Jurisprudence : Jurisprudences
Cour d’appel de Montpellier, 3ème Ch. B, arrêt du 22 mars 2017
Monsieur X. / Overblog
anonymisation - données à caractère personnel - forum de discussion - pseudonyme
Au début des années 2010, Monsieur X. participait sous le pseudonyme « N…00 » à des forums de discussion sur le site Overblog.com, géré par la société JFG Networks. Au mois de mai 2010, Monsieur X. était victime d’internautes qui, révélant sa véritable identité, divulguait des informations touchant sa vie privée et propageait des calomnies et des propos malveillants. Il intervenait alors auprès de cette société pour en obtenir la suppression, mais sans succès.
Monsieur X. sollicitait alors du juge des référés du tribunal de grande instance de Béziers l’annulation de ses informations personnelles et une provision à valoir sur la réparation de son préjudice, mais par ordonnance du 08 avril 2011, la juridiction des référés rejetait ses demandes et le condamnait à verser à la société JFG Networks, une somme de 400 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Sur appel de Monsieur X., par arrêt du 15 décembre 2011, la cour d’appel de Montpellier infirmait l’ordonnance entreprise et faisait injonction à société JFG Networks, sous astreinte de 400 € par jour de retard, de supprimer toute mention des nom et prénom de Monsieur X. sur le site internet Overblog.com et la condamnait à verser à l’appelant une somme de 2 200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
En raison de l’existence d’une contestation sérieuse sur les responsabilités éventuellement encourues, la Cour d’appel considérait cependant que seul le juge du fond est en mesure d’apprécier si une faute a été commise par la société JFG Networks, de dire si cette faute est susceptible d’avoir occasionné un préjudice à Monsieur X. et d’en déterminer le montant.
Par acte d’huissier en date du 13 août 2012, Monsieur X. faisait assigner la société JFG Networks, aux droits de laquelle vient la société Overblog, devant le tribunal de grande instance de Béziers pour voir constater l’atteinte à l’intimité de sa vie privée et la voir condamner, au bénéfice de l’exécution provisoire, à lui payer une somme de 11 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 26 mai 2014, cette juridiction déboutait Monsieur X. de ses demandes comme mal fondées, déboutait la société Overblog de sa demande de dommages et intérêts et condamnait Monsieur X. à payer à la société Overblog une somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Suivant déclaration reçue au greffe le 18 juin 2014, Monsieur X. a régulièrement interjeté appel du jugement du 26 mai 2014.
Dans le dernier état de ses conclusions, prises notamment au visa de l’article 9 du code civil et de loi du 06 janvier 1978 modifiée adressées par voie électronique le 23 octobre 2014, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’appelant demande à la cour de :
– infirmer le jugement d’appel,
– constater l’atteinte à l’intimité de la vie privée dont il a été victime et la violation des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée,
– tirer toutes conséquences de l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 15 décembre 2011,
– condamner la société Overblog à lui verser une somme de 11 000 € en réparation de son préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 juin 2010,
– condamner la société Overblog à lui payer une somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
De son côté, la société Overblog, dénommée JFG, demande, aux termes de ses écritures au visa de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, des articles 9 et 1382 du code civil, de la loi du 06 janvier 1978 et de l’article 06 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et adressées par voie électronique le 10 janvier 2017 auxquelles la Cour se reporte pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, de :
– confirmer purement et simplement le jugement dont appel,
– dire et juger qu’elle a la qualité d’hébergeur du blog accessible à l’adresse dont il s’agit,
– dire et juger que tout contenu diffamatoire ou injurieux publié avant le 2 décembre 2010 sur le blog est prescrit,
– dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute dans le cadre du respect des textes précités,
– dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute en considérant que seule l’autorité judiciaire pouvait juger de la nature du contenu rédigé sur le blog,
– dire et juger que Monsieur X. n’est pas fondé à se prévaloir d’une atteinte à la vie privée par la révélation préalable par lui de son patronyme et de sa localité de résidence, d’ores et déjà publiés sur internet par l’intermédiaire de son blog personnel, rendant dès lors à ces informations, un caractère public et non plus privé,
– débouter Monsieur X. de toutes ses demandes,
– reconventionnellement, dire et juger abusive l’action engagée par Monsieur X. et le condamner à lui payer la somme de 3 000 € en réparation de son préjudice,
– condamner Monsieur X. à lui verser une somme de 3 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
– rejeter, en toutes hypothèses, la demande de condamnation au règlement du constat d’huissier établi le 18 mars 2011 à la requête de Monsieur X., ces dépens ayant été acquittés à la suite de la condamnation résultant de l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier en date du 15 décembre 2011.
C’est en cet état des prétentions des parties que la procédure a été clôturée le 18 janvier 2017.
DISCUSSION
La présente Cour a déjà jugé, dans son arrêt du 15 décembre 2011, que les demandes relatives aux articles injurieux ou diffamatoires publiés antérieurement au 2 décembre 2010 ne sont pas prescrites.
En effet, la prescription invoquée de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait s’appliquer en l’espèce, dès lors que la demande de Monsieur X. tendant à la suppression de la mention de ses nom et prénom est fondée sur les dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Il convient de rappeler que la société JFG Networks, aux droits de laquelle vient la société Overblog, était éditrice d’un site ou plate- forme internet dénommé « Over-blog.com », qui met ou mettait à la disposition des internautes, de l’espace disque ainsi que des outils logiciels leur permettant de créer leurs propres blogs, étant précisé qu’un blog consiste en une page internet sur laquelle un particulier publie des informations de son choix sous forme de billets, présentés en général de manière chronologique.
Monsieur X. participait régulièrement à des forums de discussion sur un blog intitulé « unpetitcoucou.over-blog.com » qu’un tiers a créé au moyen de ce service mis à la disposition du public par la société JFG Networks.
Il est constant que le 1er juin 2010, Monsieur X. signalait à la société Networks, qu’alors même qu’il était toujours intervenu sur ce forum de discussion en utilisant un pseudonyme, à savoir « N…00 », un internaute avait révélé son nom, son prénom, sa ville et son adresse e-mail, tout en l’associant à des éléments de sa vie privée.
Le 18 mars 2011, Monsieur X. faisait dresser un constat d’huissier qui établissait que la seule mention de son nom, associé ou non à la ville de Béziers sur le moteur de recherches, renvoyait à des pages internet du site « over-blog », commençant toutes par « un petit coucou ».
Ce constat démontrait surtout qu’à cette date, étaient toujours stockés sur les pages internet « unpetitcoucou.over-blog.com » de très nombreux articles associant le nom et prénom de Monsieur X. au pseudonyme qu’il utilisait et révélant des éléments vrais ou supposés de sa vie privée, notamment ses relations conjugales ou la garde de son enfant, ou encore alléguant, sous forme interrogative, qu’il pourrait faire partie d’un réseau de pédophilie.
La société Overblog n’est pas fondée à soutenir qu’elle n’agirait qu’en qualité d’hébergeur au sens de l’article 6.I.2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique.
Dans son précédent arrêt, la Cour a, en effet, jugé que l’application de cette loi n’est pas exclusive de l’application de celle n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2004.
Dans le cadre de la prestation qu’elle offre à ceux qui utilisent ses services de mise en ligne d’un blog, la société Overblog, venant aux droits de la société JFG Networks, collecte les informations contenues dans les billets, les conserve tout en les organisant à la fois de façon ante-chronologique, c’est-à-dire que les plus récentes sont mises en avant, et de façon à les regrouper ou les agglomérer au fil du temps sur un thème donné, tout en se réservant, ainsi que cela résulte de ses propres « conditions générales d’utilisation » mises aux débats, la faculté d’en suspendre la transmission ou la diffusion, en cas d’abus de la part des utilisateurs.
Le constat d’huissier cité plus haut établit également que la société Overblog, venant aux droits de la société JFG Networks, est amenée à traiter des données à caractère personnel, dès lors que les informations ainsi stockées, organisées et diffusées, sont relatives à une personne physique parfaitement identifiée par ses nom, prénom et lieu de résidence.
Mais il a déjà été décidé par la Cour qu’il pouvait être également enjoint à la société JFG Networks de procéder à ladite suppression en sa seule qualité d’hébergeur, par application des dispositions de la loi du 24 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique.
Il est constant et non contesté que Monsieur X. s’est adressé à diverses reprises à la société JFG Networks en vue d’obtenir la suppression des informations litigieuses avant de l’assigner devant le juge des référés.
Il est tout aussi justifié que ce n’est que le lendemain du prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier que la société Overblog a supprimé les mentions faisant grief à Monsieur X.. La seule comparaison des dates permet donc de constater que les informations permettant d’identifier aisément l’appelant sont restées accessibles aux tiers pendant près de 18 mois.
La révélation à son insu de l’identité véritable de Monsieur X. sur un forum de discussion où sont utilisés des pseudonymes, associée dans les articles litigieux à des éléments vrais ou supposés de sa vie privée et à des allégations à caractère diffamatoire ou injurieux, est de nature à constituer, dès lors que les pages internet en question sont, grâce aux moteurs de recherches, aisément consultables par tous, une atteinte à l’intimité de sa vie privée.
L’atteinte à la vie privée dont Monsieur X. a été victime de la part de la société Overblog est donc manifeste, dès lors que celle-ci disposait d’un « modérateur » pouvant supprimer de manière discrétionnaire les passages litigieux et que les éléments conservés par elle relevaient exactement du champ d’application de l’article 9 du code civil.
En maintenant pendant près de 18 mois sur son site l’indication de son nom patronymique et de son adresse, aisément accessibles à l’ensemble des internautes et permettant ainsi à ceux-ci de proférer à l’encontre de l’appelant, qui lui-même ne pouvait supprimer ces informations, des propos injurieux, malveillants et diffamatoires, la société Overblog a commis une faute et directement causé un préjudice moral à Monsieur X. qu’il convient de réparer par l’allocation d’une somme de 7 500 €.
Il n’y a pas lieu d’assortir cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2010, dès lors que le préjudice porte sur la période considérée de 18 mois environ et qu’il est apprécié par la Cour à la date du présent arrêt.
L’équité commande outre de condamner la société Overblog au paiement d’une somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
DÉCISION
La Cour, statuant hors la présence du public, contradictoirement et après débats en chambre du conseil,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
Condamne la société Overblog, venant aux droits de la société Networks, à payer à Monsieur X., en réparation de son préjudice moral, une somme de sept mille cinq cents euros (7 500 €) à titre de dommages et intérêts,
Condamne la société Overblog, venant aux droits de la société Networks, à payer à Monsieur X., une somme de deux mille cinq cents euros (2 500 €) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Overblog, venant aux droits de la société Networks, aux dépens de première instance et d’appel et autorise Maître Baudard, avocat, à en recouvrer le montant aux conditions et formes de l’article 699 du code de procédure civile, sous réserve des dispositions applicables en matière d’aide juridictionnelle.
La Cour : Sylvie Bonnin (présidente de chambre), Françoise Penavayre (conseiller), Bernard Betous (conseiller), Dominique Ivara (greffier)
Avocats : Me Mélanie Baudard, Me Philippe Desruelles, Me Jean-François Tabet
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