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Jurisprudence : E-commerce

lundi 21 juillet 2008
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Tribunal d’Instance de Fougères Jugement du 19 décembre 2006

Didier P / Anyway

e-commerce

FAITS ET PROCEDURE

Le 1er février 2005, Monsieur Didier P. a acheté quatre billets d’avion aller-retour Paris-Athènes pour un départ le 23 juillet 2005 par l’intermédiaire de l’agence de voyages Anyway.com d’un montant total de 1252,48 €.

Le vol devait être assuré par la compagnie Hellas Jet.

Le 15 juillet 2005 Monsieur P. a découvert par ses propres moyens que la liquidation de la compagnie Hellas Jet a été prononcée le 10 mai 2005.

Monsieur P. a acheté de nouveaux billets auprès d’une autre agence pour un montant total de 3698,48 € et a demandé le remboursement de ces frais à l’agence de voyages Anyway.com, sans succès.

Par acte d’huissier en date du 9 mars 2006, Monsieur P. a fait citer la société Anyway.com SA Caid aux fins de la voir condamné à lui verser 7450,96 € à titre de dommages et intérêts, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, outre 1500 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de ces prétentions, et par des conclusions en date du 24 octobre 2006, Monsieur P. soutient principalement que dans le cadre de la vente à distance comme celle “en ligne” par internet, la responsabilité professionnelle des agences de voyages a été modifiée par l’article 15 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 qui a complété l’article L 121-20-3 du code de la consommation, de sorte que désormais pour la responsabilité des agences de voyage, l’ancienne distinction entre la vente de “vols secs” et la vente de “forfaits”, telle que définie à l’article L 211-18 du code du tourisme, n’a plus vocation à s’appliquer.

II considère donc qu’en vertu de l’article L 121-20-3 sus cité, la responsabilité de plein droit de l’agence Anyway.com est établie et qu’elle ne justifie pas de motifs d’exonération, la mise en liquidation judiciaire de la compagnie Hellas Jet n’étant pas un cas de force majeure.

Monsieur P. précise que son préjudice est de 4950,96 € correspondant au prix initialement versé à l’agence Anyway.com pour l’achat des billets d’avion (1252,48 €) et au prix versé pour l’achat de nouveaux billets (3698,48 €) outre 2500 € au titre du préjudice moral.

En réponse, par des conclusions déposées à l’audience du 26 octobre 2006, l’agence Anyway.com fait valoir que seules les dispositions des articles L 211-17 et 211-18 du code de tourisme sont applicables et qu’en l’espèce comme elle n’a agit qu’en qualité de mandataire dans le cadre de la vente de “vols secs”, sa responsabilité n’est pas engagée de plein droit.

A titre subsidiaire, elle relève que dans le cadre de la vente de “vols secs”, il n’existe aucun contrat entre l’agence de voyage et le passager et qu’en conséquence les dispositions du code de la consommation ne peuvent s’appliquer et qu’elle n’était pas non plus tenue à une obligation d’information de l’annulation des vols.

L’agence Anyway.com soutient également que la liquidation de la compagnie aérienne est un cas de force majeure ou un fait insurmontable.

Enfin, sur les demandes en paiement, elle estime que n’ayant elle même pas commis de faute, il ne peut être fait droit à ces prétentions.

La société Anyway.com demande donc au tribunal de débouter Monsieur P. de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions et de le condamner à lui verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions en application de l’article 455 du nouveau code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur la responsabilité de l’agence Anyway.com sur le fondement de l’article L 121-20-3 du code de la consommation.

Suivant la loi n°92-645 du 13 juillet 1992, reprise dans le code du tourisme, les agences de voyages sont soumises à un double régime de responsabilité.

L’article L 211-17 du code du tourisme pose le principe selon lequel toute agence de voyages “est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultants du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services”,

Des causes d’exonération sont cependant limitativement prévues.

En revanche, suivant l’article L 211-18 du dit code, en cas de réservation ou de vente de titres de transport aérien ou sur ligne régulière qui n’entrent pas dans le cadre d’un “forfait touristique”, soit la vente de vols ou de billets “secs”, l’application de la responsabilité de plein droit est exclue.

Cette loi du 13 juillet 1992 a donc instauré un régime spécial de responsabilité pour les agences de voyages et qui s’impose à elles.

L’article 15 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dispose lui que toute personne physique ou morale exerçant une activité de commerce électronique “est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci”. Des cas d’exonération étant également prévus.

Ainsi l’article L 121-20-3 du code de la consommation reprenant cet article de la loi, établit en ses alinéas 3 et 4 le principe de la responsabilité de plein droit du professionnel à l’égard du consommateur dans le cadre de la vente d’un bien ou de toute fourniture d’une prestation de service conclue, sans la présence physique simultanée des parties qui, pour la conclusion du contrat, utilisent exclusivement une ou plusieurs techniques de communication à distance.

Cet article s’applique sans exclusion à toute fourniture de produits ou de services “en ligne” d’un professionnel à un consommateur.

Dans le cas présent, il s’agit bien de la vente de “billets secs” par l’agence de voyage à Monsieur P., la société Anyway.com n’ayant vendu à ce dernier que des billets d’avion.

Or, dans le tas de la responsabilité du vendeur de billets “secs”, l’article L 211-18 du code du tourisme et l’article L 121-20-3 du code de la consommation aboutissent en fait à consacrer deux solutions opposées.

En effet, suivant les dispositions du code du tourisme, le régime de la responsabilité de plein droit est exclu en cas de vente de “billets secs”.

En revanche, en application de celles du code de la consommation, la responsabilité du vendeur est de plein droit.

Il existe donc en l’espèce un conflit entre deux dispositions légales contradictoires dont il est à chaque fois prévu dans le code du tourisme (article L 211-1 et suivants du code du tourisme) ou dans le code de la consommation (article L 121-16 du code de la consommation) qu’elles ont vocation à s’appliquer au cas d’espèce, même si aucun de ces textes ne mentionne expressément l’ordre public contrairement à ce qu’allègue les parties.

Dans ce cas, pour résoudre ce conflit de loi, il doit être fait application de l’adage generalia specialibus non derogant, en vertu duquel les lois de portée générale ne dérogent pas aux dispositions spéciales antérieures, sauf volonté expresse des auteurs du texte législatif.

Les articles L 211-17 et L 211-18 du code du tourisme issus de la loi de 1992 ont pour unique objet de fixer le régime de responsabilité des agences de voyages, régime spécifique de ce fait.

Ces dispositions du code du tourisme sont de nature catégorielle et prévoient la seule responsabilité des agences de voyages, sans distinction des supports utilisés pour fournir leurs services.

En revanche, l’article L 121-20-3 sus cité issu d’une loi postérieure, ne renferme aucune disposition catégorielle et a donc vocation à s’appliquer sans distinction à touts les professionnels fournissant à des consommateurs des produits ou services à distance et par voie électronique.

Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que le législateur a eu l’intention de déroger aux dispositions de l’article L 211-18 du code du tourisme en instaurant la loi pour la confiance dans l’économique numérique.
Il convient donc de déduire de l’ensemble de ces éléments que les dispositions de nature catégorielle du droit du tourisme constituent le texte législatif spécial au regard du texte général de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Ainsi, le texte de portée générale relatif à toutes les transactions “en ligne” ne doit pas déroger à ce texte spécial et ne s’applique donc pas en l’espèce.

Dans ces conditions, la responsabilité de l’agence Anyway.com ne peut être retenue sur le fondement de l’article L 121-20-3 du code de la consommation et ne peut être engagée que sur le fondement de l’article L 2 11-17 du code du tourisme.

Sur la responsabilité de l’agence Anyway.com sur le fondement de l’article L 211-17 du code du tourisme 1134, 1147 et 1149 du code civil.

Sur l‘obligation d’information.

Comme il l’a été relevé, dans le cade de la vente de billets en dehors de tout forfait touristique, la responsabilité de plein droit de l’agence de voyage n’est pas engagée en application de l’article L 211-17 du code du tourisme.

La société Anyway.com a agit en qualité de mandataire de la compagnie aérienne.
Le mandat emporte représentation et de ce fait, seul le mandant est lié envers le tiers.

La responsabilité de l’agence de voyage ne peut donc être contractuelle à l’égard du tiers qu’est Monsieur P.
La responsabilité de la société Anyway.com ne peut donc être que extra-contractuelle et il appartient dès lors à Monsieur P. de rapporter la preuve d’une faute délictuelle ou quasi-délictuelle commise par l’agence de voyage.

Cependant, cette responsabilité personnelle du mandataire ne peut être engagée que lorsqu’il commet un délit ou un quasi-délit à l’occasion de l’exécution de son mandat.

Or en l’espèce, quand les billets ont été vendus en février 2005, la compagnie aérienne n’était évidement pas en liquidation puisque celle-ci n’est intervenue qu’en mai 2005. La société Anyway.com ne pouvait donc à ce moment là informer Monsieur P. d’une situation qui n’existait pas encore.

Par ailleurs, il n’est pas démontré qu’en février 2005 la compagnie aérienne rencontrait déjà des problèmes tels que la liquidation était à cette date un risque connu du mandataire. Il n’est produit à ce titre aucun document.

Enfin, lorsque la liquidation est intervenue en mai 2005, la société Anyway.com avait déjà remis les billets d’avion commandés par Monsieur P.

La société Anyway.com avait donc déjà exécuté le mandat confié par la compagnie aérienne à l’égard de Monsieur P.

Aucune faute ne peut donc être reprochée à la société Anyway.com dans le cadre de l’exécution du mandat.

La responsabilité de la société Anyway.com ne peut donc être engagée sur un fondement contractuel, délictuel ou quasi-délictuel.

La demande en dommages et intérêts est rejetée à ce titre.

Sur l’obligation de proposer un voyage de remplacement.

Pour les motifs sus développés, les billets ayant été remis à Monsieur P., le mandat confié par la compagnie aérienne avait ainsi été exécuté et l’agence de voyage ne pouvait donc être tenue de proposer un voyage de remplacement, cette mission ne rentrant pas dans les pouvoirs confiés par le mandant.

La demande est aussi rejetée sur ce fondement.

Sur l’article 700 du nouveau code de procédure civile et sur les dépens.

La partie perdante à cette instance est Monsieur P. tenu de ce fait aux dépens de l’instance.

L’équité commande en revanche de ne pas le condamner à participer aux frais irrépétibles engagés par la partie défenderesse dans le cadre de cette instance.

DECISION

Le tribunal d’instance de Fougères, statuant publiquement, par décision rendue contradictoirement, rendue en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

. Rejette les demandes en paiement de Monsieur P. ;

. Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

. Condamne Monsieur P. aux dépens de l’instance.

Le tribunal : Mme Guillemette Rousselier

Avocats : SCP Cartron Dominique Kerneis Myriam Yeu Géraldine, SCP Gramond & associés

 
 

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