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Jurisprudence : Logiciel

vendredi 17 mai 2002
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Tribunal de grande instance de Versailles Deuxième chambre 17 mai 2002

Apsys/Chabane K.

concurrence déloyale - logiciel

FAITS ET PRETENTIONS :

Par acte d’huissier délivré le 26 mars 2001, la société Apsys expose qu’elle a pour activité le négoce de solutions de gestion informatique et le développement d’applications spécifiques.
Le 20 juillet 1998, elle a reçu de la société Sorediv une commande portant sur un logiciel de développement de gestion de planning et gestion de facturation et statistiques.
Le 1er octobre 1999, elle a embauché M. Chabanne K. en qualité d’ingénieur-chef de projet pour participer au développement des modules et fonctionnalités du logiciel commandé par la société Sorediv.
Par courrier du 22 août 2000, la société Apsys proposait à la société Sorediv d’acquérir les droits de propriété du logiciel moyennant le prix de 2 500 000 F.
Dans ce contexte, la société Apsys reproche à Chabane K. de s’être approprié les sources du logiciel pour faire échec à la cession envisagée, de s’être fait embaucher par la société Sorediv le 1er septembre, après avoir démissionné de son emploi en son sein le 9 août 2000 et d’avoir revendiqué abusivement la paternité du logiciel développé par son employeur.
Elle invoque les dispositions de l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle et dénonce une collusion frauduleuse entre Chabane K. et la société Sorediv destinée à la priver de la propriété intellectuelle du logiciel.
Elle indique avoir engagé une instance en concurrence déloyale contre les sociétés Alcor et Sorediv.
La société Apsys demande au tribunal de juger que les droits patrimoniaux du logiciel destiné à la planification et à la gestion des retraitements de déchets industriels lui sont dévolus et de condamner Chabane K., avec exécution provisoire, à lui payer la somme de 60 979,61 € à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et celle de 2286,74 € en application de l’article 700 du ncpc.
Dans ces écritures en défense, Chabane K. fait valoir qu’il a été contacté au mois de mars 1998 par la société Apsys qui ne disposait pas de service de développement et ne faisait que de la commercialisation de logiciels.
Il indique que le logiciel litigieux, dénommé MKGT a été développé au cours de l’année 1998, comme en atteste la facture établie le 7 décembre 1998, à une époque où il n’était pas salarié de la société Apsys.
Il soutient avoir créé et élaboré le logiciel litigieux en qualité de sous-traitant de la société Apsys et être ainsi titulaire des droits intellectuels.
Il conteste toutes les allégations de la société Apsys relatives à des vols et des menaces dont il se serait rendu coupable et évoque les propositions de paiement faites par la demanderesse lors des négociations menées avec la société Sorediv sur la vente des droits intellectuels sur le logiciel.
Concluant au débouté de la demande principale, il sollicite reconventionnellement l’allocation de la somme de 4573,47 € en application de l’article 700 du ncpc, et demande au tribunal de dire qu’il est seul propriétaire des droits sur le logiciel MKGT.
Dans ses écritures récapitulatives signifiées le 18 mars 2002, la société Apsys précise que si certaines missions ont été confiées à Chabane K. avant son embauche au mois d’octobre 1999, ce dernier n’est jamais intervenu que comme programmateur et n’a fait aucune œuvre de création.
Elle qualifie, d’avance sur salaire, la somme de 60 000 F versée au défendeur à titre de rémunération à la fin de l’année 1998.
Elle ajoute que tous les documents relatifs au logiciel litigieux et antérieurs au mois de juin 2000 portent le nom de Apsys auquel Chabane K. a substitué sans autorisation celui de MKGT.
Elle critique l’authenticité de certaines pièces versées aux débats.
Elle plaide qu’à tout le moins, la création du logiciel est une œuvre collective qui ne permettait pas à Chabane K. de disposer seul des droits intellectuels.
Elle maintient l’ensemble de ses demandes.
L’instruction de l’affaire a été close le 5 avril 2002.

LA DISCUSSION

A titre liminaire, il convient de noter que si les deux parties font référence indistinctement aux droits intellectuels sur le logiciel MKGT, la commande initiale passée par la société Sorediv semble indiquer que l’œuvre intellectuelle litigieuse porte uniquement sur les développements d’un logiciel de gestion de planning préexistant dont le propriétaire reste inconnu du tribunal.
Dans le cadre du présent litige, le terme « logiciel », par souci de simplification, correspondra aux développements de logiciels réalisés pour le compte de la société Sorediv.
Il est constant que le développement spécifique du logiciel de base, objet de la commande passée par la société Sorediv le 20 juillet 1998, a été réalisé près d’un an avant la date à laquelle Chabane K. a été embauché en qualité de salarié par la société Apsys : la facture établie le 7 décembre 1998 démontre l’achèvement à cette date de ces premiers travaux de développement tandis que le contrat de travail de Chabane K. a été signé le 1er octobre 1999.
Dès lors, la société Apsys ne peut se prévaloir de l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle pour la période antérieure au 1er octobre 1999.
La qualification d’ « avance sur salaire » attribuée par la société Apsys à la somme de 60 000 F versée à Chabane K. pendant cette période ne peut être retenue dans la mesure où il n’est pas justifié que cette somme ait été mentionnée sur les bulletins de salaire postérieurs.
Si aucun document écrit ne constate la nature des relations contractuelles entre les parties avant le mois d’octobre 1999, il n’est pas contesté que Chabane K. a fourni un certain nombre de prestations qui, à tout le moins, ont participé à l’élaboration et à la mise en œuvre du logiciel litigieux.
Le rapprochement des attestations produites par les deux parties et émanant de salariés actuels ou anciens de la société Sorediv établit suffisamment que, tant la société Apsys que Chabane K. ont participé activement à l’élaboration technique du logiciel.
Si c’est la société Apsys qui a défini le cahier des charges en collaboration avec son client, Chabane K. ne justifiant pas au-delà de son affirmation avoir eu communication de ce cahier des charges, la rémunération versée à Chabane K. (60 000 F) rapportée au montant de la facture établie par la société Apsys à son client (97 000 F HT) démontre le rôle important joué par Chabane K. dans la réalisation du logiciel.
En évoquant la recherche d’un accord avec Chabane K. relatif aux travaux réalisés pour la société Alcor-Sorediv France, la lettre en date du 11 août 2000 par laquelle la société Apsys accuse réception de la lettre de démission du défendeur induit clairement que la demanderesse était alors consciente que les prestations réalisées par Chabane K. lui ouvraient quelque droit et, ainsi, ne se limitaient pas à un travail purement technique de programmation.
La lettre signée par Monsieur P., gérant d’Apsys le 5 juin 2000 par laquelle une offre est faite à Chabane K., et dont le caractère contrefait n’est pas établi, mentionne expressément une offre de paiement au titre de droits d’auteur sur l’application « Apsys ».
Ces éléments concordants conduisant à conclure que Chabane K. a participé à la conception intellectuelle du logiciel litigieux avant d’être salarié de la société Apsys.
En revanche, il n’est pas sérieusement contestable que la société Apsys, par son activité commerciale même, disposait du matériel nécessaire à l’élaboration du produit alors que Chabane K. ne justifie d’aucune infrastructure ayant pu lui permettre de travailler de façon autonome.
Les relations avec Microsoft dont se prévaut le défendeur à travers les pièces produites concernent, au mois de janvier 1999, aussi bien Chabane K. qu’un salarié de la société Apsys.
Les comptes rendus de réunions versées aux débats mentionnent systématiquement la présence simultanée d’un représentant de la société Apsys et de Chabane K.
Ces éléments, ajoutés au fait que Chabane K. n’avait aucune activité indépendante propre avant d’être sollicité par la société Apsys, concordent pour dénier à Chabane K. la qualité de sous-traitant qui serait seule à l’origine de la création intellectuelle litigieuse.
L’ensemble du dossier caractérise plus exactement une interdépendance entre les contributions des deux parties à l’élaboration du logiciel.
La société Apsys et Chabane K. doivent, en conséquence, être considérés comme co-auteurs du logiciel litigieux en ce qui concerne le développement antérieur au 1er octobre 1999.
Le compte-rendu établi par la société Sorediv de la réunion tenue avec la société Apsys le 2 mars 2000, en présence de Chabane K., démontre qu’entre le 1er octobre 1999 et le mois de mars 2000 de nouvelles fonctionnalités ont été ajoutées au logiciel.
Le statut de salarié de Chabane K. à compter du 1er octobre 1999 fait que tous les développements du logiciel postérieurs à cette date sont la propriété exclusive de la société Apsys en application de l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle.
L’échange de correspondances entre les sociétés Apsys, Alcor et Sorediv versé aux débats montre que c’est la version du logiciel finalisée au mois de mars 2000 que la société espérait céder à la société Sorediv, d’autres développements du même logiciel étant envisagés simultanément.
Or, il ressort d’un projet de convention produit par Chabane K. (pièce n°3) qui ne lie pas la demanderesse mais dont le défendeur se prévaut et qui lui est, à ce titre opposable, que le logiciel dénommé MKGT forme un tout indissociable.
C’est donc un logiciel sur lequel il n’avait que des droits partiels sur les premiers développements que Chabane K. a fait enregistrer à l’Agence pour la Protection des Programmes (APP) à son seul nom.
Cette démarche qui consiste à nier les droits de propriété de la société Apsys doit être déclarée fautive tout comme l’est la rétention exclusive (non contestée) des sources du logiciel.
Cette faute est corroborée par le changement de nom opéré unilatéralement par Chabane K. au début de l’année 2000 alors que l’ensemble des pièces techniques et commerciales produites montre que le produit litigieux avait été appelé « logiciel Apsys » pendant dix-huit mois.
La quasi concomitance entre l’appropriation par Chabane K. des droits intellectuels sur le logiciel, sa démission de la société Apsys et son embauche par la société Sorediv, et la décision de cette dernière de ne plus donner suite aux négociations avec la société Apsys relatives à la cession des droits sur le logiciel et aux projets de nouveaux développements, caractérise l’existence d’un lien de causalité entre les fautes commises par Chabane K. et une perte de chance pour la société Apsys de vendre ses droits intellectuels sur le logiciel.
Il convient, en conséquence, de faire droit à la demande de dommages-intérêts de la société Apsys mais d’en limiter le montant à la somme de 25 000 €.
Chabane K. doit ainsi être condamné à payer à la société Apsys la somme de 25 000 €.
Les parties doivent être déboutées de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.
L’exécution provisoire sollicitée est justifiée par la nature de l’affaire et doit être ordonnée.
L’équité commande que la somme de 1500 € soit accordée à la demanderesse en application de l’article 700 du ncpc.

LA DECISION

Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort.

. Dit que la société Apsys et Chabane K. sont co-auteurs des développements réalisés du mois de juillet 1998 au mois de mars 2000 sur le logiciel de gestion et de planification des traitements de déchets industriels, logiciel enregistré à l’APP sous le nom MKGT 4.1.1.

. Condamne Chabane K. à payer à la société Apsys la somme de 25 000 € à titre de dommages-intérêts.

. Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.

. Condamne Chabane K. à payer à la société Apsys la somme de 1500 € en application de l’article 700 du ncpc.

. Condamne le même aux dépens.

Le tribunal : M. Carrière (vice président), Mmes Vaissette et Grandjean (juges)

Avocats : Me Christophe Desjardins, Me Christian Mour

 
 

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