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Jurisprudence : Jurisprudences

jeudi 04 avril 2019
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Conseil d’État, 10ème – 9ème ch. réunies, décision du 18 mars 2019

Mme A. / l'Etat

données personnelles - droit d'opposition - enregistrement et conservation des données - justification - motif légitime

Mme B. a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 novembre 2010 par laquelle l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, a rejeté son opposition à l’enregistrement et la conservation des données personnelles relatives à ses enfants dans la  » Base élèves premier degré  » (BE1D) et la  » base nationale identifiant élève  » (BNIE), ainsi que la décision du 25 mars 2011 rejetant son recours hiérarchique. Par un jugement n° 1121985 du 12 juillet 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13PA03582 du 16 juin 2015, la cour administrative d’appel de Paris a, sur appel de Mme A., annulé ce jugement ainsi que la décision du 24 novembre 2010 portant rejet de l’opposition de Mme A. à l’enregistrement et la conservation des données personnelles relatives à ses enfants dans la  » Base élèves premier degré  » (BE1D) et la  » base nationale identifiant élève  » (BNIE) et enjoint à la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de statuer sur les oppositions formées le 18 octobre 2010 par Mme A., sous réserve que celles-ci n’aient pas perdu leur objet, dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt.

Par une décision n°392145 du 27 juin 2016, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt de la cour administrative d’appel de Paris et lui renvoyé l’affaire.

Par un nouvel arrêt n°16PA02163 du 25 octobre 2016, la cour administrative d’appel de Paris a, d’une part, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de Mme A. tendant à l’annulation des décisions du 26 novembre 2010 et du 25 mars 2011 en tant qu’elles ont rejeté son opposition à voir enregistrer et conserver les données personnelles relatives à ses enfants dans la  » Base élèves premier degré  » (BE1D) et à l’annulation du jugement du 12 juillet 2013 du tribunal administratif de Paris dans cette mesure et, d’autre part, annulé ce jugement en tant qu’il a rejeté les conclusions tendant à l’annulation des mêmes décisions rejetant l’opposition concernant la  » base nationale identifiant élève  » (BNIE) mais, statuant par la voie de l’évocation, rejeté ces conclusions.

Procédure devant le Conseil d’Etat :

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2016 et 24 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme A. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la convention internationale relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
– la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ;
– le code de l’éducation ;
– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
– la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
– le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;
– l’arrêté du 20 octobre 2008 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l’enseignement du premier degré ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B.;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B. s’est opposée le 18 octobre 2010, sur le fondement de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, à la collecte et au traitement dans la  » base élèves premier degré  » (BE1D) et la  » base nationale identifiant élève  » (BNIE) de données relatives à ses enfants scolarisés dans une école primaire du 18e arrondissement de Paris. Sa demande a été rejetée par une décision du 24 novembre 2010 de l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale en charge du premier degré, confirmée par une décision du 25 mars 2011 prise par la même autorité en réponse à un recours hiérarchique adressé au recteur de l’académie de Paris. Mme A. se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 25 octobre 2016 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, d’une part, jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l’annulation de ces deux décisions en tant qu’elles concernent la  » Base élèves premier degré  » et, d’autre part, après avoir annulé pour irrégularité le jugement du 12 juillet 2013 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande d’annulation de ces deux décisions en tant qu’elles concernent la  » base nationale identifiant élève « , a rejeté les conclusions tendant à l’annulation dans cette mesure de ces décisions.

2. L’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que :  » Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes :/ 1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ; / 2° Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités (…) ;/ 3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ;(…) 5° Elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées « . L’article 38 de la même loi dispose :  » Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement./ Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur./Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ou lorsque l’application de ces dispositions a été écartée par une disposition expresse de l’acte autorisant le traitement « . L’article 97 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l’application de cette loi précise que  » le responsable du traitement auprès duquel le droit d’opposition a été exercé informe sans délai de cette opposition tout autre responsable de traitement qu’il a rendu destinataire des données à caractère personnel qui font l’objet de l’opposition « .

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt en tant qu’il concerne la  » Base élèves premier degré  » :

3. En vertu de l’article 5 de l’arrêté du 20 octobre 2008 qui a créé le traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé  » Base élèves premier degré « , dans sa version applicable au litige,  » Les données à caractère personnel recueillies seront conservées suivant les dispositions suivantes :/ 1. Pour ce qui concerne les données relatives aux autorisations, aux assurances scolaires et aux activités périscolaires, leur conservation n’excédera pas l’année scolaire en cours ;/ 2. Pour ce qui concerne les autres données appartenant aux catégories visées aux I à III de l’article 3, seule sera conservée la dernière mise à jour de chaque année scolaire ;/ 3. Pour ce qui concerne les autres données visées au IV de l’article 3, les mises à jour successives de chaque année scolaire seront conservées./ La durée maximum de conservation des données dans Base élèves premier degré n’excédera pas le terme de l’année civile au cours de laquelle l’élève n’est plus scolarisé dans le premier degré « .

4. Il résulte de ces dispositions que la durée de conservation des données dans la  » Base élèves premier degré  » ne peut, en tout état de cause, excéder la fin de l’année civile au cours de laquelle l’élève a cessé d’être scolarisé dans le premier degré. La circonstance que les données concernant un élève ont cessé d’être conservées dans le traitement prive d’objet les conclusions à fin d’annulation pour excès de pouvoir de la décision qui avait refusé de faire droit à l’opposition à ce traitement, demandée sur le fondement de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978, sans qu’ait d’incidence le fait que les données en cause aient pu être transférées vers d’autres traitements vis-à-vis desquels s’exerce le droit d’opposition.

5. Il s’ensuit qu’en jugeant qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des décisions attaquées en tant qu’elles rejetaient l’opposition de Mme A. à l’enregistrement et à la conservation des données personnelles relatives à ses enfants dans la  » Base élèves premier degré « , au motif qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que, postérieurement à l’introduction de la requête, ces données avaient été effacées de ce traitement en application des dispositions citées au point 3, la cour administrative d’appel, qui n’avait pas à rechercher si ces données avaient été transférées vers d’autres traitements, n’a pas méconnu son office ni entaché son arrêt d’erreur de droit.

6. La cour administrative d’appel, alors que le dossier qui lui était soumis comprenait notamment des certificats de scolarité produits par la requérante, n’a pas davantage méconnu son office en prescrivant une mesure d’instruction aux fins de vérifier s’il y avait toujours lieu de statuer sur la requête d’appel, quand bien même aucune partie n’avait conclu au non-lieu à statuer. En faisant application de l’article 5 de l’arrêté du 20 octobre 2008 en vertu duquel la durée maximale de conservation des données dans le traitement en cause n’excède pas le terme de l’année civile au cours de laquelle l’élève n’est plus scolarisé dans le premier degré, sans répondre au moyen inopérant tiré de ce que la modification de cette durée de conservation aurait dû faire l’objet d’une déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la cour administrative d’appel n’a entaché son arrêt ni d’insuffisance de motivation ni d’erreur de droit.

7. Enfin, le prononcé d’un non-lieu alors que la requête est devenue sans objet n’a nullement pour effet de priver le requérant de l’exercice du droit à un recours effectif. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la requête de Mme A., en tant qu’elle tendait à l’opposition au traitement des données personnelles de ses enfants dans la  » Base élèves premier degré « , avait perdu son objet dès lors que ces données avaient été effacées du traitement en cause. Le moyen tiré de ce que l’arrêt attaqué porterait atteinte au droit à exercer un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors, qu’être écarté.

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt en tant qu’il concerne la  » Base nationale identifiant élève  » :

8. En premier lieu, la circonstance que le signataire d’un mémoire en défense tendant seulement au rejet d’un recours pour excès de pouvoir n’aurait pas disposé d’une délégation régulière de signature est sans incidence sur l’issue du litige. Il en résulte que le moyen soulevé par Mme A. devant la cour administrative d’appel, mettant en cause la régularité de la délégation de signature dont était titulaire le signataire des mémoires en défense produits devant le tribunal administratif, était inopérant. Il ne saurait, dès lors, être utilement reproché à la cour d’avoir insuffisamment motivé sa décision en écartant ce moyen. La cour n’a pas davantage entaché son arrêt d’irrégularité en écartant le moyen tiré de ce que la décision du 25 mars 2011 était entachée d’incompétence sans répondre à l’argument tiré de ce que l’inspecteur d’académie, auteur de la décision initiale, n’était pas compétent pour rejeter le recours hiérarchique adressé au recteur d’académie.

9. En deuxième lieu, l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, alors applicable, dispose que :  » Toute décision prise par l’une des autorités administratives mentionnées à l’article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci « . La seule circonstance que la copie d’une décision ne comporte pas la signature de son auteur n’est pas de nature à établir que la décision elle-même n’aurait pas satisfait aux exigences résultant de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000. La cour administrative d’appel n’a, dès lors, pas commis d’erreur de droit en jugeant que la circonstance que la copie de la décision du 24 novembre 2010 ne comportait pas la signature de son auteur était dépourvue d’incidence sur la légalité de la décision.

10. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978, citées au point 2, que le droit qu’elles ouvrent à toute personne physique de s’opposer pour des motifs légitimes à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement est subordonné à l’existence de raisons légitimes tenant de manière prépondérante à sa situation particulière. En relevant, sans se méprendre sur la portée des écritures de la requérante, que, pour faire opposition au traitement des données concernant ses enfants, Mme A. se bornait à invoquer des craintes d’ordre général concernant notamment la sécurité du fonctionnement de la base, sans faire état de considérations qui lui seraient propres ou seraient propres à ses enfants, pour en déduire qu’elle ne justifiait pas de motifs légitimes de nature à justifier cette opposition, en application de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978, la cour administrative d’appel n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A. n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu’une somme soit mise, au titre des frais exposés par Mme A. et non compris dans les dépens, à la charge de l’Etat qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCISION

Article 1er : Le pourvoi de Mme A. est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B. et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Le Conseil : Isabelle Lemesle (rapporteur), Aurélie Bretonneau (rapporteur public)

Avocats : SCP Thouvenin Coudray Grevy

Source : legifrance.gouv.fr

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