Jurisprudence : Logiciel
Cour d’appel de Versailles 1ère chambre, 1ère section Arrêt du 09 décembre 2004
Chabane K. / Aspys
contrefaçon - expertise - logiciel
FAITS ET PROCEDURE
Par arrêt du 25 septembre 2003 auquel il convient de se reporter pour exposé des faits et de la procédure antérieure, la cour, avant dire droit au fond, a ordonné une mesure d’expertise dont elle a confié l’exécution à M. T.
L’expert a rédigé son rapport le 28 février 2004.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 20 octobre 2004, Chabane K. conclut à la réformation du jugement entrepris et demande à la cour de dire qu’il est le seul propriétaire des droits patrimoniaux sur le logiciel MKGT 4.1.1 déposé à l’Agence pour la Protection des Programmes, débouter la société Apsys de ses demandes, la dire mal fondée en son appel incident et la condamner à lui payer 152 449 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
Il expose qu’il ressort du rapport d’expertise judiciaire qu’il est le seul auteur du logiciel MKGT et que les logiciels Transql et Facturation au fil de l’eau sont des applications totalement distinctes.
Contestant la demande d’annulation du rapport d’expertise formée par la société Apsys, il fait valoir que le principe du contradictoire a été respecté, ayant été convenu que les documents et pièces que chacune des parties produirait afin de déterminer qui était l’auteur du logiciel ne serait pas communiqué à l’autre.
Il soutient que l’expert n’a pas émis d’avis d’ordre juridique et qu’il a fait montre d’impartialité ; il allègue qu’il avait la compétence nécessaire en matière informatique.
Il considère que l’avis donné par M. L., à la demande de la société Apsys, postérieurement au dépôt du rapport d’expertise judiciaire, ne peut être pris en considération.
Au cas où la cour estimerait des éclaircissements nécessaires, il sollicite l’audition de l’expert en application de l’article 283 du ncpc.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 20 octobre 2004, la société Apsys conclut à la nullité du rapport d’expertise judiciaire, à la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a reconnu que Chabane K. avait commis une faute en s’appropriant le logiciel de gestion et de planification de traitement des déchets industriels et, formant appel incident, sollicite la réformation du jugement en ce qu’il a dit que Chabane K. et elle-même étaient co-auteurs des développements réalisés de juillet 1998 à mars 2000 et condamné ce dernier à lui verser 25 000 € à titre de dommages-intérêts. Elle sollicite la condamnation de Chabane K. à lui payer 60 979 € à titre de dommages-intérêts. Subsidiairement, elle demande la désignation d’un nouvel expert.
Elle fait grief à l’expert d’avoir analysé de manière non contradictoire les documents de travail communiqué par Chabane K.
Elle lui reproche également d’avoir outrepassé ses pouvoirs en ayant porté des appréciations d’ordre juridique.
Elle conteste sa compétence dans le domaine de l’informatique.
Elle expose avoir été contrainte de saisir un nouvel expert, M. L., lequel estime qu’elle est la conceptrice du logiciel, Chabane K. ayant réalisé des développements sous son contrôle.
Elle maintient qu’il existe une dépendance entre le logiciel réalisé en 1998 et ceux développés postérieurement.
Elle demande, pour le cas où la cour retiendrait que Chabane K. aurait contribué au développement, de faire application des dispositions de l’article L 113-5 du code de la propriété intellectuelle.
Elle allègue que Chabane K. a commis un acte de concurrence déloyale en s’étant approprié le logiciel et que son préjudice a été sous-évalué par le tribunal.
L’instruction de l’affaire a été déclarée close le 21 octobre 2004.
DISCUSSION
Considérant que M. T., centralien de formation et expert-comptable, est l’auteur d’ouvrages dans le domaine informatique ;
Qu’il est inscrit sur la liste de experts de la cour d’appel de Versailles dans la rubrique « informatique » ;
Que sa compétence en la matière est indiscutable ;
Qu’il résulte de l’article 237 du ncpc que le technicien doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ;
Qu’un éventuel manquement de l’expert aux obligations ci-dessus énoncées ne saurait emporter la nullité du rapport, la cour n’étant pas liée par l’avis de l’expert dont elle apprécie souverainement l’objectivité ;
Que l’article 238 alinéa 3 du ncpc dispose que le technicien ne doit jamais porter d’appréciation d’ordre juridique ;
Qu’aucune disposition ne sanctionne de nullité l’inobservation de cette obligation ;
Que l’expert judiciaire est tenu d’appliquer, au cours de ses opérations, le principe de la contradiction afin que soient respectés les droits de la défense ;
Qu’il en résulte qu’il ne peut utiliser un document quelconque émanant de l’une des parties sans que ce documents ait été porté à la connaissance des autres ;
Qu’il ressort des termes du rapport d’expertise que M. T. a pris connaissance de documents d’analyse qui lui ont été envoyés par Chabane K., de spécifications et textes de programmes déposés par ce dernier chez un huissier de justice le 23 avril 2003 et du CD déposé à l’Agence pour la Protection des Programmes ;
Que l’expert, en l’état du refus de Chabane K. de voir ces documents divulgués à la société Apsys, les a examinés et s’en est servi pour asseoir son avis sans les avoir soumis à cette dernière société, ce qui constitue une atteinte au principe du contradictoire ;
Qu’en application de l’article 177 du ncpc, les opérations peuvent être régularisées ou recommencées si le vice qui les entache peut être écarté ;
Que l’atteinte portée au principe du contradictoire pouvant être réparée par une communication régulière des documents, il n’y a pas lieu d’annuler l’expertise mais seulement de rouvrir les opérations, l’attention de Chabane K. étant appelée sur le fait qu’au cas où il persistait en son refus de voir porter à la connaissance de la société Apsys les documents en cause, la cour sera amenée à en tirer les conséquences ;
DECISION
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
. Rejette la demande d’annulation du rapport d’expertise,
. Ordonne la réouverture des opérations d’expertise,
. Dit que M. T. devra :
– convoquer les parties et leurs conseils,
– s’assurer de la communication à la société Apsys de tous les documents qui lui ont été remis par Chabane K., et inversement,
– après avoir recueilli les observations des parties, dire s’il maintient les conclusions de son rapport du 28 février 2004 ou s’il les modifie, et dans l’affirmative, dans quel sens,
– annexer à son rapport les dires des parties et le bordereau des pièces qu’il a reçues,
. Rappelle que l’expert doit faire mention, dans son rapport, de la suite qu’il aura donnée aux dires des parties,
. Dit que M. T., qui sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions de l’article 263 du ncpc, établira un rapport écrit qu’il déposera au greffe de la cour (service des expertises) avant le 1er avril 2005, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du magistrat chargé des expertises,
. Fixe à 500 € le montant de la provision à valoir sur sa rémunération qui devra être consignée par Chabane K. à ce même greffe avant le 15 janvier 2005,
. Dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, la désignation de l’expert sera caduque et privée de tout effet,
. Sursoit à statuer jusqu’au dépôt du rapport à intervenir,
. Réserve les dépens.
La cour : Mme Francine Bardy (président), Mmes Liauzun et Simonnot (conseillers)
Avocats : Me Christian Mour, Me Olivier Groc
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