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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 21 décembre 2007
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Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 16 janvier 2006

Confédération nationale du Crédit Mutuel / Cyril W., OVH

contenus illicites - nom de domaine - site internet

PROCEDURE

Vu l’assignation délivrée le 3 janvier 2006 par la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, suivant laquelle il est demandé en référé de :
Vu l’article 809 du Nouveau Code de procédure civile, l’article 6-1.8 de la loi 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique,
– dire que l’exploitation du site internet www.bcmao.com constitue un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser,
– en conséquence, faire injonction à M. W. de cesser d’éditer et d’exploiter le site internet www.bcmao.com, sous astreinte de 2000 € par jour de retard à compter du jour du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– faire interdiction à M. W. de reproduire ou d’utiliser à quelque titre que ce soit et de quelque manière que ce soit la dénomination “Crédit Mutuel”, prise seule ou au sein de l’expression “Banque Crédit Mutuel d’Afrique de l’Ouest”, et de poursuivre tout rattachement au groupe Crédit Mutuel, représenté par la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, et ce sous astreinte de 2000 € par infraction constatée à compter du jour du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– faire injonction à la société OVH, en tant qu’hébergeur du site internet litigieux, de rendre inaccessible au public le site internet dont l’adresse est www.bcmao.com, sous astreinte de 2000 € par jour de retard à compter du jour du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– condamner M. W. au paiement d’une provision de 10 000 € au profit de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel afin de l’indemniser du préjudice qu’elle subit du fait de ses agissements, et de la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
– ordonner l’exécution provisoire de l’ordonnance à intervenir, sur minute et même avant enregistrement vu l’urgence,
– condamner M. W. au paiement de tous les dépens.

DISCUSSION

Sur la procédure

Attendu que la société par actions simplifiée OVH, citée par remise de l’acte à personne habilitée à le recevoir le 3 janvier 2006, ne comparaît pas ;

Que M. Cyril W. cité en mairie à Villeneuve sur Lot ne comparaît pas, mention étant portée sur l’acte de la confirmation de la réalité du domicile par un voisin ;

Que le constat fait apparaître (annexe 31/2) que le nom de domaine bcmao.com a été enregistré le 7 juin 2005, avec comme nom de propriétaire – “owner” – BCMAO, la personne physique indiquée – “person” – étant M. Cyril W., avec pour seule adresse indiquée celle à laquelle il a été assigné, la société assurant l’hébergement étant de droit français et son siège social se situant à Roubaix (59100) ;

Qu’un courrier en date du 5 janvier 2006 émanant l’une dénommée Astrid W., dont le lien exact existant avec M. Cyril W. n’est pas précisé, se disant domiciliée à l’adresse en question, précise que cette adresse serait erronée depuis plusieurs années, M. Cyril W. ne résidant pas en France mais au Bénin, sans autres précisions ;

Que la réalité de la résidence ou domiciliation, en France de M. Cyril W. résultant de l’acte de l’huissier instrumentaire ne peut sur ce seul élément être remise en cause, seule une boîte postale et une adresse électronique étant par ailleurs indiquées sur le site pour localiser la BCMAO, dont le prétendu Directeur Général indiqué est l’intéressé ;

Que la décision sera en conséquence réputée contradictoire, en application des dispositions de l’article 473 du nouveau Code de Procédure Civile il ne sera fait droit aux demandes que si celles-ci apparaissent recevables et bien fondées, en application de l’article 472 du même code ;

Sur les demandes

La Confédération Nationale du Crédit Mutuel, organe central du réseau Crédit Mutuel, association qui représente le Crédit Mutuel auprès des pouvoirs publics et assure le contrôle des Groupes régionaux du Crédit Mutuel, expose au soutien des demandes ci-dessus évoquées qu’elle exploite le site www.creditmutuel.com, et a découvert l’existence sur internet d’un site dont l’adresse est www.bcmao.com, accessible en France et rédigé en langue française, dont le propriétaire et titulaire du nom de domaine www.bcmao.com est M. Cyril W., et le prestataire d’hébergement la société OVH.

Ce site présente les activités d’une banque dénommée “Banque Crédit Mutuel d’Afrique de l’Ouest”, dont le siège serait à Cotonou au Bénin, présentée comme un organisme apparenté ou affilié au “Groupe Crédit Mutuel”.

La Confédération Nationale du Crédit Mutuel précise qu’elle n’a jamais accordé d’accréditation à cette banque, dont elle ne connaissait pas l’existence avant de découvrir le site internet litigieux, ni autorisé cet organisme ou M. W. à se prévaloir d’une appartenance au Groupe Crédit Mutuel, alors qu’au surplus la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest lui a certifié que la BCMAO n’existait pas.

S’appuyant sur un procès-verbal de constat dressé par huissier le justice le 29 décembre 2005, elle soutient que ce rattachement frauduleux au Groupe Crédit Mutuel constitue un trouble manifestement illicite, générant à son égard un grave préjudice, auquel elle demande qu’il soit mis fin, une provision destinée à réparer le préjudice qu’elle subit de ce fait étant en outre sollicitée.

L’ensemble du site présentant la “Banque Crédit Mutuel d’Afrique de l’Ouest” (“BCMAO”), et notamment la page d’accueil, est à son sens conçu pour faire croire au visiteur qu’il est sur un site appartenant au Crédit Mutuel ; la page d’accueil présente ainsi une photographie d’une agence à enseignes “Crédit Mutuel” et “CIC”, intitulée « le Groupe Crédit Mutuel”, constituant un lien hypertexte qui renvoie vers le site internet officiel www.creditmutuel.fr appartenant à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel.

La demanderesse met en cause également la rubrique “Cybermut” donnant accès à des comptes, alors que “Cybermut” désigne le logiciel permettant aux titulaires de comptes ouverts dans l’une des agences du Crédit Mutuel de consulter et gérer leurs comptes en ligne.

Un onglet “Votre banque” situé en page d’accueil renvoie vers une présentation de la BCMAO, indiquant :
“le Crédit Mutuel est une banque mutualiste créée le 1er janvier 2004.
Depuis, il poursuit son développement, gagne des parts de marché, maintient ses résultats, et renforce sa solidité financière, au service de plus de 5000 clients,
Ces performances s’expliquent par le dynamisme de son activité au Bénin. Ses clients bénéficient de la large gamme des produits de banque, d’assurance et de technologie proposés dans son réseau de guichets et d’automates ainsi que par les canaux à distance (téléphone, Minitel, internet) grâce au soutien du groupe Crédit Mutuel”.

Plus loin, le nom de cette banque devient “Le Crédit Mutuel au – en fait “du” -. Bénin”.

Le risque de confusion lui paraît dès lors inévitable, et la Confédération
Nationale du Crédit Mutuel craint que sous couvert d’un rattachement au Crédit Mutuel, ce site qui propose les services bancaires habituels, parmi lesquels divers placements, prêts et financements, ne dissimule des activités frauduleuses, se réservant d’engager toute action pénale pour y mettre fin.

Elle soutient qu’en tout état de cause, l’exploitation de ce site par M. W. constitue un acte de parasitisme, de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle à l’égard de la requérante sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, et que la reprise sur le site internet www.bcmao.com de ses signes distinctifs, par le risque de confusion volontairement entretenu, crée un préjudice particulièrement important en termes d’image au détriment de l’ensemble du groupe Crédit Mutuel qu’elle représente, un e-mail adressé par le client d’une agence du Crédit Mutuel demandant confirmation de l’existence de cette “filiale en Afrique” et de ses liens avec le Crédit Mutuel.

Elle invoque aussi un préjudice à caractère économique, dans la mesure où la
Caisse centrale du Crédit Mutuel dispose de participations et parraine plusieurs banques mutualistes dans certains pays d’Afrique (la Banque des institutions mutualistes d’Afrique de l’Ouest-BIMAO, le Crédit Mutuel du Sénégal, le Crédit Mutuel de Centrafrique, la Mutuelle congolaise d’épargne et de crédit, …), qui peuvent souffrir de la concurrence déloyale, voire illégale, résultant de l’activité de cette “Banque Crédit Mutuel d’Afrique de l’Ouest”, et sont en droit d’attendre de sa part qu’elle agisse pour faire cesser ces agissements.

Sur la demande d’injonction à l’encontre de Cyril W.

Attendu qu’aux termes de l’article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile, il peut toujours être prescrit en référé, même en cas de contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Attendu que le trouble ci-dessus décrit est manifestement illicite ;

Qu’en effet, la présentation faite de cet établissement bancaire sur le site « www.bcmao.com” souligne d’emblée le rattachement au Groupe Crédit Mutuel, lequel est formellement contesté ;

Que le procès-verbal de constat dressé par huissier à Paris le 29 décembre 2005 fait effectivement apparaître (annexe 2/1) les logos du Crédit Mutuel et le nom du logiciel permettant d’accéder en ligne aux comptes ouverts dans cet établissement dont l’existence même est contestée, utilisé plus loin (annexe 14) au titre de la “Banque Crédit Mutuel d’Afrique de l’Ouest”, un lien hypertexte (page 7 et annexe 3) permettant d’accéder au site du Groupe Crédit Mutuel C.I.C. ;

Que le dommage causé d’ores et déjà par ce comportement, tirant à tout le moins parti objectivement du renom et de l’activité du Groupe bancaire, étant précisé que le nom de domaine a été enregistré le 7 juin 2005, justifié qu’il y soit mis fin ; que la demande, en ce qu’elle est dirigée contre M. W., est justifiée, eu égard au mode d’enregistrement du nom de domaine et au rôle attribué à celui-ci dans la prétendue structure ;

Que le trouble a de fait cessé, par la mise en place d’un dispositif technique empêchant l’accès au site ; qu’il sera en conséquence, à titre de mesure provisoire, interdit en tant que de besoin à M. W. d’exploiter le site sous le nom duquel celui-ci est connu, et plus généralement de reproduire et utiliser sur quelque support que ce soit la dénomination “Crédit Mutuel”, seule ou associée, ou mention rattachant son activité au groupe Crédit Mutuel, dans les conditions précisées au dispositif de cette décision ;

Sur la demande à l’égard de la société OVH

Attendu que suivant les dispositions de l’article 6-1.8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, l’autorité judiciaire peut prescrire en référé à toute personne mentionnée au 2 – c’est-à-dire au prestataire d’hébergement – ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 – c’est-à-dire au fournisseur d’accès – toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ;

Qu’en l’espèce, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, eu égard à la nature des agissements décrits, se trouve bien fondée, par-delà les injonctions pouvant être faites auprès du propriétaire et exploitant du nom de domaine lui-même, à obtenir directement du prestataire d’hébergement qu’il soit mis fin sans délai à l’accès au site ;

Qu’il résulte du constat que le prestataire d’hébergement du site est bien la société OVH, laquelle a précisé le 4 janvier dernier avoir empêché l’accès au site ;

Qu’il sera donc fait droit à la demande formée en ce sens par la Confédération Nationale du Crédit Mutuel ;

Qu’il n’apparaît pas en revanche nécessaire au vu de ce qui précède d’assortir l’injonction à l’égard de ce prestataire d’une astreinte ;

Sur l’indemnité provisionnelle

Attendu qu’aux termes de l’article de l’article 809 § 2 du nouveau Code de Procédure Civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier ;

Qu’en l’espèce, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, association présentée comme l’organe central du Groupe Crédit Mutuel, et qui assure le contrôle des groupes régionaux, subit un incontestable préjudice par le dommage cause à l’image du Groupe, un de ses clients l’ayant interrogée le 22 décembre dernier au sujet du lien de la BCMAO avec celui-ci ;

Qu’il n’est pas fourni d’autres éléments pour chiffrer ce préjudice, qui justifie toutefois, au regard de l’atteinte indiscutable, de retenir le montant non sérieusement contestable de 8000 € ;

Qu’il apparaîtrait inéquitable de laisser à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel la charge de ses frais irrépétibles ;

Que M. W. sera condamné à-lui verser à ce titre la somme de 3000 € ;

Que les dépens seront laissés à sa charge.

DECISION

Par ces motifs,

Statuant par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe,

Vu les dispositions des articles 6-1.8 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004, 809 du Nouveau Code de Procédure Civile,

. Interdisons à M. Cyril W. d’exploiter le site, et plus généralement de reproduire et utiliser sur quelque support que ce soit la dénomination « Crédit Mutuel », seule ou associée, ou toute mention rattachant son activité au groupe Crédit Mutuel, sous peine d’astreinte provisoire d’un montant de 1500 € par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision,

. Ordonnons en tant que de besoin à la société OVH, prestataire d’hébergement du site internet dont l’adresse est www.bcmao.com, de le rendre inaccessible au public,

. Condamnons M. Cyril W. à payer à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel la somme de 8000 €, à valoir sur les dommages et intérêts auxquels elle est incontestablement en droit de prétendre,

. Rappelons que la présente décision est exécutoire par provision de plein droit,

. Condamnons M. Cyril W. à payer à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel la somme de 3000 € en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code rie Procédure Civile, ainsi qu’au paiement des dépens.

Le tribunal : M. Emmanuel Binoche (président)

Avocat : Me Béatrice Moreau Margotin

 
 

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