Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Bastia Jugement du 17 janvier 2006
Ministère public / Jean Claude S.
contrefaçon - décompilation - droit d'auteur - logiciel - mesures techniques de protection - rémunération - site internet
FAITS ET PROCEDURE
Sur l’action publique
Attendu que Jean Claude S. a été déféré devant le procureur de la République le 22/06/2005 qui lui a notifié par procès verbal, en application de l’article 394 du code de procédure pénale, qu’il devrait comparaître à l’audience de ce jour, notification valant citation à personne ; qu’avis lui a été donné par le même procès verbal de son droit de choisir un conseil ou d’en faire désigner un d’office ;
Attendu qu’à l’audience du 2 août 2005, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 13 décembre 2005 ;
Attendu que Jean Claude S. a comparu volontairement à l’audience du 13/12/2005 ;
Que la citation est régulière ; qu’il est établi qu’il en a eu connaissance ;
Attendu que le prévenu a comparu ;
Qu’il y a lieu de statuer contradictoirement ;
Attendu qu’il est prévenu d’avoir à Calvi depuis le mois de mars 2002 et jusqu’au 21 juin 2005 en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, sans autorisation de leurs auteurs, par tout procédé, y compris par location, mis sur le marché à titre onéreux ou gratuits des logiciels au préjudice de Alexandre G., Microsoft, Adobe, Macromedia,
infraction prévue par les articles L 335-3, L 335-2 al. 2, L 112-2, L 121-2 al. 1, L 122-2, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-2 al. 2, L 335-5 al. 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle ;
d’avoir à Calvi, depuis le mois de mars 2002 et jusqu’au 21 juin 2005 en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, intentionnellement exercé à but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, ou accompli un acte de commerce, en l’espèce en exerçant l’activité de vente de logiciels, en se soustrayant à l’obligation de requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou des entreprises, ou au registre du commerce et des sociétés,
infraction prévue par les articles L 362-3 al. 1, L 324-9, L 324-10, L 324-11, L 320, L 143-3 du code du travail et réprimée par les articles L 362-3 al. 1, L 362-4, L 362-5 du code du travail ;
d’avoir à Calvi, depuis le mois de janvier 2004 et jusqu’au 21 juin 2005 en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, frauduleusement bénéficié ou tenté de bénéficier de l’allocation du revenu minimum d’insertion, et ce pour un montant de 7359,49 € ;
infraction prévue par les articles L 262-46, L 115-1, L 262-1, L 262-2, L 262-3 CASF et réprimée par les articles L 262-46 du CASF, L 313-1 al. 2, L 313-7 du code pénal ;
Attendu que les faits peuvent se résumer comme suit :
A la suite d’une plainte de Alexandre G., concepteur d’un logiciel, qui s’était rendu compte que ce dernier était distribué sans son autorisation sur le site internet www.2bcalvi.com géré par le prévenu, il est apparu que ce dernier, au travers de divers sites internet proposait de nombreux logiciels freeware et shareware (environ 1200) ainsi que des systèmes permettant de contourner les dispositifs anti-piratage (appelés également patchs ou cracks, environ 300).
Jean Claude S. se faisait rémunérer par des publicitaires et a perçu plus de 73 000 € pour la période de mars 2002 à mars 2005, alors même qu’il n’a jamais déclaré ces revenus et l’existence même de cette activité et qu’il a obtenu frauduleusement le RMI en janvier 2004 et a perçu à ce titre 7359,49 €.
Attendu que Jean Claude S. ne conteste pas les faits, expliquant son parcours, ses problèmes de santé et reconnaissant les sommes perçues, des défauts de déclarations et justifiant son attitude par sa volonté de subvenir aux besoins de son fils ;
Que cependant, il est apparu à l’audience comme revenant sur ses déclarations, minimisant son intervention, excipant de frais ;
Qu’il a déclaré avoir cessé toute activité en relation avec l’informatique depuis les faits ;
Attendu que son conseil a indiqué que l’infraction de contrefaçon ne saurait tenir dans la mesure où il ne détenait aucun support de logiciels contrefaits, se contentant de proposer des liens renvoyant sur d’autres sites ou d’autres serveurs ou en proposant des cracks ;
Qu’il passe condamnation pour les autres infractions ;
DISCUSSION
Sur les contrefaçons :
Attendu que le prévenu est poursuivi sur la base des articles L 335-3, L 335-5 et L 335-7 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu qu’il est établi par les pièces du dossier que le prévenu a mis en ligne des logiciels protégés, même si ceux-ci étaient hébergés non pas sur son ordinateur propre mais sur un serveur externe (cm10.tgv.net par exemple) ;
Qu’il a notamment déclaré (Gav 49-4 feuillet 2) : « j’aurais eu bien moins de connexions et donc de revenus si je n’avais proposé que des freewares » ;
Qu’il est clair que la mise en ligne implique la reproduction du logiciel en cause et donc la caractérisation du délit de contrefaçon ;
Attendu en outre que si ce premier point pouvait prêter à discussion compte tenu du fait que l’enquête a été peu orientée sur ce point, il n’en demeure pas moins également que Jean Claude S. a reconnu proposer aux internautes des moyens de nature à détourner les systèmes anti piratage ;
Que ces procédés sont interdits par les articles L 122-6 et suivants (1 et 2 notamment) du code de la propriété intellectuelle qui n’autorisent pas l’adaptation du logiciel et en toutes hypothèses nullement la divulgation à des tiers ou une atteinte injustifiée aux intérêts légitime de l’auteur ;
Que cette atteinte aux prérogatives légales de l’auteur constitue bien le délit de contrefaçon reproché ;
Qu’il constitue également si besoin était celui de complicité de contrefaçon par fournitures de moyens dans la mesure où à l’évidence, les internautes se connectant sur le site cherchaient à obtenir gratuitement un logiciel protégé ou à durablement un logiciel « shareware » ;
Sur l’activité dissimulée :
Attendu que si l’activité de vente de logiciels n’est pas établie, celle réellement exercée (prestation de services ou de conseil) a généré des bénéfices importants et devait être déclarée ;
Que le délit est constitué ;
Sur le délit de fraude au RMI :
Attendu que ce délit est parfaitement constitué et reconnu, le prévenu ayant omis de signaler les revenus conséquents générés de son activité de conseil ou de prestation de services ;
Attendu qu’il en ressort donc que l’ensemble des délits sont établis ;
Qu’une peine sévère s’impose dans la mesure où Jean Claude S. ne pouvait ignorer l’illégalité de ses agissements, ne serait ce que par le simple bon sens et par le fait que certains hébergeurs lui avaient retiré leur espace, compte tenu de l’activité exercée ;
Que les faits ont duré dans le temps (plus de 2 ans) et portent sur des sommes particulièrement conséquentes (plus de 73 000 €) ;
Que la demande frauduleuse du RMI démontre un goût du lucre particulièrement développé inversement proportionnel au sens civique ;
Qu’enfin, contrairement à ce qu’il a cru pouvoir soutenir à l’audience, son site n’est pas fermé à ce jour mais fonctionne toujours ainsi que l’atteste un procès verbal de renseignement judiciaire du 22.11.2005 versé au dossier ;
Sur les constitutions de parties civiles :
Attendu que Alexandre G. se constitue partie civile ;
Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;
Que sa demande tend à la condamnation de Jean Claude S. au paiement de la somme de 5500 € au titre du préjudice matériel, et celle de 20 000 € au titre du préjudice moral ;
Attendu qu’une somme de 2000 € est demandée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il convient de déclarer Jean Claude S. responsable du préjudice subi par Alexandre G. ;
Attendu que Alexandre G. réclame des sommes importantes sans les appuyer sur des pièces comptables pouvant amener le tribunal à allouer une réparation autre que forfaitaire et calquée sur celle accordée aux autres parties (hormis l’atteinte à l’image de marque) ;
Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 7500 € la somme à allouer ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa représentation en justice ; qu’il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
Attendu que la société Microsoft, s’est constituée partie civile par lettre en date du 29/07/2005 ;
Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;
Que sa demande tend à la condamnation de Jean Claude S. au paiement de la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu’une somme de 500 € est demandée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il convient de déclarer Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Microsoft ;
Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 7500 € la somme à allouer à titre de dommages-intérêts, et celle de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa représentation en justice ; qu’il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
Attendu que la société Adobe Systems Incorporated, s’est constituée partie civile par lettre en date du 29/07/2005 ;
Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;
Que sa demande tend à la condamnation de Jean Claude S. au paiement de la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu’une somme de 500 € est demandée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il convient de déclarer Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Adobe Systems Incorporated;
Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 7500 € la somme à allouer à titre de dommages-intérêts, et celle de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa représentation en justice ; qu’il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
Attendu que la société Macromedia Incorporation, s’est constituée partie civile par lettre en date du 29/07/2005 ;
Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;
Que sa demande tend à la condamnation de Jean Claude S. au paiement de la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu’une somme de 500 € est demandée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il convient de déclarer Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Macromedia Incorporation;
Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 7500 € la somme à allouer à titre de dommages-intérêts, et celle de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa représentation en justice ; qu’il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
Attendu que la société Apple Computer Incorporation, s’est constituée partie civile par lettre en date du 09/09/2005 ;
Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;
Que sa demande tend à la condamnation de Jean Claude S. au paiement de la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu’une somme de 500 € est demandée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il convient de déclarer Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Computer Incorporation ;
Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 7500 € la somme à allouer à titre de dommages-intérêts, et celle de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa représentation en justice ; qu’il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
DECISION
Statuant publiquement et en premier ressort ;
Contradictoirement à l’égard de Jean Claude S. ;
Sur l’action publique
. Déclare Jean Claude S. coupable des faits qui lui sont reprochés ;
. Condamne Jean Claude S. à la peine de 24 mois d’emprisonnement ; dont 9 mois avec sursis simple ; le condamne en outre à 10 000 € d’amende.
A l’issue de l’audience le président avise le condamné que s’il s’acquitte du montant de cette amende dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle cette décision a été prononcée le montant sera diminué de 20% sans que cette diminution puisse excéder 1500 €. Le président informe le condamné que le paiement de l’amende ne fait pas obstacle à l’exercice des voies de recours.
Dans le cas d’une voie de recours contre les dispositions pénales il appartient à l’intéressé de demander la restitution des sommes versées.
Le président, en application de l’article 132-29 du code pénal, ayant averti le condamné, que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une nouvelle condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première condamnation sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-8 à 132-16 du code pénal ;
Sur l’action civile
Par jugement contradictoire à l’égard de Alexandre G., par jugement contradictoire à signifier à l’égard de la société Microsoft, de la société Adobe Systems Incorporated, de la société Macromedia Incorporation, de la société Apple Computer Incorporation ;
. Reçoit Alexandre G. en sa constitution de partie civile ;
. Déclare Jean Claude S. responsable du préjudice subi par Alexandre G. ;
. Condamne Jean Claude S. à payer à Alexandre G. la somme de 7500 € à titre de dommages-intérêts ;
. Condamne Jean Claude S. à verser à Alexandre G., au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
. Reçoit la société Microsoft en sa constitution de partie civile ;
. Déclare Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Microsoft ;
. Condamne Jean Claude S. à payer à la société Microsoft la somme de 7500 € à titre de dommages-intérêts ; et la somme de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
. Condamne Jean Claude S. à verser à la société Microsoft, au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
. Reçoit la société Adobe Systems Incorporated en sa constitution de partie civile ;
. Déclare Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Adobe Systems Incorporated ;
. Condamne Jean Claude S. à payer à la société Adobe Systems Incorporated la somme de 7500 € à titre de dommages-intérêts ; et la somme de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
. Condamne Jean Claude S. à verser à la société Adobe Systems Incorporated, au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
. Reçoit la société Macromedia Incorporation en sa constitution de partie civile ;
. Déclare Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Macromedia Incorporation ;
. Condamne Jean Claude S. à payer à la société Macromedia Incorporation la somme de 7500 € à titre de dommages-intérêts ; et la somme de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
. Condamne Jean Claude S. à verser à la société Macromedia Incorporation, au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
. Reçoit la société Apple Computer Incorporation en sa constitution de partie civile ;
. Déclare Jean Claude S. responsable du préjudice subi par la société Apple Computer Incorporation ;
. Condamne Jean Claude S. à payer à la société Apple Computer Incorporation la somme de 7500 € à titre de dommages-intérêts ; et la somme de 1600 € au titre de l’atteinte à l’image de marque ;
. Condamne Jean Claude S. à verser à la société Apple Computer Incorporation, au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 500 € ;
La présente décision est assujettie d’un droit fixe de procédure d’un montant de 90 € dont est redevable le condamné ;
Le tout en application des articles 406 et suivants et 485 du code de procédure pénale et des textes susvisés.
Le tribunal : M. Desplantes (président), Mmes Guillard et Morraja Sanchez (juges)
Avocats : Me Caporossi Poletti, Cabinet de Gaulle Fleurance et associés, Me Martial
Notre présentation de la décision
Voir la décision d’appel du 15/11/2006
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