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Jurisprudence : E-commerce

vendredi 10 avril 2009
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Tribunal de commerce de Paris 19ème chambre Jugement du 12 février 2009

Waves Audio / Basement productions

e-commerce

FAITS ET PROCEDURE

La société Waves Audio LTD, ci-après Waves, a pour activité la création et la distribution de logiciels à destination des professionnels du son ; elle crée notamment des « plugs-ins » qui sont des composants logiciels qui, s’intégrant dans d’autres logiciels, ajoutent des fonctionnalités complémentaires ;

Elle commercialise, sur internet, ses « plugs-ins », isolément ou en packs et concède à l’acheteur des licences d’utilisation. En vertu d’une ordonnance sur requête en date du 22/10/2007, Waves a fait pratiquer, le 29/10/2007, une saisie contrefaçon de logiciels dans les locaux de la société Basement Productions qui a pour activité l’enregistrement d’oeuvres musicales et la location de salles de répétition au profit d’artistes ; Waves a, à la suite, engagé la présente procédure.

Par exploit en date du 9/11/2007, Waves a donné assignation à Basement Productions à l’effet et de :
– Constater qu’en utilisant sans droit les logiciels de Waves, Basement Productions a commis des actes de contrefaçon ;

En conséquence,
– Condamner Basement Productions à payer à Waves 100 000 € à titre de dommages-intérêts ;
– Condamner Basement Productions à cesser toute utilisation illicite des « plugs-ins » de Waves, dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement, et ce, sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par infraction constatée ;
– Condamner Basement Productions à verser à Waves 10 000 € en application de l’article 700 du cpe ;
– E P et dépens requis.

Dans des conclusions en date des 13/3 et 11/9/2008, Basement Productions demande au Tribunal de :

A titre principal
– Constater la nullité de la saisie contrefaçon pratiquée dans les locaux de Basement Productions et, en conséquence, débouter Waves de ses demandes comme irrecevables ;

A titre subsidiaire
– constater que Basement Productions a acquis les logiciels de Waves à des fins de test et d’évaluation et dans un but d’achat éventuel et qu’aucun acte de contrefaçon ne peut lui être reprochés ;
– Constater que Waves est dans l’incapacité de rapporter la preuve du préjudice qu’elle invoque ;
– Constater le défaut d’objet de la demande de cessation de l’utilisation prétendument illicite des « plugs-ins » de Waves et, en conséquence, débouter Waves de toutes ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire
– Constater que les demandes indemnitaires de Waves sont exorbitantes et, en conséquence, ramener le préjudice à de plus justes proportions ;

A titre reconventionnel
– Dire et juger que la saisie contrefaçon de Waves est abusive dans la mesure où sa requête est motivée sur la base d’allégations mensongères et trompeuses en ce qui concerne la titularité des droits invoqués ; en conséquence, condamner Waves à payer à Basement Productions 5000 € à titre de dommages et intérêts et 5000 € au titre de l’article 700 du CPC.
– Condamner Waves aux dépens.

[…]

MOYENS

Waves invoque les dispositions des articles L 112-1, L 112-2, L 122-6 et L 335-3 du code de la propriété intellectuelle en base de ses demandes ;

Elle soutient, d’une part, que Basement Productions est irrecevable à soulever la nullité de l’ordonnance du 22/10/2007 en vertu de laquelle la saisie contrefaçon a été opérée car, selon elle, il appartenait à Basement Productions de demander la rétractation de ladite ordonnance dans le délai prévu à l’article L 332-2 du code de la propriété intellectuelle applicable en matière de logiciel, soit 30 jours à compter de la date du procès-verbal de saisie ou de la date de l’ordonnance et, que, d’autre part, la requête mentionnant, outre le logiciel Wave Lab 3.0, l’ensemble des logiciels de Waves, l’ordonnance portait donc bien sur les logiciels pour lesquels Waves est titulaire des droits de propriété intellectuelle de telle sorte que Waves est bien recevable à agir, l’ordonnance n’étant pas nulle.

Waves fait état du procès verbal de saisie contrefaçon pour soutenir que Basement Productions a utilisé sans droits ses «plugs-ins »
– Un Pack Diamond Native
– Un Pack SSL Native
– Un IR-1

Elle réfute l’argumentation de Basement Productions selon laquelle ces logiciels auraient été installés pour des tests.

Waves justifie sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 100 000 € en invoquant, d’une part, le prix de vente de chacun des logiciels utilisés de façon illicite par Basement Productions et le coût des mises à jour de ces logiciels et, d’autre part, les investissements importants qu’elle doit consacrer en recherche et développement pour créer et mettre à jour des logiciels performants et attractifs ; elle invoque également des frais de commercialisation importants.

Basement Productions fait tout d’abord état du fait qu’elle utilise, pour les besoins de son activité d’enregistrement d’oeuvres musicales, des logiciels similaires à ceux de Waves et pour lesquels elle s’est acquittée des droits d’utilisation (logiciel Nuendo) et qu’elle n’a installé les « plugs-ins» de Waves qu’à des fins de tests avant un achat éventuel ; qu’elle n’a pas mis à disposition ces logiciels au profit de sa clientèle de telle sorte que Waves n’a subi aucun préjudice ;

Elle soutient que Waves a motivé sa requête aux fins de saisie contrefaçon sur la base d’informations erronées puisqu’elle n’est pas titulaire des droits d’auteurs relatifs au logiciel « Wave Lab 3 », ce logiciel appartenant à la société Steinberg qu’elle n’a donc pas pu établir la réalité des droits qu’elle a invoqués pour obtenir l’ordonnance du 22/10/2007 ; que donc cette ordonnance est nulle, de même que sont nuls tous les éléments de preuve obtenus au cours de l’opération de saisie contrefaçon découlant de cette ordonnance,

A titre subsidiaire, Basement Productions fait valoir que Waves ne fournit aucun élément justifiant le préjudice qu’elle invoque, ni dans son principe, ni dans son quantum ; qu’elle ne justifie en effet d’aucune perte de clientèle ou encore de perte de bénéfices : qu’il y a lieu de tenir compte du fait que Basement Productions n’a fait que tester les « plugs-ins » litigieux et du fait qu’étant une toute petite structure, elle ne saurait supporter les demandes indemnitaires formulées à son encontre ;

Basement Productions fait également valoir que la demande de Waves ayant trait à la cessation de l’utilisation des « plugs-ins » est infondée dans la mesure où Basement Productions a procédé à la suppression de ces logiciels dès la fin des opérations de saisie contrefaçon ;

Estimant que les opérations de saisie contrefaçon ont été effectuées en base d’une ordonnance obtenue de façon irrégulière et déloyale, Basement Productions s’estime fondée à obtenir que Waves soit condamnée reconventionnellement à lui payer 5000 € à titre de dommages et intérêts.

DISCUSSION

Sur les droits d’auteur de Waves

Attendu que l’article L.112-2 alinéa 13 du CPI, édicte que :

« Sont considérés notamment comme oeuvre de l’esprit au sens du présent code les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire. »

Attendu que Waves revendique la qualité d’auteur pour les logiciels « plugs-ins » :
– Pack Diamond Native contenant les « plugs-ins » Xnoise et Xclick
– Pack SSL Native
– IR-1 ;

Qu’elle justifie par les pièces versées aux débats (site internet www.waves.com, notamment) qu’elle édite et commercialise les logiciels sus visés ;

Attendu que Waves revendique l’originalité de ces logiciels en ce que, venant s’intégrer dans d’autres logiciels ils permettent de transformer le son afin de créer des effets sonores et d’obtenir des atmosphères sonores particulières ;

Attendu que si Waves n’est pas la seule à éditer et commercialiser des logiciels offrant le même type de fonctionnalités (Basement Productions fait valoir qu’elle utilise, moyennant paiement des droits correspondants, les logiciels de Nuendo ou encore ceux de United Audio), aucun élément n’est versé aux débats de nature à contester l’apport original des « plugs-ins » de Waves ;

Qu’il résulte de ce qui précède que Waves est bien recevable à se prévaloir des dispositions des articles L.112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

Sur la nullité invoquée de l’ordonnance du 22/10/2007

Attendu que, contrairement à ce que soutient Waves, Basement Productions est recevable à invoquer la nullité de l’ordonnance en base de laquelle les opérations de saisie contrefaçon ont été diligentées ; qu’aucune disposition du code de la propriété intellectuelle ou encore du cpc n’édicte que la demande de mainlevée de la saisie ou de son cantonnement telle qu’édictés par l’article L.332-2 du code de la propriété intellectuelle soit la seule voie de procédure ouverte au saisi pour contester ladite saisie ; que la procédure de mainlevée et la demande en nullité de l’ordonnance et des mesures de saisie qui en découlent ne tendent pas aux mêmes fins ;

Attendu, sur le bien fondé de la demande en nullité, qu’il sera relevé que la requête présentée par Waves, ainsi que l’ordonnance rendue au visa de cette requête, couvrent, non seulement le logiciel « Wave Lab 3.0 » sur lequel Waves reconnaît ne pas avoir de droits d’auteur, mais également les autres logiciels Waves listés dans une annexe n° 7, dont les logiciels litigieux, pour lesquels Basement Productions ne conteste pas que Waves en soit l’auteur ;

Que donc l’ordonnance critiquée ne saurait être annulée, pas plus, en conséquence, que les opérations de saisie contrefaçon qui en ont découlé.

Le Tribunal déboutera Basement Productions de sa demande en nullité de l’ordonnance du 22/10/2007, ainsi que, par voie de conséquence, de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Sur les faits de contrefaçon

Attendu que le procès-verbal de saisie contrefaçon du 29/10/2007 établit que Basement Productions a utilisé les « plugs-ins » de Waves :
– Pack Diamond Native contenant les « plugs-ins » Xnoise et Xclick
– Pack SSL Native
– IR-1

Que d’ailleurs Basement Productions, lors des opérations de saisie contrefaçon, n’en a pas disconvenu ;

Qu’elle soutient, mais n’établit pas, qu’elle aurait utilisé lesdits « plugs-ins », uniquement pour les tester avant d’en faire l’acquisition ; que d’ailleurs les opérations de saisie contrefaçon ont établi que Basement Productions avait chargé les logiciels depuis longtemps, ce qui met à néant l’argumentation de Basement Productions.

Attendu qu’il est donc établi que Basement Productions a utilisé sans autorisation de Waves et donc de façon illicite les « plugs-ins » de Waves.

Le Tribunal dira que Basement Productions s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon à l’encontre de Waves.

Sur le préjudice découlant des actes de contrefaçon

Attendu que Waves justifie d’un prix de vente des logiciels :
– Pack Diamond Native : 2850 € HT
– SSL Native : 750 € HT
– lR-1 : 600 € HT

Et du prix annuel des mises à jour desdits logiciels :
– 2775 € pour le Pack Diamond Native
– 600 € pour le SSL Native
– 300 € pour le lR-1

Attendu qu’il n’est pas contestable que Basement Productions a utilisé lesdits « plugs-ins » sans en payer le prix d’acquisition ni le prix des mises à jour alors pourtant que cette utilisation a duré pour certains desdits « plugs-ins » depuis 2004 ;

Qu’ainsi le manque à gagner de Waves peut être évalué 8000 € ;

Attendu que Waves justifie également de l’importance des sommes qu’elle consacre annuellement pour l’amélioration et le renouvellement de ses logiciels et leur commercialisation ;

Que ses efforts et son professionnalisme sont reconnus, ainsi que l’établit la liste des récompenses octroyées à ses logiciels ;

Qu’il ne peut être sérieusement contesté que l’utilisation illicite par Basement Productions des « plugs-ins » porte atteinte à l’image de Waves que cette dernière a construite et continue de consolider ;

Qu’en prenant en compte ces divers éléments, le Tribunal fixera à 30 000 € le préjudice subi par Waves du fait des actes de contrefaçon commis par Basement Productions.

Le Tribunal condamnera en conséquence Basement Productions à payer à Waves la somme de 30 000 €, déboutant Waves pour le surplus.

Sur la demande d’interdiction

Attendu que cette demande est légitime ; qu’il y a lieu d’y faire droit ;
Le Tribunal fera interdiction Basement Productions d’utiliser les « plugs-ins » de Waves passé le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision et ce, sous astreinte de 400 € par jour de retard.

Sur l’article 700 du CPC

Attendu que Waves a dû pour faire reconnaître ses droits exposer des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.

Qu’il est justifié de lui allouer, par application de l’article 700 du CPC, une indemnité de 8000 €, déboutant pour le surplus.

Sur l’exécution provisoire

Les circonstances de la cause la justifiant, elle sera ordonnée.

Sur les dépens

Ils seront mis à la charge de Basement Productions qui succombe.

DECISION

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort ;

. Dit que la société Waves Audio est titulaire des droits d’auteur sur les logiciels « plugs-ins » :
– Pack Diamond Native
– Pack SSL Native
– IR-1

. Déboute la société Basement Productions de sa demande en nullité de l’ordonnance du 22/10/2007 et la déboute de sa demande de dommages et intérêts ;

. Dit que la société Basement Productions s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon en utilisant les logiciels « plugs-ins » dont la société Waves Audio est l’auteur :
– Pack Diamond Native
– Pack SSL Native
-IR-1

. Condamne la société Basement Productions payer à la société Waves Audio la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts ;

. Interdit à la société Basement Productions d’utiliser les logiciels « plugs-ins » de Waves Audio :
– Pack Diamond Native
– Pack SSL Native
-IR-1

Et ce passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 400 € par jour de retard ;

. Condamne la société Basement Productions à verser la société Waves Audio la somme de 8000 € au titre de l’article 700 du CPC ;

. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement, sans constitution de garanties ;

. Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

. Condamne la société Basement Productions aux dépens.

Le tribunal : Mme Maurice-Regniez (président), M. Sevray (président), MM. Demerson, Delorme, Schoenahl (juges)

Avocats : Me Marc Susini, Me Isabelle Vedrines

 
 

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