Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Saint Malo Juge des référés 07 mars 2008
Louis L. / Pierre Yves M.
contenus illicites - nom - nom de domaine - patronyme - usurpation
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS
A Cancale, dans le cadre des élections municipales des 9 et 16 mars 2008, Louis L. présente une liste sous le nom «Cancale vivre et agir ensemble», tandis que Pierre Yves M. présente une liste sous le nom «Cancale demain».
Au cours de la campagne électorale, Louis L. a constaté l’existence sur internet de deux domaines ouverts à son nom à son insu à savoir :
«louisl..fr» et «louisl..com.fr». Il a également pu se rendre compte que le fait de se connecter à ces sites, via un lien intitulé «permanence», opérait un renvoi automatique au site de la liste concurrente de Pierre-Yves M.
Par acte du 29 février 2008, Louis L. a fait citer Pierre-Yves M. devant le juge des référés auquel il demande, au visa des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile, et de l’article R. 20-44-46 du code des postes et télécommunications électroniques, de :
– Enjoindre à Pierre-Yves M. de procéder à la suppression de tous les domaines qu’il a ouvert comportant le nom «Louis L.» et notamment des domaines
«Louisl..fr» et « Louisl..com.fr », et également de procéder à la libération auprès de l’hébergeur de tous noms de domaine au nom de Louis L. sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir.
– Ordonner la publication de la décision à intervenir en première page d’accueil des sites «www.vivre agir ensemble.fr» et «www.Cancale demain.fr» pendant toute la durée de la campagne des élections municipales et ce jusqu’au 17 mars 2008 inclus.
– Ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de Pierre-Yves M., dans la limite de 1000 € par insertion dans la presse locale à savoir, éditions quotidiennes Ouest-France à la page Cancale avec cinq parutions, et édition hebdomadaire Pays Malouin avec trois parutions.
– Condamner Pierre-Yves M. au paiement de la somme de 10 000 € à titre de provision à valoir sur dommages-intérêts pour préjudice moral.
– Condamner Pierre-Yves M. paiement de la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
– Condamner Pierre-Yves M. aux dépens comprenant le coût des publications ordonnées.
Pierre-Yves M. demande au juge des référés de :
1) à titre principal
– Constater que le nom de domaine «Louisl..com.fr » n’a pas été déposé par lui-même ou l’un des membres de la liste «Cancale demain».
– Constater que la demande de provision de Louis L. se heurte à une contestation sérieuse.
– Débouter en conséquence Louis L. de toutes ses demandes.
2) à titre subsidiaire
– Constater que le compte correspondant au nom de domaine litigieux a été clos antérieurement à l’assignation délivrée le 29 février 2008 et lui en donner acte.
– Dire que Louis L. dispose pour lui-même et à titre gratuit du nom de domaine litigieux.
– Dire que la demande de suppression et de libération du nom de domaine sous astreinte est sans objet.
– Débouter Louis L. de sa demande de publication de la décision.
– Constater que la demande de provision de Louis L. est sans fondement, se heurte à une contestation sérieuse, et subsidiairement est manifestement excessive eu égard au préjudice réellement subi.
3) En tout état de cause, condamner Louis L. au paiement de la somme de 1700 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens.
DISCUSSION
1) sur les demandes relatives aux noms de domaines.
II a été reconnu, et même revendiqué, par les membres de la liste de Pierre-Yves M. que deux domaines internet ont été ouverts de manière temporaire au nom de Louis L. (ou en rapport avec lui) et ceci à son insu, un de ces domaines se nommant «louisl..fr».
Il est constant que la simple utilisation d’un moteur de recherche permettait notamment d’accéder à un lien référencé «permanence» et que le fait d’utiliser ce lien opérait un renvoi automatique au site de la liste concurrente de Pierre-Yves M.
Pierre-Yves M. ne peut soutenir être étranger à la mise en place du procédé consistant à utiliser l’identité de Louis L.
En effet, Pierre-Yves M. se trouve la tête de la liste «Cancale demain», en est responsable et ne peut ignorer ce qui se fait au nom de la liste et en son nom propre, même s’il n’existe pas de lien de subordination entre lui et les membres de la liste, et il ne peut être sérieusement soutenu que le dépôt des noms de domaine a été effectué sans que Pierre-Yves M. ait été consulté. De plus, si la liste des candidats n’a évidemment pas de personnalité morale, elle comprend tout de même nécessairement Pierre-Yves M. lui-même. Par ailleurs, un courrier recommandé adressé au seul Pierre-Yves M. a provoqué une réaction, sur internet, de la liste entière, ce qui démontre l’existence du lien entre ce dernier et les agissements dénoncés par Louis L. De la même façon, il y a lieu de noter que l’assignation ne visait que le seul Pierre-Yves M. mais que sa délivrance a, selon ce dernier, provoqué une réaction immédiate d’un membre de sa liste qui aurait entamé des démarches afin de satisfaire au terme d’une assignation.
Il est donc lieu de considérer que Pierre-Yves M. est bien personnellement responsable desdits agissements.
Il est établi que Pierre-Yves M. a usurpé, fait usurpé, ou laisser usurper le nom de son adversaire politique pour ouvrir au moins un domaine internet en rapport avec Louis L. Ce seul fait est fautif, au sens de l’article 1382 du Code civil, et constitue en outre une infraction aux dispositions de l’article R. 20-44-46 du code des postes et télécommunications électroniques. Il y a lieu de souligner qu’il importe peu qui y ait eu ou non redirection automatique vers le site internet de la liste «Cancale demain» et que cette redirection soit ou non le fruit d’une erreur de l’hébergeur, la faute initiale étant l’utilisation du nom de Louis L.
La faute est d’autant plus grave qu’elle a été commise de façon tout à fait délibérée afin de porter atteinte à une liste concurrente. Ceci ressort très clairement des propos tenus sur le site de la liste «Cancale demain» qui utilise notamment la formule «excusez-nous mais fallait pas commencer» et indique que le but de la manoeuvre consistait à neutraliser la communication de Louis L.
Le procédé utilisé par Pierre-Yves M., indigne d’un débat démocratique, a manifestement été mis en place afin de nuire politiquement à Louis L.
Il est admis par Louis L. que le lien «permanence» a bien été désactivé et il n’est pas contesté que le compte litigieux intitulé «louisl…fr » a été clos. Toutefois, Pierre Yves M. ne démontre par que tous les sites et domaines, en rapport avec Louis L., n’existent plus ; de sorte qu’ils peuvent à tout moment être réactivés et utilisés par Pierre-Yves M. ou ses colistiers et ce jusqu’en février 2009.
L’action de Louis L. est fondée au regard de l’article 808 du code de procédure civile.
En effet, l’urgence est avérée puisque l’utilisation du nom de Louis L. perturbe le déroulement de la campagne électorale officielle et que le scrutin est très proche. De plus, compte tenu des éléments énoncés ci-dessus, les demandes de Louis L. ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.
L’action de Louis L. est également fondée au regard de l’article 809 du code de procédure civile. En effet, toujours compte tenu des éléments énoncés ci-dessus, le fait de supprimer les noms de domaine est une mesure de remise en état qui s’impose pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Il convient de faire droit aux demandes de Louis L. relatives à la suppression et la libération des noms de domaine ainsi qu’à la publication de la décision.
2) sur la demande de provision
Pierre Yves M. a profité de l’usurpation de l’identité de Louis L. dans le but de lui nuire, et ce en pleine campagne électorale.
Louis L. subit un préjudice incontestable, ne serait-ce que du point de vue moral, dont Pierre-Yves est directement responsable.
La demande de provision à valoir sur la réparation du préjudice formulé par Louis L. est fondée dans la mesure où l’existence de l’obligation à la réparation du préjudice de ce dernier pesant sur Pierre-Yves M. n’est pas sérieusement contestable.
Il convient d’évaluer le montant de cette provision à la somme de 5000 €.
3) sur les autres demandes
Pierre-Yves M. succombe et sera condamné aux dépens. De ce fait, il est redevable envers Louis L. d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile qui sera évalué à 2000 €.
Il convient de rappeler que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
DECISION
Le juge des référés, statuant publiquement, contradictoirement, et en premier ressort ;
– Enjoint à Pierre-Yves M. de procéder à la suppression totale et définitive de tous les domaines qu’il a ouvert comportant le nom «Louis L.» ou ayant un rapport avec Louis L., et notamment le domaine «Louisl…fr », et de procéder à la libération auprès de l’hébergeur de tous noms de domaine au nom de Louis L. ou ayant un rapport avec Louis L.
– Lui accorde pour ce faire un délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision et dit que, en cas d’inexécution, passé ce délai il courra contre lui une astreinte de 300 € par jour de retard.
– Ordonne la publication de la décision à intervenir en première page d’accueil des sites «www.vivre agir ensemble.fr» et «www. Cancale demain.fr» jusqu’au 16 mars 2008 à minuit.
– Ordonne la publication de la présente décision aux frais de Pierre-Yves M., dans la limite de 1000 € par insertion dans la presse locale à savoir, édition quotidienne du journal «Ouest-France», édition de Saint Malo, à la page «Cancale» avec cinq parutions, et édition hebdomadaire du journal « Le Pays Malouin » avec trois parutions, les dates de parution étant laissées au choix de Louis L.
– Condamne Pierre-Yves M. au paiement de la somme de 5000 € à titre de provision à valoir sur dommages-intérêts pour préjudice moral.
– Condamne Pierre-Yves M. au paiement de la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
– Déboute les parties de leurs autres demandes.
– Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
– Condamne Pierre-Yves M. aux dépens comprenant le coût des publications ordonnées.
Le tribunal : M. François Genicon (président)
Avocats : Me Patrick Laynaud, Me Eric Lemonnier
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