Jurisprudence : Responsabilité
Cour d’appel de Paris 5ème chambre, section B Arrêt du 3 octobre 2002
Iso Informatique / Sarl CCE Couleur Communication Ecriture
contrat - résiliation - responsabilité
Les faits et prétentions
La cour statue sur l’appel interjeté par la société Iso Informatique contre le jugement rendu le 18 janvier 2000 par le tribunal de commerce de Créteil, qui a dit résiliée, à ses torts exclusifs, la convention de coopération conclue le 23 septembre 1997 avec la société Couleur Communication Ecriture, l’a déboutée de ses demandes d’arbitrage et d’expertise, condamnée à payer à la société Couleur Communication Ecriture la somme de 328 651 F ou son équivalent en euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 10 mars 1999, ce, avec exécution provisoire, ainsi que celle de 8000 F, ou son équivalent en euros, en application de l’article 700 du ncpc et a mis les dépens à sa charge, déboutant la société Couleur Communication Ecriture du surplus de ses demandes.
Les sociétés Iso Informatique et Couleur Communication Ecriture (C.C.E.), toutes deux spécialisées dans l’étude et la conception de programmes informatiques, ont décidé de développer en commun un module de compression d’images « T 44 » et, dans cette perspective, ont conclu, par acte des 23 et 24 septembre 1997, un « accord de coopération » ayant pour objet l’établissement des dossiers destinés à l’obtention d’une aide à l’innovation de l’Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar), l’établissement d’une offre à France Télécom, et la commercialisation des « produits issus du contrat ».
Une aide a été accordée par l’Anvar, par contrats conclus avec la société Couleur Communication Ecriture d’une part, la société Iso Informatique, d’autre part. La société Iso Informatique ayant découvert en cours d’exécution du contrat qu’une technique concurrente « Déjà Vu », lancée sur le marché par la firme ATT, permettait d’atteindre l’essentiel des résultats qu’elle attendait du développement du codage d’images T 44, a, par lettre du 1er décembre 1998, notifié à la société Couleur Communication Ecriture, qu’elle avait décidé de se retirer du projet commun et en avait informé l’Anvar.
Par acte du 10 mars 1999, la société Couleur Communication Ecriture a assigné la société Iso Informatique en réparation du préjudice causé par la rupture, unilatérale et selon elle abusive, de l’accord de partenariat.
Appelante de la décision qui a accueilli dans son principe la demande de la société Couleur Communication Ecriture, la société Iso Informatique prie la cour, par ses dernières écritures signifiées le 25 septembre 2001 et à nouveau le 20 décembre 2001 et le 9 janvier 2002,
à titre principal :
– d’annuler, comme dépourvu de cause et d’objet, l’accord de coopération du 23 septembre 1997,
– en tant que de besoin entendre, en application des articles 204 et suivants du ncpc, les responsables de l’Anvar pour Paris et pour la région Provence Alpes Côte d’Azur, ou encore désigner un expert ayant mission de donner son avis sur les incidences des techniques développées par ATT, Xerox et d’autres sur la poursuite du programme de recherche et de développement objet de la convention de coopération,
Subsidiairement :
– dire que le chapitre 5 de la convention de coopération ne peut recevoir application ou constater que la société Couleur Communication Ecriture n’a pas loyalement exécuté ses obligations et faire, en conséquence, application des dispositions de l’article 1184 du code civil ou, plus subsidiairement encore, constater que la société Couleur Communication Ecriture ne justifie d’aucun préjudice,
– débouter la société Couleur Communication Ecriture de l’ensemble de ses demandes,
– condamner ladite société à lui payer 3048,98 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, ainsi que la même somme au titre de l’article 700 du ncpc.
L’appelante soutient pour l’essentiel :
– que le développement et la mise sur le marché, par plusieurs grands groupes industriels, du produit défini dans la convention de coopération prive celle-ci de son objet, consistant dans le développement d’un produit innovant présentant un intérêt économique certain, et a rendu sans cause les obligations réciproques des parties,
– que les dispositions du chapitre 5, relatif à la résiliation, sont sans application en l’espèce, supposant la commercialisation des produits issus de la coopération des deux sociétés, les seules conséquences possibles de la défaillance de l’une des parties dans le déroulement du contrat avec l’Anvar étant prévues par l’article 2.2. de l’accord de coopération,
– que la société Couleur Communication Ecriture, qui a remplacé l’ingénieur chargé du projet par un ingénieur débutant et s’est bornée à établir le compte rendu d’une page et demie transmis à l’Anvar, ne justifie pas d’un travail sérieux.
Aux termes de ses dernières écritures, signifiées le 21 décembre 2000, et à nouveau le 19 avril 2001, la société Couleur Communication Ecriture, intimée, conclut à la confirmation de la décision attaquée en ce qu’elle a dit la convention résiliée aux torts exclusifs de la société Iso Informatique mais, par voie de réformation, à la condamnation de cette société à lui payer 328 651 F au titre des pertes subies et 425 654 F au titre du gain manqué, sauf à parfaire, ainsi que 50 000 F en vertu de l’article 700 du ncpc.
La discussion
Considérant que la mise sur le marché du procédé « Déjà Vu », qui est à l’origine de la décision de la société Iso Informatique de renoncer au projet commun de développement d’un module T 44, est intervenue postérieurement à la signature de l’accord de coopération conclu entre la société Iso Informatique et la société Couleur Communication Ecriture ; que ce procédé, si son apparition était de nature à remettre en cause l’intérêt commercial du projet T 44 pour la société Iso Informatique, compte tenu de ce que sa clientèle privilégiée appartenait au domaine de la Ged, selon l’article 3.1. de l’accord, n’était cependant pas identique au produit que les parties entendaient développer en commun, lequel conservait pour la société Couleur Communication Ecriture, plus spécialisée dans le marché télématique, un intérêt commercial non contesté par la société Iso Informatique, qui reconnaissait dans son courrier du 1er décembre 1997 : « Nous sommes conscients que cette décision perturbe vos développements actuels compte tenu de vos objectifs commerciaux relatifs au marché des télécommunications. Il est compréhensible que ce marché nécessite l’application d’une norme telle que T 44, alors que le besoin essentiel de la Ged réside dans le taux de compression d’images composites, objectif très largement tenu par « Déjà Vu » par rapport aux méthodes actuelles (Ipeg, Jbig, T6 …) » ;
Qu’au moment où l’accord de coopération a été signé, le module « T 44 » revêtait bien un caractère innovant, ce dont témoigne l’octroi par l’Anvar d’une aide à l’innovation, dont une partie a été versée ; que la mise sur le marché de la technique « Déjà Vu » ne lui a d’ailleurs pas ôté ce caractère innovant mais a seulement créé une concurrence que la société Iso Informatique dans son domaine propre, a estimé difficile, voire vain de soutenir eu égard aux investissements nécessaires ;
Que les parties n’ont pas prévu que l’apparition sur le marché, en cours de développement du produit commun T 44, d’un produit concurrent ou partiellement concurrent, entraînerait la caducité ou la résolution de l’accord de coopération en le privant de son objet ; que les contrats conclus avec l’Anvar ne contenaient pas davantage une telle clause, qui ne peut être regardée comme sous entendue alors que l’aide à l’innovation, qui constituait l’un des objets de l’accord, a été obtenu dans son principe, que la recherche scientifique et technique doit s’adapter constamment aux progrès, nullement imprévisible dans le principe, qui se font jour et que rien ne démontre en l’espèce qu’il eut été impossible aux parties de tenir compte des progrès apportés par la technique « Déjà Vu », ou d’autres procédés, pour développer un produit doté de propriétés et de performances telles que ses perspectives de commercialisation demeurent intéressantes ;
Considérant qu’il suit de là que la société Iso Informatique n’est pas fondée à soutenir que, du fait de la découverte du procédé « Déjà Vu », l’accord commercial conclu avec la société Couleur Communication Ecriture s’est trouvé privé d’objet et les obligations réciproques des parties de cause, de sorte que ledit accord serait nul ; que l’audition de responsables de l’Anvar comme l’expertise, mesures d’instructions sollicitées à titre subsidiaire, n’apparaissent pas utiles ;
Considérant que la société Iso Informatique, dont la décision de rupture reposait explicitement sur la seule appréciation de l’opportunité, au regard de ses besoins et de ses intérêts, de poursuivre le développement du projet commune nonobstant la mise sur le marché de la méthode « Déja Vu », ne démontre pas que sa cocontractante aurait manqué à ses obligations, alors que le projet se déroulait comme prévu, et que la première fraction de l’aide de l’Anvar avait été versée après exécution de la phase I, marquée par l’envoi à l’Anvar du « rapport de fin de phase I », dont rien n’indique qu’il aurait été insuffisant, peu important le nombre de pages qu’il comportait, dès lors que l’Anvar n’a fait aucune observation à son sujet ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Iso Informatique, les parties n’ont pas convenu de limiter les conséquences ou la sanction de la résiliation unilatérale par l’une des parties, avant la phase de commercialisation, à ce qui est dit à l’article 2.2. « Défaillance » et il n’y a pas lieu d’écarter l’application de l’article 5 « Résiliation », lequel prévoit, sans distinguer selon la phase de l’exécution du contrat où l’on se trouve, que, « Dans le cas ou l’une ou l’autre des parties ne respecterait pas les obligations contractuelles qui lui incombent en vertu du présent contrat, celui-ci serait résilié de plein droit si la partie défaillante n’apportait pas de remède à son manquement dans un délai de trente jours à compter de la date d’émission de la notification que lui en ferait l’autre partie par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
La résiliation conventionnelle du présent contrat ne préjudicierait pas à l’obtention en justice de tous dommages-intérêts auxquels pourrait prétendre la partie subissant un préjudice du fait de l’inexécution, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles. » ; qu’au demeurant cette disposition contractuelle ne déroge pas au droit commun ; que, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 11 décembre 1998, que la société Iso Informatique ne conteste pas avoir reçue, la société Couleur Communication Ecriture a mis cette société en demeure, en visant l’article 5 du contrat, de reprendre dans un délai de 30 jours les travaux prévus audit contrat, alors que la société Couleur Communication Ecriture avait déjà indiqué à sa cocontractante, par courrier du 4 décembre 1998, qu’elle souhaitait mener à son terme le développement du produit initialement prévu ; que, par lettre recommandée du 7 janvier 1999, la société Couleur Communication Ecriture avait demandé réparation du préjudice causé par la rupture du contrat, en distinguant deux hypothèses, dont l’une supposait la cession par la société Iso Informatique de toutes les sources nécessaires, ce qui n’a pas eu lieu ;
Considérant que, le contrat étant valide et la société Iso Informatique ne prouvant ni inexécution ni aucune autre faute contractuelle à la charge de la société Couleur Communication Ecriture, c’est avec raison que le tribunal a estimé que la société Iso Informatique avait commis une faute en rompant unilatéralement l’accord de coopération et qu’elle devait en réparer les conséquences dommageables ;
Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice de la société Couleur Communication Ecriture tenant aux frais exposés en pure perte du fait de l’abandon par la société Iso Informatique du projet commun ;
Considérant qu’a, au contraire, été écarté à tort la demande de dommages-intérêts de la société Couleur Communication Ecriture au titre du manque à gagner, alors que la société Couleur Communication Ecriture a incontestablement été privée d’une chance de commercialiser le produit qu’elle devait développer en commun avec la société Iso Informatique et d’en retirer un profit ; que, compte tenu de l’état d’avancement du projet, arrêté à la fin de la première phase et de l’incertitude importante qui existait nécessairement quant à l’issue des travaux engagés, à la place du produit à venir vis à vis de produits concurrents et à ses perspectives de commercialisation, la perte de chance subie par la société Couleur Communication Ecriture peut être évaluée à 18 000 € ;
Considérant que l’action engagée par la société Couleur Communication Ecriture, reconnue fondée dans son principe, ne peut être regardée comme abusive et vexatoire ; que la société appelante ne peut donc qu’être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef ;
Considérant que la société Iso Informatique, qui succombe, devra supporter les dépens d’appel, ce qui entraîne le rejet de sa demande fondée sur l’article 700 du ncpc ; qu’il est équitable, en application de ce texte, de la condamner à payer à l’intimée 2200 € au titre des frais irrépétibles d’appel ;
La décision
. Confirme le jugement attaqué, sauf en ce qu’il a rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts formée par la société Couleur Communication Ecriture relativement au manque à gagner,
Réformant et statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
. Condamne la société Iso Informatique à payer à la société Couleur Communication Ecriture :
– 18 000 € à titre de dommages-intérêts pour le manque à gagner,
– 2200 € en application de l’article 700 du ncpc au titre des frais irrépétibles d’appel,
. Déboute la société Iso Informatique de ses demandes,
. La condamne aux dépens d’appel.
La cour : M. Main (président), Mme Pezard (présidente de chambre), M. Faucher (conseiller)
Avocats : SCP D’Auriac-Guizard, Me Teytaud
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