Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Marseille, 1ère chambre civile, jugement du 4 juin 2015
Lilou / Karine P.
originalité - photos - reproduction - site internet - textes
NATURE DU JUGEMENT
Contradictoire et en premier ressort
FAITS, MOYENS ET PROCÉDURE
La SARL LILOU commercialise des articles liés à la pratique de la motocyclette, du quad et autres engins mécaniques au moyen du site internet anais-discount.com.
Au courant du mois d’août 2012 la SARL LILOU s’est aperçue que Madame Karine P. épouse C. exerçant sous le nom commercial GRP GROUP une activité concurrente à la sienne avait créé un site internet reproduisant les images et textes lui appartenant.
Elle a fait dresser un constat d’huissier le 28 août 2012 qui fait apparaître la reprise des éléments suivants sur les sites internet de Madame Karine G. :
– visuels publicitaires « opération collection Thor »
– le texte de la feuille de présentation « qui sommes-nous ? »
– le texte de la « garantie satisfait ou remboursé »
– le texte concernant les délais de livraison
– les graphiques et les textes concernant le « guide des tailles moto » pour le casque, les blousons, vestes, maillots, pantalons, bottes, gants …
Vingt-neuf visuels et textes ont été reproduits sur les trois sites internet exploités par Madame Karine G.: gprquad.com, leaderquad.fr, gpr-mx.com .
Le même jour la SARL LILOU a adressé à Madame Karine G. une mise en demeure d’avoir à retirer de son site internet le diaporama « Thor ».
Par acte d’huissier en date du 26 septembre 2012 la SARL LILOU a fait assigner Madame Karine G. devant le tribunal de commerce de Carcassonne sur le fondement des articles 1382 du Code civil, L 111-1 et L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, afin de la voir condamner à supprimer les visuels et textes litigieux et à l’indemniser du préjudice subi.
Le tribunal de commerce s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Marseille par jugement du 21 janvier 2013 eu égard à la compétence exclusive de cette juridiction pour connaître des actions relatives à la propriété littéraire et artistique.
La SARL LILOU et Madame Karine G. ont constitué avocat près le tribunal de grande instance de Marseille.
Madame Karine G. a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 23 juillet 2014.
Aux termes de ses dernières conclusions, la SARL LILOU sollicite :
– qu’il soit constaté que Madame Karine G. a copié servilement les photographies, icônes et autres représentations appartenant à la SARL LILOU et utilisés sur son site internet « anais-discount.com ».
– que soit fixée la créance de la SARL LILOU au redressement judiciaire de Madame Karine G. à la somme de 3000 euros par infraction constatée, soit au jour du constat d’huissier la somme de 87 000 euros pour l’utilisation illicite.
– que soit fixée la créance de la SARL LILOU au redressement judiciaire de Madame Karine G. à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice commercial.
– la condamnation de Madame Karine G. et de la SCP BTSG, mandataire judiciaire, à payer à la SARL LILOU la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions la SARL LILOU fait valoir que Madame Karine G. ne conteste pas l’utilisation à 29 reprises des visuels et textes lui appartenant, qu’elle n’a pourtant supprimé de ses sites internet qu’une fois l’assignation délivrée. Elle se prévaut de la création pour son compte du visuel « Thor collection 2013 » par un prestataire de services en communication, la société Résonance Communication Multimedia, tandis que les autres visuels et textes sont l’oeuvre de l’épouse du gérant, elle-même associée de la SARL LILOU.
De son côté Madame Karine G. soulève l’irrecevabilité de l’action intentée par la SARL LILOU, faute pour celle-ci de justifier qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur les visuels litigieux, faisant observer que la facture de la société Résonance Communication Multimedia est postérieure au constat d’huissier qu’elle désigne les oeuvres de manière imprécise et ne suffit pas en tout état de cause à démontrer la cession des droits patrimoniaux faute de respecter les prescriptions de l’article L. l 31-3 du Code de la propriété intellectuelle. Elle ajoute que les conditions générales de vente de cette société énoncent que les créations restent la propriété de Résonance Communication qui est titulaire de tous les droits d’auteur et que tout transfert de droit d’auteur ne peut intervenir qu’après paiement intégral de facture, alors qu’en l’occurrence la facture étant postérieure au constat d’huissier le paiement et donc le transfert des droits d’auteur n’avait pu intervenir à la date de ce constat. Elle se prévaut par ailleurs de ce qu’elle a déjà procédé à la suppression des visuels litigieux et de l’absence d’originalité des créations en cause, dont la reproduction ne cause pas de préjudice à la SARL LILOU. Elle insiste en outre sur la courte Jurée de mise en ligne des visuels, deux jours, pour minimiser le montant des demandes indemnitaires formées contre elle.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er septembre 2014.
Par jugement du 23 juillet 2014 le Tribunal de commerce de Limoges a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de Madame Karine G.
Par acte d’huissier en date du 10 mars 2015, la SARL LILOU a appelé en intervention forcée la SCP B.T.S.G., mandataire judiciaire de Madame Karine G. Cette instance a été jointe à l’affaire principale.
DISCUSSION
Sur la révocation de l’ordonnance de clôture
En l’état du redressement judiciaire de Madame Karine G. prononcé le 23 juillet 2014 avant donné lieu à l’assignation en intervention forcée délivrée le 10 mars 2015 par la SARL LILOU à l’encontre de la société SCP B.T.S.G., mandataire judiciaire de la défenderesse, afin que le jugement à intervenir lui soit déclaré commun et opposable, circonstances constituant la cause grave prévue par l’article 784 du Code de procédure civile il convient de révoquer l’ordonnance de clôture du 1er septembre 2014 cl de fixer la clôture de la mise en état au 2 avril 2015.
Sur l’interruption de l’instance
Selon l’article L. 622-22 du Code de commerce les instances en cours à la date du jugement d’ouverture du redressement judiciaire, qui tendent à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, sont interrompues jusqu’à la déclaration faite par le créancier poursuivant de sa créance et sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan, dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Madame Karine G. ne peut se prévaloir de ces dispositions pour opposer à l’action intentée contre elle l’interruption de l’instance dès lorsqu’il n’est pas contesté que la SARL LILOU a déclaré sa créance et qu’elle a déjà procédé à la mise en cause du mandataire judiciaire par assignation du 10 mars 2015. Madame Karine G. sera donc déboutée de sa demande tendant à voir constater l’interruption de l’instance.
Sur la recevabilité de l’action
Madame Karine G. prétend que l’action engagée par la SARL LILOU est irrecevable au motif que cette dernière ne justifie pas être titulaire des droits d’auteur sur les visuels litigieux.
La SARL LILOU produit une facture en date du 3 septembre 2012 qui lui a été adressée par la société Résonance Communication Multimedia concernant la création du visuel publicitaire « Thor collection 2013 disponible » et allègue que les autres visuels sont le fruit du travail de Madame Caroline C.,
épouse du gérant et associée.
Il y a lieu de rappeler que lorsque l’auteur de l’oeuvre n’émet aucune revendication, la personne morale qui exploite cette oeuvre n’est nullement tenue de prouver la réalité de la cession, laquelle est indépendante de la présomption dont bénéficie la personne commercialisant l’oeuvre sans équivoque. De même, l’inobservation des conditions posées par l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle étant sanctionnée par la nullité relative, seuls les auteurs peuvent se prévaloir de la nullité d’une cession de leurs droits.
Il s’ensuit qu’en l’absence de revendication des auteurs des visuels litigieux la SARL LILOU, qui exploite commercialement ces visuels sur son site internet, est présumée être titulaire à l’égard des tiers des droits patrimoniaux d’auteur sur ces créations sans que Madame Karine G. ne puisse valablement invoquer les prescriptions de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle.
La fin de non recevoir soulevée par Madame Karine G. sera donc rejetée.
Sur la responsabilité et l’indemnisation
Il s’évince du constat d’huissier du 28 août 2012 qu’a été reproduit sur les sites internet gprquad.com et gpr-mx.com exploités par Madame Karine G. un visuel « nouveauté Thor collection 2013 disponible » représentant trois motards vêtus de combinaisons, gants et casques aux motifs variés sur fond d’une image représentant la partie haute du buste d’un motard, au guidon de sa motocyclette, dans un paysage de type minéral. Ce visuel procède d’une recherche esthétique en ce qu’il insère la présentation de trois tenues de la collection « Thor » dans une mise en scène de motard en excursion, associant chez le consommateur le désir d’action, inhérent à la pratique des sports mécaniques de type quad ou motocross, au désir de consommation. Ce visuel est donc protégé par le droit d’auteur et sa reproduction sans autorisation par Madame Karine G. constitue une contrefaçon.
S’agissant des textes « qui sommes-nous ? », « garantie satisfait ou remboursé », du texte concernant les délais de livraison, ainsi que du guide des tailles en ses éléments graphiques et textuels ils sont purement descriptifs, leur forme étant exclusivement dictée par leur fonction utilitaire sans aucune recherche esthétique. Dénués d’originalité, ils ne sont pas éligibles à la protection par le droit d’auteur, En outre, ces éléments, de nature informative, ne recèlent aucune recherche de confusion dans l’esprit du consommateur entre le site internet de la SARL LILOU et les sites internet de Madame Karine G. de sorte que leur reproduction n’est pas fautive.
Ces agissements ont permis à Madame Karine G. de profiter sans bourse délier des frais exposés par la SARL LILOU afin d’acquérir le visuel reproduit ; la créance de réparation de la SARL LILOU sera fixée à la somme de 1 000 euros. Aucun préjudice moral spécifique n’est en revanche démontré.
La somme de 800 euros sera en outre accordée à la SARL LILOU au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
DECISION
LE TRIBUNAL,
STATUANT après audience publique, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
– REJETTE la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir.
– DIT que Madame Karine G. a commis des actes de contrefaçon du visuel »nouveauté Thor collection 2013 disponible » exploité par la SARL LILOU.
– DIT que la reproduction servile par Madame Karine G. des textes « qui sommes-nous? », « garantie satisfait ou remboursé », du texte concernant les délais de livraison, ainsi que du guide des tailles en ses éléments graphiques ct textuels utilisés par la SARL LILOU n’est pas fautive,
– FIXE la créance de réparation de la SARL LILOU au redressement judiciaire de Madame Karine G. à la somme totale de 1000 euros.
– FIXE la créance de la SARL LILOU au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au redressement judiciaire de Madame Karine G. à la somme de 800 euros.
– MET les dépens de l’instance à la charge de Madame Karine G.
Le Tribunal : Pierre Calloch (vice-président), Corinne Gilis (juge), Mathilde Bloch (juge – rédacteur), Pascale Volpes (greffier)
Avocats : Me Hubert Roussel, Me Cabee, Me Stéphanie Benita-Duponchelle, Me Yann Lorang, Maître Marc Sénéchal
Notre présentation de la décision
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