Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal judiciaire de Dijon, 1ère ch., jugement du 24 mai 2023
M. X. / Chrono24 GmbH & Luxury of Watches Inc.
commerce électronique - contrat - plateforme - professionnel - vendeur
Le 23 juillet 2016, Monsieur X. a acheté une montre de type Rolex d’un montant de 9.462,91 euros sur le site internet de la société de droit allemand Chrono24 GmbH, lequel met en ligne des produits de luxe en vente provenant de différents commerçants.
A la suite d’un décollement d’un morceau du cadran, M. X. a déposé la montre auprès d’un réparateur agréé, la société Rolex France, à Paris le 5 février 2020.
Le 16 mars 2020, la société Rolex France lui a indiqué, par l’intermédiaire de son conseil, qu’aucune réparation n’était possible dans la mesure où le cadran n’avait pas été réalisé par une entreprise autorisée par Rolex et où la montre était en réalité une contrefaçon.
Aucune solution amiable n’a pu être trouvée.
Par acte d’huissier de justice du 8 février 2021, M. X. a assigné la société Chrono24 GmbH devant le Tribunal judiciaire de Dijon aux fins, notamment, de demander restitution du prix de vente.
Le 16 juin 2021, la société Chrono24 GmbH a fait assigner en intervention forcée la société californienne Luxury of Watches Inc. afin d’être garantie par celle-ci des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre. Elle a également sollicité la condamnation de la société Luxury of Watches Inc à lui payer outre les dépens, la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 24 janvier 2022, cette assignation en intervention forcée a été jointe à la procédure engagée par Monsieur X. contre la société Chrono24 GmbH.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2022, M. X. sollicite du Tribunal de :
– Annuler la vente en date du 23 juillet 2016, d’une montre de type Rolex pre-owned Deepsea, et ce, pour un prix de 9.462,91 euros ;
– Condamner la société Chrono24 GmbH à lui payer :
• La somme de 9.462,91 euros en restitution du prix de vente de la montre contrefaite, ou à titre de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle,
• La somme de 3.000 euros au titre du préjudice moral,
• La somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Chrono24 GmbH à publier le dispositif du jugement à intervenir en caractères très apparents sur la page d’accueil du site internet www.chrono24gmbh.fr avec un lien renvoyant au texte intégral du jugement, et ce, après avoir anonymisé la décision concernant M. X. en ne mentionnant pas son domicile et en remplaçant le nom » X. » par » L. « , pendant une durée de 30 jours,
– Assortir cette condamnation d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai d’un mois suivant la signification du jugement à intervenir, et de 20.000 euros par jour manquant sur la durée de 30 jours,
– Condamner la société Chrono24 GmbH aux entiers dépens.
Au soutien de sa demande en annulation de la vente, M. X., se fondant sur l’article L. 217-1 du Code de la consommation, fait valoir que le contrat de vente a été conclu avec la société Chrono24 GmbH dès lors que cette dernière se présentait comme vendeur sur le site internet, qu’elle a reçu le prix de la vente entre ses mains et que la notion d’intermédiaire dans ce cadre n’a pas de signification juridique, surtout au regard de la présentation trompeuse du site internet. Il ajoute que s’il avait su que le vendeur était une société basée en Californie, il n’aurait pas contracté compte tenu des risques et du montant en jeu.
M. X. poursuit en indiquant que, même si elle n’est qu’un intermédiaire, la société Chrono24 GmbH a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l’article 1147 du code civil au regard de ses obligations en matière de sécurité des acheteurs et des garanties d’authenticité dont elle se prévaut. A cet égard, la solution proposée par la société Chrono24 GmbH tendant à changer le cadran ne permet pas d’échapper à sa responsabilité dès lors que la société Rolex France a indiqué que le produit était une contrefaçon et donc que la montre n’avait aucune valeur. Selon M. X., la société Chrono24 Gmbh a donc commis une faute en ce qu’elle s’est rendue complice d’un acte de contrefaçon, ce dont il résulte qu’elle doit l’indemniser de son préjudice, celui-ci consistant, d’une part, dans la perte du prix payé soit 9.462,91 euros, et d’autre part, dans son préjudice moral qu’il évalue à 3.000 euros.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2022, la société Chrono24 GmbH demande, à titre principal, au Tribunal de :
– Juger M. X. irrecevable en ses demandes, fins et prétentions formées à son encontre ;
– Juger M. X. mal fondé en ses demandes, fins et prétentions formées à son encontre ;
– Débouter M. X. de toutes ses demandes, fins et prétentions formées à son encontre.
A titre subsidiaire, la société Chrono24 GmbH demande au Tribunal de :
– Condamner la société Luxury of Watches Inc. à relever et garantir la société Chrono24 GmbH contre toutes sommes qu’elle serait condamnée à payer au titre de la vente intervenue le 23 juillet 2016 ;
– Ecarter l’exécution provisoire pour les demandes formées par M. X. à l’encontre de la société Chrono24 GmbH.
La société Chrono24 GmbH sollicite en tout état de cause du Tribunal de :
– Condamner M. X. et la société Luxury of Watches Inc. à lui payer chacun la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner M. X. et la société Luxury of Watches Inc. in solidum aux entiers dépens, en ce compris ceux exposés pour la mise en cause de la société Luxury of Watches Inc.
Pour s’opposer aux demandes en restitution du prix de vente, la société Chrono24 GmbH soulève l’irrecevabilité de l’action introduite par
M. X., sur le fondement des articles 31, 32, 122 et 125 du code de procédure civile, pour défaut d’intérêt et de qualité à agir. Elle fait valoir à ce titre qu’elle n’est pas le vendeur compte tenu du bon de commande et au regard des conditions prévues par l’article 1582 du code civil et qu’elle n’est pas l’auteur de la description du produit. Elle soutient aussi que le vendeur est la société Luxury of Watches Inc. et que le contrat de vente conclu avec elle n’a pas été remis en cause, ce dont il résulte qu’aucune action en indemnisation ne peut être introduite par M. X.. Elle ajoute que l’article L. 217-1 du code de la consommation doit s’appliquer dans sa version antérieure au 1er octobre 2021, et que par conséquent la qualité de vendeur ne peut pas être étendue aux personnes ayant l’apparence du vendeur. Elle insiste sur le fait qu’elle ne se présente pas comme un vendeur sur la page d’accueil de son site internet, que M. X. avait reconnu son rôle d’intermédiaire, qu’elle avait respecté son processus d’achat présenté sur la plateforme et que M. X. savait pertinemment que le produit provenait de Californie et qu’il avait 14 jours pour vérifier l’authenticité du produit reçu alors qu’il n’a émis aucune réserve.
Subsidiairement, la société Chrono24 GmbH fait valoir que les demandes de M. X. sont mal fondées dès lors qu’elle n’a commis aucune faute notamment au regard de son système de paiement sécurisé et du délai de 14 jours permettant au client de vérifier l’authenticité. Elle conclut à l’absence de violation d’obligation contractuelle dès lors qu’elle n’a pas été poursuivie du chef d’infraction de contrefaçon, que M. X. disposait de toutes les informations nécessaires avant de conclure la vente et qu’il était notamment indiqué que le cadran n’était pas authentique. Enfin, la société Chrono24 GmbH soutient que M. X. n’invoque pas un préjudice réparable puisque la restitution du prix de vente ne peut pas avoir lieu dans la mesure où le contrat de vente n’a pas été remis en cause par une action en résolution ou en nullité contre le vendeur, à savoir, la société Luxury of Watches Inc.
Pour s’opposer à la demande de publication du jugement, la société Chrono24 GmbH ajoute que cette demande nouvelle n’est pas suffisamment rattachée aux prétentions originaires et qu’elle doit être déclarée irrecevable.
Très subsidiairement, la société Chrono24 GmbH demande que la société Luxury of Watches Inc. soit appelée en garantie.
La clôture est intervenue le 15 novembre 2022 par ordonnance du même jour.
Les plaidoiries ont été fixées à l’audience du 27 février 2023 et le jugement a été mis en délibéré au 15 mai 2023, prorogé au 24 mai 2024.
DISCUSSION
A titre liminaire, le tribunal relève que les parties ne contestent pas l’application du droit français au contrat de vente litigieux.
Sur la recevabilité de la demande en annulation de la vente
Aux termes de l’article 122 du Code de procédure civile, » constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée « .
L’article 125 du même Code précise que » Les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l’absence d’ouverture d’une voie de recours. Le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée « .
Enfin, l’article 789 6° du même Code énonce que » Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : […] 6° Statuer sur les fins de non-recevoir « .
En l’espèce, la société Chrono24 invoque l’irrecevabilité la demande d’annulation de la vente formée à son encontre par M. X. puisqu’elle n’a pas la qualité de vendeur.
M. X. considère que la société Chrono24 s’est présentée comme venderesse et qu’en se comportant comme telle, il peut lui opposer les dispositions de l’article L. 217-1 du Code de la consommation.
Le Tribunal observe dans un premier temps que si depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2020 des nouvelles dispositions de l’article 789 du Code de procédure civile, le Juge de la mise en état est exclusivement compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, l’article 125 donne également compétence au tribunal pour se prononcer d’office sur les fins de non-recevoir tirées, notamment, du défaut de qualité à agir ou à défendre.
Dans un second temps, il faut relever que la société Chrono24 a soulevé dans ses conclusions au fond l’irrecevabilité des demandes de
M. X. en ce qu’elles sont dirigées contre elle en sa qualité de venderesse de la montre. Il faut donc constater que ce moyen a été débattu entre les parties, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de rouvrir les débats sur ce point (cf. Civ. 2ème 5 juin 2014 : pourvoi n°13-19.920).
S’agissant de la qualité de vendeur, il est vain pour M. X. d’invoquer les dispositions de l’article 217-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction actuelle, qui assimile au vendeur, en matière d’obligation de conformité dans les contrats de vente de biens, toute personne se présentant ou se comportant comme un vendeur professionnel. Ce texte, issu de l’ordonnance du 29 septembre 2021, n’est entré en vigueur que le 1er janvier 2022, et n’est pas applicable au contrat de vente litigieux du 23 juin 2016.
Dans sa version applicable au contrat souscrit par M. X., l’article 217-3 du Code de la consommation n’assimile pas au vendeur toute personne se présentant comme tel ou étant un intermédiaire.
Certes, la Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision du 9 novembre 2016 (C-149/15) considère que la notion de vendeur doit faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme. Elle décide en effet que » la notion de vendeur […] doit être interprétée en ce sens qu’elle vise également un professionnel agissant comme intermédiaire pour le compte d’un particulier, qui n’a pas dûment informé le consommateur acheteur du fait que le propriétaire du bien est un particulier « .
Cependant, en l’espèce, il faut relever d’une part que la société Chrono24 ne se présente pas comme le vendeur de la montre. Les capture d’écran du site de cette société font apparaître la société Luxury of Watches en qualité de commerçant et M. X., dans ses courriels échangés avec la société Chrono24 indique clairement qu’il a acheté une montre par l’intermédiaire de la société Chrono24. Ce terme, contrairement à ce qu’il indique, ne renvoie pas à une notion juridique précise. Le Dictionnaire de l’Académie définit en effet ce substantif comme » personne ou entreprise qui, moyennant rétribution, met en rapport un vendeur et un acheteur « .
Le fait que le demandeur ait payé le prix entre les mains de la société Chrono24 n’est pas suffisant à permettre de qualifier celle-ci de vendeur. D’ailleurs, M. X. précise lui-même dans un courriel adressé le 28 décembre 2019 » j’ai acheté une montre par votre intermédiaire en juillet 2016 ; celle-ci est sous garantie, achetée chez luxury of watches « . En outre, le site internet de la société Chrono24 identifie clairement la société Luxury of Watches en qualité de “commerçant”.
Dès lors il faut considérer que l’intermédiation de la société Chrono24 n’a pas été de nature à provoquer une quelconque confusion préjudiciable au consommateur.
En définitive, la société Chrono24 ne peut pas se voir reconnaître la qualité de vendeur, de sorte que la demande d’annulation de la vente formée contre cette société doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité à défendre.
Sur la responsabilité contractuelle de la société Chrono24
Aux termes de l’article 1147 du Code civil, dans sa version en vigueur au moment de la conclusion du contrat de vente, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En l’espèce, M. X. met en cause la responsabilité contractuelle de la société Chrono24. Cependant, il ne démontre pas quel serait le lien contractuel qui l’unirait à la société Chrono24 et quelles seraient les obligations violées par celle-ci.
Sa demande de dommages-intérêts pour ses préjudices matériels et moraux, fondée sur les dispositions de l’article 1147 du Code civil ne peut donc qu’être rejetée.
Sur la demande de publication du jugement
M. X. ayant été débouté de l’ensemble de ses demandes, il n’y a pas lieu d’ordonner la publication de la présente décision sur le site internet de la plateforme Chrono24 GmbH.
Sur les dépens, les frais irrépétibles et l’exécution provisoire
M. X., qui succombe à la présente instance, sera tenu des entiers dépens.
Toutefois, aucune circonstance tirée notamment de l’équité et de la situation des parties ne justifie qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Enfin, il est rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
DÉCISION
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
DECLARE irrecevable la demande d’annulation de la vente formée par M. X. à l’encontre de la société Chrono24 GmbH ;
DEBOUTE M. X. de ses demandes de dommages-intérêts ;
DIT n’y avoir lieu à la publication du présent jugement ;
DIT n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE M. X. aux dépens ;
RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
Le Tribunal : Nicolas Bollon (vice-président), Josette Arienta (greffière)
Avocats : Me Florent Soulard, Me Clémence Mathieu, Me Stéphane Coulaux
Source : Legalis.net
Lire notre présentation de la décision
En complément
Maître Clémence Mathieu est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Florent Soulard est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Stéphane Coulaux est également intervenu(e) dans les 17 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Josette Arienta est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Nicolas Bollon est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.