Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 22 mai 2006
Jean Yves F. / Philippe C.
code source - contenus illicites - détournement - indexation - moteur de recherche - référencement - site internet
PRETENTIONS
Vu l’assignation délivrée le 24 avril 2006 par Jean Yves F., suivant laquelle il est demandé en référé de :
Vu les articles 1382 et 1383 du code civil, 809 du ncpc,
– constater le trouble manifestement illicite causé par le docteur Philippe C. au docteur Jean Yves F. par l’utilisation de son nom sur son site internet www.philippec….com au moyen de procédés informatiques frauduleux,
– condamner le docteur Philippe C. à faire cesser le trouble manifestement illicite sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
– condamner le docteur Philippe C. à justifier auprès du docteur Jean Yves F. par un expert de la date effective de cette suppression sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
– dire que la juridiction saisie se réservera la faculté de liquider ces astreintes,
– faire interdiction au docteur Philippe C. de procéder à tout référencement auprès d’un ou plusieurs moteurs de recherche sur internet ou sur les annuaires d’internet par l’utilisation du nom du docteur Jean Yves F., ou de l’une quelconque de ses déclinaisons,
– condamner le docteur Philippe C. à la publication à ses frais de l’ordonnance à intervenir sur son site internet www.philippec….com pendant une durée continue de six mois,
– condamner le docteur Philippe C. à la publication à ses frais dans la limite de 3000 € par insertion de l’ordonnance à intervenir dans les revues professionnelles « les Annales de Chirurgie Plastique Esthétique », et « Le Quotidien du Médecin »,
– condamner le docteur Philippe C. à verser au docteur Jean Yves F. la somme de 3588 € au titre de l’article 700 du ncpc et au paiement des dépens qui comprendront le coût du constat d’huissier de Me Dymant.
Vu les conclusions de docteur Philippe C., qui tendent au vu des articles 809 du ncpc, 1382 et 1383 du code civil, à :
– constater l’existence d’une contestation sérieuse et l’absence de trouble illicite,
– dire n’y avoir lieu à référé et renvoyer en conséquence le docteur Jean Yves F. à mieux se pourvoir devant qui il appartiendra,
– le condamner à payer au docteur Philippe C. la somme de 3500 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc et au paiement des dépens.
FAITS
Jean Yves F., médecin spécialisé en chirurgie esthétique, explique qu’inscrit depuis 1995 au tableau de l’Ordre des médecins de Paris, il a été alerté au mois d’octobre 2005 par plusieurs de ses patients sur le fait que les recherches effectuées sur son nom sur internet les orientaient vers le site d’un autre praticien de la même spécialité, le docteur Philippe C., ce qu’il a effectivement constaté en effectuant la rechercher sur le moteur de recherche « Google » avec les mots clés « Jean Yves F. » : conduit vers le site apparu dans les tous premiers résultats du docteur Philippe C. intitulé « Beauty Desing » : chirurgie esthétique de luxe Paris », dont l’adresse est : www.philippec….com, il précise qu’il n’a pourtant jamais eu aucun lien avec son confrère, et que son nom n’apparaissait sur aucune page de ce site, prétendument médical, et au demeurant extrêmement racoleur.
Selon un informaticien consulté, il s’agissait d’utiliser un procédé informatique illicite dénommé « spamindexing », et un procès verbal établi le 25 novembre 2005 par huissier faisait apparaître que le nom du docteur Jean Yves F. est utilisé depuis mai 2003 à son insu dans une longue liste de mots clés insérés dans un bloc de texte caché enregistré en caractères minuscules de couleur grise sur fond gris et donc totalement invisible pour les visiteurs.
Outre son nom, ceux de plusieurs de ses confrères réputés, français ou étrangers de la même spécialité figuraient, mêlés à des centaines de mots clés qualifiés par le demandeur de racoleurs et à connotation sexuelle.
Il soutient que ce procédé a pour but de tromper les moteurs de recherche afin d’améliorer artificiellement le positionnement du site dans les pages de résultats en se servant notamment du nom et de la notoriété du docteur Jean Yves F., créant ainsi une confusion dans l’esprit des utilisateurs qui, recherchant des informations sur celui-ci, accèdent au site de Philippe C.
Suite à la mise en demeure adressée le 16 décembre 2005 à Philippe C. de cesser immédiatement toute utilisation de son nom à quelque fin que ce soit, celui-ci prenait le 5 janvier 2006 l’engagement d’y mettre fin sans délai, mais le même jour, sur la requête « Jean Yves F. », le site litigieux apparaissait encore en troisième position des résultats.
Il fait valoir que le constat d’huissier en date du 6 février 2006, dressé à la demande du docteur Philippe C. et qui lui a été transmis, relève que cette suppression est sans incidence sur le renvoi du moteur de recherche « Google » vers le site en cause parmi les tous premiers résultats, et que les consultations effectuées les 23 février et 4 avril 2006 faisaient apparaître la situation inchangée.
Le demandeur se plaint du fait que sa clientèle aurait ainsi été sciemment détournée depuis plus de deux ans par l’un de ses confrères vers son site par le procédé déloyal utilisé, et fait état du préjudice causé pour demander qu’il soit mis un terme définitif au trouble manifestement illicite que constitue ce comportement qualifié de concurrence déloyale et de parasitisme au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, portant atteinte à son nom et à sa réputation.
Philippe C. explique qu’il est propriétaire du site internet en question depuis fin 2002, et fait état de liens avec le demandeur d’ordre tant personnel que professionnel, de sorte qu’il ne peut de son point de vue être exclu que des résultats de recherches faites à son sujet conduisent à des noms ayant un lien avec celui-ci.
Il prétend avoir pris les mesures nécessaires après réception du courrier du 16 décembre 2005, la liste mise en cause ne comportant plus le nom de praticiens français, et explique avoir retiré la page d’hommages et de remerciements adressés notamment au docteur Jean Yves F., comme la citation d’une phrase dont le demandeur était l’auteur, et qui faisait référence à son nom.
Admettant que le constat dressé par ses soins le 6 février 2006 fait encore apparaître sur requête adressée au moteur de recherche Google relative au demandeur le site dont il est propriétaire, il soutient qu’au 10 mai dernier toutefois son site n’apparaissait plus sur cette requête.
Il conteste par ailleurs l’existence du détournement de clientèle invoqué, et en tout état de cause d’un préjudice certain, soit la réalité d’un trouble illicite ou du risque d’un dommage imminent justifiant l’intervention de cette juridiction.
DISCUSSION
Attendu qu’aux termes de l’article 809 du ncpc, il peut toujours être prescrit en référé, même en cas de contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu que le courrier adressé au demandeur le 5 janvier 2006 évoque, au titre des hommages et remerciements, la suppression de la page www.philippec….com/designer11.html ; que ce point n’est pas contesté ;
que les résultats des dernières recherches effectuées par le demandeur les 29 avril, 5 mai, 9 mai et 11 mai 2006 à l’aide du moteur de recherche Google font apparaître l’indication dans la liste des résultats de la page www.philippec….com/reference.html, à la suite du résumé faisant apparaître le nom du demandeur – jusqu’au 5 mai inclus – respectivement en 11ème, 13ème, 11ème, 10ème position ;
que de ce fait, l’absence de mention dans les dix premiers résultats des recherches effectuées à l’aide du même logiciel le 10 mai 2006 sur les requêtes « docteur jean-yves f. » ou « jean-yves f. » ne peuvent remettre en question la réalité de la persistance du référencement contesté ;
que cette page correspond pourtant, au vu du constat dressé le 25 novembre 2005, à celle ayant permis de faire figurer en 4ème position le site litigieux, et sur laquelle figurait, sous la mention en filigrane « chinese version », un texte en police de caractère de dimension très réduite et la mention en son sein du nom, parmi d’autres praticiens, de Jean Yves F. (annexe 6 du constat en question) ;
que certes, au vu du constat dressé le 6 février 2006 à la demande de Philippe C., le texte directement consultable inséré après les mentions « chinese version » « vous trouverez dans ce site les thèmes abordés en image : » ne faisait plus apparaître le nom du demandeur ;
que toutefois l’huissier requis le 25 novembre 2005 avait pris soin (page 7, annexe 7) de révéler, en utilisant la touche « source » le codage informatique utilisé par le maître d’œuvre, le texte faisant bien apparaître le nom de Jean Yves F. (annexe 7, 6ème feuillet) : qu’au contraire, le constat dressé le 6 février 2006 s’est borné à afficher la page litigieuse immédiatement apparente, mais sans procéder à l’affichage du texte en langage informatique, soit le code source ;
que le défendeur ne démontre donc nullement avoir procédé à la suppression, au sein du code source, du texte codé appelé par la requête « Jean Yves F. » ;
que le constat dressé le 25 novembre 2005 faisait apparaître par ailleurs la mise à jour du site le 8 février 2004, à la suite de laquelle un texte en police de caractères de dimension très réduite contenant le mot clé litigieux avait été inséré (annexes 16 à 18) ;
qu’il est dès lors évident que le référencement existe depuis cette date ;
que celui-ci, qui remonte par conséquent à plus de deux ans, est manifestement illicite, puisqu’il conduit l’internaute qui affiche le nom de Jean Yves F. au site de Philippe C., et ce sans le consentement du premier ; que le demandeur a en effet droit à la protection de son nom, et dispose évidemment du droit le plus strict de ne pas le voir associé aux activités d’un autre médecin de la même spécialité ; qu’ainsi le site, qui selon le défendeur n’aurait pour but essentiel que de traiter « d’anatomie artistique », affiche en réalité un numéro de téléphone auquel il peut être joint associé d’autre part à sa qualité de médecin spécialisé en chirurgie plastique réparatrice et esthétique (pièces 13 et 15) ;
Sur la demande de suppression du référencement
Attendu qu’il appartient à cette juridiction de faire choix de la mesure la plus appropriée ;
que Jean Yves F. demande, outre de faire cesser le trouble sous astreinte, d’enjoindre au défendeur de justifier de la date de la cessation par expert ;
qu’il convient au vu des éléments relevés plus haut, d’enjoindre à Philippe C. de supprimer du code source de la page www.philippec….com/reference.html toute référence au nom du demandeur dans ses diverses déclinaisons possibles, sous astreinte aux conditions précisées au dispositif ;
qu’eu égard à la résistance manifeste opposée sous couvert d’arguments techniques en réalité dénués de pertinence, il devra être justifié de la suppression effective du référencement en cause par constat dressé par un huissier apte au maniement des techniques de base de la communication électronique ou par agent assermenté dans les conditions précisées au dispositif ;
qu’il pourra pour ces motifs nous en être référé en cas de difficultés, nous réservant la liquidation éventuelle de l’astreinte provisoire ;
Sur la demande de publication
Attendu que la résistance opposée depuis quelque quatre mois et demi à la demande légitime de Jean Yves F., justifie la publication en page d’accueil du site litigieux de la référence à la présente décision, sous la forme précisée au dispositif, pour la durée de deux mois ;
qu’il ne sera en revanche pas fait droit aux autres mesures demandées au regard du fait qu’au-delà de l’impact de l’information critiquée, limitée au vue des pièces auprès des internautes en général, il n’est pas avéré que celle-ci ai pu toucher les médecins en particulier de façon significative ;
que par conséquent il n’y a lieu pour le surplus à référé ;
Sur les autres demandes
qu’il apparaîtrait inéquitable de laisser à Jean Yves F. la charge de ses frais irrépétibles ;
que Philippe C. sera condamné à lui verser à ce titre la somme de 3500 € ;
que les dépens seront laissés à sa charge, le détail des frais occasionnés par le constat n’étant cependant pas précisé la pièce les justifiant n’étant pas communiquée.
DECISION
Statuant par ordonnance contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe,
Vu les dispositions de l’article 809 du ncpc,
. Constatons l’existence d’un trouble à caractère manifestement illicite résultant de la référence dans le contenu du site www.philippec….com au nom de Jean Yves F. ;
. Ordonnons en conséquence à Philippe C. de procéder à la suppression, dans le code source de la page www.philippec….com/reference.html de toute référence au nom de Jean Yves F. ou toutes déclinaisons de celui-ci ;
et ce sous astreinte provisoire de 150 € par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de 24 heures suivant la notification de la présente décision ;
. Ordonnons à Philippe C. d’en justifier auprès de Jean Yves F. par constat d’huissier ou d’agent assermenté ;
et ce sous astreinte provisoire de 150 € par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de 72 heures suivant la notification de la présente décision ;
. Disons qu’il pourra nous en être référé en cas de difficultés ;
. Nous réservons la liquidation éventuelle de l’astreinte provisoire ;
. Ordonnons aux frais de Philippe C. la publication par insertion en première page de la page du site www.philippec….com/reference.html pendant une durée de deux mois de la mention suivante, en police de caractères de même taille et type que celle du texte qui y figure :
« Par ordonnance de référé en date du 22 mai 2006, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné à Philippe C. sous astreinte de supprimer du code source de la page du site www.philippec….com/reference.html toute référence au nom de Jean Yves F. ou de ses déclinaisons, et d’en justifier sous astreinte par constat d’huissier ou d’agent assermenté auprès de celui-ci, le condamnant au paiement à Jean Yves F. de la somme de 3500 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc et des dépens » ;
. Disons n’y avoir lieu pour le surplus à référé ;
. Condamnons Philippe C. à payer à Jean Yves F. la somme de 3500 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc et au paiement des dépens.
Le tribunal : M. Emmanuel Binoche (président)
Avocats : Mes Philippe Assor et Frédérique Menard-Serrand, Me Bernard Solitude
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