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Jurisprudence : Droit d'auteur

vendredi 24 septembre 1999
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Tribunal de grande instance de Montpellier, Jugement correctionnel du 24 septembre 1999

Le Procureur de la République, la SDRM, la SCPP / Monsieur L. D.

compilation - musique - reproduction

LE TRIBUNAL,

Attendu que Monsieur L. D. a été convoqué par procès-verbal, en application de l’article 390-1 du code de procédure pénale, pour comparaître devant ce tribunal correctionnel sous la prévention :

– d’avoir à Montpellier, courant 98 et 99, exercé à but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, ou accompli un acte de commerce, en l’espèce, d’avoir fabriqué et revendu des disques phonogrammes sans requérir son immatriculation obligatoire au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés.

Faits prévus par article L. 362-3, article L. 324-9, article L. 324-10, article L. 324-11, article L. 320, article L. 143-3 du code du travail et réprimés par article L. 362-3, article L. 362-4, article L. 362-5 du code du travail ;

– d’avoir à Montpellier, courant 98 et 99, procédé à la contrefaçon par édition ou reproduction d’œuvres de l’esprit au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, en l’espèce d’avoir, courant 98 et 99, contrefait des phonogrammes par gravage de cd-rom, de divers auteurs, tels que Brel, Brassens, etc., et ce à Montpellier.

Faits prévus par article L. 335-2 alinéa 1, alinéa 2, article L. 335-3, article L. 112-2, article L. 122-3, article L. 121-8 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle et réprimés par article L. 335-2 alinéa 2, article L. 335-5 alinéa 1, article L. 335-6, article L. 335-7 code de la propriété intellectuelle ;

– d’avoir à Montpellier, courant 98 et 99, par fixation, reproduction, communication, mise à disposition du public, ou télédiffusion d’une prestation, d’un programme, d’un idéogramme ou d’un programme réalisé sans autorisation lorsqu’elle est exigée, en l’espèce d’avoir à Montpellier, courant 98 et 99, fixé et mis à la disposition du public divers phonogrammes (sur cd-rom) sans avoir les autorisations (producteurs).

Faits prévus par article L. 335-2 alinéa 1, alinéa 2 , article L. 335-3, article L. 112-2, article L. 122-3, article L. 121-8 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle et réprimés par article L. 335-2 alinéa 2, article L. 335-5 alinéa 1, article L. 335-6, article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle.

Le 3 mars 1999, M. Stéphane Luino, enquêteur pour la SESAM, qui a pour objet principal d’exercer, au nom de ses associés dont font partie la SACEM et la SDRM, les prérogatives inhérentes au droit de reproduction et de représentation ou à tout autre droit de propriété intellectuelle des œuvres et de leurs répertoires, signalait aux services de gendarmerie avoir découvert sur Internet le site appelé  » ICALLNOW « , qui avait pour activité principale :

– de proposer à la vente des œuvres musicales détaillées sur une liste accessible sur le site ;

– de reproduire sur un compact disc les œuvres sélectionnées par le client potentiel et d’adresser ce support par la poste moyennant le prix de 50 F le CD.

Ce témoin précisait avoir commandé à l’adresse indiquée, soit Monsieur L. D. Fg… à Montpellier, 2 CD dont le son était similaire à celui d’un compact disc audio, qui reproduisaient environ 460 œuvres pour le prix de 90 F.

M. Jean-Paul Pele, responsable des enquêtes contre la piraterie au sein de la SCPP (Société civile pour l’exercice des droits des producteurs phonographiques), avait les 11 et 26 février 1999 également remarqué que des sites proposent à la vente par correspondance des copies d’enregistrements d’œuvres musicales sur support CDRS, qui ont la particularité de supporter un nombre impressionnant de titre de l’artiste, soit pour Brassens 223 titres soit l’œuvre intégrale.

Le 4 mars 1999, les services de gendarmerie vérifiaient que le site Internet dénoncé était toujours actif et proposait des disques à la vente.

Ils se transportaient sur les lieux qui correspondaient à une résidence et convoquaient pour audition Monsieur L. D.

Le 30 mars 1999, Monsieur Luino précisait qu’il avait constaté, le 29 mars 1999, que le site, toujours en activité, était proposé à la vente au plus offrant et qu’une autre adresse Internet permettait d’y accéder « cquoi.com ».

Monsieur L. D. expliquait lors de son audition que, informaticien de formation, sans emploi, et passionné par la musique française, il avait décidé de faire partager sa passion par le biais d’Internet et avait créé le site « ICALLNOW » en mai 1998. Il ajoutait qu’il avait obtenu gratuitement sur Internet de nombreux morceaux de musique au format MP3 et avait ainsi obtenu des « fichiers son » d’auteurs ; Qu’il avait ensuite eu l’idée de regraver les morceaux obtenues et de les proposer à la vente.

L’acheteur éventuel adressait un courrier électronique sur le serveur de Monsieur L. D. qui lui donnait les instructions nécessaires. Dès paiement de la somme convenue, le plus souvent en espèces, il faisait parvenir le disque gravé par ses soins à son destinataire.

Il indiquait, dans sa première audition, n’avoir vendu qu’une dizaine de cd-rom, puis estimait à une cinquantaine, lors de sa deuxième audition, le nombre de disques, précisant que le profit était minime puisque de la somme de 50 F il devait déduire le prix du disque vierge (10 F) et les frais d’envoi par la poste.

Il affirmait avoir début mars supprimé son serveur, se rendant compte qu’il prenait un risque démesuré.

La perquisition effectuée à son domicile permettait de découvrir notamment :

– 14 cd-rom sous boîtiers cristal comportant de 170 à 240 titres ;

– plusieurs autres cd-rom sans boîtiers ;

– 7 courriers portant des commandes ;

– une unité centrale contenant entre autre un graveur de CD et un lecteur de cd-rom.

Les services de gendarmerie constataient par ailleurs qu’il n’existait aucun site de vente enregistré au nom de D.

Monsieur L. D. faisait donc l’objet d’une convocation en justice à l’audience de ce jour.

A l’audience la SCPP et sa SDRM se constituaient partie civile.

La SCPP demandait de :

Condamner Monsieur L. D. à lui payer :

– la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi collectivement par la profession de producteur de phonogrammes ;

– la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice également subi par la profession de producteur de phonogrammes du fait de l’atteinte publique à la protection des droits de ladite profession, directement liée au délit par lui commis ;

– la somme de 10.000 F en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Elle sollicitait :

– la fermeture définitive de tous les sites pirates créés par Monsieur L. D. sur le  » réseau Internet  » et ce sous peine d’astreinte de 10.000 F par jour de retard ;

– la confiscation de tout le matériel saisi ayant servi à Monsieur L. D. à reproduire et mettre à la disposition du public, à titre onéreux, des centaines de phonogrammes, sans l’autorisation de leurs producteurs légitimes ;

– la publication par extraits du jugement à intervenir dans trois journaux ou magazines au choix de la SCPP, aux frais de Monsieur L. D., et ce sans que son coût ne dépasse la somme totale de 15.000 F ;

– l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel ;

– la condamnation de Monsieur L. D. aux entiers dépens.

La SDRM quant à elle réclamait 6.144,44 TTC au titre du préjudice matériel subi au titre des contrefaçons et 50.000 F en réparation du préjudice moral, la publication dans trois journaux, au choix de la SDRM, du jugement à intervenir sans que le coût global ne puisse dépasser 60.000 F.

Elle réclame 20.000 F en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le ministère public a réclamé la condamnation de Monsieur L. D. à deux amendes et la confiscation du matériel saisi.

SUR L’ACTION PUBLIQUE,

Attendu qu’il n’est pas contesté que depuis fin 1998, Monsieur L. D. a fabriqué et revendu des disques sans requérir son immatriculation au registre du commerce ou des métiers, ni effectuer aucune déclaration exigée par les organismes de protection sociale et à l’administration fiscale ;

Qu’il s’agit donc de l’exécution d’un travail clandestin.

Attendu, en outre, qu’il résulte des constations matérielles de la saisie effectuée et de l’audition de Monsieur L. D. que celui ci, à l’aide d’un PC assemblé par ses soins et d’un graveur de cd-rom, s’est constitué gratuitement un fichier d’œuvres musicales en dupliquant des œuvres du fichier MP3 circulant illégalement sur Internet, à l’exception des œuvres intégrales de Brel et de Brassens qui lui avaient été prêtées ;

Que ces fichiers lui permettaient de réaliser des compilations (dénommées  » masters « ) gravées sur cd-rom et à partir desquelles il gravait les œuvres commandées.

Attendu que ces œuvres, qu’elles soient françaises (Brassens, Brel, Gainsbourg, Téléphone, Piaf, Gréco, Johnny Halliday, etc.) ou étrangères (Sting, Les Platters, Bob Marley) font partie des œuvres protégées du répertoire de la SDRM et ont été reproduites sans autorisation de leurs auteurs ;

Qu’il s’agit incontestablement d’une contrefaçon visée à l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que les reproductions ou la diffusion d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur constitue une contrefaçon.

Attendu, de même, que l’autorisation des producteurs des phonogrammes est requise sur le fondement de l’article L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle avant toute reproduction mise à la disposition du public pour la vente, l’échange, le louage ou la commercialisation des phonogrammes ;

Qu’ainsi, en reproduisant et en mettant à la disposition du public en vue de leur commercialisation lesdits enregistrements sans l’autorisation des producteurs de phonogrammes, la personne physique ou morale qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son, Monsieur L. D. a contrevenu aux dispositions légales et est passible des peines prévues à l’article L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle.

Attendu au demeurant que Monsieur L. D. n’ignorait pas le caractère totalement illicite de son activité puisqu’il a notamment précisé  » s’être rendu compte qu’il prenait des risques démesurés par rapport au profit « .

Attendu qu’il est constant en l’état des éléments du dossier et des débats à l’audience que le prévenu a bien commis les faits qui lui sont reprochés ;

Que la prévention est bien fondée ;

Qu’il y a lieu de le déclarer coupable et d’entrer en voie de condamnation.

SUR L’ACTION CIVILE,

Attendu que la SCCP, société civile composée de 500 associés dont de nombreux producteurs de phonogrammes, et la SDRM, qui a mandat pour exercer les prérogatives inhérentes au droit de reproduction mécanique des œuvres des auteurs compositeurs qui en sont membres, ont toutes deux pour objet d’assurer la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres ;

Que leur constitution de partie civile sont donc recevables.

Sur la demande de la SCPP,

Attendu qu’en proposant au prix de 50 F des cd-rom d’une parfaite qualité auditive contenant plus de 200 titres d’artistes particulièrement réputés au plan national et international, Monsieur L. D. a porté atteinte à l’exploitation licite des ces enregistrements par les producteurs membres de la SCPP ;

Qu’en donnant dans les pages du portail de son site Internet les indications suivantes :  » ATTENTION LA LOI M’AUTORISE À VENDRE DES CD-ROM DE COMPILE MP3 QUE SI VOUS POSSÉDEZ LES ORIGINAUX (SIC) SINON FAITES COMME VOUS VOULEZ, MOI JE M’EN COGNE  » Monsieur L. D. ne pouvait qu’inciter les internautes à commander les cd-rom contrefaits ; Que l’ensemble de ce préjudice justifie l’allocation de la somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts en regard du préjudice matériel et moral.

Sur la demande de la SDRM,

Attendu que la reproduction d’œuvres protégées appartenant au répertoire de la SDRM et leur commercialisation sans autorisation est à l’origine d’un préjudice matériel incontestable, les droits d’auteur étant ainsi éludés ;

Que compte tenu du nombre de supports réalisés minimes, une cinquantaine, du nombre d’œuvres sur ces supports, approximativement 200 titres, et des conditions et de l’application des taux prévus, la demande en réparation du préjudice matériel à hauteur de 6.114,44 TTC est fondée et il doit y être fait droit ;

Que le préjudice moral résultant de l’exploitation de l’œuvre sans le consentement des auteurs sera réparé par l’allocation d’une somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts.

Attendu qu’il y a lieu, en outre, d’ordonner la publication d’un extrait de jugement dans deux journaux choisis par l’une et l’autre des parties civiles sans que le coût global n’excède la somme de 10.000 F.

Attendu qu’il convient d’allouer la somme de 3.000 F à chaque partie civile en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Attendu qu’il convient de déclarer sans objet la demande de fermeture du site Internet de Monsieur L. D.

Attendu que les parties civiles seront déboutées du surplus de leur demande.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, et en premier ressort, par jugement contradictoire à l’égard de Monsieur L. D.

Sur l’action publique,

Déclare Monsieur L. D. coupable des faits qui lui sont reprochés et tels que visés à la prévention. Condamne Monsieur L. D. à :

Un travail d’intérêt général d’une durée de 200 heures dans un délai de 18 mois ;

Lui donne acte de ce qu’il accepte d’effectuer un travail d’intérêt général ;

Ordonne la confiscation du matériel saisi.

La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de six cents francs (600 F) dont est redevable chaque condamné en application de l’article 1018 A du code général des impôts.

Dit que la contrainte par corps s’exercera suivant les modalités fixées par les articles 749 et 750, 751 du code de procédure pénale, modifiés par la loi du 30 décembre 1985.

Sur l’action civile,

Reçoit la SDRM en sa constitution de partie civile, régulière en la forme.

Condamne le prévenu à lui payer la somme de 6.114,44 F au titre du préjudice matériel, 10.000 F au titre du préjudice moral, ce avec intérêts de droit au taux légal à compter du présent jugement et la somme de 3.000 F sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Reçoit la SCPP en sa constitution de partie civile, régulière en la forme.

Condamne le prévenu à lui payer la somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts, ce avec intérêts de droit au taux légal à compter du présent jugement et la somme de 3.000 F sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le condamne en outre aux dépens de l’action civile ;

Ordonne la publication par extrait du jugement dans deux journaux au choix de chacune des parties civiles sans que le coût global ne soit supérieur à la somme de 10.000 F ;

Rejette la demande de fermeture du site Internet de Monsieur L. D. sous astreinte comme étant devenue sans objet ;

Le tout en application des articles visés à la prévention et 406 et suivants et 485 du code de procédure pénale.

Ainsi jugé et prononcé par la troisième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Montpellier, en son audience publique du 24/09/99 ;

Le jugement a été prononcé par Monsieur LECA en application de l’article 485 dernier alinéa du code de procédure pénale dans la rédaction issue de la loi n° 85-1407 du 30/12/5, assisté du greffier de chambre et en présence du ministère public ;

Et le présent jugement a été signé par le président et le greffier.

Le tribunal : M. Leca (Président).

Avocats : Me Benazeraf, SCP Ravinetti Fouassier / Me Corbier.

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