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Jurisprudence : Diffamation

mercredi 27 février 2002
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Cour d’appel de Paris 11ème chambre, section A Arrêt du 27 février 2002

Raphaël et Thierry M., Réseau Voltaire / le Ministère Public, Carl L.

diffamation - prescription

Les faits

La prévention :

Carl L. a fait citer directement devant le tribunal correctionnel Raphaël et Thierry M. et l’association « Réseau Voltaire » pour y répondre, respectivement comme auteurs principaux et comme civilement responsable du délit de diffamation publique envers un particulier, en raison de la diffusion sur le site internet de l’association Réseau Voltaire, d’une « note d’information » faisant état de la carrière de Carl L., et indiquant notamment : « Dévoué fanatiquement à Jean Marie Le Pen, il était partisan de la solution armée au problème Megret » ;

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire,

. a rejeté l’exception tirée de la prescription de l’action publique,

. a déclaré Raphaël et Thierry M. non coupables de diffamation envers particulier (s) par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel, le 09 décembre 1998, à Paris, infraction prévue par les articles 32 al. 1, 23 al. 1, 29 al. 1, 42 de la loi du 29 juillet 1881 et réprimée par l’article 32 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881,

et les a relaxés des fins de la poursuite,

a débouté la partie civile de ses demandes,

. a mis hors de cause l’association Réseau Voltaire, civilement responsable,

. a rejeté la demande formée par les prévenus sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Me Wallerand de Saint Hust d’Autingues, conseil de M. Carl L., partie civile, le 18 décembre 2000,

M. le Procureur de la République, le 18 décembre 2000 contre Mes Raphaël et Thierry M.

La discussion

Décision rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme

La cour reçoit les appels formés le 18 décembre 2000 par le Ministère Public et par Carl L., partie civile, contre le jugement rendu contradictoirement le 6 décembre 2000 par le tribunal de grande instance de Paris (17ème chambre).

Au fond

Carl L., partie civile, a fait constater par huissier, le 13 juin 2000, la présence sur le site internet de l’association Réseau Voltaire, dont Thierry M. est le président, d’une notice biographique le concernant, se terminant par la mention :

« Le 9 décembre 1998, il est nommé par Jean Marie Le Pen à la tête de la délégation générale en remplacement de Bruno Megret. Dévoué fanatiquement à Jean Marie Le Pen, il était partisan de la solution armée au problème Megret ».

Estimant que cette dernière phrase lui imputait d’être partisan des méthodes les plus violentes, puisqu’il lui était attribué de vouloir utiliser les armes contre M. Megret et ses amis, et donc de vouloir les blesser ou les tuer, Carl L. a fait citer directement devant la juridiction correctionnelle Raphaël et Thierry M. en qualité d’auteurs, et l’association Réseau Voltaire, en qualité de civilement responsable, pour y répondre du délit de diffamation publique envers un particulier.

Les premiers juges, comme il est ci-dessus rappelé, ont rejeté l’exception de prescription soulevée par la défense et ont relaxé les prévenus au motif que l’assertion querellée ne comportait l’imputation d’aucun fait précis.

Devant la cour

Le conseil de Raphaël et Thierry M. reprend in limine litis l’exception tirée de la prescription. Il fait valoir que le texte comportant le passage incriminé relatif à la biographie de Carl L. et à ses engagements politiques a été publié dans une « note d’information du Réseau Voltaire » datée du 24 juin 1999, diffusée auprès de ses adhérents à cette date, et dont, selon elle, le plaignant a eu connaissance en temps utile. Il en déduit que la prescription trimestrielle de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 était acquise au 25 septembre 1999 et que les citations délivrées les 3 et 20 juillet 2000 sont tardives. Pour lui, la mise du message sur le site internet, à l’identique, ne constituait pas un nouvel acte de publication de l’article litigieux mais un archivage dans son service de « bibliothèque électronique » pour le mettre gracieusement à la disposition du public, comme le font certains journaux. Il conteste l’analyse du tribunal qui a considéré que la publication d’un texte diffamatoire sur un site internet était constitutive d’une infraction successive pour laquelle la prescription commence à courir du jour où l’infraction a cessé. S’appuyant sur la jurisprudence la plus récente en la matière, il considère que l’infraction reprochée reste une infraction instantanée dont la prescription part du jour de la mise du texte sur le site internet. Il fait en conséquence valoir que, même s’il était considéré que la mise sur le site constitue un nouvel acte de publication, celui-ci étant intervenu le 10 septembre 1999, comme il en justifie, la prescription était acquise au 11 décembre 1999, soit antérieurement aux poursuites engagées par la partie civile.

M. l’avocat général estime que l’action engagée par Carl L. est prescrite. Il demande à la cour de statuer sur l’incident par arrêt séparé du fond.

Le conseil de la partie civile critique la jurisprudence récente, l’estimant imprécise, et soutient que l’analyse proposée par l’intimé conduit à interdire, sur internet, la notion de nouvelle publication. Pour lui, la mise à disposition du message sur un site internet correspond à celle d’émission en continue, la volonté réitérée de maintien ayant pour effet de reporter le point de départ de la prescription. Par ailleurs, il considère qu’en l’absence de dépôt légal, il appartient à son adversaire de faire preuve de la date à laquelle le message a été installé sur le site et que, en l’espèce, la preuve de la date alléguée n’est pas rapportée, le document produit n’étant pas probant. Il considère, en conséquence, que la prescription alléguée n’est pas démontrée.

Sur ce, la cour

Il résulte de la procédure et il n’est pas contesté par les parties qu’une notice biographique concernant Carl L. a été placée sur le site internet de l’association Réseau Voltaire. Sa présence y a été constatée le 13 juin 2000 par un procès-verbal de la SCP Cohen et Susini, huissiers de justice associés. Estimant que certains passages contenaient des imputations portant atteinte à son honneur et à sa considération, Carl L. a fait citer directement Raphaël et Thierry M. devant la juridiction correctionnelle par actes des 3 et 20 juillet 2000.

Des documents produits par les intimés, il apparaît que la notice querellée est une reprise d’une dépêche 99/0204 du 24 juin 1999 dite « Note d’information du Réseau Voltaire » adressée aux adhérents sur support papier.

Il appartient à Raphaël et Thierry M. qui sollicitent le bénéfice de la courte prescription prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, de justifier de la date de publication de l’écrit reproché.

Contrairement à ce que soutiennent les mis en cause, la mise en ligne du texte ne s’analyse pas en une opération d’archivage dans une bibliothèque mais en une nouvelle publication, même si le texte n’a subi aucune modification. En choisissant de placer le texte sur ce nouveau support, les prévenus ne se bornent pas à effectuer une opération de stockage en vue d’une consultation éventuelle, ils suscitent l’occasion pour un nouveau public élargi, qui ne se limite pas à ses adhérents, de prendre connaissance de leur écrit, grâce aux possibilités d’accessibilité offertes par l’internet.

La thèse selon laquelle le point de départ de la prescription de l’action publique serait celui de la diffusion initiale aux adhérents, le 24 juin 1999, ne saurait en conséquence être retenue.

Les mis en cause soutiennent, subsidiairement, que la mise sur le site internet du Réseau Voltaire a été réalisée le 10 septembre 1999. A l’appui de leur affirmation, ils produisent le CD-rom contenant l’ensemble des données informatiques du site et un tirage écran de l’extrait concernant l’affaire en cause. Il en résulte que la notice querellée concernant Carl L., référencée 99.0204.htm a été installée le vendredi 10 septembre 1999 à 22h02 minutes 20 secondes. Le caractère probant des éléments contraires et le scepticisme de la partie civile sur la pertinence des documents produits n’est nullement étayé.

La date du 10 septembre 1999 sera, en conséquence, retenue comme étant celle du premier acte de publication du texte querellé.

La partie civile combat l’exception de prescription soulevée par les mis en cause en approuvant le jugement déféré qui, soulignant le caractère ininterrompu de la publication, a estimé qu’elle était susceptible de revêtir le caractère d’une infraction successive, le point de départ de sa prescription se situant au jour où l’activité délictueuse a cessé. Il en déduit qu’à la date du constat la prescription n’était pas acquise.

La cour observe que la loi du 29 juillet 1881 sur la presse est applicable aux publications réalisées sur le réseau internet. Malgré l’originalité et la modernité de ce nouveau support, et notamment en dépit du fait que l’apparition subreptice d’un nouveau texte dans le foisonnement des publications, et en l’absence de dépôt légal, rend particulièrement difficile la connaissance des textes nouveaux par les personnes mises en cause, il n’apparaît pas qu’il doive être réservé aux publications sur le réseau internet un régime dérogatoire de celui fixé pour les publications réalisées sur d’autres supports.

Il convient donc de retenir que, lorsque des poursuites pour diffamations publiques sont engagées à raison de la diffusion sur le réseau internet d’un message figurant sur un site, le point de départ de la prescription de l’action publique prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication et que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs de réseau ;

La première publication ayant été effectuée le 10 septembre 1999 et le premier acte de poursuite étant la citation du 3 juillet 2000 délivrée à la requête de la partie civile, il y a lieu de constater que la prescription de 3 mois était acquise au moment de la poursuite.

La cour constate que l’action publique est donc éteinte, par application de l’article 6 du code de procédure pénale.

La partie civile sera en conséquence déboutée de l’ensemble de ses demandes.

Il n’apparaît pas, compte tenu des circonstances, et notamment des incertitudes procédurales inhérentes à l’apparition du nouveau support que constitue l’internet, que les poursuites engagées par la partie civile aient présenté un caractère fautif. La demande formée par les intimés sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale sera en conséquence rejetée.

La décision
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de Raphaël et Thierry M., contradictoirement par application de l’article 415 du code de procédure pénale à l’égard de l’association Réseau Voltaire, civilement responsable, contradictoirement par application de l’article 424 du code de procédure pénale à l’égard de Carl L., partie civile, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

. Reçoit les appels de Carl L. et du Ministère Public ;

. Statuant sur le seul incident de prescription ;

. Vu l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;

. Vu l’article 6 du code de procédure pénale ;

. Constate que l’action publique engagée contre Raphaël et Thierry M. est prescrite ;

. Déboute Carl L., partie civile, de l’ensemble de ses demandes ;

. Déboute Raphaël et Thierry M., et l’association Réseau Voltaire de leur demande formée sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale.

La cour : M. Deletang (conseiller faisant fonction de président désigné par ordonnance de M. le Premier Président), Mme Portier et M. Laylavoix (conseillers)

Ministère public : M. Bartoli, avocat général

Avocats : Me Borghini, Me de Saint Just Wallerand

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