Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de commerce de Lyon Jugement du 25 septembre 2009
G Gsell et Fils / Starbagg
responsabilité
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS
Les faits
La société G Gsell et Fils, créée en 1958, vend des articles de bagagerie et de maroquinerie, notamment au moyen d’un site internet créé en 1998 (www.gsell.fr).
La société Starbagg, créée en 2004, vend entre autres des articles similaires au moyen d’un site internet (www.starbagg.com).
La société G Gsell et Fils a constaté qu’en tapant le nom « Gsell » dans le moteur de recherche Google, un lien « commercial » vers www.starbagg.com apparaissait en première position et juste en face du lien vers le site officiel de Gsell.
Considérant avoir affaire à des actes de concurrence déloyale et parasitisme, la société G Gsell et Fils mettait en demeure la société Starbagg d’y mettre fin par LRAR du 12 août 2007, lettre non retirée par son destinataire et donc sans effet.
C’est en l’état que le présent litige est soumis à l’appréciation du Tribunal de Commerce de Lyon.
La procédure
La société G Gsell et Fils a assigné la société Starbagg devant le Tribunal de Commerce de Lyon par acte d’huissier régulièrement signifié en étude le 7 janvier 2008. Après conclusions datées du 25 avril 2008 puis récapitulatives datées des 18 juillet et 27 octobre 2008, elle sollicite en définitive du Tribunal :
Vu les articles 1382 et 1383 et suivants du Code Civil,
– Constater que la société Starbagg s’est livrée à des actes de concurrence déloyale et parasitaire par l’usage de la dénomination sociale et nom de domaine Gsell,
– Condamner la société Starbagg à payer à la société G Gsell et Fils la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– Interdire à la société Starbagg de réaliser des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’encontre de la société G Gsell et Fils en utilisant sa dénomination sociale et son nom de domaine et ce, sous astreinte définitive de 1000 € par jour de retard passé un délai de cinq jours à compter de la signification du jugement à intervenir,
– Condamner la société Starbagg à la publication, à ses frais, du jugement à intervenir sur son site internet www.starbagg.com, pendant une durée continue de six mois commençant à courir à l’expiration du mois suivant la signification du présent jugement,
– Condamner la société Starbagg à payer à la société G Gsell et Fils la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamner la société Starbagg aux entiers dépens.
En réplique, après conclusions datées des 7 mars, 23 mai et 5 septembre 2008, la société Starbagg sollicite en définitive du Tribunal :
Vu les articles 1382 et 1383 du Code Civil,
Vu l’article 32-1 du Code de Procédure Civile,
Vu le constat établi par Maître F. le 26 mai 2008,
– Constater que la société Starbagg n’a jamais utilisé la dénomination sociale ni le nom de domaine de la société G Gsell et Fils,
– Constater que la société Starbagg ne s’est rendue coupable d’aucun comportement fautif, anticoncurrentiel ou parasitaire à l’encontre de la société G Gsell et Fils,
– Dire et juger que la société Starbagg n’a jamais fait l’acquisition du mot-clé « Gsell »,
– Dire et juger l’action en concurrence déloyale engagée par la société G Gsell et Fils non fondée,
– Constater que la société G Gsell et Fils ne rapporte pas la preuve d’un quelconque préjudice,
– Débouter la société G Gsell et Fils de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Dire et juger que la société G Gsell et Fils a tenté d’évincer l’un de ses concurrents par le biais d’une procédure abusive,
– Condamner la société G Gsell et Fils au paiement de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– Condamner la société G Gsell et Fils à payer à la société Starbagg la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamner la société G Gsell et Fils aux entiers dépens.
Les moyens
A l’appui de ses prétentions, la société G Gsell et Fils expose principalement :
– que les faits reprochés au défendeur ont été établis par un rapport d’huissier,
– que seul le choix volontaire par le défendeur, ou un autre intervenant agissant pour son compte, du mot-clé Gsell lors du paramétrage de ses campagnes permet d’expliquer les faits constatés,
– que le défendeur tente de se défaire de sa responsabilité sur Google, mais de manière révélatrice sans l’assigner en intervention forcée,
– que le défendeur est quoi qu’il en soit fautif pour n’avoir pas exclu Gsell de ses mots-clés admissibles, comme Google lui en donne la possibilité, et ce ni spontanément, ni après mise en demeure, ni après assignation.
En ce qui la concerne, la société Starbagg soutient principalement :
– qu’elle démontre ne pas avoir acheté le mot-clé litigieux Gsell, et donc qu’aucune faute ne peut lui être imputée,
– que Google contrôle en fait les liens commerciaux selon ses propres impératifs commerciaux qui peuvent conduire à des situations telles que celle relevée par la société G Gsell et Fils nonobstant toute intervention du site ainsi promu en tête de liste,
– que le préjudice allégué par le demandeur n’est ni certain, ni réel, ni actuel,
– que cette procédure, abusive et anticoncurrentielle, lui cause un préjudice à indemniser.
DISCUSSION
Attendu que le Tribunal constatera que, faute de preuve formelle d’un achat du mot-clé Gsell par la défenderesse ou pour son compte, l’entière démonstration de la société demanderesse repose sur le postulat que les faits constatés (renvoi par Google d’un lien www.starbagg.com lorsque le mot-clé Gsell est entré) ne peuvent se produire que si Gsell, ou quiconque agirait pour son compte, a fait usage, nécessairement fautif, du mot-clé litigieux ;
Attendu toutefois que le Tribunal constatera que parmi les pièces produites se trouve une ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Paris datée du 17 septembre 2008 (2L Multimédia / Meetic) ;
Attendu qu’il ressort clairement des attendus de cette ordonnance qu’un haut responsable de Google France a alors attesté que l’utilisation comme mot-clé dans Google d’un nom de marque non acheté par une société peut faire apparaître des liens vers les sites de cette même société si celle-ci utilise comme mots-clés des termes génériques qui seraient similaires ou liés à ceux de l’annonceur détenteur du nom de marque ;
Attendu que le Tribunal, nonobstant l’interprétation contraire qu’en fait la société demanderesse, constatent que cette attestation de Google France permet d’envisager que, même en l’absence de tout achat du mot-clé Gsell par la société Starbagg, l’emploi dudit mot-clé renvoie au site de la société Starbagg pour autant que les deux sites utilisent des mots-clés génériques communs (« sac », « maroquinerie », etc.) ;
Attendu dès lors que le Tribunal constatera qu’il n’est produit aucune preuve de l’achat allégué du mot-clé litigieux par le défendeur, et que par ailleurs, il ne semble pas impossible que les faits reprochés au défendeur se soient déroulés sans aucune action fautive, directe ou indirecte, de sa part, le Tribunal ne pourra que constater que la société G Gsell et Fils, demanderesse, est défaillante dans l’administration de la preuve qui lui incombe en la circonstance ;
Attendu enfin que la société G Gsell et Fils expose que la société Starbagg a en toute hypothèse commis une faute inexcusable en n’intégrant pas Gsell dans la liste d’exclusion que Google lui permet de constituer, ni avant ni après avoir été mis en demeure de cesser ses agissements litigieux ;
Attendu que le Tribunal considérera que la faute de la société Starbagg est ici caractérisée, toute passive qu’elle soit, la société Starbagg ne pouvant ignorer à compter de la mise en demeure, et a fortiori de l’assignation, que son inaction conduisait nécessairement à un trouble commercial à l’encontre de la société G Gsell et Fils ;
Attendu dès lors que le Tribunal constatera que la société Starbagg s’est effectivement livrée des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société G Gsell et Fils, non pas en usurpant de quelque façon un mot-clé litigieux mais bien en s’abstenant malicieusement de mettre fin au trouble commercial existant, comme elle en avait très aisément la possibilité via le système des exclusions ;
Attendu que le Tribunal considérera qu’un tel trouble commercial crée nécessairement préjudice à qui en est la victime ;
Mais attendu qu’il ne peut que constater que la société G Gsell et Fils est parfaitement défaillante dans l’estimation convaincante du montant de son préjudice, le Tribunal, faisant ici usage de son pouvoir souverain d’appréciation, dira qu’une somme de 7500 € constituera un dédommagement approprié compte tenu de la réalité des actes commis et des doutes pouvant affecter le quantum du préjudice ;
Attendu dès lors que le Tribunal condamnera la société Starbagg à payer cette somme à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que la société G Gsell et Fils demande que soit interdit à la société Starbagg de faire tout usage du nom Gsell, sous astreinte de 1000 € par jour de retard ;
Attendu que le Tribunal fera partiellement droit à cette demande en ordonnant à la société Starbagg de faire explicitement exclure de ses mots-clés Google le mot Gsell, et ce sous astreinte de 500 € par jour à compter du premier jour du mois suivant la signification du présent jugement, et dans la limite d’un mois, le Tribunal se réservant la liquidation de ladite astreinte ;
Attendu que la publication demandée du présent jugement n’est pas nécessaire compte tenu des circonstances de l’affaire, le Tribunal ne l’ordonnera pas ;
Attendu que les parties ont dû engager des frais non répétables à l’occasion de la présente procédure et compte tenu des circonstances de l’affaire, le Tribunal jugera équitable d’allouer à la société G Gsell et Fils la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Attendu que l’exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire le Tribunal l’ordonnera ;
Attendu que les dépens sont à la charge de la partie qui succombe.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement par décision contradictoire et en premier ressort :
. Dit que la société Starbagg s’est livrée à des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société G Gsell et Fils en s’abstenant malicieusement de mettre fin au trouble commercial préjudiciable à cette dernière.
. Condamne en conséquence la société Starbagg à payer à la société G Gsell et Fils la somme de 7500 € titre de dommages et intérêts.
. Ordonne à la société Starbagg de faire explicitement exclure de ses mots-clés Google le mot Gsell, et ce sous astreinte définitive de 500 € par jour à compter du premier jour du mois suivant la signification du présent jugement, et dans la limite d’un mois, le Tribunal se réservant la liquidation de ladite astreinte.
. Condamne la société Starbagg à payer à la société G Gsell et Fils la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution.
. Rejette comme non fondés tous autres demandes, moyens, fins et conclusions contraires des parties.
. Condamne la société Starbagg aux dépens de l’instance.
Le tribunal : M. Hautois (président), MM. Defond et Bottoli (juges)
Avocats : Me Jean-Claude Brun, Me Florence Cottin-Perreau
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