Jurisprudence : Base de données
Cour de justice de l’Union Européenne Troisième chambre Arrêt du 18 octobre 2012
Football Dataco et autres / Sportradar
données - droit du producteur - droit sui generis - localisation - protection - réutilisation de données - telechargement - tribunal compétent
«Directive 96/9/CE – Protection juridique des bases de données – Article 7 – Droit sui generis – Base de données relatives à des rencontres de championnats de football en cours – Notion de ‘réutilisation’ – Localisation de l’acte de réutilisation»
Dans l’affaire C‑173/11, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 5 avril 2011, parvenue à la Cour le 8 avril 2011, dans la procédure Football Dataco Ltd, Scottish Premier League Ltd, Scottish Football League, PA Sport UK Ltd contre Sportradar GmbH, Sportradar AG,
DISCUSSION
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (JO L 77, p. 20).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Football Dataco Ltd, Scottish Premier League Ltd, Scottish Football League et PA Sport UK Ltd (ci-après, ensemble, «Football Dataco e.a.») à Sportradar GmbH et à Sportradar AG (ci-après, ensemble, «Sportradar») au sujet, notamment, d’une prétendue violation par ces dernières du droit sui generis que Football Dataco e.a. prétendent détenir sur une base de données relative à des rencontres de championnats de football en cours («Football Live»).
Le cadre juridique
3 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/9 :
«Aux fins de la présente directive, on entend par ‘base de données’ : un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière.»
4 Sous le chapitre III de ladite directive, intitulé «Droit ‘sui generis’», l’article 7 de celle-ci, relatif à l’objet de la protection, dispose :
«1. Les États membres prévoient pour le fabricant d’une base de données le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de celle-ci, lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif.
2. Aux fins du présent chapitre, on entend par :
a) ‘extraction’: le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit ;
b) ‘réutilisation’ : toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes. […]
[…]
5. L’extraction et/ou la réutilisation répétées et systématiques de parties non substantielles du contenu de la base de données qui supposeraient des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qui causeraient un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base, ne sont pas autorisées.»
5 La directive 96/9 a été transposée au Royaume-Uni par l’adoption du règlement de 1997 relatif au droit d’auteur et aux droits sur les bases de données (Copyright and Rights in Database Regulations 1997), qui a modifié la loi de 1988 sur le droit d’auteur, les dessins et les brevets (Copyright Designs and Patents Act 1988). Les dispositions dudit règlement pertinentes au regard de l’affaire au principal sont rédigées en des termes identiques à ceux des dispositions pertinentes de cette directive.
6 Aux termes de l’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, «en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».
7 L’article 8 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II») (JO L 199, p. 40), dispose à ses paragraphes 1 et 2 :
«1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée.
2. En cas d’obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire, la loi applicable à toute question qui n’est pas régie par l’instrument communautaire pertinent est la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 Football Dataco e.a. sont responsables de l’organisation des championnats de football anglais ou écossais. Football Dataco Ltd est en charge de la création et de l’exploitation des données et des droits de propriété intellectuelle afférents à ces championnats. Football Dataco e.a. prétendent détenir, en vertu du droit du Royaume-Uni, un droit sui generis sur la base de données dénommée «Football Live».
9 Football Live est une compilation de données relatives aux rencontres de football en cours (évolution du score, nom des buteurs, moment et destinataire de l’attribution d’un carton jaune ou rouge, coups de réparation éventuels, remplacements en cours de rencontre). Ces données seraient principalement recueillies par d’anciens footballeurs professionnels qui agissent à titre indépendant pour le compte de Football Dataco e.a. et qui assistent aux rencontres à cet effet. Ces dernières font valoir que l’obtention et/ou la vérification de ces données demandent un investissement substantiel et que, en outre, la constitution de cette base de données implique un engagement considérable en termes de savoir-faire, de travail, de capacité d’appréciation et/ou de prestations intellectuelles.
10 Sportradar GmbH est une société allemande qui diffuse en direct, sur internet, les résultats et d’autres statistiques afférents, notamment, aux rencontres de football de la ligue anglaise. Le service est intitulé «Sport Live Data». Cette société a un site web dénommé betradar.com. Les sociétés de paris qui sont des clients de Sportradar GmbH passent des contrats avec la société holding suisse Sportradar AG, qui est la société mère de Sportradar GmbH. Parmi ces clients figurent la société bet365, constituée selon le droit du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ainsi que Stan James, société établie à Gibraltar, qui proposent des services de paris destinés au marché dudit État membre. Le site web de chacune de ces deux sociétés contient un lien vers betradar.com. Lorsqu’un internaute clique sur «Live Score», les données sollicitées apparaissent sous la mention «bet365» ou «Stan James», selon le cas. La juridiction de renvoi en déduit que le public du Royaume-Uni constitue, à l’évidence, une cible importante de Sportradar.
11 Le 23 avril 2010, Football Dataco e.a. ont assigné Sportradar devant la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division, aux fins, notamment, d’obtenir réparation des dommages liés à une violation par cette société de leur droit sui generis. Le 9 juillet 2010, Sportradar a contesté la compétence de cette juridiction pour connaître du litige.
12 Le 14 juillet 2010, Sportradar GmbH a assigné Football Dataco e.a. devant le Landgericht Gera (Allemagne), aux fins d’obtenir une attestation négative selon laquelle ses activités ne violent aucun droit de propriété intellectuelle dont Football Dataco e.a. seraient titulaires.
13 Dans un jugement du 17 novembre 2010, la High Court of Justice s’est déclarée compétente pour connaître de l’action introduite par Football Dataco e.a. en tant qu’elle porte sur la responsabilité conjointe (solidaire) de Sportradar et de ses clients utilisant son site web au Royaume-Uni en raison d’une violation de leur droit sui generis par des actes d’extraction et/ou de réutilisation. En revanche, cette juridiction a décliné sa compétence pour connaître de l’action de Football Dataco e.a. en tant qu’elle concerne la responsabilité principale de Sportradar du fait d’une telle violation.
14 Tant Football Dataco e.a. que Sportradar ont interjeté appel de ce jugement devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division).
15 Football Dataco e.a. soutiennent que Sportradar obtient ses données en les copiant sur son serveur à partir de Football Live, puis transmet les données ainsi copiées au public du Royaume-Uni qui clique sur Live Score. Selon elles, il convient de considérer que, conformément à la théorie de la «transmission» ou de la «communication», les actes en cause au principal interviennent non seulement dans l’état membre à partir duquel les données ont été envoyées par Sportradar, mais également dans l’état membre dans lequel sont situés les destinataires de ces envois, à savoir, en l’occurrence, le Royaume-Uni.
16 Sportradar fait valoir que les données figurant sur le site web betradar.com sont générées de manière autonome. Elle ajoute que, conformément à la théorie de l’«émission», un acte de transmission n’est réalisé qu’au lieu de provenance des données, de sorte que les actes qui lui sont reprochés ne relèvent pas de la compétence des juridictions du Royaume-Uni.
17 C’est dans ce contexte que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
«Lorsqu’une partie télécharge des données à partir d’une base de données protégée par un droit sui generis au titre de la directive 96/9/CE […] sur son serveur Web situé dans un État membre A et que, lorsqu’un utilisateur établi dans un État membre B en fait la demande, le serveur envoie ces données sur l’ordinateur de l’utilisateur afin que celles-ci soient stockées dans la mémoire de cet ordinateur et affichées sur son écran :
a) l’envoi des données constitue-t-il un acte d’‘extraction’ ou de ‘réutilisation’ de celles-ci par cette partie ?
b) le cas échéant, l’acte d’extraction ou de réutilisation par cette partie a-t-il lieu :
i) uniquement dans l’État membre A,
ii) uniquement dans l’État membre B,
iii) dans l’État membre A et dans l’État membre B ?»
Sur la question préjudicielle
18 Par sa question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 96/9 doit être interprété en ce sens que l’envoi par une personne, au moyen d’un serveur web situé dans un État membre A, de données préalablement téléchargées par cette personne à partir d’une base de données protégée par le droit sui generis au titre de cette même directive, sur l’ordinateur d’une autre personne établie dans un État membre B, à la demande de cette dernière, à des fins de stockage dans la mémoire de cet ordinateur et d’affichage sur l’écran de celui-ci, constitue un acte d’«extraction» ou de «réutilisation» desdites données par la personne ayant procédé à cet envoi. Dans l’affirmative, elle demande, par sa question, sous b), si cet acte doit être considéré comme ayant lieu dans l’État membre A, dans l’État membre B ou dans l’un et l’autre de ces deux États.
19 La juridiction de renvoi fonde sa question sur plusieurs prémisses, dont l’exactitude relève de son appréciation exclusive, à savoir :
– Football Live est une «base de données», au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/9, qui satisfait aux conditions matérielles au respect desquelles l’article 7, paragraphe 1, de cette directive subordonne la protection par le droit sui generis ;
– Football Dataco e.a. sont les bénéficiaires de la protection par le droit sui generis de la base de données Football Live, et
– les données faisant l’objet des envois en cause au principal ont été préalablement téléchargées par Sportradar à partir de cette base de données.
20 En ce qui concerne ladite question, sous a), la Cour a déjà jugé que, eu égard aux termes employés à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9 pour définir la notion de «réutilisation», ainsi qu’à l’objectif du droit sui generis institué par le législateur de l’Union, cette notion doit, dans le contexte général de cet article 7, être comprise dans un sens large, comme visant tout acte, non autorisé par le fabricant de la base de données protégée par ce droit sui generis, qui consiste à diffuser au public tout ou partie du contenu de celle-ci (voir arrêt du 9 novembre 2004, The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, Rec. p. I-10415, points 45, 46, 51 et 67). La nature et la forme du procédé utilisé sont dépourvues de pertinence à cet égard.
21 Relève de ladite notion l’acte qui, tel que ceux en cause au principal, consiste pour une personne à envoyer, au moyen de son serveur web, sur l’ordinateur d’une autre personne, à la demande de cette dernière, des données préalablement extraites du contenu d’une base de données protégée par le droit sui generis. Par un tel envoi, ces données sont, en effet, mises à la disposition d’un membre du public.
22 La circonstance que les actes d’envoi en cause au principal sont précédés d’opérations impliquant des sociétés de services de paris qui sont autorisées, par contrat, à accéder au serveur web de Sportradar et qui à leur tour rendent, dans le cadre de leurs activités, ce serveur accessible à leurs propres clients ne saurait infirmer la qualification juridique de «réutilisation», au sens de l’article 7 de la directive 96/9, de l’acte par lequel Sportradar envoie, au départ dudit serveur, des données provenant d’une base de données protégée vers l’ordinateur de ces clients.
23 En ce qui concerne la question, sous b), la Commission européenne a, dans ses observations écrites, mis en doute l’utilité d’une réponse à celle-ci à ce stade de la procédure relative au litige au principal.
24 À cet égard, s’il est exact, ainsi que le soutient la Commission, que le rattachement des actes en cause au principal à la notion de «réutilisation», au sens de la directive 96/9, est indépendant du lieu de leur accomplissement dans l’Union européenne, il convient néanmoins de souligner, premièrement, que cette directive ne vise pas à instaurer une protection par le droit sui generis régie par un droit uniforme à l’échelle de ladite Union.
25 L’objectif de la directive 96/9 consiste à supprimer, par un rapprochement des législations nationales, les disparités qui existaient entre celles-ci en matière de protection juridique des bases de données et qui portaient atteinte au fonctionnement du marché intérieur, à la libre circulation des biens et des services dans l’Union ainsi qu’au développement d’un marché de l’information au sein de celle-ci (voir arrêt du 1er mars 2012, Football Dataco e.a., C-604/10, non encore publié au Recueil, point 48).
26 À cette fin, ladite directive exige de l’ensemble des États membres qu’ils prévoient dans leur droit national une protection des bases de données par un droit sui generis.
27 Dans un tel contexte, la protection par le droit sui generis prévue par la législation d’un État membre est, par principe, limitée au territoire de cet État membre, de sorte que le bénéficiaire de cette protection ne saurait s’en prévaloir qu’à l’encontre d’actes de réutilisation non autorisés qui ont eu lieu sur ce territoire (voir, par analogie, arrêt du 19 avril 2012, Wintersteiger, C‑523/10, non encore publié au Recueil, point 25).
28 Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi doit, dans l’affaire au principal, apprécier le bien-fondé des griefs de Football Dataco e.a. tirés d’une violation du droit sui generis que ceux-ci prétendent détenir, en vertu du droit du Royaume-Uni, sur la base de données Football Live. Une telle appréciation implique donc de savoir si les actes d’envoi de données en cause au principal relèvent, en tant qu’actes ayant eu lieu au Royaume-Uni, du champ d’application territorial de la protection par le droit sui generis prévue par le droit de cet État membre.
29 Deuxièmement, l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 instaure, dans les affaires qui, telles que celle au principal, relèvent de la matière quasi délictuelle, une compétence spéciale en faveur du «tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».
30 Il s’ensuit que la question de la localisation des actes d’envoi en cause au principal, dont Football Dataco e.a. prétendent qu’ils ont porté préjudice à l’investissement substantiel consacré à la constitution de la base de données Football Live, est susceptible d’influer sur celle de la compétence de la juridiction de renvoi, s’agissant en particulier de l’action visant à voir reconnaître la responsabilité principale de Sportradar dans l’affaire dont cette juridiction est saisie.
31 Troisièmement, il ressort de l’article 8 du règlement n° 864/2007 que, en cas d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle qui, tel le droit sui generis institué par la directive 96/9, n’a pas une nature «communautaire à caractère unitaire», au sens du paragraphe 2 de cet article (voir points 24 à 26 du présent arrêt), la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’une telle atteinte est, en vertu du paragraphe 1 dudit article 8, «celle du pays pour lequel la protection est revendiquée».
32 Cette règle de conflit de lois confirme l’intérêt de savoir si, indépendamment de la localisation éventuelle des actes d’envoi en cause au principal dans l’État membre où est situé le serveur web de l’auteur de ces actes, ces derniers ont eu lieu au Royaume-Uni, État membre dans lequel Football Dataco e.a. revendiquent en effet la protection de la base de données Football Live par le droit sui generis.
33 À cet égard, la localisation d’un acte de «réutilisation», au sens de l’article 7 de la directive 96/9, doit, à l’instar de la définition de cette notion, répondre à des critères autonomes du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 21 juin 2012, Donner, C-5/11, non encore publié au Recueil, point 25).
34 S’agissant, comme dans l’affaire au principal, d’une réutilisation effectuée au moyen du serveur d’un site internet, il convient de relever, à l’instar de M. l’avocat général aux points 58 et 59 de ses conclusions, que celle-ci se caractérise par une série d’opérations successives, allant, à tout le moins, de la mise en ligne des données concernées sur ledit site aux fins de leur consultation par le public à la transmission de ces données aux membres du public intéressés, opérations qui peuvent avoir lieu sur le territoire de différents États membres (voir, par analogie, arrêt Donner, précité, point 26).
35 Il importe toutefois de prendre également en compte le fait qu’un tel mode opératoire de mise à la disposition du public se distingue, dans son principe, des modes traditionnels de diffusion par l’ubiquité du contenu d’un site internet, lequel peut, en effet, être consulté instantanément par un nombre indéfini d’internautes partout dans le monde, indépendamment de toute intention de l’exploitant de ce site visant à la consultation de celui-ci au-delà de son État membre d’établissement et en dehors de son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof, C-585/08 et C-144/09, Rec. p. I-12527, point 68, ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising et Martinez, C-509/09 et C-161/10, non encore publié au Recueil, point 45).
36 Par conséquent, la simple accessibilité, sur un territoire national donné, du site internet comprenant les données concernées ne suffit pas pour conclure que l’exploitant de ce site se livre à un acte de réutilisation tombant sous le coup du droit national applicable sur ce territoire en matière de protection par le droit sui generis (voir, par analogie, arrêts Pammer et Hotel Alpenhof, précité, point 69, ainsi que du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C-324/09, non encore publié au Recueil, point 64).
37 En effet, si cette seule accessibilité permettait de conclure à l’existence d’un acte de réutilisation, des sites et des données qui, tout en étant à l’évidence destinés à des personnes situées en dehors du territoire de l’État membre concerné, sont néanmoins techniquement accessibles sur ce dernier, seraient indûment soumis à l’application du droit en vigueur sur celui-ci en la matière (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., précité, point 64).
38 Ainsi, dans l’affaire au principal, le fait que, à la demande d’un internaute établi au Royaume-Uni, des données figurant sur le serveur web de Sportradar soient envoyées vers l’ordinateur de cet internaute à des fins techniques de stockage et de visualisation sur l’écran ne suffit pas, à lui seul, pour permettre de considérer que l’acte de réutilisation auquel se livre Sportradar à cette occasion a lieu sur le territoire de cet État membre.
39 La localisation d’un acte de réutilisation sur le territoire de l’État membre vers lequel les données concernées sont envoyées dépend de l’existence d’indices permettant de conclure que cet acte révèle l’intention de son auteur de cibler les personnes situées sur ce territoire (voir, par analogie, arrêts précités Pammer et Hotel Alpendorf, points 75, 76, 80 et 92 ; L’Oréal e.a., point 65, ainsi que Donner, points 27 à 29).
40 Dans l’affaire au principal, est susceptible de constituer un tel indice la circonstance que, parmi les données que comporte le serveur de Sportradar, figurent des données relatives aux rencontres des championnats de football anglais, ce qui est de nature à démontrer que les actes d’envoi en cause au principal résultent d’une volonté de Sportradar de capter l’intérêt du public du Royaume-Uni.
41 Le fait que Sportradar a octroyé, par contrat, le droit d’accéder à son serveur à des sociétés proposant des services de paris à destination dudit public peut également constituer un indice de sa volonté de viser celui-ci si – ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier – Sportradar était, ou devait être, consciente de cette destination spécifique (voir, par analogie, arrêts précités Pammer et Hotel Alpenhof, point 89, ainsi que Donner, points 27 et 28). Peut être pertinente, à cet égard, la circonstance éventuelle que la rémunération fixée par Sportradar en contrepartie de l’octroi de ce droit d’accès tienne compte de l’importance des activités desdites sociétés sur le marché du Royaume-Uni et des perspectives de consultations subséquentes de son site web betradar.com par des internautes établis dans cet État membre.
42 Enfin, la circonstance que les données mises en ligne par Sportradar sont accessibles aux internautes du Royaume-Uni, qui sont des clients de ces sociétés, dans leur propre langue, laquelle diffère de celles habituellement utilisées dans les États membres à partir desquels cette société exerce ses activités, peut, le cas échéant, corroborer les indices tendant à établir l’existence d’une démarche visant, en particulier, le public du Royaume-Uni (voir, par analogie, arrêts précités Pammer et Hotel Alpenhof, point 84, ainsi que Donner, point 29).
43 En présence de tels indices, la juridiction de renvoi sera fondée à considérer qu’un acte de réutilisation, tel que ceux en cause au principal, est localisé sur le territoire de l’État membre où est établi l’utilisateur sur l’ordinateur duquel les données concernées sont transmises, à sa demande, à des fins de stockage et d’affichage sur l’écran (État membre B).
44 La thèse, soutenue par Sportradar, selon laquelle un acte de «réutilisation», au sens de l’article 7 de la directive 96/9, doit, en toutes circonstances, être considéré comme étant localisé exclusivement sur le territoire de l’État membre où est situé le serveur web à partir duquel sont envoyées les données concernées ne saurait être accueillie.
45 En effet, outre le fait que, comme l’ont souligné Football Dataco e.a., il est parfois difficile de localiser de manière certaine un tel serveur (voir arrêt Wintersteiger, précité, point 36), une telle thèse signifierait que l’opérateur qui se livre, sans le consentement du fabricant de la base de données protégée par le droit sui generis, en vertu du droit d’un État membre donné, à une réutilisation en ligne du contenu de cette base de données en ciblant le public de cet État membre échapperait à l’application de ce droit national au seul motif que son serveur est localisé en dehors du territoire de celui-ci. Une telle situation affecterait l’effet utile de la protection par le droit national concerné dont bénéficie la base de données en vertu dudit droit (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., précité, point 62).
46 Par ailleurs, ainsi que l’ont fait valoir Football Dataco e.a., la réalisation de l’objectif de protection des bases de données par le droit sui generis, poursuivi par la directive 96/9, serait, d’une manière générale, compromise si des actes de réutilisation destinés à un public situé sur tout ou partie du territoire de l’Union échappaient au champ d’application de cette directive et des lois nationales de transposition de celle-ci du seul fait que le serveur du site internet exploité par l’auteur de ces actes se situe dans un État tiers (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., point 63).
47 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7 de la directive 96/9 doit être interprété en ce sens que l’envoi par une personne, au moyen d’un serveur web situé dans un État membre A, de données préalablement téléchargées par cette personne à partir d’une base de données protégée par le droit sui generis au titre de cette même directive, sur l’ordinateur d’une autre personne établie dans un État membre B, à la demande de cette dernière, à des fins de stockage dans la mémoire de cet ordinateur et d’affichage sur l’écran de celui-ci, constitue un acte de «réutilisation» desdites données par la personne ayant procédé à cet envoi. Il convient de considérer que cet acte a lieu, à tout le moins, dans l’État membre B, dès lors qu’il existe des indices permettant de conclure qu’un tel acte révèle l’intention de son auteur de cibler des membres du public établis dans ce dernier État membre, ce qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier.
Sur les dépens
48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DECISION
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, doit être interprété en ce sens que l’envoi par une personne, au moyen d’un serveur web situé dans un État membre A, de données préalablement téléchargées par cette personne à partir d’une base de données protégée par le droit sui generis au titre de cette même directive, sur l’ordinateur d’une autre personne établie dans un État membre B, à la demande de cette dernière, à des fins de stockage dans la mémoire de cet ordinateur et d’affichage sur l’écran de celui-ci, constitue un acte de «réutilisation» desdites données par la personne ayant procédé à cet envoi. Il convient de considérer que cet acte a lieu, à tout le moins, dans l’État membre B, dès lors qu’il existe des indices permettant de conclure qu’un tel acte révèle l’intention de son auteur de cibler des membres du public établis dans ce dernier État membre, ce qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier.
La Cour : Mme R. Silva de Lapuerta (président), MM. K. Lenaerts (rapporteur), G. Arestis, J. Malenovský et D. Šváby (juges),
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