Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 18 juillet 2000
Christèle M. / SA Koobuy.com
création de site internet - droit d'auteur - oeuvre de commande
Nous, Président, après avoir entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries,
Vu l’assignation en référé que Christèle M. a fait délivrer le 16 juin 2000 à la société Koobuy.com aux fins :
– qu’il soit ordonné à cette société de cesser toute exploitation des créations de Christèle M. sur un support autre que le site web accessible à l’adresse « www.Koobuy.com », et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,
– que cette société soit condamnée à lui verser la somme de 5 000 F HT en règlement de la facture du 2 avril 2000,
– qu’un expert soit désigné pour déterminer le volume d’exploitation, tous supports confondus autres que le site web susmentionné, de la campagne publicitaire effectuée par Koobuy.com reproduisant les créations de Christèle M. à compter du mois de janvier 2000,
– condamner Koobuy.com à lui verser la somme de 500 000 F à titre de provision à valoir sur la rémunération qui lui est due pour l’exploitation de ses créations, autres que sur le site web » www.Koobuy.com « ,
– de la condamner enfin au paiement de la somme de 50 000 F au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Koobuy.com qui conteste le bien-fondé des demandes autres que celle relative à la facture du 2 avril 2000 ;
Vu l’article 809 du nouveau code de procédure civile ainsi que le code d la propriété intellectuelle ;
Sur le paiement de la facture du 2 avril 2000
Attendu que la demande en paiement de la facture du 2 avril 2000 relative aux travaux de réalisation de l’affiche » pantalon » est devenue sans objet en l’état de la remise à la barre d’un chèque de 5 275 F représentant le montant TTC de cette facture ;
Sur l’illicéité de l’exploitation des créations de Christèle M. par la société Koobuy.com sur les supports autres que le site web accessible à l’adresse « www.Koobuy.com »
Attendu que le fait d’exploiter une œuvre de l’esprit sans le consentement de l’auteur ou au-delà de l’autorisation concédée par l’auteur constitue un acte illicite de contrefaçon ;
Attendu qu’au mois de décembre 1999, la société Koobuy.com a fait appel à Christèle M. pur lui confier des travaux de conception graphique de son site internet d’achat en groupe, mis en ligne au mois de février 2000 ;
que le devis en date du 28 décembre 1999, qui a été accepté par la société Koobuy.com le 3 janvier 2000, et qui a donc valeur contractuelle, comporte la mention » Forfait global de la création, droits cédés au site : 25 000 F HT » ;
qu’il est ainsi manifeste que la cession des droits d’auteur concernant ces créations graphiques, parmi lesquelles figurent le logo Koobuy.com et les personnages » La famille gigi et compagnie « , était expressément limitée à ce site internet ;
Attendu que, nonobstant cette limitation de cession de droits, les œuvres graphiques de Christèle M. ont été reproduites à compter du mois de janvier 2000 par la société Koobuy.com lors de la campagne publicitaire à la télévision et au cinéma destinée au lancement du site, ainsi que sur d’autres supports ;
Attendu que la société Koobuy.com ne saurait sérieusement soutenir que Christèle M. était parfaitement d’accord sur une telle utilisation publicitaire de ses créations pour avoir accepté de compléter son travail initial par l’élaboration de simples adaptations de celui-ci à destination publicitaire comme : « création d’une annonce publicitaire Yahoo magazine », « adaptation à trois annonces journaux, internet + Le Point, Point Net et Taxi », « création de story board pour TV et cinéma », « porte-clés, tapis de souris, autocollants, casquette, Grande Gigi, annonce Petit Futé », ayant donné lieu à une facture du 4 mars 2000, alors que :
– par courrier électronique du 28 février 2000, Christèle M. a rappelé au dirigeant deKoobuy.com la nécessité de faire un contrat de cession des droits d’auteur pour la diffusion de l’image Koobuy aux grands médias, contrat évoqué au cours d’un déjeuner du 11 février, et protesté sur le fait qu’elle n’avait reçu aucune avance sur ces droits d’auteur ;
– la facture de 32 705 F TTC émise le 9 mars 2000 pour ces travaux complémentaires, tout comme celle de 5 275 F TTC émise le 2 avril, ne prévoient aucune cession de droit d’auteur ;
– le 9 mars 2000, à la suite des demandes répétées de Christèle M., la société Koobuy.com lui a adressé un projet de cession » des droits de reproduction, d’adaptation et de représentation de l’œuvre » pour des exploitations élargies à l’affichage, la presse, la télévision, le cinéma, les affiches, le » merchandising promotionnel » (T-shirt, tapis de souris, porte-clés), la télématique informatique, le » on-line et off-line « , lequel projet prévoyant une rémunération forfaitaire de 25 000 F venant s’ajouter aux 25 000 F versés pour la réalisation de l’œuvre a suscité les vives protestations de Christèle M. qui l’a refusé ;
Attendu que la société Koobuy.com ne saurait pas davantage se prévaloir de la cession automatique de droits instaurée par l’article L. 132-31 du code de la propriété intellectuelle, applicable aux créations publicitaires, aux termes duquel :
« Dans le cas d’une œuvre de commande utilisée pour la publicité, le contrat entre le producteur et l’auteur entraîne, sauf clauses contraires, cession au producteur des droits d’exploitation de l’œuvre, dès lors que ce contrat précise la rémunération distincte due pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre en fonction notamment de la zone géographique, de la durée d’exploitation, de l’importance du tirage et de la nature du support » ;
qu’en effet, les factures du 4 mars 2000 et 2 avril 2000 émises par Christèle M. ne comportent aucune des conditions posées par l’article précité pour qu’il puisse y avoir présomption de cession des droits d’auteur, lesdites factures prévoyant uniquement une rémunération forfaitaire de la création des œuvres ;
Attendu qu’il convient, dans ces conditions, de faire interdiction à la société Koobuy.com de reproduire ou représenter les créations de Christèle M. sur un support autre que le site Web accessible à l’adresse » www.Koobuy.com » et d’assortir cette interdiction d’une astreinte ;
Sur la demande en désignation d’un expert et en paiement d’une provision
Attendu que Christèle M. a manifestement droit à une rémunération pour l’utilisation de ses créations, à des fins publicitaires, qui a été faite sans son consentement sur les supports autres que celui de la société Koobuy.com ;
Attendu que cette rémunération doit se calculer, aux termes de l’article L. 132-31 du code de la propriété intellectuelle, en fonction des modes d’exploitation, de l’importance du tirage et de la nature du support ;qu’une expertise est de toute évidence nécessaire afin que soient réunis les éléments d’appréciation qui permettront aux juges du fond de définir cette rémunération, notamment la durée, la zone géographique et le volume de l’exploitation publicitaire qui été faite par la société Koobuy.com des créations de Christèle M. ;
Attendu que les frais engagés par la société Koobuy.com pour le financement de sa campagne publicitaire, depuis le mois de janvier 2000, se sont élevés à plus de 6 millions de francs, non compris la publicité par radio ;
qu’en l’état de ce montant, la société Koobuy.com ne saurait sérieusement contester être redevable d’au moins 60 000 F, somme probablement sensiblement inférieure à celle que l’expertise fera ressortir ; qu’elle doit donc être condamnée au paiement de cette somme à titre provisionnel, dans l’attente des résultats de la mesure d’instruction ;
Sur les dépens et la demande au titre de l’article 700 du Ncpc
Attendu que les dépens incombent à la société Koobuy.com qui, au surplus, devra verser la somme de 15 000 F à Christèle M. en application tout particulièrement justifiée des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort,
. Constatons la remise au conseil de Christèle M., par la société Koobuy.com, d’un chèque de 5 275 F au titre du paiement de la facture du 2 avril 2000 ;
. Faisons interdiction à la société Koobuy.com de reproduire ou représenter les créations de Christèle M. sur un support autre que son site web accessible à l’adresse » www.Koobuy.com « , et ce sous astreinte de 3 000 F par infraction constatée,
. Ordonnons une expertise et désignons à cet effet Antoinette d’Escaives avec mission :
– d’entendre contradictoirement les parties et se faire remettre tous documents utiles,
– de déterminer le volume, la zone géographique et la durée d’exploitation, sur tous les supports autres que la radio et le site web » www.Koobuy.com « , de la campagne publicitaire effectuée par la société Koobuy.com, reproduisant les créations de Christèle M. à compter du mois de janvier 2000,
– d’entendre tous sachants sur les usages en matière de rémunération d’œuvre graphique dans le contexte de la campagne publicitaire de lancement d’un site internet,
– de fournir tous éléments permettant à la juridiction susceptible d’être ultérieurement saisie de statuer sur le montant de la rémunération de Christèle M. ;
. Disons que l’expert devra communiquer un prérapport aux conseils des parties pour les observations éventuelles ;
. Disons que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du nouveau code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au greffe du TGI de Paris avant le 15 décembre 2000, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du juge du Contrôle ;
. Fixons à la somme de 10 000 F la provision concernant les frais d’expertise qui devra être consignée par Christèle M. avant le 15 septembre 2000 ;
. Condamnons la société Koobuy.com à verser une provision de 60 000 F à Christèle M. à valoir au titre de son indemnisation des actes de contrefaçon ;
. La condamnons aux dépens ainsi qu’à verser la somme complémentaire de 15 000 F à Christèle M. par application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le tribunal : M. Claude Civalero (vice-président du TGI de Paris, tenant l’audience publique des référés par délégation du président du tribunal).
Avocats : Mes Hubert d’Alverny, la SCP Caubet-Chouchana-Meyer.
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