Jurisprudence : E-commerce
Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 5-7 Arrêt du 23 février 2010
Expedia, Sncf et autres
abus - accord - concurrence - entente - marché - position dominante - restriction - site internet - transport - vente
FAITS
La S.N.C.F., opérateur ferroviaire français “historique”, a créé des filiales pour exercer des activités connexes ou complémentaires à ses missions principales. C’est par l’intermédiaire de la holding S.N.CF. Participations qu’elle détient l’essentiel de ses filiales et sous-filiales.
A partir de 1997, la S.N.C.F. a commencé à être présente sur internet, au moyen du site accessible par le nom de domaine
Au cours de l’été 2000 la S.N.C.F. a créé :
– la société GL e-commerce, qui deviendra VFE-commerce, pour développer l’activité du groupe dans le domaine du commerce électronique,
– et la société Voyages-sncf.com (ci-après VSC), filiale de la précédente pour développer la réservation et la vente de billets de train sur internet.
Le nom de domaine internet « www.voyages-sncf.com» a été enregistré en mai 2000, la marque «voyages-sncf.com » étant quant à elle déposée par la S.N.C.F. auprès de I’Inpi en date du 11 juin 2001.
Le site
Concomitamment, en septembre 2001, la S.N.C.F. a conclu des accords pour développer une activité de vente de voyages en ligne avec la société Expedia Inc., société ayant son siège aux Etats-Unis (à l’origine filiale de Microsoft) numéro un mondial dans ce secteur.
Une filiale commune a été créée à cet effet, détenue à 53% par GL e-commerce et à 47% par Expedia, dénommée GL Expedia.
Dans le cadre de plusieurs contrats entre les sociétés du groupe S.N.C.F. et les sociétés du groupe Expedia (partenariat entre VSC et GL Expedia, licence de marques, fournitures de service, etc…), le site
En 2004 le groupe Expedia a lancé le site
La vente en ligne a rapidement représenté une part importante des ventes de billets de train assurées pour le compte de la S.N.C.F. à travers ses gares, boutiques, bornes libre-service, téléphone, minitel et internet. Ainsi en 2006 les ventes directes ont représenté 5 290 millions d’€ dont 24% par internet.
Il existe deux autres canaux de vente des billets S.N.C.F.
– la vente par les voyagistes qui intègrent les billets de train dans leurs voyages à forfait (21 millions d’€ en 2006),
– la vente par l’intermédiaire des agences de voyages, titulaires d’un contrat d’agrément, et percevant des commissions (en 2006 : 1 187 millions d’€ dont 85 millions d’€ par les agences de voyages en ligne).
PROCÉDURE
Dès le 5 août 2002, les sociétés Karavel et Promovacances.com, qui exploitent elles aussi des services d’agences de voyages sur internet, ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques jugées par elles anticoncurrentielles mises en œuvre par la S.N.C.F. et par la société Voyages-sncf.com sur le marché français de la vente de voyages en ligne.
Le 25 juin 2004, la société Lastminute a également saisi le Conseil de la concurrence de pratiques reprochées à la S.N.C.F., à la société Expedia Inc. et à leur filiale commune GL-Expedia (devenue L’Agence VSC) dans le domaine de la vente de prestations de voyages en ligne, avec une demande de mesures conservatoires qui a été rejetée par décision du 4 novembre 2004.
Par courrier en date du 31 mai 2005, le Rapporteur général du Conseil de la concurrence a demandé à la Direction Générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de procéder à une enquête dans le secteur de la commercialisation en ligne de prestations de voyage.
Le rapport d’enquête de la DGCCRF a été transmis au Conseil de la concurrence le 24 août 2006.
Puis le 4 avril 2007, la société Switch a saisi à son tour le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles reprochées aux sociétés GL e-Commerce, Voyages sncf.com, GL-Expedia, Expedia Inc. et S.N.C.F. sur le marché des agences de voyages sur internet.
Ces différentes saisines ont été jointes dans la même instruction.
Le 18 janvier 2008 le rapporteur désigné par le Conseil de la concurrence a notifié six griefs :
– A l’encontre de la SNCF, GL e-commerce (devenu VFE Commerce) et Expedia Inc., un grief d’entente verticale consistant en un accord de distribution exclusive accordant des avantages au groupe Expedia au détriment de ses concurrents depuis 2001.
– A l’encontre de la SNCF et ses filiales, les sociétés GL e-commerce (devenue VFE-Commerce), Voyages-sncf.com et GL Expedia (devenue L’Agence VSC), il est retenu cinq griefs d’abus de position dominante :
1. Un grief d’abus de position dominante consistant à ériger artificiellement des barrières à l’entrée sur le marché de la vente de billets de train en imposant l’interface Ravel et d’autant plus à un prix particulièrement élevé aux agences de voyage en ligne pour avoir accès à la facilité essentielle Résarail [principal système informatisé de réservation de la S.N.C.F. auquel les agences de voyage doivent se connecter pour vendre des billets de train : c’est l’objet de la licence Ravel commercialisée auprès des agences de voyages par une filiale de la S.N.C.F.] ;
2. Un grief d’abus de position dominante résultant d’une pratique discriminatoire s’agissant des conditions fixées par la SNCF pour la commercialisation de ses titres de transport sur le marché du transport des voyageurs par voie ferroviaire tant en ce qui concerne l’octroi de tarifs particuliers (dits RIT) que dans le fonctionnement de la licence Réservation des Agences de Voyages en Ligne (dite Ravel) depuis 2001 ;
3. Un grief d’abus de position dominante résultant d’une pratique discriminatoire provenant des commissions versées par la SNCF pour la distribution du train ;
4. Un grief d’abus de position dominante résultant d’une pratique discriminatoire provenant de la distribution mise en place pour certains produits « train » que sont les ODM (Offres de dernière minute) et iDTGV depuis 2003 ; ce grief est également notifié à la société iDTGV ;
5. Un grief d’abus de position dominante résultant de l’absence d’accessibilité pour les opérateurs autres que Voyages-sncf.com à la fonctionnalité d’impression du billet imprimé depuis 2003 ;
pratiques susceptibles de constituer des violations des articles L 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et des articles 81 et 82 du Traité CE, des abus de position dominante et une entente, commis sur tout le territoire national par un opérateur national et étant présumés affecter sensiblement le commerce intracommunautaire.
En cours d’instruction, la S.N.C.F. et ses filiales ont décidé de ne pas contester les griefs tout en formulant des engagements, sollicitant en conséquence l’application des dispositions du § III de l’article L. 464-2 du code de commerce, ce qui a été concrétisé par un procès-verbal du 1er août 2008. Au cours des débats devant le Conseil la S.N.C.F. a élargi ses engagements.
C’est dans ces conditions que le Conseil de la concurrence a rendu la décision n°09-D-06 du 5 février 2009, avec le dispositif suivant :
Article 1er : La pratique discriminatoire de la SNCF par l’octroi des tarifs RIT n’est pas établie.
Article 2 : Il est établi que la SNCF et la société Expedia Inc. ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce et de l’article 81 du traité CE.
Article 3 : Il est établi que la SNCF a enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et de l’article 82 du traité CE.
Article 4 : Il est pris acte des engagements souscrits par la SNCF tels qu’ils sont présentés et analysés dans la présente décision. Il est enjoint à la SNCF de s’y conformer en tous points et de rendre compte de leur exécution au Conseil puis à l’Autorité de la concurrence.
Article 5 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
– à la SNCF : 5 millions d’€ ;
– à la société Expedia Inc. : 500 000 €.
Il ressort de cette décision :
– que les griefs n’ont pas été imputés aux filiales de la S.N.C.F. le Conseil de la concurrence ayant pris considération le fait qu’elles étaient totalement contrôlées,
– que le grief d’entente a été retenu contre la S.N.C.F. et contre la société Expedia Inc.,
– que quatre griefs sur cinq, constituant des abus de position dominante ont été retenus contre la S.N.C.F.
– que la sanction de la S.N.C.F. a été appréciée au regard des dispositions du § III de l’article L. 464-2 du code de commerce et dés engagements souscrits par elle.
La société Expedia Inc. et la société Karavel ont formé des recours contre la décision du 5 février 2009,
La S.N.C.F. et ses filiales d’une part, la société Lastminute d’autre part, se sont jointes à l’instance pour préserver leurs droits
DISCUSSION
[…]
Considérant qu’à titre liminaire, il convient de constater qu’à l’audience de la cour les sociétés Karavel, S.N.C.F. et filiales, et Expedia ont renoncé à contester la recevabilité des mémoires échangés les 9 et 14 décembre 2009 en dehors du cadre fixé par ordonnance du délégué du premier président de la cour ;
Qu’il n’existe donc plus de difficultés sur ce plan ; que la cour statuera au vu de l’ensemble des mémoires soumis au débat contradictoire ;
Sur le contexte factuel
Sur les accords entre le groupe S.N.C.F et la société Expedia
Considérant que les points 22 à 29 de la décision du Conseil rappellent exactement le contexte de la mise en place du partenariat entre le groupe S.N.C.F. et la société Expedia et les différents contrats conclus, ayant pour objet de créer une filiale commune d’agence de voyages en ligne, de transformer le site “voyages-sncf.com” pour y intégrer des offres de produits de voyage autres que ferroviaires, de mettre en commun des moyens matériels et immatériels, de créer des synergies commerciales etc… ; qu’il est ainsi démontré que le projet industriel commun évoqué dans le pacte d’actionnaires de 2001 impliquait que la filiale commune puisse profiter du passage des usagers d’internet intéressés par les produits ferroviaires sur le site de vente de billets en ligne de la S.N.C.F. “voyages-sncf.com” prenant la suite du site “sncf.com” ; que les différents contrats de partenariat, de licences de marque et nom de domaine, de prestations de service, signés le 3 septembre 2001 confirment que tout concourait à réserver à la filiale agence de voyages, les avantages découlant de sa présence sur ce site ; que par exemple la S.N.C.F., via sa filiale la société GL e-commerce qui détient VSC, s’engageait à effectuer sa commercialisation directe en ligne de billets de train au détail exclusivement sur ce site ; que la modification des accords en 2004 a permis à la société Expedia de créer une autre agence de voyages en ligne mais n’a pas mis fin à cet engagement d’exclusivité de la part du groupe S.N.C.F ; que dans la pacte de 2004 comme dans celui de 2001 on retrouve la clause :
“GL e-commerce s’engage à réaliser la Distribution en Ligne au détail des billets de train et des produits “Train 4-Produit “, pour son compte, pour le marché français, exclusivement via I’URL” voyages-sncf.com” […] tant que les Parties demeureront associées” ;
Considérant que dans les §30 à 33 le Conseil a ensuite décrit les conditions dans lesquelles les personnes ayant réservé ou acheté des billets de train sur le site ont été destinataires de courriels publicitaires (“newsletters”) leur proposant des produits ferroviaires et non ferroviaires ; que les parties n’ont pas contredit cet exposé ;
Sur les marchés
Considérant que devant la cour les parties n’ont pas non plus contesté l’existence de trois marchés différents concernés par l’activité du groupe S.N.C.F. et du groupe Expedia et définis par le Conseil de la concurrence dans les § 87 à 120, de sa décision ;
Considérant que la cour, reprenant à son compte les motifs pertinents du Conseil de la concurrence, retiendra donc trois marchés susceptibles d’être concernés par les pratiques en cause :
– le marché français du transport ferroviaire de voyageurs, sur lequel la S.N.C.F. bénéficiait encore d’un monopole légal complet (§ 122),
– le marché français des services d’agence de voyage “prestés” [terme d’origine belge équivalent à “fournis”] pour les voyages de loisir, sans distinguer entre les agences “virtuelles” (présentes sur internet) et les agences “traditionnelles” (en boutiques ) en retenant qu’elles sont sur le même marché du point de vue de l’offre, marché qui correspond à l’activité du site internet “voyages-sncf.com” et sur lequel la société Expedia est présente également à travers l’exploitation de deux autres sites internet, “expedia.fr” et “anyway.com” (§ 134 et 144),
– le marché français des services de distribution de billets de train, qualifié de marché connexe à celui du transport ferroviaire de voyageurs, sur lequel la SNCF est le seul demandeur, en situation de monopsone, et les agences de voyages sont les offreurs (§ 145) ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a également retenu à juste titre par des motifs que la cour adopte (§ 152) que les pratiques mises en œuvre par la SNCF, est ses filiales ainsi que par la société Expedia couvrent l’ensemble du territoire français et sont susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre Etats-membres ;
Considérant que dans le cadre factuel ainsi rappelé, le Conseil de la concurrence, en dehors des abus de position dominante imputés seulement à la SNCF, a estimé que le partenariat conclu entre la S.N.C.F. et la société Expedia, créant L’Agence VSC, constituait une entente contraire aux articles 81 du traité CE et L.420-1 du code de commerce, ayant pour objet et pour effet de favoriser la filiale commune sur le marché des services d’agence de voyages (secteur des voyages de loisir) au détriment des concurrents ; qu’il a retenu en substance que l’Agence VSC et, à travers elle, la société Expedia Inc. ont bénéficié d’avantages – qui leur ont été réservés liés au partage du site marchand de la SNCF et, notamment, du trafic généré par l’achat de billets de train, de l’envoi de “newsletters” communes, du partage inégalitaire des revenus publicitaires et du bénéfice de la marque contenant la mention « SNCF », et ce en violation des règles de concurrence, les autres agences en ligne ne pouvant pas accéder à ce canal, ni aux avantages qui en découlent pour vendre leurs propres produits ;
Sur le recours de la société Expedia
Considérant que la société Expedia Inc., qui à la différence de la S.N.C.F. n’a pas demandé le bénéfice de la non contestation des griefs, a présenté plusieurs moyens au soutien de sa demande d’annulation de la décision du Conseil de la concurrence ;
Sur la régularité de la décision au regard de la notification de griefs
Considérant que la société Expedia, sanctionnée uniquement au titre d’une entente anticoncurrentielle avec la SNCF, reproche au Conseil de s’être fondé sur des griefs non contenus dans la notification de griefs, et de ce fait d’avoir méconnu les garanties fondamentales de la procédure et en particulier le principe de la contradiction ; qu’elle estime que cela doit conduire la cour à annuler les articles 2 et 5 de la décision, peu important que les pratiques retenues aient été dénoncées au stade du rapport et que les parties s’en soient expliquées à ce stade tardif ;
Considérant que le respect des principes fondamentaux de la procédure, inscrits dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et rappelés à l’article L.463-1 du code de commerce, impose que la notification des griefs visée par l’article L463-2 du même code informe précisément les entreprises poursuivies des pratiques reprochées ; qu’ainsi elle doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, fussent-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par l’autorité de concurrence et de se défendre ; que le Conseil ne saurait, en l’absence d’une notification de griefs complémentaire, sanctionner une pratique qui n’a pas été visée dans la notification des griefs, même si elle a été dénoncée ensuite dans le rapport et que les parties s’en sont expliquées devant lui ; qu’à l’inverse le principe de la contradiction et les droits de la défense sont respectés lorsque la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans les notifications de griefs et ne retient que des faits sur lesquels ils ont eu l’occasion de s’expliquer ;
Considérant qu’en l’espèce, la société Expedia soutient qu’ont été retenues contre elle deux pratiques non contenues dans la notification de griefs, à savoir :
1° l’utilisation du site voyages-sncf.com pour faire profiter L’Agence VSC du passage de la clientèle de la S.N.C.F,
2° le fait même de la mise à disposition de la marque voyages-sncf.com et de l’image de marque de la SN.C.F. y associée ;
Considérant que le grief unique notifié à la société Expedia est résumé au terme d’un document de 75 pages, comme constitutif d’une “entente verticale consistant en un accord de distribution exclusive accordant des avantages au groupe Expedia au détriment de ses concurrents depuis 2001″ ;
Que le corps de la notification de griefs (spécialement pages 54 à 59) apporte des précisions sur la matérialité de l’entente reprochée, d’abord en rappelant les différents accords de partenariat conclus entre les deux entreprises, puis en énumérant certains avantages spécifiques qui en découlent pour la filiale commune au détriment de la concurrence ;
Que ce document évoque ensuite la modification des accords en 2004 pour permettre à la société Expedia de créer un autre site d’agence de voyages en ligne, mais laissant néanmoins subsister les avantages consentis par la S.N.C.F., comme ceux résultant de ce que la filiale de la SNCF, la société GL e-commerce, a conservé la distribution exclusive des billets de train en ligne pour le compte de la S.N.C.F. et s’est engagée « à réaliser la distribution en ligne au détail des billets de train (…) pour son compte pour le marché français exclusivement via voyages-sncf.com (…) tant que les parties demeureront associées » ;
Qu’enfin en page 74 de la notification de griefs il est reproché aux accords conclus entre la S.N.C.F. et la société Expedia de constituer une pratique prohibée par l’article L420-1 du code de commerce comme ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel ;
Qu’il ressort clairement de la lecture de la notification de griefs que le grief d’entente repose sur les contrats conclus entre les sociétés du groupe SNCF et la société Expedia et que les pratiques spécialement dénoncées font partie de ce cadre contractuel ; qu’il ne peut pas en être fait abstraction pour apprécier si le Conseil s’est fondé sur des éléments non contenus dans la notification de griefs, comme tente de le faire la société Expedia en analysant isolément les uns des autres les avantages critiqués par la notification de griefs ;
Considérant qu’ainsi sur le premier point, et contrairement à ce qu’affirme la société Expedia, dès la notification de griefs il était bien fait le reproche aux sociétés S.N.C.F., et Expedia de s’être entendues, au travers de leurs accords et des comportements dénoncés, pour faire profiter la société GL Expedia, ensuite dénommée L’Agence VSC, du passage de la clientèle de la S.N.C.F. sur le site internet commun ; qu’en effet sont bien rappelées les clauses des contrats prévoyant la mise en commun de la base de clientèle de la société VSC au profit des sociétés du groupe Expedia que de plus par exemple en page 58 de la notification de griefs, il est soutenu qu’ “il y a bien eu une politique commune d’envoi d’une newsletter sans distinction des produits ferroviaires ou non, et utilisation par la société GL Expedia du fichier clients de la SNCF ce qui a confère au groupe Expedia un avantage par rapport à ses concurrents ;
Que les newsletters communes, la mise à disposition de la société GL Expedia de la base de clientèle de la société VSC, l’engagement maintenu de la société GL e-commerce de passer exclusivement par le site “voyages-sncf.com » pour ses ventes directes au détail des billets de trains, ne sont que différentes composantes du même avantage découlant de la réunion sur le même site des activités de la société VSC et de la filiale commune ;
Que s’agissant du second point, relatif à la mise à disposition de la marque voyages-sncf.com et de l’image de marque de la SNCF y associée, peu importe que le Conseil de la concurrence, à la suite du rapporteur, ait retenu au titre des pratiques reprochées la mise à disposition et non plus sa gratuité, puisque ce faisant le Conseil n’a pas reproché aux deux sociétés en cause des infractions nouvelles, et n’a pas retenu des faits autres que ceux sur lesquels elles se sont expliquées ;
Que la formulation des pratiques considérées comme anticoncurrentielles figurant dans la décision du Conseil de la concurrence d’une façon légèrement différente de celle de la notification de griefs est le résultat du débat contradictoire ouvert par celle-ci, que cette formulation n’a pas modifié le champ des pratiques dénoncées par la notification de griefs et ne constitue pas une nouvelle accusation dans la mesure ou elle s’appuie sur des stipulations contractuelles et des comportements déjà visés ;
Que par conséquent l’atteinte aux droits de la défense alléguée n’est pas établie ; que la demande d’annulation de la décision du Conseil de ce chef est mal fondée ;
Sur la demande d’annulation fondée sur le caractère minime des conséquences des pratiques reprochées
Considérant que la société Expedia reproche ensuite au Conseil de la concurrence d’avoir écarté le caractère minime de la pratique d’entente alléguée et cela au prix d’une surestimation des parts de marché de L’Agence VSC sur le marché des services d’agences de voyages de loisirs que selon elle le Conseil n’aurait pas du retenir la part de marché réalisée au moyen de l’ensemble du site “voyages-sncf.com” mais distinguer la part de chacun des deux operateurs y intervenant d’une part la société VSC avec la vente de billets SNCF (80% du volume d’affaires réalisé par le biais du site) et d’autre part L’Agence VSC qui seule offre des prestations d’agence de voyages, qu’elle demande à la cour de constater que le Conseil a méconnu les dispositions de l’article L 464-2 § 1 et de l’article L 464-64 du code de commerce et qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre, qu’elle sollicite en conséquence l’annulation de la sanction ;
Que pour répondre à l‘Autorité de la concurrence qui invoque le caractère facultatif de l’option de ne pas poursuivre les pratiques mineures, la société Expedia ajoute dans son mémoire en réplique que le Conseil de la concurrence, qui a appliqué en l’espèce l’article 81 du Traite CE, devait nécessairement, en vertu du Règlement 1/2003 appliquer la règle de minimis dès lors que les seuils visés dans la Communication de la Commission européenne du 22 décembre 2001 concernant les accords d’importance mineure (JOCE du 22/12/2001 n°C 368), identiques à ceux de l’article L 464-6-1, n’étaient pas atteints, qu’elle soutient que “en deçà de ces seuils, les accords critiques ne pouvaient pas en vertu de la Communication de minimas, avoir pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 81 §1 du Traité, en l’absence de restriction sensible de la concurrence“ et que “l’application du droit français ne pouvait dès lors pas entraîner l’interdiction de tels accords” (mémoire en réplique page 33) ;
Considérant que l’article L.4646-1 du code de commerce dans sa version en vigueur au jour de la Décision critiquée disposait :
“Le Conseil de la concurrence peut également décider […] qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure lorsque les pratiques mentionnées à l’article L420-1 ne visent pas des contrats passés en application du code des marchés publics et que la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l’accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas […]
a) 10% sur l’un des marchés affectés par l’accord ou la pratique lorsqu’il s’agit d’un accord ou d’une pratique entre des entreprises ou des organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l’un des marchés en cause [….]” ;
Que l’emploi du verbe “peut” montrer que la décision de ne pas poursuivre prise en application de l’article L.464-6-1 du code de commerce, lorsque la part de marché cumulée détenue par les entreprises partie à l’accord ne dépasse pas un certain seuil, n’est qu’une faculté pour l’Autorité de la concurrence, et auparavant le Conseil de la concurrence, qui peut décider de poursuivre même si les critères permettant une exemption sont réunis ;
Considérant que cet article L.464-6-1 a introduit dans le code de commerce les mêmes seuils et critères que ceux figurant à l’article 7 de la Communication du 22 décembre 2001 précitée et à défaut desquels la Commission “considère que les accords entre entreprises qui affectent le commerce entre Etats membres ne restreignent pas sensiblement la concurrence au sens de l’article 81 § 1 du Traité” ; que la Commission s’est engagée à ne pas poursuivre de tels accords, tout en précisant que sa communication “est dépourvue de force contraignante à l’égard des juridictions et autorités des Etats membres” (article 4), lesquels demeurent donc libres de poursuivre même des pratiques se situant en deçà des seuils figurant dans la communication ;
Considérant que, contrairement à ce que tente de faire croire la société Expedia, si l’article 3.2 du Règlement 1/2003 dispose que “L’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords […] qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats-membres mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l‘article 81 § 1 du traité”, cela n’interdit pas aux autorités nationales de la concurrence de poursuivre des pratiques ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 81 § 1 du Traité et de L.420-1 du code de commerce, quand bien même les entreprises auteurs de ces pratiques rempliraient les critères susceptibles d’autoriser une exemption de poursuite en application de l’article L.464-6-1 du code de commerce ;
Qu’en l’espèce le Conseil de la concurrence était donc libre de poursuivre des pratiques reprochées à deux opérateurs puissants et ayant perduré plusieurs années, sans avoir à se justifier par rapport aux parts de marchés détenues par les entreprises parties à l’accord ;
Que par conséquent et sans qu’il y a lieu de rechercher comment doit être calculée la part de marché à prendre en considération, le moyen de nullité tiré de la non application de la règle de minimis doit être rejeté ;
Que la demande subsidiaire de la société Expedia tendant à une diminution de la sanction fondée sur la faible part de marché de L’Agence VSC relève de l’appréciation du montant de la sanction en application des dispositions de l’article L.464-2 § 1, ce qui sera examiné ultérieurement ;
Sur le grief d’entente
Considérant que le Conseil de la concurrence dans la décision contestée rappelle à juste titre que la décision de la S.N.C.F., à travers ses filiales et même une entreprise tierce, de devenir agence de voyages ne pose pas en soi de problème de concurrence, mais que ce sont les conditions dans lesquelles le partenariat a été conçu et mis en œuvre qui peuvent soulever des questions de compatibilité avec les règles de la concurrence, d’autant plus qu’en l’espèce d’une part il s’agit de deux opérateurs puissants : la SNCF en raison de son monopole sur le marché du transport de voyageurs par rail et la société Expedia comme leader mondial de la vente de voyages par internet, que d’autre part le partenariat avait pour but de réunir au sein du même site web une activité émergente d’agence de voyages et le canal de distribution de billets de train sur internet du titulaire du monopole ferroviaire (§ 164 à 177) ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a ensuite exactement décrit dans les § 178 à 214 tous les avantages retirés par L’Agence VSC du partenariat avec le groupe S.N.C.F., à commencer par la vitrine constituée par le site internet partagé, permettant à l’agence de voyages d’être visible aux millions de visiteurs du site venus pour acheter “du train” ;
Que le Conseil a énuméré certains avantages spécifiques découlant des accords, qui peuvent être résumés comme suit :
* le partage de fichiers : entre novembre 2001 et fin 2004, une adresse électronique était recueillie à chaque achat ou réservation de billet de train et servait à l’envoi de courriels publicitaires (appelés « newsletters ») tant pour la vente de “train” que pour la vente de produits de voyage (hôtel, voiture, séjours…). En décembre 2004 les envois mensuels se chiffraient à 3 464 000 millions.
A partir des nouvelles dispositions sur la publicité par internet (loi n°2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance clans l’économie numérique), il a fallu l’accord préalable du destinataire pour recevoir des offres sur d’autres produits que ceux achetés ; les courriels offrant des produits d’agence de voyage seuls ont été réduits à 78 000 envois mensuels et pour des produits mixtes à 1 million ;
* le partage inégalitaire des revenus de la publicité sur le site “voyages-sncf.com” :
le contrat de partenariat a prévu 35% pour la société VSC et 65% pour GL Expedia devenue L’Agence VSC, ce qui même après imputation des coûts supportés par le groupe Expedia a assuré jusqu’à fin 2005 à la filiale commune une part prépondérante des revenus publicitaires alors que l’essentiel du trafic du site concernait la société VSC ;
* la mise à disposition de la marque “voyages-sncf.com” :
même s’il ne s’agissait pas d’un avantage gratuit comme le laissait penser le contrat de licence et de nom de domaine, parce la gratuité de l’octroi de la licence était compensée par la fourniture d’autres prestations de la part la société Expedia (comme la mise à jour du “Système”), cette mise à disposition a fait profiter la filiale commune de l’image de marque positive de la S.N.C.F., dès lors que le site “voyages-sncf.com” se présente comme l’agence de voyages en ligne de la S.N.C.F. ;
Considérant que la société Expedia ne conteste pas la matérialité des faits mais soutient que son partenariat avec la S.N.C.F. concrétisé par le site “voyages-sncf.com” ne constitue pas un accord de distribution exclusive anticoncurrentiel et conteste le grief d’entente, reprochant essentiellement au Conseil de la concurrence d’avoir procédé par affirmations sans démontrer à aucun moment en quoi les prétendus avantages octroyés à L’Agence VSC à partir du monopole ferroviaire de la S.N.C.F. auraient perturbé la concurrence sur le marché des services d’agence de voyages de loisir ;
Considérant que plus précisément en premier lieu, s’agissant de la présence de L’Agence VSC sur le site web “voyages-sncf.com”, à laquelle sont liés les avantages spécifiques relatifs aux envois publicitaires et aux bénéfices retirés de la publicité sur le site, la société Expedia reproche au Conseil de la concurrence de ne pas avoir démontré “en quoi l’accès aux clients en ligne de la S.N.C.F. serait indispensable pour permettre aux agences de voyages d’accéder au marché des services d’agence de voyage” ;
Que cependant ce moyen est inopérant ; qu’en effet pour caractériser l’avantage anticoncurrentiel, il n’est point besoin que “l’hébergement sur le site “voyages-sncf.com” constitue un canal incontournable pour accéder aux clients en ligne de la S.N.C.F.”, comme énoncé au § 180 de la décision ; qu’il suffit que ce soit un canal privilégié, auquel les concurrents n’ont pas accès, ce qui est incontestablement le cas, du fait de l’engagement d’exclusivité pris par la S.N.C.F. au bénéfice de la société Expedia ;
Considérant qu’en deuxième lieu la société Expedia soutient qu’à défaut de connexité entre le marché du transport ferroviaire de voyageurs et le marché des services d’agence de voyage de loisirs, l’accès de L’Agence VSC au site de vente en ligne de billets de train de la S.N.C.F. n’a pas pu avoir d’effet sensible sur la concurrence dans le marché des services d’agences de voyages de loisir ; que la société Expedia précise expressément qu’elle ne conteste pas l’existence d’une connexité entre le marché de la distribution de billets de train et celui des services d’agence de voyage de loisirs mais seulement la connexité entre ce dernier et le marché du transport ferroviaire de voyageurs ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a en effet affirmé l’existence d’une connexité entre le marché du transport ferroviaire, monopole légal de la S.N.C.F. et le marché concurrentiel des services d’agence de voyages de loisir sur lequel agit la filiale commune (§ 181) ; que cependant la connexité en question n’est pas une condition nécessaire à la démonstration du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées comme constitutives, ainsi que déjà dit, d’une “entente verticale consistant en un accord de distribution exclusive accordant des avantages au groupe Expedia au détriment de ses concurrents depuis 2001” ;
Que néanmoins et au surplus il s’avère qu’implicitement la société Expedia ne conteste pas la connexité évidente entre le marché du transport ferroviaire et celui de la distribution de billets, qui est susceptible d’être affecté par la situation de monopole de la S.N.C.F. sur le rail ; que le marché des voyages, connexe à celui de la distribution de billets de train est donc également susceptible d’en être affecté par ricochet ; qu’ainsi et concrètement les personnes qui veulent prendre le train en France sont obligées de recourir à la S.N.C.F., que comme le reconnaît la société Expedia elle-même, elles passent majoritairement par le canal de distribution directe, qu’enfin parmi elles, il y a de fortes chances de trouver des personnes intéressées par les voyages, y compris à l’étranger, et constituant dès lors des clients potentiels pour une agence de voyages de loisir ; que cela suffit à constituer des liens entre les trois marchés, rendant possible des interactions entre eux ;
Considérant enfin qu’il est établi que la société Expedia cherchait à profiter de la clientèle “train” de la S.N.C.F., comme le prouvent notamment les déclarations rapportées au § 184 de la décision :
“M. Alex B., président de la société Expedia France, lors de son audition du 28 mai 2008, a répondu à la question « Quel est le but du partage du site voyages-sncf.com avec VSC ? » de la façon suivante : « Pour profiter du passage de la clientèle et lui proposer plusieurs produits quelqu’un qui vient acheter du train peut ainsi également acheter une chambre d’hôtel ou un séjour »“ ;
Que c’est bien la reconnaissance, non pas à proprement parler d’un détournement, ni d’un transfert de clientèle, mais de l’effet escompté de “l’exposition” de la nouvelle agence au regard des visiteurs du site commercial de la S.N.C.F., dont la très grande majorité arrive pour acheter un voyage ferroviaire donc constitue la clientèle de la S.N.C.F., et par conséquent la reconnaissance par la société Expedia d’un lien entre les différents marchés, et du fait que les accords lui fournissaient vis-à-vis de cette clientèle une voie d’accès dont les autres agences de voyages étaient privées ;
Considérant qu’en troisième lieu la société Expedia fait valoir que la croissance de L’Agence VSC n’a pas été plus forte que celle des autres agences en ligne, alors qu’elle a déployé des moyens marketing équivalents à ceux des concurrents, ce qui contredirait les affirmations du Conseil de la concurrence sur les effets anticoncurrentiels des accords ;
Considérant qu’au contraire le chiffre considérable des visiteurs du site “voyagessncf.com” (§ 135 : 9 millions de visiteurs uniques en moyenne par mois en 2006), celui très important également (ayant atteint 3 millions par mois en octobre 2004) des envois de courriels publicitaires rapportés dans les § 189 à 201 de la décision, ainsi que le pourcentage sensible des ventes de produits non ferroviaires générées par eux (§ 197 : jusqu’à 21 % en mai 2003) concourent à la démonstration de l’effet des pratiques sur le marché des agences de voyages concerné ;
Que les nouvelles explications données par la société Expedia devant la cour sur les chiffres invoqués dans son mémoire en réponse au rapport des rapporteurs ne sont pas de nature à contredire les données chiffrées remises par l’ancien directeur commun de la société VSC et de L’Agence VSC au Conseil de la concurrence ;
Que l’objection tirée du fait que les autres agences de voyages virtuelles ont connu une progression similaire à celle de L’Agence VSC, avec des dépenses marketing équivalentes aux siennes, n’est pas déterminante ; qu’en effet plusieurs de ses concurrents bénéficiaient d’une antériorité ; que tous ont bénéficié du développement de l’utilisation d’internet mais que rien ne permet de dire que la croissance du nouvel entrant aurait été aussi forte au détriment de ses concurrents s’il n’avait pas eu l’appui de la S.N.C.F. ;
Que par conséquent la société Expedia est mal fondée à prétendre que les avantages que L’Agence VSC a tirés de la situation de monopole de la S.N.C.F. n’ont pas pu perturber le marché sur lequel la filiale commune est active ;
Considérant que la société Expedia invoque vainement à ce stade une étude à l’entête LCCRA International”, dont il résulterait le caractère minime des revenus à rattacher aux avantages critiqués par le Conseil de la concurrence ; qu’une telle quantification relève de l’évaluation du dommage à l’économie à prendre en considération pour fixer la sanction, et non de la qualification de l’entente anticoncurrentielle ;
Que de même il suffit que L’Agence VSC ait bénéficié de revenus publicitaires qui étaient générés par la clientèle de l’activité de monopole et non par la sienne propre pour caractériser le caractère anticoncurrentiel de l’entente, le montant du bénéfice important peu à ce stade ;
Considérant que la société Expedia soutient encore que seuls les abus de position dominante imputés à la S.N.C.F. et non les accords de partenariat S.N.C.F / Expedia expliquent la prédominance de la société VSC sur le marché de la distribution de billets de train et les effets potentiels induits, selon elle marginaux, sur le marché des services d’agences de voyages de loisirs ; que de même selon la société Expedia une politique de ventes croisées entre la société VSC et Expedia n’aurait produit aucun effet anticoncurrentiel si les autres agences n’avaient pas pâti des abus commis par la S.N.C.F. ;
Que la sSociété Expedia en conclut que sans ces abus le trafic sur le site aurait été moindre et en somme qu’elle n’est pas responsable d’un effet anticoncurrentiel non recherché par le partenariat, ni de perturbations de marché résultant des abus ;
Considérant que toutefois les abus de position dominante retenus contre la S.N.C.F. ont été constatés sur le marché de la distribution de billets de train alors que le marché concerné par l’entente est celui des services d’agences de voyages de loisirs ;
Que de toute façon, peu importent les raisons pour lesquelles l’essentiel des ventes par internet de billets de train transitaient et transitent toujours par le site commercial de la SN.C.F. ; que ce soit ou non en raison d’abus de position dominante, c’est un fait incontestable que par le biais du partenariat la société Expedia en a sciemment profité ; qu’ il est certain que la filiale commune a eu des avantages liés au monopole de la S.N.C.F. et dont ses concurrentes étalent exclues ;
Considérant qu’en résumé, et sans qu’il soit nécessaire de vérifier si la mise à disposition des signes distinctifs “voyages-sncf.com” au profit de L’Agence VSC était également de nature à fausser la concurrence dans le marché des services d’agence de voyages de loisir, il est bien démontré qu’un acteur émergent sur le marché des services d’agence de voyages : GL Expedia devenu L’Agence VSC, et un opérateur disposant d’un monopole légal sur le marché connexe du transport ferroviaire de voyageurs, et d’une position dominante sur celui connexe également de la distribution de billets de train ont conclu des accords qui ont eu pour objet et pour effet de fausser la concurrence par les mérites sur le marché des services d’agence de voyages de loisir ;
Que c’est donc à juste titre que le Conseil de la concurrence a retenu comme établi que la SNCF et la société Expedia Inc. ont enfreint les dispositions de l’article L, 420-1 du code de commerce et de l’article 81 du traité CE ;
Sur le recours de la société Karavel
Considérant que la société Karavel a demandé à la cour de confirmer la décision du Conseil en ce qu’elle a retenu les abus de position dominante de la S.N.C.F. et l’entente anticoncurrentielle reprochée à la S.N.C.F. et à la société Expedia, et a prononcé des sanctions pécuniaires contre les deux sociétés ; que par contre, estimant que les engagements pris par la S.N.C.F. ne sont pas de nature à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles identifiées par le Conseil de la concurrence au titre de l’entente, elle demande à la cour d’enjoindre à la S.N.C.F. et à la société Expedia des mesures complémentaires nécessaires selon elle pour les faire cesser ;
Considérant que dans le cadre de sa jonction à l’instance, la société Lastminute rejoint et appuie les positions de la société Karavel, soutenant que les injonctions supplémentaires demandées par la société Karavel sont effectivement nécessaires pour mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles ;
Considérant que la S.N.C.F. et ses filiales, également dans le cadre de leur jonction à l’instance, ont soulevé l’irrecevabilité des demandes d’injonctions formulées par les sociétés Karavel et Lastminute ;
Que dans les mémoires en réplique, une discussion s’est donc instaurée sur les dispositions de l’article L464-2 du code de commerce ainsi rédigé :
I – L’Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé pu imposer des conditions particulières. Elle peut ainsi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L420-1, L420-2 et L.420-5.
Elle peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu’elle a acceptés.
[…]
III – Lorsqu’un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d’un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l’absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l’entreprise ou l’organisme s’engage en outre à modifier son comportement pour l’avenir, le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence d’en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction.
[…]
Que sous réserve de quelques modifications formelles, ces dispositions sont la reprise de celles déjà en vigueur auprès du Conseil de la concurrence du 5 novembre 2004 au 15 novembre 2008 ;
Considérant que selon la S.N.C.F. et ses filiales seul le §III de cet article serait applicable à la présente affaire ; que la cour ne pourrait pas prononcer à l’encontre de la S.N.C.F. des injonctions destinées à compléter les engagements souscrits dans le cadre de la non contestation des griefs notifiés ; qu’elles ajoutent que si la cour revenait sur l’accord conclu avec l’Autorité, il y aurait rupture de l‘équilibre de la procédure de non-contestation des griefs au détriment des intérêts de la S.N.C.F., et donc violation manifeste des droits de la défense de celle-ci ;
Considérant que la société Karavel répond que sa demande d’injonctions ne se situe pas dans le cadre de la non-contestation de griefs, mais est destinée à mettre un terme à des pratiques d’entente prohibées par l’article L.420-1 du code de commerce, en application des pouvoirs d’injonction dont l’Autorité de la concurrence dispose en vertu de l’article L464-2 du code de commerce ; que pour la société Karavel “la cour d’appel détient de l’article L464-8 du code de commerce combiné à l’article 561 du code de procédure civile, un pouvoir général de réformation sans que la procédure de l’article L464-2 §III du code de commerce n’ait pour objet ou pour effet, ou n’autorise en droit à limiter ce pouvoir” ; qu’elle ajoute que l’accord conclu entre la S.N.C.F. et le rapporteur général ne lie pas les sociétés saisissantes ;
Que la société Karavel fait valoir encore que la cour devrait à tout le moins annuler la décision, ou au moins la partie concernant l’entente, et statuer en fait et en droit sur les pratiques jugées illicites mises en œuvre par la S.NC.F. et la société Expedia ; qu’elle conteste la thèse de l’ “impossible rupture d’équilibre”, faisant valoir que le Conseil n’était pas lié par la proposition de réduction de la sanction formulée par le rapporteur général ;
Qu’à titre infiniment subsidiaire la société Karavel estime que si la cour retenait l’argument sur la rupture d’équilibre, elle devrait annuler la décision et renvoyer le dossier pour instruction complémentaire à l‘Autorité de la concurrence ;
Considérant cependant que dans sa décision n°09-D-06, le Conseil de la concurrence n’a pas fait usage des pouvoirs que lui confèrent les dispositions du § I de l’article L.464-2 du code de commerce consistant à donner des injonctions ou à accepter des engagements ;
Qu’il a seulement donné acte à la S.N.C.F. des engagements qu’elle a proposés dans le cadre du §III de l’article L464-2 du code de commerce, c’est-à-dire de la non-contestation des griefs, afin de pouvoir bénéficier d’une réduction de la sanction encourue ;
Considérant que lorsqu’une entreprise demande le bénéfice des dispositions attachées à la non-contestation des griefs, l’office de l’Autorité de la concurrence consiste notamment à s’assurer du caractère crédible, substantiel et vérifiable des modifications de comportement proposées par l’entreprise pour éviter à l’avenir des atteintes a la concurrence ; que dans l’affirmative las conditions d’une réduction de la sanction sont réunies ; que dans la négative l’Autorité pourra proposer à l’entreprise de prendre d‘autres engagements répondant aux critères précités, et à défaut refuser le bénéfice de la non-contestation des griefs, avec comme conséquence un retour de l’affaire à l’instruction ; qu’en tous cas dans ce cadre précis l’Autorité de la concurrence n’a pas le pouvoir de donner des injonctions ;
Considérant que le champ de la saisine la cour est délimité par le cadre de la décision frappée de recours ; qu’en l’espèce, le Conseil de la concurrence ayant statué à l’égard des engagements pris par la S.N.C.F., dans le cadre du § III de l’article L.464-2 du code de commerce, la cour n’a pas le pouvoir d’imposer des engagements supplémentaires ; que dès lors la demande des sociétés la société Karavel et Lastminute tendant au prononcé d’injonctions est irrecevable ;
Qu’il s’en suit que les demandes tendant à l’annulation de la décision du Conseil comme au renvoi devant l’Autorité de la concurrence en raison de l’insuffisance des engagements pris par la S.N.C.F. sont mal fondées ;
Sur les sanctions
Sur la sanction de la société Expedia
Considérant qu’à titre subsidiaire la société Expedia demande à la cour de réformer l’article 5 de la décision au motif que le Conseil n’a pas correctement apprécié le montant de la sanction à elle infligée, et de la réduire à de plus justes proportions ;
Considérant qu’aux termes de l’article L 464-2 § 1 alinéa 3 du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération des pratiques prohibées ; que l’alinéa 4 précise que le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10% du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a bien caractérisé la gravité certaine de l’entente mise en œuvre entre une entreprise disposant d’un monopole légal et ayant utilisé ce dernier pour fausser la concurrence par les mérites, et un groupe américain occupant une position de leader mondial de la vente de voyages en ligne ; que cette entente anticoncurrentielle a duré plus de six années et affecté le segment de marché émergent de la vente de voyages en ligne ; que le Conseil a en revanche reconnu comme facteur d’atténuation le fait que les concurrents ont quand même connu une croissance soutenue au cours des années considérées ;
Considérant que concernant le dommage à l’économie, la société Expedia, en contestant l’existence de tout effet perturbateur de la concurrence au titre des prétendus avantages dont aurait bénéficié L’Agence VSC, en dénie par là-même l’existence ;
Considérant que pour caractériser le dommage à l’économie, le Conseil de la concurrence a relevé que l’entente a affecté un marché dont le chiffre d’affaires, constitué des commissions, a évolué de 278 ME en 2002 à 341,8 ME en 2007 et sur lequel le site “voyages-sncf.com” est passé d’une part de marché d’environ 5% en 2002 à plus de 20% en 2007 ; qu’il a affirmé que la S.N.C.F. et la société Expedia minimisaient l’impact des pratiques, que toute l’activité de L’Agence VSC avait bénéficié de surplus liés à l’entente, difficiles à quantifier mais ne se limitant pas aux revenus tels que calculés dans l’analyse de “CRA International” dont se prévaut la société Expedia ;
Que celle-ci reproche au Conseil d’avoir rejeté en bloc cette analyse pour ne lui opposer que des pétitions de principe ;
Considérant cependant qu’il est indéniable que les avantages anticoncurrentiels caractérisés plus haut ont fait bénéficier l’ensemble de l’activité de L’Agence VSC, et à travers elle la société Expedia, de surplus de revenus au détriment de leurs concurrents exclus des mêmes avantages, entraînant par là même une perturbation du marché des services d’agences de voyages de loisir et un dommage à l’économie que le Conseil de la concurrence n’était pas tenu de chiffrer précisément ;
Qu’en tout état de cause la sanction de 500 000 € prononcée contre la société Expedia n’est pas disproportionnée ;
Qu’en effet d’une part d’après les documents communiqués par la SNC.F, au Conseil de la concurrence par lettre du 25 mars 2008 figurant dans les annexes du rapport, le chiffre d’affaires propre de L’Agence VSC a connu la progression suivante en France :
2001 33 178 €
2002 1 112 360
2003 2 306 681
2004 7 411 434
2005 9 882 437
2006 9 221 346 €
et son chiffre d’affaires total englobant les ventes à l’étranger a atteint 29 984 590 € en 2006 ;
Que d’autre part il y a lieu de tenir compte de la part prise par la société Expedia Inc. à l’entente aux côtes de la SNCF dans un partenariat entre deux sociétés puissantes, et de son chiffre d affaires tel que communique dans une lettre adressée au Conseil de la concurrence le 3 avril 2008 c’est-a-dire un chiffre d’affaires mondial hors taxes de 2 665 332 000 US dollars pour l’année 2007, que le plafond de la sanction est donc supérieur à 26 millions de dollars et à 18 millions d’€ ;
Qu’enfin, dans son mémoire à l’appui de son recours, la société Expedia admet que la fréquentation du sous-site ferroviaire a pu induire un surplus de 350 000 € de revenus publicitaires pour L’Agence VSC entre 2003 et 2006 (page 35) et que l’avantage procuré par les newsletters communes a pu représenter entre 2001 et 2004 au maximum 3% des ventes de produits de voyages réalisés par L’Agence VSC (page 34) étant précisé que selon l’analyse CRA page 35 le volume d’affaires de l’agence était de 130 millions d’€ en 2004 ;
Qu’aussi, même en supposant, ce qui n’est pas démontré, que l’impact des pratiques n’a pas été plus important, et même en tenant compte de la part de marché limitée de L’Agence VSC telle qu’alléguée par la requérante (3,14% en 2007, et cumulée avec celle d’Expedia 6,3% ), la société Expedia est mal fondée à solliciter la réduction de l’amende prononcée par le Conseil de la concurrence dans le respect du principe de proportionnalité par rapport aux critères légaux ;
Sur la sanction de la SNCF
Considérant que la S.N.C.F. et ses filiales demandent à la cour, si elle réformait la décision du Conseil dans le sens sollicite par la société Expedia, de faire bénéficier la S.N.C.F. de la réduction de la sanction et des engagements ;
Considérant que, comme il a été dit plus haut le Conseil n’était pas tenu, et la cour n’est pas tenue non plus, de constater que les engagements souscrits par la S.N.C.F. donnent toutes les garanties d’une concurrence pleine et effective, ni de constater que les engagements souscrits par la SNCF répondent à toutes les préoccupations de concurrence susceptibles de naître de l’affaire soumise à l’examen de la cour pour le passé comme pour l’avenir, comme le demandent la S.N.C.F. et la société Expedia, ni enfin d’exiger que les engagements soient de nature à mettre un terme définitif aux pratiques illicites comme le voudraient les sociétés Karavel et Lastminute ;
Que la société Karavel et la société Lastminute sont donc mal fondées à solliciter de ce chef l’annulation de la décision du Conseil de la concurrence et le renvoi de l’affaire à l’instruction ;
Considérant en définitive que la cour ayant approuve pour l’essentiel l’analyse du Conseil de la concurrence, il n’y a pas lieu de réduire la sanction, ni les engagements de la S.N.C.F. ;
Considérant enfin qu’il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge de ses frais non compris dans les dépens ;
DÉCISION
Par ces motifs la cour,
. Constate que les parties ont renoncé à leurs demandes tendant voir certaines écritures écartées des débats ;
. Déclare irrecevables les demandes des sociétés Karavel et Lastminute tendant au prononcé d’injonctions à l’égard de la S.N.C.F. ;
. Rejette les recours de la société Expedia et de la société Karavel contre la décision n°09D-06 rendue le 5 février 2009 par le Conseil de la concurrence et rejette toutes leurs demandes ;
. Rejette les demandes de la S.N.C.F. sur la réduction de la sanction, la constatation relatives à ses engagements et la condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;
. Vu l’article R 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du greffier en chef de la cour, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie.
La cour : M. Thierry Fossier (président), M. Christian Remenieras et Mme Hélène Jourdier (conseillers)
Avocats : Me Florence Ninane, Me Anne Bourdu, Me Joëlle Salzmann, Me Marie-Hélène Tonnelier, Me Jérôme Philippe, cabinet Bird & Bird
Notre présentation de la décision
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