Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal d’Instance de Nantes, jugement du 19 décembre 2014
Monsieur Bernard O. / FREE
abonnement - acte introductif d'instance - litiges - procédure - signature électronique - téléphonie - validité
EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration au greffe reçue le 31 décembre 2012, M. Bernard O. a sollicité la
convocation de la SAS FREE d’avoir à comparaître devant la juridiction de proximité de
Nantes aux fins de la voir condamner à payer :
– la somme principale de 1 000 € ;
– celle de 100 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de
jouissance ;
Il expose qu’il sollicite une diminution du coût du forfait dans le cadre du contrat avec
FREE dans la mesure où pendant deux ans sa ligne n’a pas été opérationnelle (mauvaise
qualité, faible débit et nombreuses coupures).
Les parties ont été convoquées par le greffe en application de l’article 844 du Code de
procédure civile à l’audience du 19 avril 2013 et finalement l’affaire a été évoquée à
l’audience du 14 novembre 2014, à la suite de quatre renvois sollicités par les parties.
A l’audience, la SAS FREE a soulevé in limine litis la nullité de l’acte introductif d’instance,
en application des articles 1, 58, 114,117, 411,828 et 843 alinéa 2 du Code de procédure
civile pour défaut de régularité de la signature du demandeur, effectuée par voie
électronique et dont la validité de la certification, existant dans le rapport contractuel entre
la société commerciale qui établit et transmet les déclarations au greffe
(demanderjustice.com) et son client, ne concerne pas la saisine du tribunal.
Elle a invoqué également la nullité de la saisine dans la mesure où M. O. a donné mandat
à la société demanderjustice.com, qui n’est pas habilitée par la loi conformément à l’article
414 du Code de procédure civile.
En défense à l’incident, M. O. a fait valoir que c’est bien lui qui avait saisi le juge,
parlant à la première personne du singulier, n’ayant utilisé les prestations de la société
demanderjustice.com que pour utiliser les outils fournis (formulaire CERFA, lien vers le
site du ministère de la justice…) et non pas en lui donnant mandat d’agir en son nom. Il a
insisté sur le fait qu’il avait lui-même validé ses demandes en cliquant à l’issue du processus
et enjoignant une copie de sa carte nationale d’identité. Il a sollicité le rejet de la demande
de nullité.
Conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se référer aux
écritures des parties déposées et évoquées à l’audience du 14 novembre 2014, pour un plus
ample exposé des moyens et prétentions.
L’incident plaidé a été joint au fond.
Sur le fond, M. O., qui a dit disposer d’une ligne Internet haut débit depuis le
08 octobre 2010, a mis en avant les multiples incidents et déconnexions qui ont eu lieu et
ont persisté entre le 25 octobre 2010 et l’été 2013, malgré de nombreuses interventions de
techniciens de FREE ou de FRANCE TÉLÉCOM, l’empêchant de conserver l’option TV
le 11 mars 2011. Il a souligné qu’à la suite d’une expertise conjointe des deux services du
02 octobre 2012 FREE avait fini par reconnaître son incapacité à améliorer le rendement
de sa ligne, le service étant fourni « en l’état ».
Il a rappelé l’existence d’une obligation de résultat envers le consommateur pesant, en
application de l’article L121-20-3 du Code de la consommation, sur le fournisseur d’accès
quant à l’accessibilité au réseau et faute d’avoir garanti un accès continu au réseau, et en
l’absence de preuve d’une force majeure, la société FREE a engagé sa responsabilité et
devait lui rembourser les frais engagés pendant les périodes de blocage total et pour l’option
TV non utilisée, évalués à 300 € (10 mois sans accès complet au service).
Il a sollicité, en application des articles 1142 et 1147 du Code civil, 700 € de dommages et
intérêts pour réparer ses préjudices de jouissance et moral, ayant souffert d’une part de
privation de réseau ou de déconnexions régulières et intempestives et d’autre part de l’inertie
de la société FREE qui l’a laissé pendant plus de trois ans se débattre avec ses difficultés
pour finalement changer son équipement pendant l’été 2013.
Il a expliqué que d’autres problèmes étaient intervenus en octobre 2013 mais que dans la
mesure où le service juridique était saisi, il ne pouvait plus demander d’assistance
technique.
Il a sollicité 1000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et que
l’exécution provisoire soit ordonnée.
En défense, la SAS FREE a sollicité le débouté des demandes et la somme de 800 € au titre
de l’article 700 du Code de procédure civile, en faisant valoir qu’elle était intervenue dès le
25 octobre 2010 pour remédier au dysfonctionnement initial dénoncé et que par la suite,
aucune défaillance n’a été constatée jusqu’au 10 septembre 2012, date après laquelle elle ne
conteste pas qu’elle n’a pu améliorer la ligne et a proposé le 13 novembre 2012 la résiliation
sans frais du contrat, que le client a refusée.
Elle a opposé que M. O. ne rapportait pas la preuve de défauts dans les services proposés
depuis novembre 2012 jusqu’à l’été 2013 ou encore à ce jour, rappelant qu’elle utilisait pour
transporter ses services les lignes téléphoniques cuivre du réseau de FRANCE TÉLÉCOM,
et que ce n’était qu’après le câblage que l’on pouvait mesurer la bonne ou moyenne
performance de la ligne, les services offerts par FREE l’étant sous réserve des
caractéristiques techniques de la ligne.
Elle a avancé avoir mené toutes les investigations et améliorations techniquement possibles,
le débit ayant été relevé comme conforme aux prescriptions contractuelles, ce qui écartait
tout manquement à ses obligations et donc toute réparation au titre des dommages et
intérêts.
A titre subsidiaire, elle a fait valoir qu’aucun préjudice n’était établi par M. O. et a
sollicité la résiliation de contrat.
Là encore, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se
référer aux écritures des parties déposées et évoquées à l’audience du 14 novembre 2014,
pour un plus ample exposé des moyens et prétentions.
En application de l’article 467 du Code de procédure civile, le présent jugement, non
susceptible d’appel, sera contradictoire, toutes les parties étant présentes ou représentées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l’incident de procédure, joint au fond :
Les conditions générales de la société DemanderJustice SAS, qui propose aux justiciables,
dans les instances où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire, dans le cadre d’un contrat
d’entreprise, un service automatisé de saisine du tribunal, prévoient que le client -demandeur
renseigne et complète seul, sur les formulaires proposés sur Internet, sa demande, sans aide
ou conseil, scanne les pièces de son dossier et les joint à sa déclaration en ligne, le dossier
étant ensuite généré informatiquement et adressé par voie postale au tribunal.
La déclaration de M. O. en date du 21 décembre 2012, rédigée à la première personne
du singulier, de façon très personnelle, montre bien qu’elle ne résulte pas des conseils d’un
juriste, qui n’aurait pas manqué d’invoquer les textes légaux et une motivation plus
professionnelle.
D’une part, le système utilisé par DemanderJustice induit que la demande n’est validée que
par le « clic » du client sur son clavier d’ordinateur, geste qui n’appartient qu’au
client-demandeur, qui joint de surcroît une copie de sa carte d’identité.
D’autre part, il résulte des débats à l’audience que c’est bien M. O. qui a rempli la
déclaration sur le site de demanderjustice.com, formulé ses demandes initiales, modifiées
par la suite quand il a eu recours à un avocat, et apposé sa signature électronique.
En ce qui concerne la signature électronique par laquelle M. O. a validé sa demande le
21 décembre 2012, et qui est formalisée sur la déclaration par un graphisme impersonnel,
il convient de constater qu’elle a reçu la certification CertEurop, conforme au décret du
30 mars 2011, permettant de lui conférer la même force probante que la signature papier,
en application des articles 1316-3 et 1316-4 du Code civil et d’assurer l’identité du
signataire. (pièce n°4 et attestation du 21 mars 2013)
Il n’est pas rapporté de preuve contraire permettant de faire échec à la présomption de
fiabilité conférée par cette certification CertEurope, en application de l’article 288-1 du
Code de procédure civile.
Par ailleurs, M. O. à l’audience a bien fait confirmer que la déclaration et les pièces
adressées au tribunal sont celles qui procèdent de sa demande faite par Internet.
Enfin, il n’est pas rapporté la preuve de l’existence d’un mandat de représentation entre
M. O. et la SAS Demander Justice, alors qu’il résulte des conditions générales que cette
dernière n’assure ni conseil, ni rédaction, ni représentation et que son nom ne figure sur
aucun acte de saisine.
Dès lors, M. O., titulaire de l’action en responsabilité contractuelle, a valablement saisi
la juridiction de proximité de Nantes, en application des articles 58 et 843 du Code de
procédure civile, sans qu’aucune nullité de sa déclaration saisissant la juridiction soit
établie.
Sur le fond :
Aux termes des dispositions de l’article 1142 du Code civil, toute obligation de faire ou de
ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur.
Aux termes des dispositions de l’article 1147 du Code civil, le débiteur est condamné, s’il
y a lieu au paiement de dommages et intérêts, soit en raison de l’inexécution de
l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que
l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y
ait aucune mauvaise foi de sa part.
Le contrat de fourniture d’accès FREE Haut Débit signé le 08 octobre 2010 entre la
SAS FREE et M. O., pour 29,99 €/mois, incluant l’accès Internet haut débit et
l’abonnement téléphonique, relève de l’article L121-20-3 du Code de la consommation,
alors en vigueur (pièce n°11 demandeur).
Aux termes de 1′ article L.121-20-3 du Code de la consommation, le professionnel est
responsable de plein droit à 1′ égard du consommateur de la bonne exécution des obligations
résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le
professionnel ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours
contre ceux-ci.
Toutefois, il peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve
que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit au consommateur,
soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers au contrat, soit à un cas de force
majeure.
Il résulte des pièces du demandeur n° 12, 12-1, 12-2, 12-3, 12-4, 16, 15 et n°17, 18, 19 de
la société FREE que la ligne de M. O. a rencontré, dès le 25 octobre 2010, des
dysfonctionnements résultant de déconnexions régulières ou de débit insuffisant et que les
13 et 14 novembre 2012 la société FREE lui a fait savoir, en reconnaissant les difficultés,
qu’elle ne pouvait améliorer les capacités de sa ligne, dépendant de FRANCE TÉLÉCOM,
le service étant fourni « en l’état ».
Une indemnisation a alors été offerte à M. O., en fonction de la durée de la période
d’incident, de même que la résiliation du contrat, sans frais.
Il résulte des fiches d’intervention du 25 octobre 2010 de FREE et du 27 octobre 2010 de
FRANCE TÉLÉCOM que le problème initial sur la ligne a été résolu (« ligne bonne aux
essais »- pièce n°13 FREE). D’ailleurs, il résulte des écritures de M. O. que les périodes
d’accès à Internet défaillant n’ont recommencé qu’à partir du 1er juin 2012.
Sont seulement prouvés par les fiches d’intervention des 10 septembre 2012, 14 et
29 janvier 2013, le mauvais débit de la ligne, inférieur au plancher prévu par les conditions
générales en vigueur au 1er octobre 2010 (63 au lieu de 64Kbits) et l’absence .de résolution
du problème, la dernière fiche mentionnant que la ligne n’est pas optimisable.
L’impossibilité de jouir de son option TV à partir du 11 mars 2011 n’est justifiée par aucune
pièce, dans la mesure où après l’intervention du 09 novembre 2010 ayant conseillé au client
de retirer une prise multiple parafoudre et de changer sa prise Télécom défectueuse, le
problème n’est plus évoqué dans les fiches d’intervention produites, notamment celle du
20 juin 2011, ni dans les courriers de réclamation de M. O. du 19 novembre 2012 et du
09 décembre 2013.
M. O. ayant fait préciser dans ses écritures que le problème de déconnexions
intempestives avait été réglé lors du changement de matériel en été 2013, les périodes de
défaillances techniques ciblées par M. O. :
– du 01 juin 2012 au 28 août 2012,
– du 27 mai 2013 au 07 juin 2013,
– du 21 juillet 2013 au 06 août 2013, sont établies.
–
Cependant, s’il apparaît qu’il s’est plaint de nouveau en décembre 2013 et à partir du
25 juin 2014 d’un mauvais débit, et qu’il a de nouveau demandé à FREE de le dédommager
pour la période du 25 juin au 05 septembre 2014, il convient de relever d’une part qu’il ne
rapporte aucune preuve corroborant ses dires, alors qu’un technicien est intervenu chez lui
deux fois en juillet 2014 et que le bon fonctionnement de son équipement, renouvelé le
04 juillet 2014, a été vérifié (pièces n°3l et 35 M. O.) et d’autre part, qu’il ne formule
aucune demande à ce sujet.
Tenue d’une obligation de résultat quant aux services offerts, la société FREE ne justifie ni
d’une force majeure, ni du fait d’un tiers, en l’espèce FRANCE TÉLÉCOM, imprévisible
et insurmontable, alors que l’éventualité de la mauvaise qualité de la ligne FRANCE
TÉLÉCOM potentiellement utilisée pour transporter ses services est évoquée dans les
conditions générales et que précisément cette ligne pouvait parfaitement être testée avant
de faire souscrire le contrat d’abonnement à M. O.
La société FREE reconnaît dans ses courriers des 13 et 14 novembre 2012 que l’insuffisance
du service offert à laquelle il ne peut être remédié justifie un dédommagement et la
résiliation du contrat, faisant l’aveu de l’inexécution de ses obligations contractuelles.
Cependant, s’il est légitime d’assurer une indemnisation au client en cas d’inexécution
contractuelle, il y a lieu de tirer les conséquences de l’impossibilité durable pour la
société FREE de respecter ses engagements, qui ne doit pas servir de base à des demandes
renouvelées de dédommagement, alors que M. O. sait depuis le 13 novembre 2012 que
le service restera défectueux et qu’il maintient malgré tout son abonnement.
Dès lors, en application de l’article 17.1 des conditions générales de vente, et conformément
à la demande de la société FREE, il convient de prononcer la résiliation du contrat, puisque
» la perturbation grave et/ou répétée du réseau de boucle locale ayant pour cause ou
origine l’accès de l’abonné » est établie.
La résiliation, sans frais pour M. O. qui n’a pas manqué à son obligation de paiement,
prendra effet 16 jours après la signification de la présente décision.
Pour compenser le préjudice de jouissance en lien avec les périodes d’incidents établies, la
SAS FREE sera condamnée à payer à M. O. la somme de 120 €.
Le nombre de fiches d’interventions et d’énergie dépensée de part et d’autre dans des appels,
mails, courriers de réclamation, justification et les déplacements divers démontrent que cet
abonnement ADSL a été une source régulière de soucis pour le client. Son préjudice moral,
tempéré par le fait qu’il a sciemment maintenu après novembre 2012 un abonnement qu’il
savait insatisfaisant, sera réparé par l’allocation de 200 € de dommages et intérêts.
Il est équitable d’allouer 500 € à M. O. au titre de l’article 700 du Code de procédure
civile et de débouter ainsi la société FREE de sa demande faite au même titre.
Ni l’urgence, ni la nature de 1′ affaire ne commande que 1′ exécution provisoire soit
ordonnée.
La société FREE, qui succombe, sera tenue aux entiers dépens de l’instance conformément
à l’article 696 du Code de procédure civile.
DECISION
Le juge de proximité, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en dernier
ressort :
Déclare la saisine de la juridiction de M. Bernard O. régulière.
Condamne la SAS FREE à payer à M. Bernard O. les sommes suivantes :
– 320 € (trois cent vingt euros) à titre de dommages et intérêts, toutes causes confondues;
– 500 € (cinq cents euros) en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Prononce la résiliation, sans frais pour M. O., du contrat d’abonnement forfait Freebox
du 08 octobre 2010, avec effet à l’issue de 16 jours suivant la signification de la présente
décision.
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Condamne la SAS FREE aux entiers dépens de l’instance.
Le Tribunal : Marie-Caroline Mathieu de Boissac (président), Elise Vilain (greffier)
Avocats : Me Yassine Maharsi, Me Margaux Sportes, Me Laurent Douchin
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.