Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Lyon 3ème chambre Jugement du 13 mars 2008
Rentabiliweb, Jean Baptiste D-V / Google et autres
marques
FAITS ET PROCEDURE
Jean Baptiste D. – V. est titulaire de la marque Rentabiliweb enregistrée sous le n°01 3 119 924 dont le dépôt a été effectué le 4 septembre 2001 pour les produits ou services des classes 9, 35, 38 et 42.
Selon contrat du 29 août 2002, Jean Baptiste D. – V. a consenti à la société SVI Gestion une licence d’exploitation de la marque Rentabiliweb n°013 119 924.
Par actes d’huissier en date des 3, 7 et 20 janvier 2003, la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. ont fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon :
– Nicolas B.,
– Hubert P.,
– la société Clic-Event.com,
– la société Google France,
afin d’obtenir le paiement de dommages et intérêts, et la cessation sous astreinte d’un procédé de parasitisme de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924.
Par acte d’huissier en date du 14 avril 2003, la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. ont d’autre part assigné la société Google France en contrefaçon de marque.
La jonction des procédures n° RG 03/05846 et RG 03/01600 a été prononcée le 22 mai 2003, l’affaire étant désormais appelée sous le seul numéro 03/01600.
Aux termes de leurs dernières écritures, la société Rentabiliweb Europe, antérieurement dénommée SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. demandent au Tribunal de :
Vu les articles L 713-2, L 713 – 3, L 716-1 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil
– condamner in solidum Nicolas B., Hubert P., la société Clic-Event.com, et la société Google France à payer à la société Rentabiliweb Europe la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts,
– condamner in solidum Nicolas B., Hubert P., la société Clic-Event.com, et la société Google France à payer à Jean Baptiste D. – V. la somme de 10 000 € en réparation de l’atteinte à son droit de marque, et 1 € symbolique en réparation de l’affaiblissement de sa marque,
– interdire sous astreinte de 5000 € par infraction les faits de contrefaçon et de parasitisme,
– autoriser la publication du jugement dans deux quotidiens nationaux et deux périodiques non quotidiens nationaux au choix des demandeurs, aux frais de Nicolas B., Hubert P., la société Clic-Event.com et de la société Google France in solidum, dans la limite de 10 000 € par insertion,
– ordonner la publication du dispositif du jugement sur la page d’accueil du site internet tel4money.com pendant trois mois, sous astreinte de 5000 € par infraction constatée, ordonner la publication du dispositif du jugement sur la page d’accueil du site internet google.fr pendant trois mois, sous astreinte de 5000 € par infraction constatée,
– condamner in solidum Nicolas B., Hubert P., la société Clic-Event.com et la société Google France à payer à la société Rentabiliweb Europe la somme de 15 000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
– ordonner l’exécution provisoire.
La société Rentabiliweb Europe, antérieurement dénommée la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. font valoir que :
* la société Rentabiliweb Europe a pour activité le “micro-paiement”,
* en octobre 2002, la société SVI Gestion a découvert que, lorsqu’on opérait au moyen du moteur de recherche www.google.fr de Ia société Google France, une recherche par le mot rentabiliweb, la première page de résultats obtenue comportait un encadré publicitaire ainsi rédigé :
“tel4money.com
micro-paiement par le téléphone
couverture : 27 pays”,
qui porte un lien hypertexte vers le site tel4money.com, permettant d’y accéder aussitôt,
* Nicolas B. et la société Clic-Event.com sont répertoriés dans la base de données de l’Internic comme titulaire ou gestionnaire du nom de domaine correspondant,
* le site tel4money.com propose des prestations de micro-paiement, de sorte que ses exploitants sont les concurrents directs de la société SVI Gestion, qui exploite le site rentabiliweb.com,
* le procédé employé par les exploitants du site tel4money.com et la société Google France est celui des liens commerciaux ou “adwords” par lequel la société Google France concède à titre onéreux à son client annonceur le bénéfice d’un “mot-clef”,
* toute recherche portant sur ce mot clef opérée au moyen du moteur Google aboutit à une page de résultat comportant la publicité de l’annonceur avec un lien hypertexte vers son site,
* ce procédé est utilisé de manière manifestement illicite lorsque le “lien commercial” est établi avec la marque et le nom de domaine d’un concurrent,
* il y a contrefaçon de marque par usage du signe Rentabiliweb pour diriger la clientèle vers un site proposant des services identiques à ceux pour lesquels la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924 est enregistrée,
* la société SVI Gestion a qualité pour agir en réparation du préjudice résultant des faits de contrefaçon postérieurs au 24 octobre 2002, date de publication du contrat de licence, et par ailleurs en réparation du préjudice découlant de l’usurpation de son nom de domaine pendant toute la période d’usurpation,
* les exploitants du site tel4money.com ont commis une faute de concurrence déloyale en usurpant la partie distinctive du nom de domaine rentabiliweb.com appartenant à la société SVI Gestion pour diriger la clientèle vers le site concurrent, il s’agit d’un fait distinct de la contrefaçon de marque,
* les faits incriminés ne comportent aucun élément de comparaison entre les services de rentabiliweb.com et ceux de tel4money.com,
* en passant avec les exploitants du site tel4money.com un contrat en vertu duquel la publicité de ce site est affichée lors de chaque recherche sur le mot Rentabiliweb la société Google France a fait un usage commercial de ce signe, pour des services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119924, dès lors qu’il a pour objet et effet de renvoyer la clientèle vers un site proposant des services identiques à ceux marqués rentabiliweb,
* la société SVT Gestion agit en réparation du préjudice qui lui est propre, en vertu des articles L 716-5 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil, son action est recevable,
* la société SVI Gestion est recevable à invoquer à l’encontre de la société Google France le préjudice propre qu’elle a subi entre le 24 octobre 2002 et le 3 janvier 2003, soit entre la date d’inscription du contrat de licence au RNM et la date de l’assignation, à laquelle les défendeurs affirment avoir supprimé le “lien commercial” incriminé,
* il s’impose à la société Google France de s’assurer que les mots clefs réservés par les annonceurs ne sont pas des marques françaises en vigueur, sa protestation d’impuissance est risible,
* il incombe à la société Google France, qui a imaginé le procédé adwords et en tire bénéfice de faire en sorte que son exploitation ne porte pas atteinte aux droits des tiers,
* subsidiairement, si le comportement de la société Google France n’était pas jugé constitutif d’une contrefaçon stricto sensu, elle serait coupable de deux fautes civiles engageant sa responsabilité,
* la première faute est d’avoir fourni le moyen de la contrefaçon commise par les exploitants du site tel4money.com, en passant avec les concurrents de la société SVI Gestion un contrat de publicité portant sur la marque dont la société SVI Gestion est licenciée,
* la seconde faute est d’avoir, en le concédant à titre onéreux comme mot clef, tirée un profit indu du signe rentabiliweb qui leur appartient comme marque et nom de domaine,
* le préjudice de la société SVI Gestion résulte indistinctement des fautes de contrefaçon de la marque et d’atteinte à son nom de domaine, préjudice chiffré â 200 000 €,
* Jean Baptiste D. – V. demande le paiement d’une somme de 10 000 € pour atteinte à son droit de propriété de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924, outre le préjudice né de l’affaiblissement de la marque qui doit être réparé symboliquement par l’allocation d’1 € de dommages et intérêts.
La société Le Net Creatif, intervenante volontaire, Nicolas B., la société Clic-Event.com et Hubert P. demandent au Tribunal de :
Vu l’article L 225-251 du code de commerce
– mettre hors de cause Nicolas B. et la société Le Net Creatif,
– condamner la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. à payer à Nicolas B. et la société Le Net Creatif la somme de 500 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
Vu l’article 2, point 2 bis de la directive 97/55/ CE et les articles L 121-8 et L 121-9 du code de la consommation
– débouter la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. de l’ensemble de leurs prétentions,
– condamner in solidum la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. à payer à la société Clic-Event.com et Hubert P. la somme de 12 000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
A titre subsidiaire, vu l’article 1382 du code civil et l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle
– dire que le préjudice subi par la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. s’établit à 1 € à titre de dommages et intérêts et les débouter de leurs autres demandes.
La société Le Net Creatif, intervenante volontaire, Nicolas B., la société Clic-Event.com et Hubert P. font valoir que :
* la société Le Net Creatif exploitait le site tel4money.com qui propose aux exploitants de sites internet des prestations de micro paiement,
* la société Le Net Creatif a acheté en août 2002 auprès du moteur de recherche www.google.fr un lien publicitaire adwords sur le mot clef rentabiliweb, qui désigne aussi un site de micro paiement appartenant à la société SVI Gestion, la facturation est fonction uniquement du nombre de “coût par clic” de l’internaute sur le bandeau publicitaire et non du nombre de fois où le lien s’affiche,
* les mots clefs ont été souscrits pour le compte de la société en participation ”Le Net Creatif” par la société Clic-Event.com, qui a refacturé le coût à la société en participation,
* les mots clés ont été réservés en août 2002, date à laquelle la société Le Net Creatif n’était pas constituée, cette société doit être mise hors de cause,
* la responsabilité de Nicolas B. en qualité de gérant de la société Clic-Event.com ne peut être recherchée qu’en cas de faute séparable de ses fonctions, il doit être mis hors de cause,
* la société SVI Gestion n’a pas qualité pour agir car le contrat de licence n’a été publié au registre national des marques que le 24 octobre 2002, le constat d’huissier à la demande de Jean Baptiste D. – V. a eu lieu le 15 octobre 2002, aucun des faits reprochés ne peut donner lieu à indemnisation à la société SVI Gestion,
* les conditions de la contrefaçon au sens de l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas réunies, la réservation d’un mot clé n’est pas un usage direct de la marque protégée, l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle ne peut s’appliquer,
* l’application de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle est subordonnée à un risque de confusion dans l’esprit du public, dont la preuve n’est pas rapportée par les demandeurs,
* Jean-Baptiste D. – V. n’apporte aucun élément permettant d’apprécier l’étendue de son préjudice,
* il ressort d’un “rapport de campagne” de la société Google France que jusqu’ au jour du constat d’huissier du 15 octobre 2002, il y eu seulement deux clics, le préjudice ou le gain manqué des demandeurs est inexistant,
* le préjudice s’apprécie aussi en fonction de la notoriété de la marque contrefaite, et il n’est pas contesté que la société SVI Gestion et rentabiliweb ne sont pas notoirement connus,
* à aucun moment la société SVI Gestion n’a mis en demeure la société Le Net Creatif de cesser ses agissements sous peine de poursuites judiciaires,
* la société Le Net Creatif a démontré sa bonne foi et sa volonté de conciliation en décidant de retirer son lien commercial le lendemain de la signification de l’assignation, en dehors de toute reconnaissance de responsabilité,
* l’action en concurrence déloyale est irrecevable lorsqu’elle se base sur des faits identiques à l’action en contrefaçon, ce qui est le cas en l’espèce,
* le mot rentabiliweb est uniquement utilisé titre de mot clef faisant apparaître le lien vers le site tel4money.com, lorsqu’il est retenu dans la requête d’un internaute, ce procédé n’est pas susceptible de créer une confusion dans l’esprit de l’internaute, les deux sites sont clairement identifiés,
* à titre subsidiaire, les conditions de l’article 1382 du code civil ne sont pas réunies, il n’y a pas de faute, la société Le Net Creatif a mis en oeuvre un procédé publicitaire qui permet de faire apparaître objectivement les noms des deux sites côte à côte, le préjudice est inexistant ou purement symbolique la société SVI Gestion base sa demande sur un calcul mathématique et ne verse pas aux débats de documents établissant une baisse de son chiffre d’affaire,
* les articles L 121-8 et L 121-9 du code de la consommation posent le principe de la licéité de la publicité comparative.
La société Google France demande au Tribunal de :
– débouter la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. de leurs demandes,
– condamner les demandeurs à lui régler 25 000 € au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Google France fait valoir que :
* elle ne peut matériellement vérifier si les mots clés choisis par les annonceurs sont protégés par des marques ou d’autres droits privatifs,
* elle a mis en place des mesures pour éviter un usage abusif du programme adwords,
* la société Google France n’a pas commis d’acte de contrefaçon de la marque Rentabiliweb,
* en vertu d’une jurisprudence constante, lorsque le titulaire d’une marque agit en contrefaçon, l’action du licencié exclusif n’est pas recevable en vertu de l’article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle,
* l’article L 714-7 du code de la propriété intellectuelle dispose : “toute transmission ou modification des droits attachés à une marque enregistrée doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques”,
* le contrat de licence dont bénéficie la société SVI Gestion a été inscrit au registre national des marques le 24 octobre 2002, soit postérieurement au constat d’huissier du 15 octobre 2002 sur lequel les demandeurs fondent leur action,
* à supposer la société SVI Gestion recevable à agir, elle ne peut le faire qu’à compter du 24 octobre 2002,
* il ne peut y avoir contrefaçon de marque à défaut d’usage d’un signe en tant que marque pour désigner l’origine de produits et services,
* il ne peut qu’être jugé que l’apparition du lien commercial litigieux en réponse à une requête sur le mot rentabiliweb ne peut être qualifié de contrefaçon de marque, qu’en toute hypothèse la société Google France ne peut être considéré comme l’auteur des faits de contrefaçon allégués, qu’aucun risque de contrefaçon n’est caractérisé en l’espèce,
* le mot clé ne sert pas à désigner, aux yeux des internautes des produits ou services déterminés, comme le font les marques, mais ont pour seule fonction d’activer l’affichage de liens commerciaux, cette fonction technique ne saurait être assimilée à un usage de marque,
* la société Google France ne joue pas de rôle dans la création du contenu des liens commerciaux hébergés sur son site, ni dans le choix des mots clés permettant de les faire apparaître, ce sont les utilisateurs du moteur de recherche qui remplissent à leur guise le champ lexical de leur recherche, la société Google France ne saurait être l’auteur de leurs requêtes, si celles-ci reproduisent un terme désigné à titre de marque, la société Google France n’en est pas responsable,
* la société Google France est étrangère au contenu des sites des annonceurs et n’a jamais utilisé personnellement la marque alléguée pour quelque produit en service que ce soit,
* il n’existe pas de risque de confusion, car les liens commerciaux sont clairement identifiés comme émanant d’une autre source que les sites exploités par les demandeurs, les liens commerciaux ne se substituent pas aux résultats de recherche traditionnels, et les liens commerciaux sont localisés dans une zone différente,
* l’utilisation de l’outil de mots clés est facultative, rien ne prouve que l’annonceur en cause ait utilisé l’outil de mots clés, ni que cet outil ait généré le mot rentabiliweb, lors de la procédure de création de son lien,
* la société Google France n’a pas commis de faute au sens du droit commun de la responsabilité, aucune faute ne peut être reprochée à la société Google France du fait de l’apparition des liens commerciaux,
* si faute il y a dans la création et l’utilisation d’un lien commercial, celle-ci n’est pas imputable à la société Google France, le processus de création d’un lien commercial est non seulement automatisé, mais relève du seul fait de l’annonceur qui en a eu l’initiative et l’entier contrôle,
* les demandeurs n’ont jamais adressé de réclamation à la société Google France à la suite du constat du 15 octobre 2002, et ont attendu le 3 janvier 2003 pour réagir en assignat, cette assignation a permis la désactivation immédiate du lien commercial incriminé, mesure qui aurait pu être prise plus tôt si les demandeurs s’étaient manifestés dès la constatation des faits litigieux,
* le rôle de la société Google France est celui d’un prestataire technique, le programme adwords entre dans le champ d’application du régime des prestataires de stockage, il n’y a pas lieu d’écarter ce régime au motif que les informations stockées et mise à disposition du public auraient une nature publicitaire, ni au motif que la société Google France tire un profit économique de son activité,
* la société Google France n’a pas commis de faute en application du régime des prestataires de stockage,
* les demandeurs ne démontrent aucun préjudice dont la société Google France serait l’auteur, ils se contentent d’effectuer un calcul purement virtuel,
* la société Google France n’est rémunérée que lorsque les internautes cliquent sur les liens commerciaux, en l’espèce le lien commercial litigieux a généré 2,60 €,
* s’agissant des mesures complémentaires sollicitées, la demande d’exécution provisoire doit être rejetée, de même que les mesures de publication qui seraient disproportionnées par rapport au présent litige, et porteraient à la société Google France un préjudice d’image d’une ampleur considérable.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 janvier 2007 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 24 janvier 2008.
Les parties ont été informées par le Président que le jugement serait rendu le 13 mars 2008 par mise à disposition au Greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la contrefaçon
Attendu que Jean Baptiste D. – V. a, en sa qualité de titulaire de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924, qualité pour agir en contrefaçon ;
Attendu que l’article L 716-5 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle dispose :
“toute partie à un contrat de licence est recevable à intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par une autre partie afin d’obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre” ;
Attendu qu’en application de ce texte, la société SVI Gestion, qui invoque son propre préjudice, est recevable à agir en contrefaçon ;
Attendu que cependant l’article L 714-7 du code de la propriété intellectuelle dispose :
“toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques” ;
Attendu qu’il n’est pas discuté que le contrat de licence conclu le 29 août 2002 entre Jean Baptiste D. – V., propriétaire de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924 et la société SVI Gestion a été inscrit au registre national des marques le 24 octobre 2002, qu’en conséquence la société SVI Gestion est irrecevable à agir en contrefaçon de marque pour la période antérieure au 24 octobre 2002 ;
Attendu que la société Le Net Creatif, Nicolas B., Hubert P. et la société Clic-Event.com font valoir que la société Clic-Event.com et Hubert P. ont constitué une société en participation dénommée Le Net Creatif, que les mots clés en cause ont été souscrits par la société Clic-Event.com pour le compte de la société en participation, que Hubert P. et la société Clic-Event.com ont agi de manière apparente en qualité de gérants de la société en participation, et qu’en application de l’article 1871-1 du code civil, seules ces deux personnes sont concernées par l’action judiciaire, que d’autre part la responsabilité de Nicolas B. en qualité de gérant de la société Clic-Event.com ne peut être recherchée qu’en cas de faute séparable de ses fonctions ;
Attendu que la société Le Net Creatif, Nicolas B., Hubert P. et la société Clic-Event.com versent aux débats en pièces 8 et 9 un “certificat d’identification au répertoire national des entreprises et de leurs établissements” de l’Insee en date du 24 mai 2001, attestant de l’inscription à ce répertoire de la société en participation Le Net Creatif, ainsi qu’un acte en date du 17 avril 2001 entre la société Clic-Event.com représentée par son gérant Nicolas B. et Hubert P., créant la société en participation Le Net Creatif, qu’aucun élément versé aux débats ne permet de retenir que le contrat afférent au lien commercial litigieux a été conclu pour le compte de cette société en participation ;
Attendu qu’ainsi que le relèvent la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V., le contrat avec Google, n’est pas versé aux débats, que cependant la société Google France verse aux débats en pièce 22 intitulée ”compte AdWords” un état intitulé “titulaire du compte”, que cette pièce fait apparaître comme titulaire du contrat litigieux :
“Nicolas B. * la société Clic-Event.com * b. clic – event.com *“ ;
Attendu qu’il n’est pas discuté que Nicolas B. a la qualité de gérant de la société Clic-Event.com, que la souscription du contrat litigieux n’est pas détachable de sa fonction de gérant, que la pièce 22 précitée fait état d’un client annonceur unique, qu’en conséquence Nicolas B. sera mis hors de cause, qu’en revanche la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. agissent à juste titre à l’encontre de la société Clic-Event.com ;
Attendu qu’en l’espèce il n’est pas établi que Hubert P. a contracté avec la société Google France s’agissant des faits litigieux, qu’en conséquence Hubert P. sera mis hors de cause ;
Attendu que la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. ne forment aucune demande à l’encontre de la société Le Net Creatif, intervenante volontaire, que cette dernière sera mise hors de cause ;
Attendu que l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose : “sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement” ;
Attendu qu’au soutien de leurs demandes, la société SVI Gestion et Jean Baptiste D. – V. versent aux débats un constat d’huissier dressé par maître Fradin le 15 octobre 2002, que ce constat, et notamment son annexe 2, établit qu’une recherche opérée sur le moteur de recherche www.google.fr à partir du mot rentabiliweb, protégé par la marque déposée par Jean Baptiste D. – V. fait apparaître :
– d’une part à gauche de la page écran, une liste des réponses à la recherche, comportant notamment la mention ”Rentabiliweb, micropaiement gratuit pour tous les webmasters Faites payer l’accès à vos pages ou services pour gagner de l’argent et rentabiliser votre…” suivi de l’indication du site rentabiliweb.com,
– d’autre part à droite et en regard des mentions précitées, un encadré intitulé “liens commerciaux”, comportant les mentions suivantes :
« tel4money.com
micropaiement par le téléphone
couverture : 27 pays
tel4money.com” ;
Attendu que le lien tel4money.com accessible par l’encadré “liens commerciaux” précité donne accès au site tel4money.com, qui fait l’objet des annexes 3, 4 et 5 du constat du 15 octobre 2002, qu’au vu des pages écran le site tel4money.com propose une solution de micro paiement ainsi décrite :
“Limitez l’accès à tout ou partie de votre site en exigeant un code que l’internaute obtient en composant un numéro de téléphone surtaxé.
Pour chaque code saisi, nous vous reversons une commission” ;
Attendu qu’ainsi le site tel4money.com propose un service identique à celui décrit sur la même page écran, et désigné Rentabiliweb ;
Attendu qu’il n’existe pas de comparaison entre les services proposés par le site rentabiliweb.com et par le site tel4money.com, qu’il ne peut être soutenu que les faits litigieux constituent une publicité comparative prévue par les articles L 121-8 et L 121-9 du code de la consommation ;
Attendu que la juxtaposition sur une même page écran de la marque Rentabiliweb et, sous l’intitulé ”liens commerciaux”, du site tel4money.com proposant les mêmes services constitue une contrefaçon par reproduction telle que prévue par l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle, que cette contrefaçon apparaît sur une page écran de la société Google France, que l’annexe 7 du constat d’huissier du 15 octobre 2002 établit que le site tel4money.com appartient à la société Clic-Event.com, qu’ainsi la société Rentabiliweb Europe et Jean Baptiste D. – V. sont fondés à agir en contrefaçon à l’encontre de la société Google France et de la société Clic-Event.com ;
Attendu que la circonstance que les utilisateurs du moteur de recherche Google ont “entré” le signe Rentabiliweb pour leur recherche et déclenché l’affichage litigieux ne peut exonérer la société Google France et la société Clic-Event.com des faits de contrefaçon reprochés, dès lors que cet affichage résulte de l’exécution du contrat conclu entre la société Google France et la société Clic-Event.com prévoyant l’affichage du site de la société Clic-Event.com, à l’occasion de toute recherche utilisant la marque Rentabiliweb ;
Attendu qu’il est inopérant d’invoquer une prétendue impossibilité matérielle pour la société Google France de vérifier les mots clés utilisés par les annonceurs ;
Sur la concurrence déloyale
Attendu que l’utilisation du signe protégé Rentabiliweb pour susciter l’affichage du site concurrent tel4money.com est constitutif d’une faute tendant au détournement de la clientèle du site rentabiliweb.com appartenant à la société Rentabiliweb Europe ; que Jean Baptiste D. – V. et la société Rentabiliweb Europe sont bien fondés à soutenir qu’il existe des faits distincts de concurrence déloyale ;
Sur les préjudices
Attendu que l’atteinte à la propriété de la marque est préjudiciable en elle-même, que la société Clic-Event.com et la société Google France seront condamnés in solidum à payer à Jean Baptiste D. – V. 10 000 € de dommages et intérêts ;
Attendu que les faits entraînent un affaiblissement de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924, et orientent la clientèle vers une société et un site concurrents alors même que la clientèle effectuait une recherche portant de manière spécifique sur Rentabiliweb, que le préjudice sera chiffré à 5000 € au titre de la contrefaçon et 5000 € au titre de la concurrence déloyale, soit la somme totale de 10 000 €, que la société Clic-Event.com et la société Google France seront condamnés in solidum à payer la somme de 10 000 € à la société Rentabiliweb Europe ;
Attendu qu’il y a lieu de condamner la société Clic-Event.com et la société Google France à cesser de faire usage de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924 sous astreinte de 1500 € par infraction constatée ;
Attendu qu’il convient d’ordonner la publication du dispositif du présent jugement dans les conditions précisées au dispositif ;
Sur les autres demandes
Attendu que l’exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, qu’il y a lieu de l’ordonner ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Jean Baptiste D. – V. et la société Rentabiliweb Europe leurs frais irrépétibles, que la société Clic-Event.com et la société Google France seront condamnés in solidum à leur payer la somme de 4000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que la société Clic-Event.com et la société Google France seront condamnées in solidum aux dépens ;
DECISION
Le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
. Met hors de cause la société Le Net Creatif, Nicolas B. et Hubert P. ;
. Condamne in solidum la société Clic-Event.com et la société Google France à payer à Jean Baptiste D. – V. la somme de 10 000 € de dommages et intérêts au titre du préjudice subi à la suite de la contrefaçon de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924 ;
. Condamne in solidum la société Clic-Event.com et la société Google France à payer à la société Rentabiliweb Europe la somme de 10 000 € de dommages et intérêts au titre du préjudice subi à la suite des faits de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale ;
. Condamne la société Clic-Event.com et la société Google France à cesser de faire usage de la marque Rentabiliweb n° 01 3 119 924 sous astreinte de 1500 € par infraction à compter de la notification du présent jugement ;
. Ordonne la publication du dispositif du présent jugement dans deux journaux au choix de Jean Baptiste D. – V. et de la société Rentabiliweb Europe sans que le coût de chaque insertion dépasse 2500 € ;
. Ordonne la publication du dispositif du présent jugement sur la page d’accueil du site internet tel4moneycorn pendant une durée de dix jours, sous astreinte de 5000 € par infraction constatée ;
. Ordonne la publication du dispositif du présent jugement sur la page d’accueil du site internet googlefr pendant une durée de dix jours, sous astreinte de 5000 € par infraction constatée ;
. Condamne in solidum la société Clic-Event.com et la société Google France à payer à Jean Baptiste D. – V. et la société Rentabiliweb Europe la somme de 4000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement ;
. Rejette toute autre demande ;
. Condamne in solidum la société Clic-Event.com et la société Google France aux dépens ;
. Autorise Maître Pierre Buisson, avocat, à recouvrer contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.
Le tribunal : M. Marc Papin et Mme Patricia Gonzalez (vice présidents), Mme Claire Noviant (juge)
Avocats : Me Pierre Buisson, Me Lamon, Me Proust
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En complément
Le magistrat Marc Papin est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Patricia Gonzalez est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.