, trois modalités rendant possible la synchronisation des agendas, recherchée par Me Dufour ; entre le 30 juin et début décembre 2012, deux des modalités restaient possibles ; enfin la méthode de synchronisation exigée par la demanderesse à l’extérieur du cabinet a été disponible dès le 3 décembre 2012, lorsque la société Secib a distribué la version 12.50 de son logiciel SecibMac supportant une synchronisation iCloud ; or, Me Dufour a refusé l’installation de cette nouvelle version, qui aurait pu résoudre sa difficulté ;
– le logiciel Secib a été mis en production, début juillet 2012, et est toujours utilisé par la demanderesse ;
– la demanderesse a refusé toute négociation commerciale avant d’assigner ; la mise au point d’un logiciel complexe nécessitait une parfaite collaboration entre les parties et un peu de patience pour la disponibilité d’une des trois modalités d’une fonctionnalité de synchronisation ;
– il appartenait à la demanderesse, spécialiste du droit, de spécifier dans la phase pré-contractuelle, l’importance de la troisième modalité de synchronisation des agendas, alors même qu’elle était accompagnée d’un spécialiste du Mac ; personne ne peut ignorer que Apple fait évoluer ses logiciels, deux fois par an ; il n’est résulté aucun préjudice justifié de la situation dont se plaint la demanderesse.

DISCUSSION

Aux termes de l’article 1184 du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisferait pas à son engagement ; la résolution doit être demandée en justice et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ;

Il appartient aux tribunaux de rechercher en cas d’exécution partielle et d’après les circonstances de fait si cette inexécution a assez d’importance pour que la résolution doive être immédiatement prononcée ou si elle ne sera pas suffisamment réparée par une condamnation à des dommages et intérêts ;

En l’espèce, il résulte de la plaquette publicitaire de la société Secib que le Pack optionnel Communication souscrit par le cabinet Dufour & Iosca permettait de faire l’interface entre l’agenda Secib et l’agenda Ical (utilisé par la demanderesse en tant qu’agenda électronique) ;

Cette application était extrêmement intéressante puisqu’elle permettait de synchroniser le logiciel Secib avec l’application Ical des téléphones portables Iphones des avocats du cabinet ;

La société Secib, dont la publicité met en avant le fait qu’elle est la société informatique spécialiste des logiciels avocat depuis 1989 et à laquelle il incombait, en sa qualité de professionnelle, de s’enquérir des spécificités de sa cliente, ne peut sérieusement soutenir qu’il appartenait à la Selarl Dufour & Iosca de souligner que cette fonctionnalité était essentielle et non pas accessoire, alors que, d’une part, celle-ci l’avait commandée et était, dès lors, en droit de l’obtenir et que, d’autre part, elle n’aurait pas dû ignorer que le cabinet Dufour & Iosca est notamment spécialisé en droit routier et, par conséquent, amené à très souvent se déplacer (parfois même à très vive allure si l’on en croit la coupure de presse versée par la défenderesse, elle-même), ce qui rendait d’autant plus nécessaire la synchronisation, en temps réel, des agendas du cabinet et ceux des avocats en déplacement, via leur Iphones ;

La société Secib ne peut se borner, en inversant les rôles, à dire que chacun sait qu’Apple modifie ses logiciels deux fois par an et qu’il fallait s’attendre à des changements, alors que c’était à elle, en premier lieu, de s’informer à l’avance des transformations à intervenir, de les intégrer dans ses projets d’installation et d’en prévenir, en temps utile, son client, en remédiant immédiatement aux difficultés qui viendraient à lui être signalées ;

Au lieu de cela, outre d’autres problèmes rencontrés, la fonctionnalité décrite n’a pas fonctionné lors de l’installation des logiciels commandés et payés, la société Secib ne rapportant pas la preuve qu’elle ait expliqué à la demanderesse comment il était possible de pallier, sans délai, ces difficultés dont elle n’avait pas informé la
Selarl Dufour & Iosca ;

Dans ces conditions, sans qu’il puisse être fait grief à la société demanderesse de n’avoir pas accepté la solution transactionnelle qui lui a été proposée par la société Secib, il convient d’ordonner la résolution du contrat passé entre les parties ;

La société Secib devra, en conséquence, être condamnée à restituer à la Selarl Dufour & Iosca la somme versée, non contestée dans son quantum, de 13 601,53 € ;

Il n’est pas contesté à l’audience que la Selarl Dufour & Iosca n’utilise plus les logiciels de la société Secib, de sorte qu’il n’y a rien à restituer de sa part ;

Les désagréments qu’elle a rencontrés justifient l’octroi à la demanderesse d’une somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts ;

La société Secib devra verser à la demanderesse la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’exécution provisoire de ce jugement n’est pas incompatible avec la nature de l’affaire et doit être ordonnée, hormis ce qui concerne l’indemnité pour frais irrépétibles et les dépens ;

DÉCISION

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
– prononce la résolution du contrat du 22 février 2012 entre la Selarl Dufour & Iosca et la société Secib,
– condamne la société Secib à payer à la Selarl Dufour & Iosca les sommes suivantes :
* 13 601,53 €, coût des prestations commandées,
* 1500 € à titre de dommages et intérêts,
* 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonne l’exécution provisoire de ce jugement, hormis ce qui concerne l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,
– condamne la société Secib aux dépens.

Le tribunal : M. Christian Hours (vice président), Mme Madeleine Huberty (vice présidente), Mme Véronique Petereau (juge)

Avocats : Me Romain Darrière, Me Bernard Lamon

Notre présentation de la décision

 
 

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