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Jurisprudence : Marques

mercredi 23 janvier 2013
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Tribunal de grande instance de Bordeaux 1ère chambre civile Jugement du 15 janvier 2013

Erco & Gener / Sphinx Connect France

adwords - concurrence - contrefaçon - marque - moteur de recherche - mots clés - publicité

FAITS ET PROCÉDURE

Se plaignant de la reproduction sans son autorisation de ses marques via le service de référencement GoogleAdWords, la société Erco & Gener a, par acte d’huissier du 21 octobre 2010, assigné la société Sphinx Connect France devant le juge des référés du tribunal de grande Iinstance de Bordeaux.

Par ordonnance du 13 décembre 2010, le juge des Référés a constaté le désistement de la société Erco & Gener suite à l’intervention de la société Sphinx pour faire disparaître les liens commerciaux qui lui étaient reprochés.

Par acte d’huissier du 13 janvier 2011, la société Erco & Gener a assigné au fond la société Sphinx Connect France devant le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Vu les conclusions déposées le 15 février 2012 par la société Erco & Gener demandant au tribunal de :
– constater que les annonces promotionnelles de la société Sphinx déclenchées par des requêtes en “genpro” et/ou “erco” suggèrent l’existence d’un lien économique entre la société Sphinx et la société Erco & Gener, titulaires des marques “GenPro” et “erco&gener” ;
– constater que les annonces promotionnelles de la société Sphinx déclenchées par des requêtes en “genpro” et/ou “erco” sont à tout le moins suffisamment vagues sur l’origine des produits en cause pour qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne soit pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire des marques “GenPro” et “erco&gener” ou s’il est économiquement lié à celui-ci ;
– dire que la société Sphinx a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Erco & Gener ;
– à titre subsidiaire, dire qu’en reproduisant les marques “GenPro” et “erco&gener” tant au niveau du titre de ses liens commerciaux sur Google Adwords que des mots- clés réservés pour le déclenchement de ces derniers, la société Sphinx a commis des actes de publicité mensongère et trompeuse au préjudice de la société Erco & Gener ;
– condamner en conséquence la société Sphinx au paiement des sommes suivantes :
* 30 000 € au titre du manque à gagner ;
* 30 000 € au titre du préjudice subi ;
– ordonner la publication du jugement à intervenir sur la page d’accueil des sites internet www.sphinxconnect.fr et www.sphinxfrance.fr et pour une durée de six mois à compter de la signification dudit jugement ;
– condamner la société Sphinx au paiement d’une indemnité de 7000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
– le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Vu les conclusions déposées le 30 mai 2012 par la société Sphinx demandant au tribunal de :
– débouter la société Erco & Gener de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner la société Erco & Gener au paiement des sommes de 20 000 € pour procédure abusive et de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2012.

L’affaire a été retenue à l’audience du 27 novembre 2012 et la décision mise en délibéré au 15 janvier 2013.

DISCUSSION

Dans trois arrêts dits Google du 23 mars 2010, la Cour de Justice de l‘Union Européenne (CJUE) a indiqué que “le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, de la publicité ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l‘internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers”.

Dans un arrêt Interflora c/ Marks & Spencer du 22 septembre 2011, la CJUE a affiné sa jurisprudence en indiquant que “le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un concurrent de faire, à partir d’un mot clé identique à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque cet usage est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque. Un tel usage :
– porte atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque la publicité affichée à partir dudit mot clé ne permet pas ou permet seulement difficilement à l‘internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire d’un tiers ;
– ne porte pas atteinte, dans le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la marque ;
– porte atteinte à la fonction d’investissement de la marque s‘il gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs.”

Ce dernier arrêt a également adopté des dispositions spécifiques s’agissant des marques renommées : “le titulaire d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d‘un mot clé identique à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, lorsque ledit concurrent tire ainsi un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (parasitisme) ou lorsque ladite publicité porte préjudice à ce caractère distinctif (dilution) ou à cette renommée (ternissement). Une publicité à partir d’un tel mot clé porte préjudice au caractère distinctif de la marque renommée (dilution), notamment, si elle contribue à une dénaturation de cette marque en terme générique. En revanche, le titulaire d’une marque renommée, n‘est pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir de mots clés correspondant à cette marque et proposant, sans offrir une simple imitation des produits ou des services de ladite marque, sans causer une dilution ou un ternissement et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de la marque renommée, une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci.”

En l’espèce, la société Erco & Gener est une entreprise spécialisée dans la fabrication et la distribution, soit directement, soit par le biais de distributeurs agréés, de modems industriels. Elle est à ce titre titulaire des marques françaises et communautaires “erco&gener” et “GenPro” déposées et enregistrées en 2007 et 2009. Il est indifférent qu’une société Etudes Réalisations Construction (Erco) ait été immatriculée le 17 mars 1982 dans la mesure où ladite société qui exerçait son activité dans autre domaine (l’ingénierie et les études techniques) ne s’est jamais plainte de l’utilisation de sa dénomination sociale à titre de marque. De surcroît, cette société a été radiée le 27 juillet 2009. La demanderesse se présente comme l’un des leaders français en matière de modems industriels. Partant, la jurisprudence communautaire relative aux marques renommées est applicable.

La société Sphinx ne peut sérieusement soutenir qu’elle ne serait pas une concurrente de la société Erco & Gener. Pourquoi a-t-elle décidé de lancer une campagne de publicité via Google Adwords en réservant les mots clés “erco” et “genpro” sinon pour diriger les internautes intéressés par les marques en cause vers son propre site internet ? La défenderesse reconnaît d’ailleurs qu’elle vend des modems industriels, certes dans une très faible proportion de son chiffre d’affaires (1%). Elle précise qu’il lui est même arrivé exceptionnellement d’acheter pour les revendre des produits de la société Erco & Gener et qu’elle s’était vue proposer un contrat de distribution demeuré sans suite ! Elle se vante de surcroît de vendre une gamme de produits présentant une alternative par rapport à ceux commercialisés par la société Erco & Gener. Il sera donc retenu que ces deux sociétés sont bien concurrentes.

Il ressort d’un constat d’huissier du 16 septembre 2010 que les annonces promotionnelles suivantes apparaissaient sur le moteur de recherches Google :
– la requête “genpro” affiche pour résultat en tête de 1ère page ce lien commercial :

« GenPro
SphinxFrance.fr/Routeur_Cellulaire Retrouvez Tt Une Gamme de Routeurs Modem 3 G
GPRS Réservée aux Pro »

– la requête “erco” affiche pour résultat en tête de 1ère page ce lien commercial :

« Routeur Cellulaire
SphinxFrance.fr/Routeur_Cellulaire Retrouvez Tt Une Gamme de Routeurs Modem 3 G
GPRS Réservée aux Pro »

Les mêmes requêtes affichent aussi des liens en page vers les sites internet de la société Erco & Gener dans le cadre du référencement gratuit dit naturel mais à un emplacement moins favorable que les liens sponsorisés ci-dessus décrits.

En ce qui concerne la requête “genpro“, force est de constater que la société Sphinx a utilisé sans son autorisation la marque phare de sa concurrente comme titre de son annonce. Elle a de ce fait entretenu une risque de confusion dans l’esprit du public intéressé en lui laissant croire qu’elle pouvait être liée économiquement à la société Erco & Gener alors que tel n’était pas le cas. II en résulte une atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque constitutive d’un acte de contrefaçon au sens des articles L 713-2 et L 716-1 du code de la propriété intellectuelle.

La société Sphinx ne peut utilement s’exonérer de sa responsabilité au prétexte que Google serait l’initiateur des annonces. En effet, l’annonceur était à même, par un processus automatisé, de choisir le titre de son annonce, de rédiger le contenu de son message commercial ainsi que de sélectionner les mots-clés qu’il souhaitait utiliser. Il lui était également possible d’ajouter des mots-clés négatifs excluant tout renvoi vers l’annonce mais aussi de définir un système de requête plus ou moins large pour la prise en compte des variantes par rapport aux mots-clés sélectionnés. La société Sphinx ne peut donc s’en prendre qu’à elle-même si elle ne s’est pas servie de ces outils pour éviter de nuire aux intérêts de la société Erco & Gener.

En ce qui concerne la requête “erco “, il n’est démontré aucune atteinte aux fonctions de la marque. En effet, l’annonce correspondante ne génère aucune ambiguïté particulière par rapport au titulaire de la marque qui n’est nulle part reproduite contrairement à la première annonce. Par ailleurs, il n’est pas établi que la réservation de cette marque à titre de mot-clé causerait une gêne substantielle à la société Erco & Gener ou en affecterait sa réputation. Cette publicité se présente davantage comme une offre alternative sérieuse aux produits de la société Erco & Gener (cf. la formule “Retrouvez Tt Une Gamme de Routeurs Modem 3G GPRS Réservée aux Pros »), ce qui est parfaitement admis par la jurisprudence communautaire dès lors qu’il n’y a ni parasitisme ni dilution ni ternissement de la marque renommée. Il sera précisé que la gamme des produits vendus par la société Sphinx est à la fois très large et très sophistiquée. Elle s’adresse en outre à des professionnels qui ne sont pas assimilables à de simples consommateurs d’attention moyenne. Le tribunal considère que cette publicité relève donc d’une concurrence saine et loyale voulue par la législation européenne même si elle peut contraindre la société Erco & Gener à payer un prix plus élevé si elle veut obtenir que ses annonces apparaissent devant celles de sa concurrente. Aucun manquement ne sera retenu à l’encontre de la société Sphinx au titre de l’annonce découlant de la requête “erco“ y compris au regard du fondement juridique subsidiairement invoqué (la publicité mensongère ou trompeuse).

S’agissant du préjudice en lien avec la seule contrefaçon retenue (annonce “genpro”), la société Erco & Gener ne justifie d’aucune baisse de son chiffre d’affaires. Il convient en tout état de cause de rappeler que l’annonce incriminée été retirée dès le 3 novembre 2010, soit seulement 48 jours après le constat établissant la contrefaçon. L’expert-comptable de la société Sphinx atteste que le chiffre d’affaires hors taxes relatif aux produits modems réalisé par cette société s’est élevé à la somme de 4018,42 € pendant cette période. La défenderesse sera en conséquence tout au plus condamnée au paiement de la moitié de cette somme au titre du manque à gagner, soit 2009,21 €, puisqu’aucun comportement répréhensible ne lui est imputable au titre de l’annonce à partir de la requête “erco“.

Quant aux pertes subies, il n’est en rien démontré que les marques litigieuses se seraient retrouvées discréditées, avilies ou dégradées au seul motif qu’elles ont été associées aux services de la société Sphinx. Au contraire, cette société vend habituellement des routeurs dont le prix moyen s’élève à 342,89 € HT alors que celui d’un modem est de 80,38 € d’après son expert-comptable. Enfin, il ne peut être mis à la charge de la défenderesse une partie des frais engagés par la société Erco & Gener pour la protection et la promotion de ses signes distinctifs et de son site internet puisque l’annonce “genpro” a été retirée. La demanderesse a ainsi dû retrouver sans la moindre dépense l’emplacement qui était le sien sur Google avant la campagne publicitaire de sa concurrente.

Il sera fait droit à la demande de publication d’un extrait du présent jugement sur la page d’accueil des sites internet de la société Sphinx à titre de réparation complémentaire mais pour une durée limitée à trois mois compte tenu du modeste préjudice subi. Une astreinte sera ordonnée d’office pour garantir la bonne exécution de cette mesure.

La demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive ne peut qu’être rejetée puisque les demandes de la société Erco & Gener sont au moins partiellement fondées.

Succombant à l’instance, la société Sphinx sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure de 4000 € en faveur de la société Erco & Gener.

L’exécution provisoire n’est pas nécessaire étant donné que les annonces ont d’ores et déjà été retirées. Elle ne sera pas ordonnée.

DÉCISION

Statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort, et par mise à disposition au Greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2éme alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

. Condamne la société Sphinx Connect France à payer à la société Erco & Gener les sommes suivantes :
– 2009,21 € au titre du manque à gagner ;
– 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

. Ordonne la publication aux frais de la société Sphinx Connect France, dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, du communiqué suivant sur la page d’accueil des sites internet www.sphinxconnect.fr et www.sphinxfrance.fr :
“Par jugement du 15 janvier 2013, le tribunal de grande instance de Bordeaux a retenu que la société Sphinx Connect France a contrefait la marque GenPro appartenant à la société Erco & Gener en utilisant, sans l’autorisation du titulaire, ladite marque comme mot-clé dans le cadre d’un service de référencement sur internet sans permettre à un internaute informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits visés par son annonce provenaient du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celle-ci ou au contraire d’un tiers. La société Sphinx Connect France a en conséquence été condamnée à payer à la société Erco & Gener les sommes de 2009,21 € au titre du manque à gagner et de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.”

. Dit que ce communiqué devra être placé pendant trois mois dans un encadré situé en haut et au centre des pages d’accueil en utilisant une taille de police supérieure ou égale à 12,

. Condamne la société Sphinx Connect France, à défaut de se soumettre à la publication ordonnée, à payer à la société Erco & Gener une astreinte de 100 € par jour de retard,

. Condamne la société Sphinx Connect France aux dépens,

. Rejette le surplus des demandes.

Le tribunal : M. Jean-Paul Broeks (président), Mme Sylvie De Framond et M. Bertrand Quint (juges)

Avocats : Selarl ALTIJ, Me Monique Casahoursat

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.