Jurisprudence : Base de données
Tribunal de commerce de Paris 15ème chambre Jugement du 19 mars 2004
Société OCP Répartition / société Salvea
base de données
Les faits
La société OCP Répartition est un important grossiste répartiteur de produits pharmaceutiques et para-pharmaceutiques en France ;
Elle a créé en 1996 une base de données dénommée « Click@doc » modifiée en décembre 2002 pour devenir « Click@doc Premier » ci-après Click@doc ;
Elle soutient avoir découvert récemment que des sites internet reproduisent à l’identique un nombre considérable de notices composant sa base de données Click@doc, ce sans son autorisation.
Ayant fait procéder à des constats, concernant un site exploité par la société Salvea, la société OCP Répartition a engagé la présente action ;
La procédure
Autorisée à assigner à bref délai par ordonnance du 28 novembre 2003, la société OCP Répartition par assignation du 1er décembre 2003 demande au tribunal de :
– ordonner à la société Salvea de cesser toute exploitation de quelque fiche produit que ce soit issue de la base Click@doc ou Click@doc premier sur le site internet www.salvea.com dans toutes ses versions, ou sur tout autre site internet, sous astreinte de 2500 € par jour de retard à compter de la signification du jument à intervenir,
– interdire à la société Salvea d’exploiter de quelque manière que ce soit sans autorisation la base de données Click@doc ou Click@doc premier, sous astreinte de 2500 € par infraction du jugement à intervenir,
– condamner la société Salvea à payer à la société OCP Répartition la somme de 350 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, toutes causes confondues,
– ordonner à la société Salvea, sous astreinte de 1500 € par jour de retard, l’affichage, à compter de la signification de la décision à intervenir et pendant une période ininterrompue de six mois, sur la page d’accueil du site www.salvea.com de l’avertissement suivant, de manière visible et en caractères gras de taille au moins aussi importante que celle des plus gros caractères utilisés sur cette page par le site, en toutes langues dans lesquelles le site est disponible :
Avertissement important
La société Salvea, exploitant le site www.salvea.com, a mis en ligne sur ce site des notices de produits issues de la base de données Click@doc de la société OCP Répartition, sans en avoir obtenu l’autorisation et donc en violation des droits de cette dernière. Sur décision du tribunal de commerce de Paris, la société Salvea a été condamnée à mettre un terme à cette diffusion illicite et à publier en ligne le présent avertissement.
– autoriser la société OCP Répartition à faire publier, aux frais de la société Salvea, le dispositif de la décision dans quatre journaux ou revues spécialisées au choix de la société OCP Répartition, notamment le Moniteur du pharmacien et le Quotidien du pharmacien, sans que le coût de ces publications n’excède la somme de 10 000 € par publication,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution ou constitution de garantie,
– condamner la société Salvea à payer à la société OCP Répartition la somme de 8000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
– condamner la société Salvea aux dépens ;
Lors de l’audience collégiale du 12 décembre 2003, l’affaire a été confiée à l’examen d’un juge rapporteur qui a tenu audience le 16 janvier 2004 au cours de laquelle il a reçu des conclusions de la société Salvea qui demande au tribunal de :
– débouter la société OCP Répartition,
– à titre infiniment subsidiaire de réduire la demande dans d’importantes proportions et dire n’y avoir lieu à astreinte et à publication,
– de condamner la société OCP Répartition à lui payer 8000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
– de statuer ce que de droit sur les dépens ;
Puis le juge rapporteur après avoir entendu les observations verbales des parties a prononcé la clôture des débats ;
Les moyens
La société OCP Répartition fait valoir :
Qu’elle a été créée en 1924 et est aujourd’hui le partenaire de proximité de près de 17 000 pharmacies françaises et l’un des premiers acteurs du secteur en Europe depuis son rapprochement en 1993 avec un grand répartiteur allemand Gehe ;
Qu’elle a créé en 1996 une base de données dénommé « Click@doc » depuis 1998, qui totalement refondue en décembre 2002 est devenue « Click@doc premier » ;
Que cette base recense plusieurs centaines de milliers de médicaments, de produits de parapharmacie et de produits vétérinaires, chaque référence comportant une fiche descriptive et des commentaires relatifs à leur utilisation et à leurs effets, fiche qu’elle élabore, après tri et adaptation, à partir des informations communiquées par les laboratoires ;
Que ces notices constituent pour les pharmaciens une source d’informations inestimable qui est consultée fréquemment dans le cadre de leurs activités ;
Qu’elle diffuse cette base de données, à titre onéreux sur CD-Rom, auprès d’environ 4000 pharmaciens ainsi que sur son site internet, dans la partie réservée uniquement aux professionnels et sur abonnement ;
Que la constitution et la commercialisation de la base de données Click@doc ont exigé de lourds efforts financiers de sa part et que pour son enrichissement et sa mise à jour elle consacre en continu de très importants investissements financiers et humains ;
Qu’elle a découvert récemment que le site www.salvea.com, qui propose des cosmétiques et des produits diététiques, reproduit à l’identique et sans son autorisation un nombre considérable de notices de sa base de données ;
Que le constat d’huissier des 7 et 14 novembre 2003 rapporte l’importance des reprises des fiches de sa base sur le site www.salvea.com ;
Qu’elle a fait procéder par l’Agence pour la Protection des Programmes (APP) à la capture à titre conservatoire de l’intégralité du site www.salvea.com, conservé sur CD Rom dont le procès-verbal a été dressé les 24, 25 et 30 octobre 2003 par un agent assermenté ;
Que ce site www.salvea.com, qui existe en versions française, anglaise et espagnole, est édité par la société Salvea, dont l’activité est la vente par correspondance, qui a débuté son exploitation le 1er mars 2003 et qui détient le nom de domaine correspondant depuis le 14 janvier 2003 ;
Que sa base de données peut être qualifiée de base de données au sens de l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Que sa base de données est constituée d’informations décrivant individuellement chaque produit concerné, et qu’elle est réalisée grâce à la mise en œuvre systématique d’un processus de création de notice pour chaque produit répertorié et que chacune des fiches produit est créée à partir des informations officielles présentées par les laboratoires et figurant dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché pour les médicaments ;
Qu’elle a fait preuve d’originalité et de créativité par le choix et la disposition des matières ce qui confère son empreinte à la base de données qui est construite selon des règles précises de rédaction et de classification, qu’elle élabore, avec des commentaires qui sont ensuite organisés et intégrés de manière identique ;
Que la base est actualisée avec une fréquence mensuelle pour la version CD-Rom et quotidiennement dans la version web ce dès qu’un laboratoire l’informe de la modification d’un produit existant ou de la commercialisation d’un nouveau produit ;
Que sa base de données relève donc des dispositions de l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle qui dispose qu’une base de données est un « recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen » ;
Qu’en sa qualité de producteur et exploitant de la base de données Click@doc elle bénéficie d’une protection de son contenu au sens de l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Qu’en effet, elle a mis en œuvre, depuis 1998, des investissements colossaux de 4 168 738,05 € pour produire et édité cette base de données ;
Qu’elle est donc fondée à interdire à tout tiers, aux termes de l’article 342-1 du code de la propriété intellectuelle, l’extraction et la réutilisation de cette base de données selon les dispositions y figurant ;
Que le site www.salvea.com reproduit dans leur intégralité les notices, jusqu’à y compris les coquilles, de la base Click@doc comme le révèle le constat d’huissier ;
Que, par exemple, il y a reproduction de ses coquilles et fautes d’orthographe, tels les produits « Caudalie fleur de vigne savon au vin », « Body lift 10 Lierac », « Avene homme » « Aosept plus », « Klorane shampoing antipelliculaire à l’extrait de pyrte » et que les mêmes types de constatations ont été effectuées sur plus d’un milliers d’autres produits ;
Qu’il y a donc manifestement l’extraction et la réutilisation massives d’une partie quantitativement substantielle de sa base de données ;
Que cette base de données présente un caractère particulièrement stratégique et essentiel et que l’extraction de données et sa réutilisation porte donc sur une partie qualitativement substantielle ;
Qu’est engagée la responsabilité de la société Salvea, en tant qu’éditeur du site www.salvea.com est directement à l’origine des actes de violation de ses droits de propriété intellectuelle, qu’elle a violé en toute connaissance de cause ;
La société Salvea fait valoir :
Qu’elle ne conteste ni que Click@doc soit une base de données ni que la société OCP Répartition en soit le producteur ;
Que, par contre, la société OCP Répartition ne peut pas se prévaloir des dispositions de l’article L 342-1 du code de la propriété intellectuelle, puisqu’il n’y a ni extraction ni réutilisation d’une partie quantitativement et qualitativement substantielle ;
Que ce qui lui est reproché porte sur 3493 références soit 1,75% des 200 000 références contenues dans Click@doc ;
Que seule une partie infime de la base Click@doc puisqu’il n’a pas été procédé à une reproduction servile mais seulement à la reprise de quelques informations pour chaque article et que ses fiches produits sont différentes car :
– les titres des produits sont fréquemment différents,
– ses fiches des produits sont accompagnées de photos, ce qui n’est pas le cas de la plupart des fiches de Click@doc,
– les rubriques sont différentes ;
Que les informations qu’elle fournit, qui se rapportent à la présentation des produits, sont celles communiquées par les fabricants au public et n’ont donc rien d’original ou particulièrement stratégiques ;
Que pour qu’une base de données puisse bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur elle doit remplir une condition d’originalité ;
Que Click@doc ne fait preuve d’aucune originalité, ni dans la sélection des produits, ni dans leur description qui est celle fournie par les fabricants, ni dans l’architecture et l’organisation de la base, identique à celle de tous les catalogues, et que la base Click@doc ne fait que répertorier les produits vendus par la société OCP Répartition ;
Qu’en outre, et pour autant que Click@doc serait protégeable au titre du droit d’auteur, la société OCP Répartition ne démontre pas qu’elle aurait la qualité d’auteur et les actes qui lui sont reprochés ne portent que sur des informations et des données qui, par nature, ne sont pas protégeables par le droit d’auteur ;
Qu’il n’y a pas d’agissements parasitaires et qu’elle s’est limitée à intégrer à sa propre base des éléments relevant du domaine public, avec une présentation différente de celle de Click@doc ;
Qu’elle aussi a effectué de lourds investissements et que son chiffre d’affaires, à l’heure actuelle de 28 000 € ne permet pas de dégager un résultat bénéficiaire ;
La discussion
Sur la contrefaçon
Attendu qu’il apparaît que la société OCP Répartition a mis en œuvre un processus de création qui n’est pas la simple compilation d’informations du domaine public ;
Attendu en effet que la société OCP Répartition a, pour chaque fiche produit, organisé et intégré les données et ses commentaires selon des règles précises de rédaction et de classification, avec utilisation de mots clés répertoriés dans un dictionnaire ;
Attendu que la base Click@doc constitue donc un recueil de données au sens de l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle et qu’elle l’a constamment actualisée ;
Attendu que la société OCP Répartition bénéficie donc de la protection conférée par l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que les constats d’huissier effectués au hasard sur un nombre substantiel de fiches ;
Attendu que ces fiches présentant un caractère propre il en résulte qu’elles ont une qualité substantielle ;
Attendu que les constats d’huissier font apparaître des similitudes, allant jusqu’à la reproduction de coquilles et de fautes d’orthographe, telle que l’existence de copie servile est manifeste ;
En conséquence le tribunal ordonnera à la société Salvea de cesser toute exploitation de quelque fiche produit que ce soit issue de la base Click@doc ou Click@doc premier sur le site internet www.salvea.com dans toutes ses versions, ou sur tout autre site internet, sous astreinte de 2500 € par jour de retard à compter de huit jours après la signification du jugement à intervenir ;
Egalement le tribunal interdira à la société Salvea d’exploiter de quelque manière que ce soit sans autorisation la base de données Click@doc ou Click@doc premier, sous astreinte de 2500 € par infraction constatée à compter de huit jours après la signification du jugement à intervenir ;
Sur la concurrence déloyale
Attendu que la société OCP Répartition justifie avoir réalisé un investissement financier important, dont la société Salvea a bénéficié à peu de frais ;
Attendu cependant que, sans être contredite, la société Salvea soutient n’avoir réalisé qu’un chiffre d’affaires de 28 000 € ;
Attendu que la société OCP Répartition, qui ne soutient pas qu’il y aurait eu dévalorisation de la base de données qu’elle commercialise, ne fournit aucun élément à l’appui de sa demande de 350 000 € de dommages-intérêts ;
Attendu que le tribunal considère donc que le préjudice subi par la société OCP Répartition est d’une part fonction du chiffre d’affaires et d’autre part par l’atteinte à son image de marque ;
En conséquence le tribunal condamnera la société Salvea à payer 28 000 € à titre de dommages-intérêts à la société OCP Répartition ;
Sur les demandes de publication
Attendu qu’il importe que l’interdiction des faits incriminés soit portée à la connaissance des internautes concernés et que le tribunal ordonnera donc à la société Salvea, sous astreinte de 1500 € par jour de retard, l’affichage, à compter de huit jours après la signification du jugement et pendant une période ininterrompue de six mois, sur la page d’accueil du site www.salvea.com de l’avertissement suivant, de manière visible et en caractères gras de taille au moins aussi importante que celle des plus gros caractères utilisés sur cette page par le site, en toutes langues dans lesquelles le site est disponible :
Avertissement important
Sur décision du tribunal de commerce de Paris la société Salvea a été condamnée à mettre un terme à la diffusion de notices produits issues de la base de données Click@doc de la société OCP Répartition et à publier en ligne le présent avertissement ;
Attendu qu’il importe également que l’interdiction des faits incriminés soit portée à la connaissance des professionnels du secteur, le tribunal autorisera la société OCP Répartition à faire publier, aux frais de la société Salvea, le dispositif de la décision dans quatre journaux ou revues spécialisées au choix de la société OCP Répartition, notamment le Moniteur du pharmacien et le Quotidien du pharmacien, sans que le coût de ces publications n’excède la somme de 3000 € par publication, déboutant pour le surplus ;
Sur l’article 700 du ncpc
Attendu que si la société Salvea partie qui succombe et qui sera condamnée aux dépens ne peut prétendre au remboursement de ses frais, il parait équitable de mettre à sa charge des frais engagés par son adversaire pour faire valoir ses droits et que le tribunal estime conforme à l’équité d’en fixer le montant à la somme de 3000 € ;
Sur l’exécution provisoire
Attendu qu’il y a lieu que, sans tarder, les actes incriminés ne puissent se reproduire et que par conséquent, sauf pour les mesures de publication, le tribunal ordonnera l’exécution provisoire ;
La décision
Le tribunal statuant en premier ressort par jugement contradictoire :
. Condamne la société Salvea à payer à la société OCP Répartition :
– la somme de 28 000 € à titre de dommages-intérêts,
– la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
. Ordonne à la société Salvea de cesser toute exploitation de quelque fiche produit que ce soit issue de la base Click@doc ou Click@doc premier sur le site internet www.salvea.com dans toutes ses versions, ou sur tout autre site internet, sous astreinte de 2500 € par jour de retard à compter de huit jours après la signification du présent jugement ;
. Interdit à la société Salvea d’exploiter de quelque manière que ce soit sans autorisation la base de données Click@doc ou Click@doc premier, sous astreinte de 2500 € par infraction constatée à compter de huit jours après la signification du présent jugement et ce pendant soixante jours, passé ce délai il sera à nouveau fait droit ;
. Ordonne l’exécution provisoire des condamnations et mesures ci-dessus ;
. Ordonne à la société Salvea, sous astreinte de 1500 € par jour de retard, l’affichage, à compter de huit jours après la signification du présent jugement et pendant une période ininterrompue de six mois, sur la page d’accueil du site www.salvea.com de l’avertissement suivant, de manière lisible et en caractère gras de taille au moins aussi importante que celle des plus gros caractères utilisés sur cette page par le site, en toutes langues dans lesquelles le site est disponible :
Avertissement important
Sur décision du tribunal de commerce de Paris la société Salvea a été condamnée à mettre un terme à la diffusion de notices produits issues de la base de données Click@doc de la société OCP Répartition et à publier en ligne le présent avertissement ;
. Autorise la société OCP Répartition à faire publier, aux frais de la société Salvea, le dispositif de la décision dans quatre journaux ou revues spécialisées au choix de la société OCP Répartition, notamment le Moniteur du pharmacien et le Quotidien du pharmacien, sans que le coût de ces publications n’excède la somme de 3000 € par publication ;
. Déboute la société OCP Répartition du surplus de ses demandes ;
. Condamne la société Salvea aux dépens, y inclus les frais d’expertise.
Le tribunal : M. Sevray (président), MM. Vilarrubla, Perraud, d’Haultoeuille et Lassalle (juges)
Avocats : Cabinet de Gaulle Fleurance, Me Michel Coicaud (Selafa Fidal)
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.