Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Lyon, jugement du 17 Décembre 2013
Guillaume C. / Spiruline sans frontière (S.S.F.)
antériorité du nom de domaine - fraude - nom de domaine - opposition - réseaux sociaux - transfert
EXPOSE DU LITIGE
Par acte introductif d’instance en date du 14 octobre 2013, monsieur Guillaume
C. fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon selon la procédure
d’assignation à jour fixe après autorisation donnée par ordonnance du 9 octobre 2013 la société Spiruline sans Frontière aux fins d’obtenir, au visa des articles L 711-1 à L 711-4 et L 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle :
-qu’il soit constaté que
* la marque n°3987515 « SPIRULINE DE FRANCE » déposée par la défenderesse pour désigner la spiruline d’origine française est générique et descriptive,
* la marque n° 3983476 « VILLAGE SPIRULINE » a été déposée frauduleusement par la société défenderesse en violation des droits du concluant qui dispose d’antériorités opposables audit dépôt,
– qu’il soit constaté que l’ensemble des agissements de la société Spiruline sans frontière consistant à vouloir se faire attribuer le nom de domaine www.spirulinefrance.fr à déposer les marques susvisées et à élever une plainte auprès de Facebook qui a eu pour effet de bloquer les pages Facebook www.facebook.com/spirulinefrance et www.facebook.com/village spiruline sont constitutifs d’actes de parasitisme économique et de concurrence déloyale,
– en conséquence, de faire injonction à la société Spiruline sans frontière de
* retirer la plainte déposée sur le site Facebook contre lui,
* notifier à ses frais la décision à intervenir à Face book en vue de la levée du blocage des pages accessibles initialement aux adresses www.facebook.com/spirulinefrance et www .facebook.com/VillageSpiruline
– de transférer la propriété de la marque « VILLAGE-SPIRULINE » à son profit et aux frais du défendeur,
– de déclarer nulle la marque « SPIRULINE DE FRANCE »
– d’ordonner la notification du jugement à intervenir par les bons soins de monsieur le Greffier à monsieur le Directeur de l’INPI en vue de son inscription au registre national des marques concernant les deux marques en cause,
– de condamner la société Spiruline sans frontière à lui payer
* 17.445 euros au titre du préjudice commercial subi
* 50.000 euros au titre du préjudice économique futur
* 30.000 euros au titre de son préjudice moral
– d’ordonner sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d’accueil du site internet de la défenderesse accessible à l’adresse www.spirulinesansfrontiere.com pendant une durée de deux mois le texte devant s’afficher en caractères lisibles taille 12 police Arial et être précédé du titre « AVERTISSEMENT JUDICIAIRE » en lettres capitales,
– de se réserver la liquidation des astreintes,
– de condamner la défenderesse au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
-d’ordonner l’ exécution provisoire du jugement.
Il explique qu’il est un entrepreneur spécialisé dans la spiruline -algue utilisée comme un complément alimentaire- et qu’il a créé deux sites internet distincts qui y sont dédiés. Le site www.spirulinefrance.fr est un site d’information et le site marchand www.svillagespiruline.fr créé le 11 septembre 2011 est dédié à la vente de spiruline sous toutes ses formes.
Ce site compte une moyenne de 112 visiteurs par jour pour un panier moyen de 46 euros par vente, l’activité est en constante augmentation. Il a en outre créé deux pages facebook soit Spirulinefrance pour porter ses publications à la connaissance du public et la page villagespiruline. Dans le cadre de toute recherche avec le mot clef « spiruline », son site est positionné entre la 3èmc et la 5ème place.
Il affirme que l’arrivée de la société défenderesse, immatriculée le 14 mai 2012, sur
le marché de la Spiruline a entraîné a chute du site www. village-spiruline.fr ; cette société exerce la même activité que lui et dispose également d’une page Facebook ; son dirigeant a mis en place une stratégie de destruction de son concurrent en déposant des marques reproduisant les sites et noms de domaine du concluant. Elle a tenté de faire transférer la propriété du nom de domaine « spirulinefrance.fr » en faisant valoir que le concluant offrait de la spiruline non française alors qu’il ne s’agit que d’un site d’information. Elle a par ailleurs déclenché une notification de contenu illégal entraînant la suppression des deux
pages Facebook ; le concluant a contesté mais Facebook l’a avis de ce que la seule personne apte à retirer la plainte était le responsable de la société défenderesse ou un accord entre les parties. Une nouvelle page temporaire a dû être recréée. Ses demandes amiables ont échoué, la défenderesse n’acceptant que la cession se la marque « VILLAGESPIRULINE » contre son prix d’acquisition. Il a accepté cette cession mais celle-ci ne règle pas ses autres demandes.
Il relève que son fonds de commerce est uniquement constitué de droits immatériels, soit deux sites internet et deux pages Facebook bloquées, que le dépôt d’une plainte pour infraction à certains droits rend les pages litigieuses indisponibles, que ces agissements lui ont causé un lourd préjudice (perte de chiffre d’affaires, de visibilité, de crédibilité et de référencement, baisse de valeur de son entreprise, perte de confiance de la clientèle). La société défenderesse n’a jamais eu l’utilité commerciale de ses marques créées pour parasité l’activité commerciale de son concurrent.
En défense, la société Spiruline sans frontière demande au tribunal :
– de dire les demandes mal fondées et de débouter le demandeur de ses prétentions,
– de prendre acte de sa proposition de céder à monsieur C. la marque « Village Spiruline » contre l’obtention du paiement de son prix d’acquisition soit 226 euros,
– de condamner mon sieur C. à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,
-de le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– d’ordonner l’exécution provisoire.
Elle fait valoir que :
-monsieur Margain et le site internet SSF préexistaient à l’intervention du demandeur sur le marché de la spiruline, le site était un site de vente dès 2009,
-elle possède une activité supérieure à celle du demandeur et la vente sur internet
n’est pas son premier domaine d’intervention, contrairement au demandeur,
-il n’est pas utile d’annuler la marque « SPIRULINE DE FRANCE » puisque cette
marque est en cours de modification, ce dépôt n’a en tout état de cause pas pu nuire au demandeur,
-elle n’a pas utilisé la marque « VILLAGE SPIRULINE » et le risque de confusion est
inexistant, elle a immédiatement consenti à céder la marque pour son prix d’acquisition,
– il ne peut lui être reproché d’avoir utilisé une procédure mise à disposition par
l’AFNIC qui a abouti à une décision défavorable et ne peut être préjudiciable au demandeur,
– le parasitisme conduit à exploiter le travail, les investissements, ou la notoriété
d’autrui, tel n’est pas le cas en l’espèce, la concluante n’a pas intérêt à créer la confusion puisqu’elle se distingue du demandeur en mettant l’accent sur le commerce équitable, elle n’est pas responsable de la décision prise par Facebook, la réglementation de cette dernière ne constitue pas un trouble illicite, il revient à monsieur C. de prendre les mesures pour mettre en cause Facebook,
– le même raisonnement est applicable pour la concurrence déloyale,
-la preuve d’un préjudice indemnisable n’est pas rapportée, les pièces comptables
ne sont pas rapportées, les éléments de comparaison allégués en demande ne sont pas probants, le nombre de visiteurs sur le site n’a pas diminué, monsieur C. raisonne en termes de chiffre d’affaires et non de perte de marge.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 19 novembre 2013.
Les parties ont été informées par le Président que le jugement serait rendu le 17
décembre 2013 par mise à disposition au Greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité de la marque SPIRULINE DE FRANCE
En droit, en vertu de l’article L 711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, « Sont
dépourvus de caractère distinctif. .. les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service … les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique »
Il n’est pas contestable que la marque « SPIRULINE DE FRANCE » est purement
descriptive puisqu’elle désigne le produit et sa provenance géographique.
Elle doit en conséquence être annulée dans la mesure où la défenderesse qui ne
conteste pas cette prétention ne rapporte pas la preuve que la modification projetée est intervenue.
Sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque VILLAGE SPIRULINE
Monsieur C. avait déposé le nom de domaine en septembre 2011, ce qui constitue
une antériorité opposable au dépôt d’une marque postérieure au sens de l’article L 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il en découle que si l’enregistrement est déposé en fraude des droits d’un tiers, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut en revendiquer la propriété en justice selon l’article L 712-6 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Ce fait n’est pas contesté par la défenderesse et les parties se sont mises d’accord
pour un transfert de la marque au profit du demandeur, aux frais de ce dernier, ce qui est logique puisqu’il aurait dû acquitter cette somme pour déposer sa propre marque.
Il appartient au demandeur de se rapprocher de l’INPI pour l’exécution de cette
décision.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Il appartient au demandeur de rapporter la preuve d’un comportement fautif et
préjudiciable de la société défenderesse et distinct des faits de contrefaçon, par application de l’article 1382 du Code Civil.
Monsieur C. se prévaut expressément de trois faits soit la tentative (échouée) de
transfert du nom de domaine spirulinefrance.fr par la défenderesse, le dépôt frauduleux des marques pour parasiter son activité et le blocage réussi de ses pages Facebook puisque le dépôt d’une plainte pour infraction à certains droits rend les pages litigieuses indisponibles.
Concernant le dépôt des marques en violation des droits adverses, la société
défenderesse prétend qu’elles ne les a pas utilisées de sorte que ces dépôts n’ont pu être préjudiciables. Cependant, cette non exploitation reconnue accrédite la thèse selon laquelle le dépôt visait en fait à bloquer l’activité du demandeur, en ayant nécessairement vocation à neutraliser les noms de domaine de ce dernier.
Il est établi que l’AFNIC a été par ailleurs saisi par la défenderesse le 11 avril 2013
d’une procédure de résolution des litiges concernant le site « Spiruline de France », ce qui a contraint monsieur C. à répondre aux demandes de cet organisme et a eu pour effet, pendant toute la durée de la procédure de geler les opérations sur le nom de domaine « spirulinefrance.fr » alors qu’il a été justement relevé par l’ AFNIC que le nom de domaine avait été déposé avant la marque.
Enfin, il n’est pas contesté que la défenderesse a notifié à Facebook l’existence
d’atteintes supposées à des droits de propriété intellectuelle, ce qui a abouti concrètement à la suppression des pages Facebook de monsieur C. les 17 et 18 avril 2013. La société défenderesse a écrit à monsieur C. en mai 2013 qu’elle n’entendait pas notifier à Facebook le retrait de sa demande car elle estimait que la page était exploitée de manière illégitime (spirulinefrance) et d’autre part que monsieur C. n’avait pas souhaité acquérir l’autre marque litigieuse (VILLAGE SPIRULINE). Cette société est en conséquence mal fondée à soutenir qu’il appartiendrait à monsieur C. seule de faire la démarche utile auprès de Facebook alors qu’elle a expressément révélé son refus de retirer son opposition,
ce pour des motifs qui ne sont pas justifiés.
Si les éléments susvisés ne démontrent pas une concurrence parasitaire de la
défenderesse visant à bénéficier du travail et des investissements de monsieur C., ils caractérisent pris dans leur ensemble un comportement agressif, déloyal et injustifié de la société Spiruline sans frontière qui va au delà de la simple défense de ses droits commerciaux ; comportement nécessairement dicté par la volonté d’éviction du défendeur du marché. Ce comportement a nécessairement causé un préjudice à monsieur C. qui s’est trouvé privé de la liberté d’utiliser librement ses noms de domaine et qui a dû utiliser une page Facebook provisoire.
En conséquence, la concurrence déloyale est établie.
Sur les mesures réparatrices
Monsieur C. ne verse pas aux débats d’éléments comptables déterminants
démontrant un préjudice financier important découlant de l’attitude fautive de son adversaire. Les éléments sur la fréquentation des sites ne sont forcément non plus très révélateurs de l’importance du préjudice s’agissant manifestement d’un secteur en pleine progression. Mais ce préjudice est cependant indéniable puisque la baisse de fréquentation du site postérieurement aux attaques adverses est patente et monsieur C. a dû modifier sa stratégie de communication du fait du blocage des pages Facebook. Une somme de 10.000 euros indemnisera justement le préjudice commercial subi.
Monsieur C. a en outre subi un préjudice moral en raison de l’atteinte portée à son
image de marque. Une somme de 5.000 euros indemnisera ce préjudice.
La preuve d’un « préjudice futur » n’est pas démontrée, ce préjudice restant
hypothétique.
Il sera fait droit à la demande de publicité selon les modalités portées au dispositif du jugement.
Il n’y a pas lieu de se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte.
Il doit enfin être fait injonction à la défenderesse de retirer sa plainte déposée sur le site Facebook contre monsieur C. en notifiant à ses frais la présente décision à cet organisme.
La société Spiruline sans :frontière qui succombe au principal sera déboutée de sa
demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive. Elle supportera en outre les dépens et l’équité conduit à faire application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit du demandeur dans la limite de 3.000 euros.
La nature des faits et la procédure d’urgence justifient d’ordonner l’exécution
provisoire de la présente décision.
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
Dit que la marque « SPIRULINE DE FRANCE » est descriptive.
Annule la marque no 3987515 « SPIRULINE DE FRANCE ».
Dit que la marque no 3983496 « VILLAGE SPIRULINE » a été déposée en fraude des
droits de monsieur C. et prend acte de la cession de cette marque au bénéfice de monsieur Guillaume C. à prix coûtant aux frais du demandeur.
Dit qu’il appartient au demandeur de procéder à toute démarche utile auprès de l’INPI pour l’exécution de la présente décision ..
Condamne la société Spiruline sans frontière à payer à monsieur Guillaume C. la
somme de 10.000 euros en indemnisation de son préjudice commercial et la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral.
Rejette la demande au titre d’un préjudice futur.
Ordonne sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter d’un délai 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d’accueil du site internet de la défenderesse accessible à l’adresse www.spirulinesansfrontiere.com pendant une durée de un mois, le texte devant s’afficher en caractères lisibles taille 12 police Arial et être précédé du titre « AVERTISSEMENT JUDICIAIRE » en lettres capitales.
Dit n’y avoir lieu de se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte.
Enjoint à la société Spiruline sans frontière de
* retirer la plainte déposée sur le site Facebook contre monsieur C.
* notifier à ses frais la décision à intervenir à Face book en vue de la levée du blocage des pages accessibles initialement aux adresses www.facebook.com/spirulinefrance et www.facebook.com/VillageSpiruline
Condamne la société Spiruline sans frontière à payer à monsieur Guillaume C. la
somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Déboute la société Spiruline sans frontière de ses demandes reconventionnelles.
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.
Condamne la société Spiruline sans frontière aux dépens.
Ordonne la distraction des dépens au profit des avocats qui en ont présenté la
demande dans leurs conclusions.
Le Tribunal : Patricia Gonzalez (vice-président), Danielle Tixier (greffier)
Avocats : Me Yann Lorang, Me Christian Lallement
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