Jurisprudence : E-commerce
Cour d’appel de Colmar 1ère chambre civile, section A Arrêt du 24 juin 2008
Brandalley, Vanam / Puma France
concurrence déloyale - dénomination sociale - e-commerce - nom commercial - parasitisme - réseau de distribution sélective - usurpation - vente en ligne
PROCEDURE
Vu la requête présentée le 15 octobre 2007 par la société Puma pour être autorisée à assigner les sociétés France Télécom, Brandalley et Vanam en dehors des audiences ordinaires de référé, et vu l’ordonnance du 16 octobre qui a fait droit à cette requête ;
Vu l’assignation délivrée le 17 octobre 2007 à ces trois sociétés en vue d’obtenir la cessation sous astreinte de la vente de produits Puma, ainsi qu’une provision sur des dommages-intérêts et diverses mesures de publicité ;
Vu l’ordonnance du 8 janvier 2008 du président du tribunal de grande instance de Strasbourg, qui a mis hors de cause la société France Télécom, abusivement mise en cause selon son ordonnance, qui a condamné sous diverses mesures de publicité, et qui a condamné les sociétés Vanam et Brandalley, à payer une provision de 15 000 € à la société Puma, ainsi qu’à fournir l’état de leurs stocks de produits Puma aux dates des 16 janvier et 12 septembre 2007 ;
Vu les conclusions d’appel déposées le 8 avril 2008 par la société Brandalley en vue d’obtenir l’infirmation de l’ordonnance entreprise, aux motifs essentiels que la requête et l’assignation introductive d’instance seraient nulles, comme fondées en substance sur la fausse allégation d’une vente annoncée le 12 décembre 2007, que la compétence en matière de marque appartient à la juridiction civile, que la licéité du réseau de distribution exclusive de la société Puma serait contestable, notamment eu égard à sa part de marché, à son utilité véritable et à son étanchéité, qu’elle justifierait d’un approvisionnement régulier, qu’elle n’aurait pas commis d’acte de parasitisme, et que généralement, les autres griefs, déjà écartés par le premier juge, ne seraient aucunement justifiés ;
Vu ses demandes présentées en suite de cette argumentation, destinées à obtenir le paiement de 140 000 € à titre de dommages-intérêts, ainsi que le remboursement des frais de publication de 17 127 €, ainsi que le règlement de deux compensations sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
Vu les conclusions d’appel déposées par la société Vanam le 6 mai 2007 en vue d’obtenir l’infirmation de l’ordonnance entreprise, pour des motifs généralement identiques à ceux de la société Brandalley, ainsi que pour celui plus spécifique de la justification de son approvisionnement régulier auprès de la société tchèque Prodes ;
Vu ses demandes destinées à obtenir sur la base des motifs précédents la publication de l’arrêt de cette cour, ainsi que la paiement d’une compensation de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
Vu les conclusions déposées le 9 mai 2008 par la société Puma France, en vue d’obtenir la confirmation en principe de l’ordonnance entreprise, sauf à retenir par voie d’appel incident un certain nombre de fondements écartés par le premier juge, et à porter à 100 000 € la provision à valoir sur son préjudice ;
Vu la note déposée en délibéré par la société Brandalley le 20 mai 2008 ;
DISCUSSION
Attendu que la cour estime devoir faire plusieurs observations sur la procédure qui lui est ainsi soumise ;
Attendu que cette procédure n’a pas été marquée au départ par une loyauté particulière, puisque la société Puma France a justifié l’urgence en laissant entendre dans une formulation ambiguë qu’une vente était projetée sur le site internet de la société France Télécom en décembre 2007 ;
Qu’elle se fondait en réalité sur un constat du 12 décembre 2006, et qu’elle a justifié l’allégation d’une vente projetée par une simple confusion ;
Que le premier juge a reconnu le caractère fallacieux et abusif de cette allégation, et a mis hors de cause la société France Télécom en lui allouant des dommages-intérêts ;
Attendu que cette présentation ambiguë avec une erreur affectée dans la requête et dans l’assignation ne peut pas être cependant à l’origine d’une nullité de la procédure introductive d’instance, dans la mesure où l’autorisation d’assigner à jour fixe au fond ou d’heure à heure en référé est une simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours ;
Attendu que la cour confirme par conséquent le rejet des moyens de nullité de l’ordonnance sur requête et de l’assignation subséquente ;
Attendu que la seconde observation faite par cette cour concerne l’assez longue motivation de l’ordonnance entreprise ;
Que si une étude approfondie doit naturellement être approuvée en principe, il reste cependant qu’il y a une contradiction dans la caractérisation d’un trouble manifestement illicite au terme d’une étude d’une dizaine de pages ;
Qu’il n’était pas vraiment nécessaire par ailleurs de statuer expressément sur tous les moyens trop nombreux imaginés par la société Puma France, notamment sur le fondement de la pratique de prix illicites, de l’usurpation du nom commercial Puma, (imaginée pour contourner l’incompétence de la juridiction commerciale en matière de marques), de l’usurpation de la qualité de distributeur agréé, dans la mesure où ceux-ci devenaient surabondants une fois la décision dûment et suffisamment motivée sur la seule atteinte illicite au réseau reconnu comme valide de la société Puma ;
Attendu qu’une troisième observation de cette cour est relative à la masse considérable de documents versés par la société Puma (d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur dans les deux affaires connexes Brandalley et Overstock) ;
Qu’une vérification par sondages montre que certains de ces documents n’ont pas été communiqués, et que l’on pointera par exemple à ce titre trois décisions du Conseil de la concurrence du 5 octobre 2006, du 21 juillet 2006 et du 8 mars 2007, ainsi qu’une décision du 24 janvier 2006 de la Commission de l’Union Européenne, rédigée en langue anglaise ;
Qu’il ne s’agit pas au demeurant de pièces qui ont un véritable intérêt dans le cadre de la présent procédure, et qui ont seulement pour effet ou pour but d’alourdir et de compliquer la lecture du dossier ;
Que de même, de très nombreuses décisions de jurisprudence sont versées, mais que la plupart ne concernent que des contrefaçons de marques ;
Attendu que l’importance du dossier ainsi constitué paraît plutôt révélatrice d’une certaine difficulté à prouver, alors qu’un trouble manifestement illicite est par nature évident ;
Attendu qu’au fond, la société Puma reproche à la société Brandalley trois ventes par le réseau internet, en date des 12 et 13 décembre 2006, du 22 au 26 août 2007, et du 27 septembre 2007 ;
Attendu qu’en ce qui concerne la vente de décembre 2006, cette cour observe comme le premier juge que la société Brandalley a dûment justifié d’une origine non critiquable les marchandises Puma vendues ;
Que celles-ci lui ont été facturées en effet par la société Vanam le 18 décembre 2006, que la société Vanam les avait reçues de la société tchèque Prodes le 6 novembre 2006, et que celle-ci s’était approvisionnée auprès de la société tchèque Puma le 30 octobre 2006 ;
Que même si la facture de 7800 chaussures adressée par la société Prodes à la société Vanam ne mentionne pas expressément qu’il s’agissait d’articles de marque Puma, le rapprochement des éléments précédents permet à cette cour de considérer comme suffisamment établi un approvisionnement auprès de la société tchèque Puma ;
Attendu qu’une partie au moins de l’approvisionnement de la société Brandalley ayant été reconnue régulière, il devenait dès lors plus difficile de suspecter une activité a priori illicite de sa part, et d’interdire automatiquement pour l’avenir toute commercialisation de produits Puma ;
Attendu qu’en ce qui concerne les autres ventes réalisées par la société Brandalley, le problème se pose effectivement de la licéité du réseau de distribution exclusive organisée par la société Puma ;
Attendu que conformément à l’article 2 du règlement 2003 du conseil de l’Union Européenne du 16 décembre 2002, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article 81, paragraphe 3, du traité d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies ;
Attendu que c’est donc à l’entreprise qui a organisé un réseau de distribution exclusive d’établir la licéité de celui-ci au regard des règles européennes de concurrence ;
Que dans la mesure où la validité du réseau est reconnue au regard du droit communautaire, celle-ci ne peut plus être remise en cause par application du droit national conformément à l’article 3 du règlement précité ;
Or attendu que la licéité du réseau de distribution exclusive de la société Puma n’apparaît pas comme manifeste à cette cour, et ce à plusieurs égards ;
Attendu que la part de la société Puma France dans le marché français n’est pas connue, étant rappelé que si elle excède 30%, l’exemption accordée par le règlement européen pour les réseaux de distribution exclusive ne vaut plus ;
Que si la société Puma France est à considérer comme indivisible du groupe Puma en son entier, il apparaît que c’est la part de ce groupe dans le marché européen, où s’appliquent les règles européennes, qui est à prendre en compte ;
Que la part de 4% en 2002 de la société Puma dans le marché mondial n’est pas un élément de référence ;
Attendu que la licéité du réseau de distribution exclusive Puma pose un autre problème au regard de sa fonction, qui doit être d’améliorer la distribution sans occasionner des restrictions qui ne sont pas indispensables et en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte ;
Or attendu que la licéité du réseau Puma apparaît comme problématique au regard de la fonction positive ainsi exigée par le traité de l’Union Européenne ;
Que la société Puma produit elle-même un article du journal « L’Expansion » qui illustre les ambiguïtés de la fonction de son réseau de distribution ;
Que l’on y lit : « Cette campagne illustre à merveille la recette qui fait le succès de Puma. Des fripes pour la touche « vintage », un retour au design des années 80, un marketing de la rareté et des prix élevés… » ;
Qu’ainsi, au résultat des considérations précédemment résumées, il apparaît que le réseau de distribution exclusive de la société Puma pouvait plutôt avoir pour fonction de maintenir les prix à un niveau artificiellement élevé ;
Attendu enfin que la licéité du réseau de distribution exclusive Puma apparaît comme douteuse au regard de sa nécessaire étanchéité ;
Que l’article 4.2 du contrat de distribution sélective, dans sa rédaction de 2005, précisait en effet que Puma se réservait la liquidation des produits des collections des saisons antérieures par des soldeurs professionnels ;
Que la rédaction de 2007 n’a que légèrement modifié cette possibilité pour Puma de solder des invendus ;
Attendu que le réseau de distribution exclusive de Puma n’apparaît donc pas comme manifestement licite à cette cour, et que l’atteinte à celui-ci ne peut donc pas être considérée comme un trouble manifestement illicite ;
Attendu que le parasitisme d’un réseau qui ne serait pas licite pourrait difficilement être considéré comme susceptible de constituer un trouble manifestement illicite, et qu’il y a là encore une contestation sérieuse de ce chef, exclusive selon cette cour de la compétence de la juridiction des référés ;
Attendu que pour le surplus, le premier juge a retenu à juste titre que la présentation sur internet des produits Puma n’avait rien de dévalorisant, et que la société Brandalley n’avait jamais prétendu être distributeur agréé de la société Puma ;
Qu’elle ne s’est pas non plus fait appeler Puma, et qu’il n’y a pas d’usurpation du nom commercial de cette société ;
Qu’il a déjà été dit qu’en réalité, la société Puma recherchait par ce biais la protection de sa marque, laquelle n’était pas de la compétence de la juridiction commerciale ;
Que le moyen d’incompétence n’a cependant aucun intérêt en cause d’appel, dans la mesure où cette cour a plénitude de juridiction ;
Attendu qu’il n’y a pas de prix illicites, et que la société Brandalley a pu utiliser des références moyennes prises dans le commerce ;
Que de toute façon, une éventuelle infraction à la police des prix ne justifierait ni une interdiction de vendre des produits Puma, ni une provision à valoir sur un préjudice non justifié pour cette société ;
Attendu qu’au total, la cour, infirmant l’ordonnance entreprise, rejette la totalité des demandes présentées par la société Puma France ;
Attendu que l’infirmation de l’ordonnance entreprise a pour conséquence la restitution de toutes les sommes payées par les défenderesses au résultat de l’exécution provisoire de celles-ci ;
Que s’il n’est pas justifié en l’état du règlement de la somme de 17 127 € par la société Brandalley, celle-ci conserve cependant la possibilité d’en obtenir de plein droit le remboursement sur justification remise à l’huissier de justice ;
Attendu que les mesures de publication ont causé un préjudice à la société Brandalley, qui doit obtenir une référé une provision de 10 000 € à valoir sur la réparation de celui-ci ;
Attendu que les sociétés Brandalley et Vanam doivent obtenir en outre une compensation de 2000 € chacune sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
Que la cour n’estime pas devoir ordonner la publication de sa décision ;
Qu’il n’y a pas lieu de mettre à la charge de la partie condamnée la part des frais d’exécution légalement affectée au créancier poursuivant ;
DECISION
Par ces motifs, la cour,
. Reçoit les appels joints des sociétés Brandalley et Vanam contre l’ordonnance du 10 janvier 2008 du juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg ;
. Au fond, confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception de nullité de la procédure introductive d’instance ;
. Constate que le moyen d’incompétence de la juridiction commerciale n’a pas d’intérêt en cause d’appel ;
. Réforme l’ordonnance entreprise en toutes ses autres dispositions, et statuant à nouveau, déboute la société Puma France de l’ensemble de ses demandes ;
. Dit que l’infirmation de l’ordonnance entreprise entraîne obligation pour la société Puma de restituer toutes les sommes perçues des sociétés Brandalley et Vanam au résultat de l’exécution provisoire de l’ordonnance entreprise ;
. Condamne la société Puma France à payer à la société Brandalley une provision de 10 000 € à valoir sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’exécution de l’ordonnance infirmée ;
. Condamne la société Puma France à payer aux sociétés Brandalley et Vanam une compensation de 2000 € chacune sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
. Rejette toutes autres demandes plus amples ;
. Condamne la société Puma France aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La cour : M. Hoffbeck (président), MM. Cuenot et Allard (conseillers)
Avocats : SCP Cahn et associés, Me Anne Marie Boucon
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