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Jurisprudence : Marques

jeudi 21 août 1997
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Tribunal de grande instance de Draguignan 1ère chambre civile jugement du 21 août 1997

Commune de Saint-Tropez / Eurovirtuel, Quadra Communication, Nova Développement

contrefaçon de marque - nom de domaine

Exposé du litige

Constatant que la commune de Saint-Tropez a déposé la marque Saint -Tropez pour un modèle scriptural et graphique 8 x 8 destiné, notamment, à protéger les appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images, les supports d’enregistrement magnétiques, les disquettes acoustiques, l’équipement pour le traitement de l’information et les ordinateurs, ainsi que les télécommunications, la publicité et les affaires commerciales ;

Que dans un but promotionnel, cette collectivité publique a décidé d’intégrer le système baptisé Internet en sollicitant le concours de prestataires de services, lesquels ont eu recours aux moyens techniques de la société Eurovirtuel.

Que courant mai 1996, cette personne morale a mis en oeuvre, pour le compte de cette collectivité territoriale, un site comportant l’adresse www.nova.fr/saint-tropez ;

Que la commune apprenait au cours du mois d’octobre de la même année que la société Eurovirtuel exploitait un site à l’adresse www.saint-tropez.com ;

Qu’en l’état du refus de la société Eurovirtuel de poursuivre ses activités par l’usage de la marque Saint Tropez, cette commune a été autorisée, suivant ordonnance de ce siège en date du 5 mars 1997, à procéder par voie d’assignation à jour fixe aux fins d’obtenir l’interdiction, pour cette société, d’utiliser sa marque dans la dénomination de son adresse Internet, ainsi que dans toutes celles liées à l’exploitation d’un site d’hébergement sur ce logiciel ;

Que cette collectivité locale a, d’autre part, requis l’allocation d’une somme de 500 000 francs à titre de dommages et intérêts, outre celle de 50 000 francs sur le fondement des dispositions de l’article 700 du NCPC ;

Constatant que suite à la signification de l’assignation le 18 mars 1997, les prestataires de services, la SARL Quadra Communication et la SARL Nova Développement ont pris des conclusions d’intervention volontaire, en faisant valoir qu’elles s’associaient aux demandes de la commune de Saint-Tropez pour ce qui concernait l’interdiction d’utiliser sa marque ;

Qu’en second lieu la SARL Quadra Communication a sollicité la condamnation de la société Eurovirtuel à lui payer la somme principale de 43 676,81 francs au titre du remboursement de diverses factures réglées sans contrepartie ;

Qu’en troisième lieu la société Nova Développement a requis la condamnation de la société Eurovirtuel à lui payer la somme de 640 000 francs au titre du manque à gagner pour détournement de clientèle, ainsi qu’une somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l’image, outre une somme de 3700 francs TTC représentant le remboursement de frais d’huissier ;

Que ces sociétés ont demandé la publication du présent jugement à charge de la société Eurovirtuel, sous astreinte de 1000 francs par jour de retard à compter du quinzième jour suivant sa signification ;

Que ces deux personnes morales ont évalué à 25 000 francs le coût respectif de leurs frais irrépétibles ;

Constatant que par voie de conclusions signifiées le 23 mai 1997, à l’ensemble des parties, la société Eurovirtuel à soutenu que la société Quadra Communication n’était pas titulaire de la marque Saint Tropez et qu’elle ne justifiait d’aucune licence, rendant ainsi irrecevable son intervention volontaire au titre de l’action en contrefaçon et subsidiairement sur le fondement de l’action en concurrence déloyale ;

Qu’elle a encore prétendu, que les demandes formulées par la commune de Saint-Tropez et la société Nova Développement n’étaient pas fondées dans la mesure où la marque Saint Tropez ne bénéficiait d’aucune protection internationale ;

Qu’à titre subsidiaire, elle a mis en exergue l’absence d’activité télématique déposée par la commune dans la liste des activités protégées par sa marque ;

Qu’estimant infondée l’action en contrefaçon, cette société a soulevé l’incompétence du tribunal de céans au profit du tribunal de commerce de Nice, localité dans le ressort duquel elle avait son dernier siège social ;

Qu’au titre des demandes fondées sur la captation de clientèle, la société Eurovirtuel, a prétendu que les clients avec lesquels il lui était reproché d’avoir traité, lui étaient propres depuis longue date et auxquels elle avait offert des prestations télématiques indépendants de celles impliquées par le site litigieux ;

Qu’enfin à titre reconventionnel la société défenderesse a fait valoir que la dénomination de Saint Tropez correspondant à un nom géographique et non point une marque commerciale ;

Que se prévalant des dispositions de l’article L. 711.2 du code de la propriété intellectuelle, elle a estimé que cette marque ne devait pas être de nature à priver d’autres personnes de l’utilisation de termes, d’images ou de formes, qui lui sont indispensables pour désigner leurs propres produits ;

Qu’au soutien de ce moyen la société Eurovirtuel a mis en exergue le fait que cette possibilité existait en matière de télématique, dans la mesure où le système prévoyait des extensions org pour les collectivités territoriales (paris.org) outre une extension fr pour la France, ce qui ne permettait aucune confusion avec les activités commerciales dotées de l’extension .com, dès lors il lui apparaissait que les sites saint tropez.fr et saint tropez.com pouvaient cohabiter sans risque de confusion.

SUR QUOI :

1. Sur la compétence

Constatant que les conventions initialement convenues entre les parties se sont nouées dans le ressort du tribunal de céans (cf. facturations Eurovirtuel – Quadra Communication) ;

Qu’en second lieu, il ne saurait être disconvenu que l’exécution des prestations développées sur le site Internet ne puissent être exécutées notamment dans le ressort de la juridiction du tribunal de grande instance de Draguignan, nonobstant leur lieu d’émission ;

Qu’en application des dispositions de l’article 46 du code de procédure civile, il convient de rejeter l’exception d’incompétence ; le demandeur ayant valablement saisi la juridiction compétente en fonction du critère du lieu du fait dommageable applicable en matière délictuelle, étant ajouté que la présente juridiction est également compétente en matière contractuelle au regard du lieu de l’exécution de l’obligation.

2. Sur l’action en contrefaçon

Constatant que la contrefaçon se définit comme la reproduction à l’identique ou au quasi-identique de la marque d’autrui et qu’elle se distingue de l’imitation frauduleuse qui permet, sans reproduire la marque d’autrui, de s’en rapprocher suffisamment pour entraîner des confusions ;

Qu’une différence de détail qui n’empêche pas la similitude visuelle ou phonétique ne suffit pas à faire échapper son auteur au grief de contrefaçon ;

Constatant en l’espèce qu’il est démontré que la commune de Saint-Tropez, titulaire de la marque Saint Tropez, en vertu d’un dépôt régulièrement enregistré à l’Institut national de la propriété industrielle a décidé au cours de l’année 1996, d’intégrer un site réservé, sur le système baptisé Internet ;

Que nonobstant les péripéties tenant à la mise en oeuvre de la page réservée au titulaire de cette marque, il est acquis aux débats que la société Eurovirtuel a contourné la procédure d’attribution d’adresses sur le système en recourant à l’organisme central situé aux Etats-Unis d’Amérique aux fins d’obtenir un canal informatique, lui permettant de diffuser, à partir de ce pays des informations, sous le label Saint Tropez ;

Constatant que les moyens tirés de l’hébergement d’informations et du lieu de leur émission, ne peuvent prospérer en ce qu’ils impliquent nécessairement une réception de renseignements offerts au public dans une sphère territoriale soumise à l’application de la loi nationale en vigueur ;

Que dès lors, le moyen tiré de l’extranéité portant sur la protection internationale de la marque ne peut valablement prospérer ;

Constatant que la société Eurovirtuel, prétend que le site Saint Tropez, qu’elle exploite, ne pouvait subir de confusion avec celui de la collectivité propriétaire de la marque, dans la mesure où son adresse comportait une extension com et qu’un avertissement destiné aux utilisateurs précédait l’accès aux informations mises à leur disposition en les avisant qu’ils n’accédaient pas aux renseignements diffusés par la commune de Saint-Tropez ;

Que ces moyens ne résistent pas à l’examen en l’état de l’aveu même de la société Eurovirtuel, qui dans un courrier en date du 5 mars 1996, a précisé que la procédure d’accès au site Saint Tropez, était simplifiée par la simple recherche du mot clé « Saint Tropez » ;

Qu’ainsi la contrefaçon de la marque Saint Tropez se trouve caractérisée ;

Que les demandes tendant à l’interdiction de son utilisation sont donc parfaitement fondées ;

Constatant que pour évaluer le préjudice de la commune, le tribunal estime devoir statuer, au vu des éléments qui lui sont soumis, dans la mesure où ce préjudice résulte tout à la fois de la perte subie par le titulaire de la marque et le gain manqué par lui ;

Que la perte subie est constituée surtout par l’avilissement de la marque résultant de sa banalisation sur un système informatique destiné à une très large diffusion entraînant un avantage économique certain pour l’exploitant du site Internet considéré ;

Que pour évaluer le gain manqué, le tribunal se réfère notamment à la durée et à l’importance de l’exploitation de la marque par son titulaire ainsi que par rapport à la nature spécifique de la contrefaçon ;

Que le montant des dommages et intérêts, alloués à la commune de Saint-Tropez, peut être fixé à la somme de 100 000 francs ;

Que l’équité implique l’allocation, en faveur de cette collectivité, d’une somme de 15 000 francs sur le fondement des dispositions de l’article 700 du NCPC.

3. Sur l’action en répétition de la société Quadra Communication

Constatant que cette société sollicite la répétition des sommes qu’elle a réglé au titre de diverses prestations confiées à la société Eurovirtuel ;

Constatant que la seule convention soumise à l’appréciation du tribunal est constituée par un acte sous seing privé en date du 11 septembre 1996, aux termes duquel l’office de tourisme de la ville de Saint-Tropez a convenu avec la SARL Nova Développement, pour une durée de cinq années, de diverses prestations tenant à la mise en oeuvre, à la gestion et à l’animation du site Internet de la ville de Saint-Tropez ;

Constatant que les éléments de l’espèce paraissent démontrer que cette société est intervenue ensuite des rapports contractuels ayant existés entre la société Eurovirtuel et la société Quadra Communication, les extraits K bis de ces personnes morales laissant apparaître Monsieur Malèque Jacques Stéphane René en qualité d’animateur de ces deux sociétés, cet élément étant de nature à expliciter le rôle initial de cette dernière personne morale dans le champ contractuel et à justifier l’existence des facturations émises à son encontre par la société Eurovirtuel, les 20, 24 janvier, 9 et 15 février 1996 ;

Que les conditions générales de vente proposées par la SA Eurovirtuel, énoncent que le règlement des prestations intervient à la signature du bon de parution ;

Qu’il n’est pas contesté, en l’espèce, que les factures susvisées aient été régulièrement acquittées ;

Que dès lors que la durée des prestations est fixée à une année permanente à compter de la première mise en ligne et que le débiteur de l’obligation a estimé pouvoir de manière unilatérale supprimer ou modifier le service pour lequel il a perçu rémunération, il convient de constater qu’il a engagé sa responsabilité et par voie de conséquence, c’est à bon droit que la société Quadra Communication sollicite le remboursement des sommes qu’elle a payées et que le tribunal est en mesure de lui allouer à titre de dommages et intérêts.

4. Sur le détournement de clientèle

Constant que ce chef de demande s’analyse en une action en concurrence déloyale, qui ne constitue pas un succédané de l’action en contrefaçon et qui ne peut prospérer que si elle est fondée sur des faits distincts de la seule reproduction de la marque ;

Que l’action en concurrence déloyale implique, d’autre part, qu’il existe entre les parties une situation de concurrence affective étant observé que s’il n’est pas exigé que la spécialité de l’entreprise victime de pratiques déloyales et celle de l’auteur de ces pratiques soient rigoureusement identiques, encore faut-il qu’ils exercent des activités voisines ou semblables ;

Constatant que la mission de promotion des activités commerciales, artisanales et artistiques génériquement confiée à l’Office du tourisme de la commune de Saint-Tropez, ne saurait, sous prétexte de délégation contractuelle en faveur d’une société prestataire de services, conférer à cette dernière une situation de quasi-monopole, caractérisée par la virtualité d’un potentiel de clientèle, sauf à admettre l’interdiction faite sur le territoire de la commune de toutes initiatives tendant à des fins identiques appliquées sur des supports traditionnels ;

Que cependant, dès lors qu’il est démontré que la collectivité a confié à une société prestataire de services cette mission, dont la diffusion est réalisée sur un site spécifique bénéficiaire de la marque protégée, et qu’il est largement démontré par les pièces régulièrement produites aux débats que la société Eurovirtuel, a utilisé pour alimenter son propre site concurrent, le support de clientèle initialement mis à sa disposition par les sociétés Quadra Communication et Nova Développement, il apparaît que cette société démontre avoir fait preuve d’agissements contraires aux usages loyaux du commerce et dès lors elle doit être tenue à réparation du préjudice subi par la société Nova Développement ;

Constatant que le montant des pertes résultant du détournement de clientèle correspond à la très juste appréciation qu’en a faite la société Nova Développement soit 528 000 francs, somme déterminée par le calcul des prestations impliquées par la parution des différentes pages pour chaque client sur le site Internet ;
Que les demandes de dommages et intérêts complémentaires ne sont pas fondées ;

Que l’équité implique l’allocation d’une somme de 10 000 francs à chacune des deux sociétés prestataires de services en application des dispositions de l’article 700 du NCPC.

Par ces motifs

Statuant publiquement contradictoirement et en premier ressort
Rejette l’exception d’incompétence ;

Et par voie de dispositions distinctes :

Constate que la société anonyme Eurovirtuel a contrefait la marque Saint Tropez par la création sur un site Internet d’une adresse comportant la dénomination Saint-Tropez.
Fait interdiction à la société anonyme Eurovirtuel, d’utiliser la marque Saint Tropez dans la dénomination de son adresse Internet, ainsi que dans toutes celles liées à l’exploitation d’un site d’hébergement sur ce logiciel.

Condamne la société SA Eurovirtuel à payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 15 000 francs sur le fondement des dispositions de l’article 700 du NCPC à la commune de Saint-Tropez.

Condamne la société SA Eurovirtuel à payer la somme de 43 676 81 francs à titre de dommages et intérêts à la Sarl Quadra Communication.

Condamne la société SA Eurovirtuel à payer la somme de 10 000 francs sur le fondement des dispositions de l’article 700 du NCPC à la Sarl Nova Développement et à la Sarl Quadra Communication.

Ordonne, avec exécution provisoire, la publication du présent jugement dans le Figaro, Var Matin et Nice Matin et ce, sous astreinte de 1000 francs par jour de retard à l’expiration d’un délai de 15 jours après la signification du présent jugement.

Ordonne, avec exécution provisoire, pour une durée de six mois, à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement, la publication du jugement en son intégralité sur la première page du serveur de la SA Eurovirtuel, accessible par l’adresse http://www.nova.fr/saint-tropez ou toute autre adresse qui y serait substituée.

Dit que cette obligation sera assortie d’une astreinte de 5 000 francs par jour de retard à l’expiration du délai de quinzaine.

Rejette le surplus des demandes.

Condamne la SA Eurovirtuel aux dépens.

Le tribunal : M.Cabaret (vice-président), Th. Desplantes et S. Pistre (asseseurs), S. Infantino (greffier).

Avocats : Me A. Varaut – Me E. Morain – Me Césari – Me Lapp

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