Jurisprudence : Diffamation
Cour d’appel de Paris 11ème chambre, section B Arrêt du 11 mai 2006
Cegid / Alain B., Philippe M.
courrier électronique - diffamation - forum de discussion - identification - liberté d'expression - salarié
FAITS
Le 8 février 2001, la société Cegid, spécialisée dans le développement et la commercialisation de progiciels de gestion, a pris connaissance de mails échangés sur un espace de discussion intitulé « Forum non officiel Cegid », contenant à son sens des propos diffamatoires ou injurieux à son encontre.
Elle a, le 30 mars 2001, déposé une plainte avec constitution de partie civile contre X auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris. L’instruction a permis d’identifier Alain B., Philippe M. et Stéphane L. comme étant les auteurs des messages incriminés.
Par ordonnance du 10 octobre 2003, le juge d’instruction a constaté l’extinction de l’action publique par l’effet de la loi d’amnistie du 6 août 2002.
Par actes du 16 octobre 2003, la société Cegid a fait assigner Alain B., Philippe M. et Stéphane L. devant le tribunal de grande instance de Paris sur le fondement des articles 23, 29 alinéas 1 et 2, 32 alinéa 1er et 33 de la loi sur la presse ;
Par jugement en date du 8 novembre 2004, le tribunal a rejeté la demande tirée de la prescription de l’action, a débouté la société Cegid de ses demandes dirigées contre Alain B. et Philippe M., a condamné Stéphane L. à payer à la société Cegid la somme d’un euro à titre de dommages-intérêts et a condamné la société Cegid à payer à la somme de 1500 € en application de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux dépens ;
PROCEDURE
Vu l’appel de cette décision interjeté à l’encontre d’Alain B. et de Philippe M. par la société Cegid ;
Vu les conclusions par lesquelles la société Cegid demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’exception de prescription soulevé par les défendeurs, de l’infirmer en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes formées à l’encontre de Alain B. et de Philippe M., de dire qu’Alain B. et Philippe M. l’ont diffamée, de les condamner chacun à verser à la société Cegid la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts, d’ordonner la publication d’un communiqué dans un quotidien régional au choix de la société Cegid, et de condamner Alain B. et Philippe M. à lui payer la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux dépens ;
Vu les conclusions déposées par Alain B. et Philippe M., intimés, qui concluent à titre principal à la prescription de l’action en diffamation de la société Cegid, subsidiairement au rejet des demandes de la société Cegid et à la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux dépens ;
DISCUSSION
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :
Considérant que les défendeurs reprennent devant la cour la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action au motif que celle-ci a été introduite après l’acquisition de la courte prescription alors que les faits dénoncés dans la plainte avec constitution de partie civile avaient été amnistiés de plein droit dès la promulgation de la loi d’amnistie du 6 août 2002 ;
Considérant que l’amnistie en raison de la nature de l’infraction suppose, lorsqu’elle intervient en cours de procédure qu’elle soit constatée par le juge saisi qui doit s’assurer de l’application effective de la loi d’amnistie aux faits dénoncés ; que tel a été en l’espèce le cas par l’ordonnance rendue le 10 octobre 2003 par le juge d’instruction ; que la courte prescription de l’article 65 de la loi sur la presse n’était dès lors pas acquise à la date de l’assignation ; que le jugement entrepris sera confirmé sur le rejet de l’exception de prescription ;
Sur le fond :
Sur les propos reprochés à Philippe M. :
Considérant que la société Cegid fait grief à Philippe M. d’avoir tenu les propos suivants :
« Cher Monsieur Fantomas,
C’est avec une curiosité tout à fait dénuée d’a priori que j’ai parcouru votre missive. Vous prenez le temps de faire mention d’un fait bien étrange qui vint, j’en conçois déroute intellectuelle qui en résulte, me titiller les boyaux de la tête. Comment se fait-ce ? Mais qu’a-t-il donc eu ? Ce menteur essai de nous acculer ? Derechef, je pris ma calculette et [me] mis à l’ouvrage. Quelle ne fut pas ma surprise, ô mathématiques, de voir, sans jamais avoir fait 200%, qu’ils m’ont mis profond de plus de 3000 francs […] » ;
Considérant que le passage en cause, dont Philippe M. ne conteste pas être l’auteur, impute à la société Cegid des erreurs de calcul de primes ; que toutefois, comme l’on retenu les premiers juges, ces propos ne font pas état de ce que les erreurs dénoncées seraient volontaires ; qu’il ne résulte pas par ailleurs du passage incriminé que la société Cegid était précisément visée par le terme « menteur » ;
Que le passage concerné ne présente donc pas de caractère diffamatoire à l’encontre de la société Cegid ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Sur les propos reprochés à Alain B. :
Considérant que sont ici poursuivis deux passages :
« Non c’est pas vrai, tu as raison, je n’ai même pas pensé à tout ça. Effectivement on perd de l’argent (discours officiel MC) et ces derniers font du ski aux frais de la princesse. Abus de biens sociaux ??? » ;
« Les chefs de projet…quoi ces merdes qui ne réalisent Que des formations comptables. A gerber, comme Cegid les pousse au dessus de nous ; les pauvres, ils y croient (…) ;
Considérant que le premier passage impute à des responsables de la société Cegid des faits d’abus de biens sociaux ; que, la société Cegid n’étant toutefois pas visée en tant que telle, c’est à bon droit que le tribunal a estimé que la demanderesse n’était pas fondée à invoquer des faits de diffamation à son encontre ;
Que, dans le second passage, Alain B. met en cause la formation des chefs de projet de la société Cegid ; que ces propos ne contiennent cependant aucune imputation attentatoire à l’honneur ou à la considération ni de la société Cegid, dont un employé peut critiquer, y compris en termes vifs comme en l’espèce, la politique de gestion des ressources humaines, ni les chefs de projet eux-mêmes que le passage ne permet pas en tout état de cause d’identifier ;
Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la société Cegid de ses demandes ;
Considérant que l’appel de la société Cegid a entraîné pour les défendeurs des frais irrépétibles qu’il est inéquitable de laisser à leur charge ; que la société Cegid sera condamnée à payer, en application de l’article 700 du ncpc en cause d’appel, à Philippe M. la somme de 1000 € et à Alain B. la somme de 1000 € ;
Que la société Cegid sera condamnée aux dépens ;
DECISION
La cour statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré,
. Reçoit l’appel de la société Cegid,
Statuant dans la limite de l’appel formé par la société Cegid à l’encontre d’Alain B. et Philippe M.,
. Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
. Condamne la société Cegid à payer, en application de l’article 700 du ncpc en cause d’appel, à Philippe M. la somme de 1000 € et à Alain B. la somme de 1000 €,
. Condamne la société Cegid aux dépens.
La cour : M. Castel (président), Mme Portier et M. Birolleau (conseillers)
Avocats : Me Anne Cousin, Me Duhail, Me Kaufman.
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