Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’Expert 26 décembre 2006
Jeuxonline / Kaalys
marques
Les parties
Le Requérant est la société Jeuxonline, Aubervilliers, France, représentée par Maître Murielle Cahen.
Le Défendeur est la société Kaalys, Paris, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « jeuxonline.fr ».
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Drim Technologies.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Jeuxonline auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 24 octobre 2006.
En date du 27 octobre 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Drim Technologies, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 30 octobre 2006.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la Procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage du .fr (Règles d’enregistrement pour les noms de domaine se terminant en .fr du 20 juin 2006 de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, le 9 novembre 2006, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 novembre 2006. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 23 novembre 2006.
En date du 4 décembre 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Isabelle Leroux. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément au Règlement. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, l’article 4 du Règlement.
Le 5 décembre 2006, le Requérant a adressé une réponse additionnelle.
Toutefois, cette réponse additionnelle ne sera pas prise en considération dans la mesure où le Requérant n’y a pas été invité et que l’Expert se considère suffisamment informé au regard des éléments exposés au sein de la plainte et de la réponse du Défendeur.
Les faits
Le Requérant, la société Jeuxonline, a pour activité la mise à disposition sur Internet de jeux en ligne.
Le Requérant revendique un droit antérieur sur la dénomination “Jeuxonline” à plusieurs titres :
– en juillet 2001, a été enregistré le nom de domaine « jeuxonline.cc » par Monsieur Guillaume M., actuel gérant de la société Jeuxonline ;
– en février 2002, a été enregistré également à son nom, le nom de domaine « jeuxonline.info » ;
– le 29 juin 2003, a été créée l’association Jeuxonline dont Monsieur Guillaume M. était le Président ;
– le 10 septembre 2003, Monsieur Guillaume M. a cédé à l’association Jeuxonline le nom de domaine « jeuxonline.info » ;
– le 22 novembre 2005, l’association Jeuxonline s’est transformée en société Jeuxonline dont Monsieur Guillaume M. est l’actuel gérant ;
– le 5 décembre 2005, l’association Jeuxonline a cédé à la société Jeuxonline le nom de domaine « jeuxonline.info ».
La société Jeuxonline est également propriétaire des noms de domaine suivants : « jeuxonline.org », « jeuxonline.tv », « jeuxonline.mobi » et « jeuxonline.eu ».
Par ailleurs, a été déposée le 30 décembre 2005 auprès de l’Inpi, la marque Jeuxonline désignant les produits et services des classes 25, 35, 38, 41 et 42.
Le Défendeur, la société Kaalys, est un concurrent direct de la société Jeuxonline.
Le 18 mai 2004, la société Kaalys a enregistré le nom de domaine « jeuxonline.fr ».
Ce nom de domaine ne mène, aujourd’hui, vers aucun site actif.
Les parties ont été à plusieurs reprises en contact s’agissant du transfert de ce nom de domaine, sans que toutefois aucun accord n’intervienne.
C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant fait valoir que le Défendeur, concurrent direct, avait parfaitement connaissance de l’existence de ses droits antérieurs et a enregistré le nom de domaine « jeuxonline.fr » dans le seul but d’y porter atteinte.
Par ailleurs, le Requérant a soumis à l’Expert un e-mail du Défendeur dans lequel ce dernier indique avoir enregistré en 2004 le nom de domaine litigieux pour “faire une blague”.
Par la suite, en mai 2006, le Requérant aurait proposé au Défendeur, la somme de 1.500 euros, puis de 2.000 euros pour le transfert du nom de domaine « jeuxonline.fr » à son profit.
Le Défendeur aurait refusé cette proposition en prétextant que l’offre n’était pas vraiment en rapport avec le potentiel commercial du nom et qu’il avait des projets sur « jeuxonline.fr ».
Le Requérant sollicite, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.
Défendeur
Le Défendeur, la société Kaalys, soutient qu’il n’a jamais considéré enfreindre la loi en déposant le nom de domaine « jeuxonline.fr » dans la mesure où celui-ci présente un caractère générique.
Le Défendeur reconnaît être le principal concurrent du Requérant, c’est la raison pour laquelle il a proposé d’ouvrir un dialogue s’agissant de la cession du nom de domaine litigieux.
Le Défendeur soutient également que les représentants du Requérant ayant refusé toute proposition de rencontre et brandissant continuellement la menace judiciaire, il a été mis un terme aux discussions le 22 juin 2004.
En 2006, le Défendeur a indiqué au Requérant qu’un site était en développement, mais qu’il était évidemment libre de faire des propositions.
Après deux offres financières, le Défendeur a indiqué au Requérant qu’il n’était pas vendeur compte tenu des projets en cours.
Un site serait actuellement en cours de développement, ce dernier ne sera pas concurrent de « jeuxonline.info » puisqu’il proposera toute autre chose.
Le Défendeur indique qu’il ne souhaite pas nuire aux intérêts du site “www.jeuxonline.info” du Requérant, mais à l’inverse, souhaite ouvrir à sa société un nouveau marché.
Par ailleurs, le Défendeur considère que le Requérant n’a pas de droits sur le nom de domaine « jeuxonline.fr » car le nom “Jeuxonline” ne revêt aucun caractère original au sens du Code de la Propriété Intellectuelle.
Ainsi, l’expression “Jeuxonline” préexisterait aux activités du Requérant.
L’expression “Jeuxonline” existerait indépendamment de l’existence de la société Jeuxonline, de sa marque ou de son site.
Discussion et conclusions
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit.
L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.
En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.
Enregistrement du nom de domaine litigieux
En l’espèce, l’Expert constate que le Requérant justifie utiliser le nom de domaine « jeuxonline.info », la dénomination “Jeuxonline” constituant également sa dénomination sociale.
Le Défendeur ne conteste pas connaître l’existence de la société Jeuxonline, laquelle est son principal concurrent.
Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats que le nom de domaine litigieux aurait été enregistré au départ par le Défendeur pour “faire une blague”.
Par conséquent, il ne fait aucun doute que le Défendeur, au moment de l’enregistrement, avait connaissance des droits antérieurs invoqués par le Requérant sur la dénomination “jeuxonline”.
Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
A ce jour, le nom de domaine litigieux renvoie vers une page blanche.
Le Défendeur indique, à cet égard, développer un projet de site proposant des jeux en ligne.
Pour justifier de ce développement qui se ferait en l’absence de toute violation des droits antérieurs invoqués par le Requérant, le Défendeur fait valoir que les termes “Jeuxonline” seraient génériques et, par conséquent, à la disposition de tous.
Il ne saurait être contesté que les termes “Jeuxonline” adoptés en tant que nom de domaine pour promouvoir un site Internet proposant des jeux en ligne revêtent un caractère générique.
Leur protection ne peut donc qu’être limitée.
En effet, en vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, il ne peut être reproché à un concurrent d’utiliser à titre de nom de domaine, des termes appartenant au langage courant.
C’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcée la Cour d’Appel de Paris le 25 mai 2005 s’agissant des noms domaine « servicesfuneraires.fr » et « services-funeraires.fr ».
Toutefois, il convient en l’espèce de considérer le contexte dans lequel est intervenu l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Cet enregistrement était à l’origine une “blague” entre concurrents de l’aveu du Défendeur.
Il ne fait aucun doute qu’un nom de domaine, même générique, revêt une valeur commerciale conséquente, notamment lorsqu’une activité est déjà déployée sous un même nom de domaine très proche, ne différant que par un gTLD.
Or, le fait pour le Défendeur d’enregistrer en toute connaissance de cause la dénomination adoptée par son principal concurrent et de refuser de lui restituer, et ce dans le but, à terme, d’en tirer un profit quelconque, constitue un comportement déloyal.
En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.
Décision
Conformément aux articles 20 (b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « jeuxonline.fr ».
Expert Unique : Isabelle Leroux
Avocat : Me Murielle Cahen
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