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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 10 juin 2005
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Cour de cassation Chambre criminelle Arrêt du 10 mai 2005

Jean Marie K. / Ministère public

contenus illicites

La Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique tenue au Palais de Justice à Paris, le 10 mai 2005, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

– Jean Marie K., contre l’arrêt de la cour d’appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 27 mai 2004, qui, pour injure publique envers un fonctionnaire public, l’a condamné à 1000 € d’amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

DISCUSSION

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que le syndicat Sud PTT Moselle, dont Jean Marie K. est le secrétaire général, a mis en ligne sur son site internet un message mettant en cause Jacques L., directeur régional de la Poste ; que, s’estimant injurié et diffamé, ce dernier et l’administration de la Poste ont cité directement Jean Marie K. devant le tribunal correctionnel ; que le tribunal a déclaré le prévenu coupable du seul délit d’injure publique envers un fonctionnaire public ; que, sur appel du prévenu et du ministère public, la cour d’appel a confirmé le jugement ;

En cet état :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, des articles 29, 31, 33 alinéa 2, 42, 43, 50, 53 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 2 de la loi du 30 septembre 1986, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré Jean Marie K. coupable d’injures publiques à l’encontre de Jacques L. et l’a condamné pénalement et civilement ;

« aux motifs qu’un conflit social au sein du centre de tri postal de Sarrebourg portant sur la mise en œuvre d’un nouveau dispositif de tri a débouché sur une grève au cours de la période fin novembre début décembre 2002 ; que le syndicat Sud PTT Moselle intervenant dans le conflit a procédé à la mise en ligne d’un certain nombre de pages sur son site internet (http://sudptt.moselle.free.fr) à la rubrique actualité poste datée du 29 novembre 2002 à 18 heures 06, relatant cette grève sur la base d’une évocation du village gaulois de Sarrebourg résistant aux légions de l’affreux Jules Lézard ; qu’un procès-verbal de constat était dressé le 3 décembre 2002 comportant en annexe la copie des pages en question ; que, selon ordonnance en date du 19 décembre 2002, le juge des référés du tribunal de grande instance de Metz, saisi par Jacques L. et la Poste pour obtenir le retrait des pages mettant Jacques L. en cause, donnait acte au bureau départemental du syndicat Sud PTT Moselle du retrait des pages litigieuses ; que Jacques L. et la Poste ont fait citer directement Jean Marie K. devant le tribunal correctionnel de Metz selon acte du 12 février 2003, dénoncé au ministère public le 14 février 2003, à l’effet de voir ce dernier jugé comme prévenu d’avoir en sa qualité d’auteur, en tout état de cause, d’éditeur du site internet, à Metz le 8 décembre 2002, injurié Jacques L. en sa qualité de directeur de la Poste de Moselle, faits prévus et réprimés par les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, (…) que, sur les injures, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme d’imputation d’aucun fait est une injure ; que, s’il est certain que le langage syndical justifie la tolérance de certains excès à la mesure des tensions nées de conflits sociaux ou de la violence qui parfois sous-tend les relations du travail, il n’en reste pas moins qu’excèdent la mesure admissible dans un tel cadre et présentent un caractère injurieux des propos tels que « pôvre vieux », « givré », « plus barge que ça tu meurs », « dingue doublé d’un sadique est ce que la Poste persiste à maintenir aux commandes de la Moselle » et « c’est tout de même extraordinaire de voir qu’un DLP peut être sénile bloque l’économie de toute une partie du département de la Moselle et jouisse du plaisir de savoir que les facteurs perdent du pognon » ; qu’à cet égard, ces propos dépassent de très loin le seul cadre de la fonction de directeur de la Poste de Moselle exercée par Jacques L. qui, comme tel, doit être considéré comme citoyen chargé d’un service public au sens de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 auquel renvoie l’article 33 de cette même loi repris dans la prévention ; que non seulement l’emploi du vocable de Jules Lézard permet clairement l’identification de Jacques L. par le biais des initiales mais encore les expressions qualifiant l’intéressé de … sous sous pape avec le commentaire « d’accord, c’est facile, il ne s’appelle pas pape, pas cardinal, l’é…grade en dessous de cardinal » se rapportent directement sur un mode outrageant et méprisant au nom patronymique et partant à la personne de Jacques L. ;

« et aux motifs que, le site internet constituant un moyen de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la détermination de la personne pénalement responsable des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur un site internet s’effectue selon les conditions prévues par les articles 93-3 et 93-2 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ; qu’il résulte des dispositions des articles 93-3 et 93-2 que tout service de communication audiovisuelle est tenu d’avoir un directeur de la publication, lequel se trouve être le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, selon la forme de la personne morale qui fournit le service et qu’au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication audiovisuelle, le directeur de la publication sera poursuivi comme auteur principal lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public ; qu’en l’espèce, il convient de relever que le site litigieux est celui du syndicat Sud PTT Moselle dont Jean Marie K., en sa qualité de secrétaire départemental, se trouve être le représentant légal, cette qualité n’étant pas contestée par le prévenu ; qu’au demeurant, ainsi que l’a justement relevé le premier juge, c’est en qualité de représentant légal que Jean Marie K. a comparu lors de l’ordonnance du 19 décembre 2002 produite aux débats ; que les propos litigieux par leur mise en ligne sur le serveur hébergeant le site ont nécessairement fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public ; qu’en conséquence, Jean Marie K., en sa qualité de représentant légal du syndicat, se trouve être directeur de publication du site internet de ce même syndicat et voit sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal des infractions visées dans la prévention, peu important à cet égard que ce dernier puisse ne pas être l’auteur des propos incriminés ou qu’il n’ait pas donné d’instructions pour leur mise en ligne ; qu’il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité ;

« alors que d’une part, la présomption de responsabilité pénale applicable aux seuls entreprises de presse et services de communication audiovisuelle tenus de désigner un directeur de publication ne saurait être étendue à des modes de communication qui n’ont pas légalement cette obligation ;

« que, dès lors, l’arrêt attaqué, qui, après avoir énoncé que la communication par la voie du réseau internet constituait un mode de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986, en a déduit que le demandeur, en sa qualité de représentant légal du syndicat Sud PTT Moselle, avait la qualité de directeur de publication au sens des articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, textes au demeurant non visés à la prévention, sans rechercher si les communications électroniques réalisées au moyen du réseau internet imposaient la désignation d’un directeur de publication, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

« alors que, d’autre part, Jean Marie K. a été poursuivi, aux termes des mentions mêmes de l’arrêt attaqué, pour injures publiques envers un particulier, sous le seul visa de l’alinéa 2 de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 qui réprime exclusivement cette infraction et n’opère aucun renvoi, seul le premier alinéa de l’article 33, non visé à la prévention, renvoyant à l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881, pour les cas qu’il énumère limitativement ; qu’il s’ensuit qu’en condamnant Jean Marie K. pour injure envers un citoyen chargé d’un service public, au motif inexact que l’article 33 serait intégralement visé à la prévention et renverrait à l’article 31 de la même loi, la cour a modifié illégalement le contenu des poursuites, et privé derechef sa décision de base légale ;

« et alors qu’enfin, et en tout état de cause, l’arrêt attaqué ne pouvait affirmer que Jacques L., dont il ne constate pas qu’il a la qualité de fonctionnaire, devait être considéré comme citoyen chargé d’un service public sans expliquer en quoi la fonction de directeur régional de la Poste conférait à son titulaire la prérogative de puissance publique exigée pour l’application de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 » ;

Attendu que le prévenu, qui n’a pas soulevé avant tout débat au fond l’exception de nullité de la citation introductive d’instance, ne saurait se faire un grief d’avoir été coupable d’injure publique envers un fonctionnaire public, dès lors que les propos incriminés dénoncés au seul visa de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 ne mettaient en cause le plaignant qu’en sa qualité de fonctionnaire public ;

Attendu que, par ailleurs, pour déclarer Jean Marie K. coupable d’injure publique envers un fonctionnaire public, les juges du second degré prononcent par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Qu’en effet, le réseau internet constituant un moyen de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la responsabilité pénale du propriétaire d’un site et de l’auteur des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur ce site peut être engagée dans les conditions prévues par l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 1985, applicable au moment où les faits ont été commis ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en sa forme ;

DECISION

. Rejette le pourvoi.

La Cour : M. Cotte (président), Mme Chanet (conseiller rapporteur), M. Joly (conseiller de chambre)

Avocat général : M. Davenas

Avocat : SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

 
 

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