Jurisprudence : Logiciel
Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, Décision rendue le 15 mai 2001
SA Cegid informatique C/ Sarl Samino, SA Locunivers, Francis P. (ès qualités d'ancien président du conseil d'administration de la Sté Locunivers), Michel R. Del S. (ès qualités d'ancien administrateur de la Sté Locunivers) et la SA BNP Lease
contrat informatique - crédit bail - système informatique
La Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la SA Coged informatique, en cassation d’un arrêt rendu le 29 mai 1998 par la cour d’appel de Lyon (3e chambre civile), au profit de la Sarl Samino, de la SA Locunivers, de Francis P. (ès qualités d’ancien président du conseil d’administration de la Sté Locunivers), de Michel R. Del S. (ès qualités d’ancien administrateur de la Sté Locunivers) et de la SA BNP Lease, défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La Cour, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 20 mars 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Vigneron, conseiller rapporteur, M. Tricot, conseiller, M. Feuillard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Vigneron, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Cegid informatique, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Samino, les conclusions de M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à la société Cegid informatique de ce qu’elle s’est désistée de son pourvoi en tant que dirigé contre M. P., pris en qualité d’ancien président du conseil d’administration de la société Locunivers, et M. R. Del S., pris en qualité d’ancien administrateur de cette société ;
Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 29 mai 1998), que la société Cegid informatique (société Cegid) a vendu à la société Samino un système informatique financé au moyen d’un crédit-bail souscrit auprès de la société Locunivers ; que la société Samino, prétendant que ce système informatique ne correspondait pas à ses besoins, a assigné les sociétés Cegid et Locunivers en « annulation » de la vente ;
Attendu que la société Cegid reproche à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande, alors, selon le moyen :
1°/ que, en l’absence de dol ou faute lourde, les clauses exonératoires de responsabilité contractuelle sont valables entre professionnels, y compris lorsque ces professionnels exercent leur activité dans des secteurs différents, si elles sont incluses dans un contrat ayant un rapport direct avec l’activité de celui auquel elles sont opposées ; qu’ayant expressément noté que les conditions générales de vente liaient la société Samino et que, aux termes des articles 1 et 3.2 des conditions générales, la société Samino reconnaissait avoir été pleinement informée et déchargeait la société Cegid de toute responsabilité de ce fait, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1135 du code civil ainsi que les articles 1 e 3 de ces conditions générales en estimant que, nonobstant ces dispositions incluses dans un contrat ayant un rapport direct avec l’activité exercée par la société Samino, celle-ci pouvait rechercher la responsabilité de la société Cegid au titre d’un prétendu manquement à son obligation de conseil ;
2°/ que le progiciel est un programme standard destiné à une distribution de masse dont le client doit être à même de connaître les fonctionnalités par la simple consultation de la documentation qui l’accompagne ; qu’il ne peut être, en conséquence, mis à la charge du vendeur de progiciel une obligation de conseil comparable à celle pesant sur l’informaticien chargé de développer un programme spécifique et qui doit s’enquérir auprès de chaque client de ses besoins en définissant éventuellement avec lui un cahier des charges ; qu’en décidant, néanmoins, s’agissant d’un simple progiciel, que la société Cegid était tenue d’une obligation générale d’information renforcée à l’égard de tout utilisateur, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1135 et 1147 du code civil ;
3°/ que l’obligation du vendeur de s’enquérir des besoins de l’acheteur, qui n’est qu’une obligation de moyens, est indissociable de l’obligation pesant sur l’acheteur d’avoir à exposer ses exigences spécifiques lorsque le vendeur n’est pas en mesure de les connaître ; qu’en l’espèce, il était établi que la société Samino avait bénéficié de tous les renseignements requis au travers d’une documentation détaillée, d’une première présentation du programme avant la signature du contrat, puis d’une seconde démonstration une fois le programme livré et installé ; qu’en estimant que le vendeur aurait dû, de surcroît, s’enquérir de la taille des fichiers et du nombre de caractères susceptibles d’être saisis, sans rechercher si le vendeur disposait d’éléments objectifs qui auraient dû attirer son attention sur cette exigence précise dont il n’est pas contesté que l’acquéreur ne l’avait pas spécialement informé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés ;
4°/ qu’en énonçant, en outre, que la société Cegid aurait dû s’aviser elle-même des besoins de la société Samino dès lors que son attention avait été attirée sur son activité de grossiste, circonstance impropre à révéler que la société Samino, petite Sarl du « Sentier » de Paris, passait des commandes dans des quantités supérieures à 999 pièces pour des articles de même taille et de même couleur, ce dont cette dernière n’avait jamais éprouvé le besoin d’informer la société Cegid, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
5°/ qu’en déduisant, encore, la connaissance que la société Cegid aurait eue des besoins de la société Samino, notamment ce qui concerne la taille de ses fichiers, d’un « certain nombre de statistiques » que la société Samino lui aurait communiquées, sans préciser d’où elle tirait ce fait, ni s’expliquer sur la teneur de ces prétendues « statistiques » et les circonstances de leur communication à la société Cegid qui contestait fermement avoir reçu des données ou informations concernant la taille des fichiers et la quantité des commandes de la société Samino, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’identifier les pièces sur lesquelles l’arrêt s’est fondé ni de s’assurer qu’elles avaient été régulièrement communiquées et produites aux débats, a violé les articles 4, 7, 12, 16 et 132 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptées, que la société Cegid, vendeur professionnel, avait vendu du matériel et des progiciels à la société Samino, qui n’est pas un professionnel de l’informatique et qui exerce une activité de grossiste, ce dont il résulte que le contrat avait été conclu entre professionnels de spécialités différentes, la cour d’appel a écarté, à bon droit, la clause d’exclusion de garantie contenue dans les conditions générales de vente, peu important que le contrat ait un rapport direct avec l’activité exercée par la société Samino ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d’appel n’a pas dit que la société Cegid était tenue d’une obligation générale d’information renforcée à l’égard de tout utilisateur de progiciel ;
Attendu, en troisième lieu, que l’arrêt retient que le progiciel ne peut saisir le nombre d’articles supérieur à trois chiffres et que la société Samino justifie de commandes d’articles par taille et par couleur, supérieures à trois chiffres ; qu’il retient encore que l’attention de la société Cegid sur les besoins de la société Samino avait été attirée par sa demande de location du système informatique, faisant état de son activité de grossiste ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, la cour d’appel, qui a effectué les recherches prétendument omises, a pu en déduire, par motifs adoptés, que la société Cegid n’avait pas rempli son obligation de conseil en mésestimant les besoins réels de la société Samino et en lui vendant un produit non adapté à ceux-ci.
D’où il suit que la cour d’appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Par ces motifs
. Rejette le pourvoi ;
. Condamne la société Cegid informatique aux dépens ;
. Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la SA Cegid informatique à payer à la société Samino la somme de 12 000 F ou 1 829,39 €.
Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Cegid informatique
Il est reproché à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir dit nul le contrat intervenu entre la société Cegid informatique et la société Samino et, en conséquence, d’avoir notamment ordonné la restitution du matériel, condamné la société Cegid informatique à payer à la société Locunivers la somme de 271 706,75 F, outre intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 1994, condamné la société Cegid à payer à la société Samino la somme de 40 000 F à titre de dommages et intérêts ;
Aux motifs adoptés que, « dès le premier jour de formation au système par la société Cegid informatique, la société Samino a fait part à cette dernière des problèmes rencontrés ; que la société Samino avait communiqué un certain nombre de statistiques à la société Cegid informatique qui aurait dû lui permettre d’apprécier si sa proposition de configuration correspondait aux besoins de la société Samino, en particulier sur la taille des fichiers ; que la précaution élémentaire pour la société Cegid informatique aurait été suffisante pour répondre aux besoins de la société Samino ; que la société Cegid informatique n’a pas rempli ses obligations de vendeur informatique, en particulier en s’informant suffisamment au travers d’un cahier des charges qui aurait dû être formalisé en collaboration avec la société Samino ; que, sur le problème de taille de fichier, le devoir de conseil de la société Cegid Informatique est d’autant plus nécessaire que la société Samino ne pouvait pas, n’étant pas un professionnel de l’informatique, avoir de connaissance à ce sujet ; en conséquence, que la société Cegid informatique n’a pas rempli ses obligations en mésestimant les besoins réels de son client, et en lui vendant un produit non adapté à ses besoins » ;
Aux motifs propres que, « dès le 12 janvier 1992, la société Samino a écrit à la société Cegid informatique pour l’informer que l’intervention sur le site de sa formatrice n’avait pas été concluante et qu’il existait une impossibilité de gérer convenablement le volume des affaires traitées par l’entreprise, notamment la gestion du stock et la gestion des commandes fournisseurs ; que la méthode de la société Cegid informatique s’adressait particulièrement à des entreprises de détail alors que sa principale activité était l’importation et la vente en gros ; que les difficultés rencontrées auraient dû lui être exposées avant la signature du bon de commande ; que, par fax en date du 28 janvier 1992, la société Samino a confirmé les difficultés rencontrées ; qu’il n’est pas contesté que le progiciel ne peut saisir un nombre d’articles supérieur à trois chiffres ; que la société Samino justifie de commandes d’articles par taille et par couleur, supérieures à trois chiffres ; que les pièces versées aux débats démontrent l’inadéquation du progiciel aux besoins de la société Samino ; que c’est vainement que la société Samino soutient qu’elle n’a pas accepté les clauses 1 et 3.2 des conditions générales ; que ces clauses ne sauraient dispenser, toutefois, la société Cegid informatique de son obligation de s’enquérir des besoins de l’utilisateur et de lui fournir une installation conforme à ses besoins d’autant plus que son attention avait été attirée par la demande de location faisant état de l’activité de grossiste de la société Samio » ;
1°) Alors que, en l’absence de dol ou faute lourde, les clauses exonératoires de responsabilité contractuelle sont valables entre professionnels, y compris lorsque ces professionnels exercent leur activité dans des secteurs différents, si elles sont incluses dans un contrat ayant un rapport direct avec l’activité de celui auquel elles sont opposées ; qu’ayant expressément noté que les conditions générales de vente liaient la société Samino et que, aux articles 1 et 3.2 de ces conditions générales, la société Samino reconnaissait avoir été pleinement informée et déchargeait la société Cegid de toute responsabilité de ce fait, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1135 du code civil ainsi que les articles 1 et 3 de ces conditions générales en estimant que, nonobstant ces dispositions incluses dans un contrat ayant un rapport direct avec l’activité exercée par la société Samino, celle-ci pouvait rechercher la responsabilité de la société Cegid au titre d’un prétendu manquement à son obligation de conseil ;
2°) Alors que le progiciel est un programme standard destiné à une distribution de masse dont le client doit être à même de connaître les fonctionnalités par la simple consultation de la documentation qui l’accompagne ; qu’il ne peut être, en conséquence, mis à la charge du vendeur de progiciels une obligation de conseil comparable à celle pesant sur l’informaticien chargé de développer un programme spécifique et qui doit s’enquérir auprès de chaque client de ses besoins en définissant éventuellement avec lui un cahier des charges ; qu’en décidant, néanmoins, s’agissant d’un simple progiciel, que la société Cegid informatique était tenue d’une obligation générale d’information renforcée à l’égard de tout utilisateur, la cour a violé les articles 1134, 1135 et 1147 du code civil ;
3°) Alors que l’obligation du vendeur de s’enquérir des besoins de l’acheteur, qui n’est qu’une obligation de moyens, est indissociable de l’obligation pesant sur l’acheteur d’avoir à exposer ses exigences spécifiques lorsque le vendeur n’est pas en mesure de les connaître, qu’en l’espèce, il était établi que la société Samino avait bénéficié de tous les renseignements requis au travers d’une documentation détaillée, d’une première présentation du programme avant la signature du contrat, puis d’une seconde démonstration une fois le programme livré et installé ; qu’en estimant que le vendeur aurait dû, de surcroît, s’enquérir de la taille des fichiers et du nombre de caractères susceptibles d’être saisis, sans rechercher si le vendeur disposait d’éléments objectifs qui aurait dû attirer son attention sur cette exigence précise dont il n’est pas contesté que l’acquéreur ne l’avait pas spécialement informé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés ;
4°) Alors qu’en énonçant, en outre, que la société Cegid aurait dû s’aviser elle-même des besoins de la société Samino dès lors que son attention avait été attirée sur son activité de grossiste, circonstance impropre à révéler que la société Samino, petite Sarl du « Sentier » de Paris, passait des commandes dans des quantités supérieures à 999 pièces pour des articles de même taille et de même couleur, ce dont cette dernière n’avait jamais éprouvé le besoin d’informer l’exposante, la cour d’appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
5°) Alors qu’en déduisant, encore, la connaissance que la société Cegid aurait eue des besoins de la société Samino, notamment en ce qui concerne la taille de ses fichiers, d’un « certain nombre de statistiques » que la société Samino lui aurait communiquées (jugement, p. 4), sans préciser d’où elle tirait ce fait, ni s’expliquer sur la teneur de ces prétendues « statistiques » et les circonstances de leur communication à la société Cegid qui contestait fermement avoir reçu des données ou informations concernant la taille des fichiers et la quantité des commandes de la société Samino, la cour d’appel qui n’a pas mi la Cour de cassation en mesure d’identifier les pièces sur lesquelles l’arrêt attaqué s’est fondé ni de s’assurer qu’elles avaient été régulièrement communiquées et produites aux débats, a violé les articles 4, 7, 12, 16 et 132 du nouveau code de procédure civile.
La cour : M. Dumas (président), Mme Vigneron (conseiller rapporteur), M. Tricot (conseiller), M. FeuillardJobard (avocat général).
Avocats : SCP Célice, Blancpain et Soltner et SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.
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