Jurisprudence : Marques
Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 23 avril 2001
Compagnie Gervais Danone / Olivier M., 7 Ways, ELB Multimédia
contrefaçon de marque - liberté d'expression - marques - risque de confusion
Faits et procédure
La société Compagnie Gervais Danone est titulaire :
– des marques verbales « Danone » n° 1 690 721, déposée le 22 novembre 1988 et renouvelée le 11 décembre 1998 et n° 95 569 647 déposée le 28 avril 1995 pour désigner des produits et des services des classes 1 à 42,
– de six marques semi-figuratives « Danone » déposées les 1er juin et 21 août 1995, 24 septembre et 6 novembre 1996 et 15 décembre 1998 pour des produits et services des classes 1, 5, 29, 30, 31, 32 et 42, constituées d’une cartouche en forme de polygone de couleur bleue comportant dans sa partie inférieure un trait incliné rouge et au centre, en lettres blanches, le mot « Danone ».
Ayant appris qu’un site internet intitulé , déposé le 4 avril 2001 et exploité par Olivier M., reproduisait un polygone caractéristique de sa marque figurative Danone insérant les mentions « Je Boycotte Danone.com », et estimant que ce nom de domaine et le contenu de ce site constituent la contrefaçon de ses marques, la Sté Compagnie Gervais Danone, après y avoir été autorisée, a, par actes des 13 et 17 avril 2001, assigné à jour fixe Olivier M. ainsi que les Stés ELB Multimédia et 7 Ways, ces deux dernières en tant que « contacts techniques » du site litigieux.
Cette affaire a été placée devant le 3e chambre 1re section du tribunal de grande instance de Paris.
Invoquant les dispositions des articles L. 716-6, L. 713-2, L. 713-3, L. 713-5, L. 716-1, L. 716-9 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle, la Sté Compagnie Gervais Danone a, par actes des 16 et 18 avril 2001, assigné les susnommés en référé d’heure à heure aux fins de voir :
– interdire à Olivier M. de détenir et d’exploiter le nom de domaine ainsi que de reproduire les marques Danone, et ce sous astreinte définitive de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir,
– ordonner la radiation du nom de domaine dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 000 F par jour de retard,
– ordonner à l’unité d’enregistrement du nom de domaine en cause de procéder à sa radiation,
– interdire à la Sté 7 Ways et à la Sté ELB Multimédia d’héberger et de fournir accès au site susmentionné et à tout site portant atteinte aux marques de la Sté Gervais Danone,
– condamner Olivier M. à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, la demanderesse a sollicité à l’audience l’exécution sur minute de l’ordonnance à intervenir.
Olivier M. soulève l’irrecevabilité des demandes dirigées contre lui alors que le site litigieux a été créé par l’association « Boycott ! », en cours de formation, et fait plaider au fond l’absence d’imitation illicite des marques de la demanderesse au profit d’une citation licite dans un but d’information du public et dans un esprit parodique dénué de toute intention dénigrante ou finalité commerciale.
Il conclut, par conséquent, au débouté de la Sté Gervais Danone de ses demandes et réclame paiement de la somme de 10 000 F au titre de ses frais non taxables.
Les Stés 7 Ways et ELB Multimédia, bien que régulièrement assignées, n’ont pas comparu ni constitué avocat.
Attendu que l’une des pages du site internet en litige informe ses visiteurs qu’il est l’œuvre d’un collectif de journalistes regroupés au sein de l’association « Boycott ! », 48 bd de Picpus 75012 Paris ;
Attendu que si le défendeur verse aux débats un document portant le titre « Association Boycott ! Statuts », ledit document n’est ni daté ni signé et il est aucunement justifié de son dépôt à la préfecture ;
Attendu que l’action dirigée contre Olivier M., qui a déposé le 4 avril 2001 le nom de domaine querellé, est dès lors recevable ;
Attendu que, le 4 avril 2001, Olivier M. a donc enregistré le nom de domaine pour désigner un site sur lequel ses auteurs se précisent ainsi : « Un collectif de journalistes issus du magazine Technikart (..) persuadés que le boycott reste la dernière forme d’action politique, dans une société où l’argent a profondément perverti le système démocratique. Nous demandons la réintégration sans délai des salariés des usines LU, mais aussi l’ouverture d’une nouvelle politique entre les salariés français et les entreprises basées sur l’intéressement multiple », et qui a pour thème le plan de restructuration de la branche « biscuiterie » de la Compagnie Gervais Danone et ses conséquences pour les salariés du groupe ;
Attendu que ce thème est développé sous le titre « Les êtres humains ne sont pas des yaourts » et le site propose à ses visiteurs la signature d’une Charte du consommateur, intitulée : « La démocratie par le caddie », et un guide du boycott donnant la liste des produits de la Compagnie Gervais Danone qu’il leur est suggéré de ne plus acheter ; que chaque chapitre est précédé d’un logo en forme de polygone de couleur bleue à l’intérieur duquel on peut lire, en lettres blanches, « Je boycotte Danone.com », souligné dans sa partie inférieure d’un trait incliné de couleur noire.
Attendu que l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle édicte une disposition relative à la responsabilité civile étrangère au domaine d’intervention dévolu par l’article L. 716-5 du même code au président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés ; que les demandes de la Sté Compagnie Gervais Danone sont par conséquent irrecevables sur ce fondement ;
Attendu que l’intéressée invoque aussi les articles L. 713-2 et L. 713-3 du code précité, qui interdisent la reproduction de la marque d’autrui pour des produits ou services identiques à ceux du dépôt, ainsi que la reproduction et l’imitation de la marque d’autrui pour des produits similaires à condition qu’il y ait danger de confusion dans l’esprit du public ;
Attendu que la marque verbale Danone a fait l’objet d’un dépôt pour désigner entre autres les services de communication qui correspondent à la classe 38 ;
Attendu que l’utilisation du terme « danone » dans le nom de domaine enregistré par Olivier M. correspond cependant à une référence uniquement pour indiquer la destination du site polémique et ouvert à des pétitions de l’intéressé ; qu’associé au terme très explicite « jeboycotte », il ne peut conduire, dans l’esprit du public, à aucune confusion quant à l’origine du service affecté pour ce nom ; que l’enregistrement de la marque Danone ne peut faire obstacle à une telle référence ;
Attendu que, de ce chef, la contrefaçon n’est donc pas manifeste et il ne peut être fait droit aux demandes de la Sté Compagnie Gervais Danone tendant à voir faire interdire à Olivier M. de détenir et d’exploiter le nom de domaine et ordonner la radiation dudit nom ;
Attendu que la cartouche en forme de polygone qui ouvre chaque chapitre du site litigieux est la reproduction servile des marques semi-figuratives notoirement connues de la demanderesse et cette reproduction, sans l’autorisation de celle-ci, en relation avec ses produits et, alors qu’une telle référence n’est nullement indispensable à l’objectif allégué par le défendeur, constitue en revanche une contrefaçon ;
Attendu qu’il convient donc d’interdire à Olivier M. de faire usage de ces marques semi-figuratives, et ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai de huit jours à compter de la signification de la présente décision ;
Attendu que cette mesure suffit à assurer le respect des droits auxquels il a été porté atteinte et les demandes dirigées contre les autres défendeurs seront en conséquence rejetées ;
Attendu qu’il convient d’ordonner la seule exécution provisoire de la présente décision ;
Attendu que l’équité commande d’allouer à la Sté Compagnie Gervais Danone la somme de 5 000 F en application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure Civile.
La décision
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par ordonnance réputée contradictoire :
. fait interdiction à Olivier M. de faire usage des marques semi-figuratives n° 95 574 013, 95 585 196, 96 649 464, 96 649 465, 96 642 844 et 98 764 280 de la Sté Compagnie Gervais Danone, et ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai de huit jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
. ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;
. condamne Olivier M. à payer à la Sté Groupe Gervais Danone la somme de 5 000 F ;
. rejette toute autre demande ;
. condamne Olivier M. aux dépens et admet Me Michel-Paul Escande au bénéfice des dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
Olivier M. a fait appel de cette décision
Le tribunal : Mme Evelyne Delbes (vice-président au tribunal de grande instance de Paris, tenant l’audience publique des référés par délégation du président du tribunal).
Avocats : Me Michel-Paul Escande, Mes Emmanuel Pierrat et Antoine Comte.
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