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Jurisprudence : Responsabilité

vendredi 01 juillet 2016
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Tribunal de commerce de Lyon, ordonnance du 22 juin 2016

Bee2link / Datafirst

cessation d’acte de dénigrement - condamnation - contrat - courrier électronique - décision de justice - dénigrement - partenariat - référé

I – Objet de la demande et conclusions des parties

Attendu que le contenu et les motifs de la demande sont exprimés dans l’acte introductif d’instance joint à la présente ordonnance.

Pour la société Datafirst SAS, voir conclusions en date respectivement en annexe et ce, conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

II – Motifs de l’ordonnance

LES FAITS

Par protocole d’accord relatif à l’acquisition des actions de XC Developpement SAS, Monsieur Xavier C., la société XC Investissement, la société Marimau et Monsieur Cédric L. ont cédé à la société Datafirst 100 % des parts qu’ils détenaient dans la société XC Developpement avec prise d’effet de cette cession au 1er octobre 2009.

Ce protocole d’accord contient une clause de non sollicitation et de non-concurrence pesant sur Monsieur Xavier C., la société XC Investissement et Monsieur Cédric L., qui a été modifiée par avenant du 25 avril 2012, prorogeant l’obligation de non-concurrence jusqu’au 30 septembre 2014.

Alertée courant août 2014 de ce que la société Bee2link, détenue par Monsieur Xavier C. et la société
XC Investissement entamaient des démarches commerciales actives auprès de clients de la société
Datafirst en proposant notamment la création de sites Web avec des fonctionnalités dédiées à l’optimisation de la relation client, et annonçant pour la rentrée 2014 la mise en place d’un CRM, c’est-à-dire d’un logiciel de gestion de la relation client pour l’automobile, ct donc en violation de la clause de non-concurrence visée dans le protocole d’accord de 2009 et de son avenant de 2012, la société Datafirst saisissait par voie de requête le Président du Tribunal de Commerce de Châlon-sur-Saône, aux fins de pouvoir conduire les investigations nécessaires, requête à laquelle il était fait droit par ordonnance du 11 septembre 2014. Les opérations d’investigation ont été réalisées dans les locaux de la société Bee2link Ie 24 septembre 2014.

Les sociétés Bee2link ct XC Investissement et Messieurs L. et C. ont saisi le Président du Tribunal de commerce de Chalon-sur Saône en référé-rétractation en suite des opérations précitées, mais ont été déboutées.

La société Datafirst a saisi le Tribunal de Commerce de LYON au fond aux fins de faire valoir ses droits.

Par jugement du 12 mai 2016, Je Tribunal de Commerce de LYON a partiellement fait droit aux demandes de la société Datafirst, ct a notamment constaté que la clause de non-concurrence stipulée dans le protocole d’accord précité avait été violée, ct a condamné solidairement Messieurs Xavier C. et Cédric L., ainsi que les sociétés Bee2link et XC Investissement à payer à la société Datafirst la somme de 289 500 euros en réparation du préjudice subi.

En revanche, le Tribunal de Commerce de Lyon dans le jugement précité a débouté la société Datafirst de sa demande de condamnation de la société Bee2link pour concurrence déloyale.

Par correspondance adressée en la voie recommandée avec accusé réception du 26 mai 2016, la société Datafirst écrivait au Président du Directoire du groupe Volkswagen France, dans laquelle elle reprochait le manque de réactivité des équipes dudit groupe quant au choix d’un CRM et l’éventualité pour ledit groupe de retenir une solution concurrente à celle mise en place par la société Datafirst, et d’autre part attirait l’attention de son interlocuteur sur la condamnation de la société Bee2link par le jugement précité du Tribunal de Commerce de Lyon.

Cette correspondance était en outre adressée, à tout le moins, à un autre membre du réseau Volkswagen France, ledit membre s’en émouvant immédiatement auprès de la société Bee2link.

Considérant que la correspondance adressée par la société Datafirst au Président du Directoire du groupe Volkswagen France d’une part ct aux membres de son réseau d’autre part, constituait un trouble manifestement illicite ct qu’il convenait de faire cesser, la société Bee2link saisissait Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Lyon sur Je fondement de l’article 485 du Code de Procédure Civile aux fins d’être autorisée à assigner la société Datafirst d’heure à heure.

Il devait être fait droit à sa demande selon ordonnance du Président en date du 8 juin 2016, et forte de cette autorisation, la société Bee2link a assigné la société Datafirst devant la présente juridiction selon assignation du 9 juin 20 16 régulièrement signifiée le même jour.

Au visa de cette assignation, la société Bee2link demande à la juridiction des référés :
– d’interdire à la société Datafirst sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée de faire mention auprès de tout tiers, quel qu’en soit le support ou l’expression de la société Bee2link, de son dirigeant ou de ses produits ;
– d’enjoindre la société Datafirst à communiquer à la société Bee2link dans les huit jours de l’ordonnance à intervenir le nom et les coordonnées complètes de toutes les entités ayant été destinataires de courriers ou messages, quel qu’en soit le support, relatifs à la société Bee2link, son dirigeant ou de ses produits et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour à compter de la signification de l’ordonnance â intervenir.

En réponse, la société Datafirst sollicite le rejet des demandes de la société Bee2link.

Les parties se sont régulièrement expliquées devant la présente juridiction lors de l’audience du 15 juin 2016.

Différents courriers et correspondances ont été adressés sans que des notes en délibéré n’aient été autorisées, il n’en sera pas fait état, ni tenu compte.

DISCUSSION

Il est principalement reproché à la société Datafirst le contenu du paragraphe mentionné ci-dessous dans la correspondance adressée par ladite société Datafirst au Président du Directoire du Groupe Volkswagen France le 26 mai 2016, outre aux membres du réseau Volkswagen :

« Enfin et pour que le tableau soit complet, il nous semble utile de préciser ici que votre prestataire Bee2link (fournisseur de Digit’all), solidairement avec son dirigeant, ont été récemment et lourdement condamnés en première instance el de façon exécutoire pour concurrence déloyale à notre égard, ce dont nous vous laissons mesurer l’impact et les conséquences ».

Il est en outre reproché à la société Datafirst le fait d’avoir communiqué cette information, réputée tendancieuse, voire mensongère, au moment où le groupe Volkswagen France s’apprête à déployer massivement dans son réseau la solution Digit’all de Bee2link.

Il convient donc en premier lieu de rechercher si la phrase en question constitue un acte de dénigrement.

A titre liminaire, il convient de rappeler que la communication à tout tiers d’une décision de justice, par essence publique, ce qui est le cas en l’espèce, n’est nullement constitutive d’un quelconque acte de dénigrement, sous réserve que ladite décision ne soit pas dénaturée ou altérée.

En revanche, il est tout aussi constant, au visa de la jurisprudence, que la communication d’une telle décision de justice tronquée, voire même altérée dans sa substance, est susceptible de constituer un tel acte de dénigrement.

En l’espèce il est relevé que dans la correspondance adressée par la société Datafirst au Président du groupe Volkswagen France, la société Datafirst indique que la société Bee2link a été condamnée pour acte de concurrence déloyale, alors même que la société Bee2link et son dirigeant ont été solidairement condamnés pour non-respect d’une clause de non-concurrence : en d’autres termes, le fondement juridique de la condamnation a été, à l’évidence, sciemment modifié puisqu’aussi bien, la condamnation pour défaut de respect d’une clause de non-concurrence repose sur les dispositions de l’article 1 134 du Code Civil, alors même que de manière constante, une condamnation pour concurrence déloyale repose sur l’article 1382 du Code Civil.

Cette altération de ln condamnation, dont ont fait l’objet la société Bee2link et son dirigeant, Monsieur C., est d’autant plus patente que la société Datafirst a été déboutée par le Tribunal de Commerce de Lyon dans son jugement du 12 mai 2016 de son action sur le terrain de la concurrence déloyale, ce que la société Datafirst ne pouvait ignorer à la simple lecture de ce dernier.

Le moyen tiré de l’erreur sémantique invoque par la société Datafirst ne peut dès lors prospérer favorablement et à l’évidence, cette dernière a entendu jeter le discrédit sur la société Bee2link en invoquant une condamnation erronée.

Ce fait a d’autant plus d’importance que la clause de non-concurrence visée dans le protocole d’accord de 2009, et modifiée par l’avenant de 2012 voyait la terminaison de l’engagement de non-concurrence au 30 septembre 2014, de sorte qu’en tout état de cause, en 2016, cette clause de non-concurrence n’a manifestement plus vocation à s’appliquer. Et qu’une telle clause de non-concurrence expirée au 30 septembre 2014 n’a pas vocation à influer d’une manière ou d’une autre le groupe Volkswagen France et son réseau de distribution dans le choix de la solution CRM qu’elle s’apprête à arrêter.

La société Datafirst affirme que l’information critiquée est exacte alors même qu’il vient d’être démontré supra que l’information en question est fausse. Elle poursuit en considérant que la société Datafirst n’en tire aucune conséquence elle-même et qu’au contraire elle visait à inviter Volkswagen à en évaluer elle-même les conséquences.

Ainsi que développé supra, cette affirmation de la société Datafirst ne peut être suivie puisqu’aussi bien, le fondement juridique de la condamnation est différent de celui rapporté par la société Datafirst dans sa correspondance adressée à Volkswagen France, et que justement, la société Datafirst se garde bien de rappeler dans la correspondance précitée que la clause de non-concurrence, réputée avoir été violée par la société Bee2link au visa du jugement précité, est expirée depuis le 30 septembre 2014.

Concernant le choix de la date d’envoi du courrier de la société Datafirst à Volkswagen France, il est acté qu’il intervient un mois après l’information de Volkswagen France du 26 avril 2016 quant au déploiement de la solution du concurrent Digit’all. A l’évidence, ce choix de date n’est pas fortuit mais avait manifestement vocation à tenter de faire pression sur le groupe Volkswagen France aux fins qu’il change son choix de solution CRM.

Le dénigrement de la société Bee2link opéré par la société Datafirst dans ce contexte particulier est manifeste et constitue à l’évidence un trouble manifestement illic1te qu’il convient de faire cesser au visa des dispositions de l’article 873 du Code de Procédure Civile Il y a donc lieu de faire droit à la demande de la société Bee2link, de sorte que la société Datafirst se verra interdire sous astreinte de 10 000 euros par infraction, de faire mention auprès de tout tiers, attachés de près ou de loin au groupe Volkswagen France et donc des différentes marques que ledit groupe exploite, quel qu’en soit le support ou l’expression, de la mention de la société Bee2link de son dirigeant ou de ses produits.

Il résulte, en outre, de la pièce 11° 6 versée aux débats par la société Bee2link, qu’une copie de la correspondance incriminée de la société Datafirst au Président du Directoire du groupe Volkswagen France du 26 mai 20 16, a été transmise à tout le moins à l’un des membres du réseau du groupe Volkswagen France, qui au demeurant s’en est ému par e-mail du 6 juin 2016 en demandant des explications.

Il est donc probable que la société Datafirst a adressé copie de la correspondance incriminée à d’autres membres du réseau du groupe Volkswagen France.

Cette diffusion d’une correspondance dans laquelle le dénigrement de la société Bee2link est avéré (cf supra), et en raison en outre de l’indépendance des différents distributeurs Volkswagen, doit donc là encore cesser.

Il convient en conséquence également de faire droit à la demande de société Bee2link, de sorte que la société Datafirst sera enjointe à communiquer à la société Bee2link, dans les huit jours à compter du prononcé de la présente décision, les noms et coordonnées complètes de toutes les entités ayant été destinataires de courriers ou messages, quel qu’en soit le support, dans laquelle copie de la lettre adressée par la société Datafirst au Président du Directoire du groupe Volkswagen France a été jointe en copie, ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour à l’expiration du délai précité.

La présente juridiction se réservera le contentieux de liquidation des astreintes ainsi prononcées.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, de sorte que la société Datafirst sera condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros de ce chef.

La société Datafirst succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens de la présente instance.

DECISION

STATUANT PUBLIQUEMENT, PAR ORDONNANCE CONTRADICTOIRE ET EN PREMIER RESSORT :

INTERDISONS à la société Datafirst, sous astreinte de 10 000 euros par infraction, de faire mention auprès de tout tiers, lié de près ou de loin au groupe Volkswagen France, quel qu’en soit le support ou l’expression, de la société Bee2link, de son dirigeant ou de ses produits.

FAISONS INJONCTION à la société Datafirst à communiquer à la société Bee2link dans un délai de huit jours à compter du prononcé de la présente décision, le nom et les coordonnées complètes de toutes les entités ayant été destinataires de courriers ou messages, quel qu’en soit le support, à laquelle était jointe une copie de la lettre adressée par la société Datafirst au Président du Directoire du groupe Volkswagen France en date du 26 mai 2016, ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour à l’expiration du délai précité.

NOUS RÉSERVONS le contentieux de liquidation de l’astreinte.

CONDAMNONS la société Datafirst à payer à la société Bee2link la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de la Procédure Civile.

CONDAMNONS la société Datafirst aux entiers dépens de la présente instance.

Prononcé par dépôt au Greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile.

Le Tribunal : Bruno Vuillermoz (président), Christian Bravard (greffier)

Avocats : Me Franck Saunier, Me Pierre-Yves Margnoux, Me Anne-Florence Raducault

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