Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Lyon 3ème chambre, Jugement du 03 juin 2004
CNRRH, Pierre Alexis T./ Les époux C.
constat - marques - preuve
FAITS ET PROCEDURE
Pierre Alexis T. a déposé le 21 février 1997 à l’Inpi de Lyon la marque « Eurochallenges », enregistrée sous le numéro 97665926 pour désigner les produits et services suivants : conseils, informations et renseignements d’affaire. Reproduction de documents. Gestion de fichiers informatiques. Publication de textes publicitaires. Organisation de voyages. Conseil, recherches et informations en relations humaines. Agence matrimoniale.
Suivant contrat du 10 novembre 1997, publié le 19 mai 2003 au Registre national des marques, Pierre Alexis T. a consenti une licence d’exploitation de ladite marque à la société Centre national de recherche en relations humaines (Cnrrh).
Par acte d’huissier du 9 juillet 2003, la société Cnrrh et Pierre Alexis T. ont fait assigner Stéphane C. devant le tribunal de grande instance de Lyon afin de voir, au visa des articles L 713-3 et L 716-1 du code de la propriété intellectuelle, 1382 et 1383 du code civil :
• constater que l’utilisation du mot « Eurochallenges » par l’exploitant du site « french-union.com » constitue des actes de concurrence déloyale, de parasitisme et de contrefaçon de marque,
• ordonner la cessation de contrefaçon de marque et interdire à l’exploitant du site « french-union.com » d’user sous quelque forme que ce soit la dénomination « Eurochallenges », et ce sous astreinte de 1000 € par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du jugement, le tribunal se réservant éventuellement la liquidation de l’astreinte,
• faire obligation de Stéphane C., qui exploite le site « french-union.com » de modifier tous les codes sources contenant le terme « Eurochallenges »,
• condamner le même Stéphane C. à verser :
– à la société Cnrrh la somme de 800 000 € à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon de marque,
– à Pierre Alexis T. la somme de 8000 € à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon de marque,
– à la société Cnrrh la somme de 150 000 € à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme,
• ordonner la publication du jugement sur le site internet « french-union.com », au frais du défendeur, en caractères lisibles de police minimum 12, ainsi que la publication du dispositif dans trois journaux ou revues au choix de la société Cnrrh,
• condamner « la société French Union » (sic) à verser à la société Cnrrh la somme de 2000 € en application de l’article 700 du ncpc.
Au soutien de leurs demandes, la société Cnrrh et Pierre Alexis T. exposent que :
• le procès verbal de constat d’huissier en date du 16 décembre 1997 établit que la « société » de Stéphane C. utilise sans autorisation pour un service identique à celui désigné dans l’enregistrement (agence matrimoniale) la marque « Eurochallenges », exploitée par la demanderesse sur son site « eurochallenges.com », que l’internaute tapant « Eurochallenges » dans la zone idoine de plusieurs moteurs de recherche est, en effet, renvoyé sur le site « french-union.com »,
• la concurrence déloyale du défendeur est, en outre, caractérisée étant donné que, en utilisant ladite marque et en reprenant sur son site les spécificités de la société Cnrrh dans le domaine des unions franco-russes et franco-slaves, Stéphane C. entretient une confusion dans l’esprit de la clientèle, et détourne cette dernière par des moyens déloyaux, et ce d’autant qu’il rend son entreprise plus attractive et efficace en se dispensant de respecter les dispositions légales interdisant notamment un paiement à la commande,
• le préjudice subi est d’autant plus important pour la société Cnrrh qu’elle est la première agence matrimoniale française, qu’elle est spécialisée dans les unions internationales, qu’elle est leader du marché, que la marque « Eurochallenges » est une marque notoire et que le site portant le nom de cette marque génère la signature d’un contrat de courtage matrimonial (au prix allant de 2300 € à 3700 €) pour 100 visiteurs.
DISCUSSION
Stéphane C. a été régulièrement cité par acte remis en mairie de Grenoble et la présente décision est susceptible d’appel.
Il y a donc lieu de statuer par jugement réputé contradictoire en application de l’article 473 du ncpc.
En application des articles L 716-1 et 713-2 du code de la propriété intellectuelle, constitue une contrefaçon toute utilisation à quelque titre que ce soit, sous quelque mode que ce soit et de quelque manière que ce soit, d’une marque déposée, y compris dans le cadre d’un site internet.
En l’espèce, il résulte du procès verbal de constat établi le 16 décembre 2002 par Me Fradin, huissier de justice que :
• selon la base de données de l’Internic, Stéphane C. a fait enregistrer le nom de domaine « french-union.com » pour un site commercial proposant notamment des rencontres avec des jeunes femmes des pays de l’Est,
• l’indication du mot « Eurochallenges » dans le moteur de recherche « Google » fait apparaître, d’une part, un lien (le seul existant) commercial avec le site de Stéphane C., « french-union.com », d’autre part, 322 résultats dont en premier et en deuxième le site « eurochallenges.com » de la société Cnrrh et en troisième le site de Stéphane C. dénommé « french-union.com/eurochallenges.htm »,
• la même opération avec le moteur de recherche « Yahoo » fait également apparaître en premier résultat le site de la demanderesse et en deuxième résultat le site de Stéphane C. toujours sous la dénomination « french-union.com/eurochallenges.htm »,
• le site « french-union.com » comporte par ailleurs plusieurs fois la mention du vocable « Eurochallenges ». (annexe 4 et 23 du procès verbal)
Il est ainsi suffisamment établi que Stéphane C. use de façon illicite, pour son activité d’agence de rencontres, le signe distinctif constitué par la marque déposée par Pierre Alexis T., et ce, pour des services identiques à ceux désignés lors de l’enregistrement de la marque, ce qui caractérise une contrefaçon.
Selon le contrat du 10 novembre 1997, Pierre Alexis T. a consenti une licence d’exploitation de la marque « Eurochallenges » à la société Cnrrh à titre gracieux pendant une durée de 10 ans à compter de la date précitée.
Il ne saurait donc se prévaloir d’un préjudice correspondant à 1% du montant des contrats qui auraient été détournés par Stéphane C.
En revanche, Pierre Alexis T. subit un préjudice du fait même de l’atteinte à ses droits de propriétaire de la marque, ce qui justifie, au regard de la gravité modérée de cette atteinte et de l’absence de démonstration d’une réputation et d’une notoriété de la marque au-delà d’un public restreint, que lui soit allouée la somme de 4000 €.
La société Cnrrh n’a fait publier le contrat de licence d’exploitation au Registre national des marques que le 19 mai 2003, soit moins de deux mois avant la date d’assignation de Stéphane C. et cinq mois après le procès verbal de constat d’huissier du 16 décembre 2002.
Aucun document versé aux débats ne démontrant que Stéphane C. a continué l’exploitation de son site après cette dernière date, les conditions permettant de faire droit à l’action en contrefaçon de la société Cnrrh ne sont pas réunies.
Afin de faire cesser, s’il y a lieu, l’usage illicite de la marque, il convient de faire droit aux demandes de mesures complémentaires sollicitées par Pierre Alexis T. sans toutefois réserver au tribunal la liquidation de l’astreinte prononcée.
De même, il est sera ordonné la publication de la décision mais uniquement sur le site « french-union.com » aux frais du défendeur et dans la limite indiquée infra.
La société Cnrrh est, en revanche, fondée à exercer une action en concurrence déloyale en invoquant le comportement fautif de Stéphane C. du fait de l’utilisation par ce dernier, depuis une date qui n’est pas connue mais au moins depuis le 30 août 2002 (cf. annexe 26 du procès verbal d’huissier) et jusqu’au 16 décembre 2002, du vocable « Eurochallenges » dans le cadre de son site web et du fait de la création d’un lien commercial susceptible de tromper l’internaute désirant consulter le site de la société Cnrrh et ainsi détourner la clientèle de cette dernière.
S’agissant de l’appréciation du préjudice résultant de ce comportement illicite, si la société Cnrrh justifie un chiffre d’affaires de plus de trois millions six cent mille euros au cours de l’exercice 2002, en revanche, aucun élément ne permet de quantifier le chiffre d’affaires résultant de l’exploitation de son site internet, étant précisé qu’il résulte des documents qu’elle produit qu’elle exerce son activité et fait souscrire également des contrats au moyen de huit agences installées dans les grandes villes françaises.
Par ailleurs, la société Cnrrh ne produits ni des documents de nature à rendre compte de l’ampleur du détournement qu’elle allègue, ni les témoignages en attestant, ni une quelconque étude sur ce point.
Compte tenu de ces éléments d’appréciation, il convient de fixer à 15 000 € l’indemnisation sollicitée en application des règles de la responsabilité quasi-délictuelle.
La demande formée en application de l’article 700 du ncpc, expressément formée au profit de la « société French Union » dont l’existence n’est pas démontrée et qui, en tout état de cause, n’est pas partie à l’instance, ne peut qu’être rejetée.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement, après avoir délibéré conformément à la loi, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,
. Dit bien fondée l’action en contrefaçon de la marque « Eurochallenges », enregistrée sous le n°97665926, exercée par Pierre Alexis T. ;
. Condamne Stéphane C. à payer à Pierre Alexis T. la somme de 4000 € à titre de dommages-intérêts ;
. Fait interdiction à Stéphane C., exploitant du site « french-union.com », d’user sous quelque forme que ce soit de la dénomination « Eurochallenges », et ce, sous astreinte de 200 € par infraction constatée et par jour de retard à compter du 10ème jour suivant la date de signification du présent jugement ;
. Ordonne à Stéphane C. de modifier tous les codes sources contenant le terme « Eurochallenges » ;
. Dit non établie la contrefaçon de marque « Eurochallenges » au préjudice de la société Cnrrh mais bien fondée l’action en concurrence déloyale exercée par cette société contre Stéphane C. ;
. Condamne Stéphane C. à payer à la société Cnrrh la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts ;
. Ordonne la publication de la présente décision sur le site internet « french-union.com » aux frais du défendeur dans la limite de 800 €, en caractères de police 12 ;
. Rejette toutes autres demandes y compris celle formée en application de l’article 700 du ncpc au profit d’une société non partie à l’instance ;
. Condamne Stéphane C. aux dépens et autorise la SCP JPS Consultants à recouvrer contre la partie condamnée ceux des dépens dont il fait l’avance sans avoir reçu provision.
Le tribunal : Mme Françoise Contat (vice président), M. Hollinger et Mme Noviant (juges).
Avocat : SCP JPS Consultants
Voir la décision du TGI de Grenoble du 23/06/2005
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