Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Paris 18ème chambre C Arrêt du 30 novembre 2006
Emas / Christine C.-K.
droit d'auteur
La cour, statuant sur le contredit formé par la société Editions Mondadori Axel Springer – Emas – d’un jugement rendu le 7 février 2006 par le Conseil de Prud’hommes de Paris, qui s’est déclaré compétent ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 2 novembre 2006 de la société Emas, qui demande à la Cour d’infirmer le jugement entrepris et de :
A titre reconventionnel,
– condamner Christine C.-K. au versement de la somme de 20 000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
En tout état de cause,
– condamner Christine C.-K. au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 2 novembre 2006 de Christine C.-K., qui demande à la Cour de :
– déclarer Emas irrecevable en son déclinatoire de compétence
– la débouter de ses demandes
– confirmer le jugement entrepris
– condamner la société Emas au paiement de la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu’aux dépens ;
DISCUSSION
La société Emas édite un magazine hebdomadaire intitulé Auto Plus comprenant une rubrique juridique pour laquelle elle fait appel à un avocat.
De juin 1996 à décembre 2003, Christine C.-K. a été cet avocat.
Christine C.-K. a saisi le Conseil de Prud’hommes qui a “dit que l’activité exercée par [cette dernière] était bien une activité relevant du statut de salarié“, et s’est déclaré compétent pour connaître du litige opposant les parties.
Sur l’irrecevabilité de l’exception d’incompétence
Christine C.-K. soutient que les dispositions de l’article 75 du Nouveau Code de Procédure Civile interdisent une désignation principale accompagnée d’une désignation subsidiaire, sous réserve du cas où une option légale de compétence l’autoriserait, et que si plusieurs juridictions sont désignées, en vertu de l’incertitude du demandeur, l’exception d’incompétence est irrecevable.
La société Emas réplique que c’est devant le Conseil de Prud’hommes qu’il aurait fallu soutenir cette position qui devient sans intérêt pratique, dès lors que le Conseil de Prud’hommes s’est déclaré compétent, et fait valoir que c’est à la Cour qu’il appartient, sur le fondement de l’article 86 du Nouveau Code de Procédure Civile, de renvoyer le litige à la juridiction qu’elle estime compétente sans que le demandeur au contredit n’ait à lui indiquer la juridiction qu’il estimerait compétente.
Selon l’article 75 du Nouveau Code de Procédure Civile, s’il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.
La société Emas dans ses conclusions d’incompétence “ratione materiae” soumises aux premiers juges, a soulevé l’incompétence du Conseil de Prud’hommes saisi par Christine C.-K. et sollicité le renvoi de cette dernière devant le Bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, s’agissant selon elle d’une contestation concernant le montant et les recouvrements d’honoraires.
Le Conseil de Prud’hommes ayant retenu sa compétence, la société Emas a formé un contredit.
Or, aux termes de l’article 82 du Nouveau Code de Procédure Civile, le contredit doit, à peine d’irrecevabilité, être motivé et remis au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision sous quinze jours de celle-ci, seules conditions auxquelles il doit satisfaire.
Il n’est pas contesté que ces conditions ont bien été remplies et que par conséquent le contredit formé par la société Emas est recevable, étant relevé en tout état de cause que cette dernière ne forme pas une demande principale de renvoi devant le bâtonnier et une demande subsidiaire devant le Tribunal de Grande Instance mais distingue la compétence selon la nature des demandes.
Sur le contredit
La société Emas fait grief au Conseil de Prud’hommes de s’être déclaré compétent aux motifs que :
– Christine C.-K. ne peut pas revendiquer le statut de journaliste professionnel et donc ne peut être salariée
– elle ne cotise pas au régime général de la sécurité sociale et bénéficie par conséquent d’une présomption de non-salariat
– elle ne peut être salariée, statut incompatible avec les textes et règles essentielles de la profession d’avocat
– le litige, lorsqu’il porte sur une demande d’augmentation d’honoraires, est de la compétence de Monsieur le Bâtonnier de Paris et, lorsqu’il porte sur les droits d’auteur relève du Tribunal de Grande Instance ce que sait Christine C.-K. puisque deux instances sont pendantes devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Christine C.-K. fait valoir que c’est à la juridiction prud’homale qu’il incombe de restituer sa véritable qualification au contrat ayant existé entre les parties.
Elle expose avoir fourni de manière régulière des articles parus sous sa signature et accompagnés de sa photographie, qu’elle rédigeait seule ou en collaboration avec d’autres journalistes, avoir reçu des instructions concernant le thème, le contenu le nombre de signes et de lignes de ses articles, les délais à respecter.
Elle revendique par conséquent la qualité de pigiste.
Christine C.-K. soutient enfin :
– que si l’avocat, selon les articles 111 et 115 du décret 91-117 du 27 novembre 1991, ne peut exercer deux professions à la fois, il peut selon elle avoir d’autres activités, à condition qu’elles ne soient pas commerciales,
– que tel était son cas, puisqu’elle a toujours exercé sa profession d’avocat, à l’exclusion de toute autre, s’adonnant, de manière annexe, à l’activité de rédactions d’articles de presse de manière régulière.
Selon l’article 511-1 du Code du Travail, les Conseils de Prud’hommes règlent par voie de conciliation, les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce même code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
Ils jugent les différends à l’égard desquels la conciliation n’a pas abouti.
Aux termes de l’article 111, du titre III relatif à l’exercice de la profession d’avocats, chapitre premier intitulé “Incompatibilités”, du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, “la profession d’avocat est incompatible :
a) avec toutes les activités de caractère commercial qu‘elles soient exercées directement ou par personne interposées
b) avec les fonctions d’associé dans une société en nom collectif d’associé commandité dans les sociétés en commandite simple et par actions, de gérant dans une société à responsabilité limitée, de président du conseil d’administration, membre du directoire ou directeur général d’une société anonyme, de gérant d’une société civile à moins que celles-ci n‘aient, sous le contrôle de l’ordre qui peut demander tous renseignements nécessaires, pour objet la gestion d’intérêts familiaux ou professionnels”.
Par ailleurs, l’article 115 de ce même décret prévoit :
“La profession d’avocat est incompatible avec l‘exercice de toute autre profession, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires particulières.
La profession d’avocat est compatible avec les fonctions d’enseignement, les fonctions de collaborateur de député ou d’assistant de sénateur, les fonctions de suppléants de juge d’instance, de membre assesseur des tribunaux pour enfants ou des tribunaux paritaires de baux ruraux, de conseiller prud’homme ; de membre des tribunaux des affaires de sécurité sociale, ainsi qu‘avec celle d’arbitre, de médiateur, de conciliateur ou de séquestre “.
Enfin selon l’article 761-2 du Code du Travail, le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession d’une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques or dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Vainement, au regard de l’ensemble de ces dispositions, Christine C.-K. soutient n’avoir eu qu’une simple activité de journaliste pigiste en sus de sa profession d’avocat.
En effet, si Christine C.-K. rédigeait ainsi qu’elle l’allègue, des articles de presse pour le journal Autoplus, édité par la société Emas, elle avait nécessairement la qualité de journaliste professionnel au sens de l’article 761-2 du Code du Travail.
Or, la profession d’avocat est incompatible avec l’exercice de toute autre profession, aucune dérogation n’étant envisagée pour celle de journaliste.
Il en résulte qu’aucun contrat de travail n’a pu exister entre Christine C.-K. et la société Emas, et que le Conseil de Prud’hommes s’est par conséquent, à tort, déclaré compétent pour connaître du litige opposant les parties, lequel relève de la compétence du Tribunal de Grande Instance de Paris.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
DECISION
Par ces motifs,
. Déclare recevable le contredit formé par la société Emas
. Accueille ce contredit
. Dit que la juridiction prud’homale n’est pas compétente pour connaître du présent litige
. Renvoie l’affaire devant le Tribunal de Grande Instance de Paris
. Dit que le dossier de la Cour sera transmis au Tribunal de Grande Instance par le greffier
. Laisse les frais du contredit à la charge de Christine C.-K.
La cour : Mme Catherine Taillandier (présidente), Mmes Catherine Métadieu et Catherine Bézio (conseillères)
Avocats : Me Aline Jacquet-Duval, Me Marie Hélène Poisson-Harduin
Voir décision de Cour de cassation
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