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Jurisprudence : E-commerce

mardi 23 mai 2017
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Tribunal de commerce de Lyon, ordonnance du 24 avril 2017

Feu Vert / Euromaster France

interdiction de la campagne publicitaire - publication judiciaire en ligne - publicité comparative - publicité en ligne

Attendu que le contenu et les motifs de la demande sont exprimés dans l’acte introductif d’instance joint à la présente ordonnance.

Pour la société Euromaster France, voir conclusions en annexe et ce, conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

Attendu qu’il est sollicité par assignation d’heure à heure à l’initiative de la société Feu Vert et délivrée le 6 avril 2017, de :

– CONSTATER que la publicité comparative « Révision au meilleur prix- Euromaster reconnue enseigne la moins chère en France en moyenne » diffusée par la société Euromaster France est trompeuse et de nature à induire en erreur les consommateurs,
– CONSTATER que la publicité comparative « Révision au meilleur prix- Euromaster reconnue enseigne la moins chère en France en moyenne » diffusée par la société Euromaster France repose sur des éléments erronés,
– DIRE ET JUGER que cette publicité est illicite, et constitutive d’un trouble manifestement illicite et cause un dommage imminent,
– Partant, ORDONNER sa cessation immédiate, sur tous les médias et sous astreinte de
1.000 € par jour à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– RESERVER la liquidation de l’astreinte,
– ORDONNER la publication de l’ordonnance à intervenir sur le site internet d’Euromaster France pendant une durée d’un mois,
– CONSTATER que la société Feu Vert a subi un préjudice commercial,
– CONDAMNER la société Euromaster France à 20.000 € de dommages-intérêts à titre provisionnel,
– CONDAMNER la société Euromaster France à 7.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre frais et dépens de l’instance.

Attendu que la société Euromaster s’y oppose et soutient essentiellement qu’il convient de :

Vu les articles L.121-1 et L.122-1 du code de la consommation :

– CONSTATER l’absence de caractère trompeur de la publicité « Révision au meilleur prix-Euromaster reconnue l’enseigne la moins chère de France en moyenne »,
– CONSTATER qu’aucune pratique commerciale déloyale n’est caractérisée,
– CONSTATER qu’aucune publicité comparative n’est caractérisée,
– DIRE qu’il n’y a pas lieu à référé,
– DEBOUTER Feu Vert de l’ensemble de ses demandes,
– CONDAMNER Feu Vert à payer à Euromaster la somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la société Feu Vert, constate qu’en date du 8 mars 2017, la publicité comparative présentée par la société Euromaster est mensongère puisque cette dernière affirme que :

– grâce à des appels mystères du 4 au 11 janvier 2017 relayés par une campagne publicitaire du 10 mars 2017 sur la radio RTL, elle serait en moyenne moins chère de 41 € et ce, quelle que soit la région concernée,
– la situation concurrentielle au regard d’une étude IPSOS sur lnternet, précisait que :
o le prix moyen Euromaster était de 186 € ;
o le prix moyen autres centres auto et réparateurs était de 227 € ;
o le prix moyen concessionnaire était de 315 € ;

Attendu qu’alors, la société Feu Vert :

– par LRAR du 09/03/2017 demeurée infructueuse, a demandé à Euromaster de lui adresser l’ensemble des éléments susceptibles de démontrer l’exactitude des chiffres par eux avancés,
– a alors constaté que le prix moyen concerné correspond à :
o 185,83 € pour Euromaster
o 186,78 € pour Feu Vert ramenant l’écart de prix à + 0.95 € pour Feu Vert et non à + 41,00 € comme indiqué, de façon mensongère,
o une publication erronée puisque Feu Vert apporte la preuve que dans 3 régions, elle reste moins chère,
– par LRAR du 13/03/2017 et du 15/03/2017 a mis en demeure la société Euromaster de lui fournir les informations suivantes :
o la liste des 100 véhicules testés par Euromaster,
o le détail des devis et prix proposés psr les réseaux concurrents : Feu Vert­ Euromaster – Midas – Autodistribution – Norauto et Speedy,
o le scénario délivré à IPSOS,
– considère que par une attitude abusive et constitutive d’un trouble manifestement illicite, elle est la victime d’un préjudice commercial certain, lequel s’accroît de jour en jour et qu’il convient d’y mettre bonne fin ;

Attendu que la société Euromaster, quant à elle, soutient essentiellement que :

– il n’y a pas lien à référé car :
o la publicité comparative supposée illicite par la société Feu Vert nécessite un débat au fond qui ne peut appartenir au juge des référés,
o les demandes excèdent le pouvoir du juge des référés car ce dernier n’est pas compétent pour apprécier le caractère loyal et trouble d’une publicité,
o l’illicéité doit être patente pour relever de la compétence du juge des référés alors que tel n’est pas le cas dans la présente instance,
– l’institut IPSOS utilise des méthodes normées en accord avec les règles de l’art et a retenu les prix moyens appliqués psr un certain nombre de centres auto concernés, confirmant ainsi les résultats de l’étude concernée,
– rien ne permet d’indiquer que les régions retenues par Feu Vert sont identiques à celles déterminées par IPSOS,
– la présence de Monsieur Emmanuel Forget, responsable juridique de Feu Vert, lors du constat, correspond à un stratagème déloyal amenant à l’annulation dudit constat établi par huissier,
– les comparaisons de ce type sont courantes et Feu Vert y a souvent recours,
– le rapport de comparaison fait une étude des prix moyens constatés sans dévoiler l’identité des concurrents, rendant impossible l’identification du réseau cité,
– Feu Vert ne fournit aucun élément susceptible de démontrer qu’un nombre significatif de consommateurs :
o a été trompé par le message publicitaire,
o a pris sa décision d’achat au vu de cette publicité du fait de la tromperie évoquée,
o aurait renoncé à cet achat s’il avait eu connaissance de l’ensemble desdits éléments,

Attendu, dans ces conditions, qu’il convient de considérer que la contestation sérieuse s’impose, qu’il n’y a pas lieu à référé et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.


DISCUSSION

Sur la compétence du juge des référés

Attendu que l’article 873 du code de procédure civile dispose que :

« Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
– Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire »

Attendu que dans ses ultimes conclusions, la société Feu Vert entend qu’il soit constaté l’existence d’un trouble manifestement illicite ;

Attendu qu’il est observé qu’une société qui s’estime victime d’une publicité comparative illicite a tout loisir d’obtenir du juge des référés sa cessation sous astreinte, sous la réserve de démontrer qu’elle lui cause Ul1 trouble manifestement illicite ;

Attendu, dans ces conditions et de façon liminaire, qu’il convient de dire que le juge des référés est compétent ratione materiae pour statuer sur le présent litige ;

Sur les demandes de la société Feu Vert

Attendu que les parties en la présente matière, sont directement concurrentes sur le marché de l’entretien de véhicules automobiles ;

Attendu que les parties s’accordent à reconnaître que la société Euromaster diffuse à grand périmètre, une publicité comparative par le biais de plusieurs spots publicitaires aux termes desquels elle affirme, qu’ensuite d’une étude réalisée par IPSOS sur 100 véhicules automobiles en France :

– elle délivre auprès des. consommateurs une « Révision au meilleur prix »,
– elle est reconnue « Enseigne la moins chère en France en moyenne »,
– l’écart de prix constaté dans ladite enquête, correspond à une somme de + 41,00 € en sa faveur pour des prestations identiques ;

Attendu qu’après plusieurs invites, la société Euromaster a fourni à la société Feu Vert les documents correspondant à l’étude effectuée par IPSOS, lesquels documents prennent en considération les différents prix pratiqués par les principaux concurrents de la société Euromaster ;

Attendu que le tableau de comparaison des prix qui en ressort permet de démontrer que :

– les caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives des services sont clairement définies dans cette étude,
– les prestations, objets de la comparaison, sont identiques, les prix sont comparés dans leur globalité,
– la société Feu Vert présente un prix moyen de 186,78 €
– la société Euromaster présente un prix moyen de 185,83 €
– l’écart de prix est de + 0,95 € pour Feu Vert et non à + 41,00 € comme indiqué, par la société Euromaster aux termes de !a publicité comparative ;

Attendu que la société Feu Vert soutient que les prix annoncés la société Euromaster seraient contraires à cinq constats d’huissier qu’elle a fait pratiquer;

Attendu qu’il est relevé que le responsable juridique de la société Feu Vert a diligenté les constats d’huissier ;

Attendu, dans ces conditions et en raison de l’assistance d’un salarié de la société Feu Vert lors de l’établissement du constat, il convient de rejeter les arguments tirés desdits constats d’huissier ;

Attendu que l’article L. 121-8 du Code de la consommation auquel les parties font référence, dispose que :

« Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n’est licite que si :

– 1° Elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
– 2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le mème objectif ;
– 3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. »

Attendu qu’il est constaté dans cette étude, que pour des prestations identiques, les prix pratiqués par la société Feu Vert sont de + 0,96 € plus élevés que ceux pratiqués par la société Euromaster ;

Attendu qu’il convient, à l’évidence, d’observer que dans ce support publicitaire, la comparaison n’est pas objective car les allégations, indications ou présentations pratiquées par la société Euromaster relatives aux prix pratiqués, sont fausses et de nature à induire en erreur le consommateur ;

Attendu qu’il est constaté que, par les arguments utilisés pour cette publicité comparative à destination de consommateurs, en cherchant à faire passer un message selon lequel l’ensemble de ses concurrents est à un niveau de prix supérieur de + 41,00 € aux prix par elle pratiqués pour des prestations identiques, la société Euromaster induit en erreur les consommateurs et altère leurs comportements ;

Attendu, de surcroît et s’agissant d’un écart de prix proposé par la société Euromaster significatif, concernant un marché d’entretien de véhicules par ailleurs fort concurrentiel, il convient d’observer que la capacité de discernement du consommateur se trouve altérée ;

Attendu, ce faisant, qu’il convient de considérer que la société Euromaster a effectué une publicité comparative illicite qui cause un trouble manifestement illicite à la société Feu Vert ;

Attendu, dans ces conditions, qu’il convient d’ordonner la cessation immédiate, sur tous les médias, de la publicité comparative « Révision au meilleur prix- Euromaster reconnue enseigne la moins chère en France en moyenne » diffusée par la société Euromaster et ce, sous astreinte de 600 € par jour à compter du prononcé de la présente ordonnance ;

Attendu que le juge des référés se réserve la liquidation de l’astreinte ;

Attendu qu’il convient d’ordonner la publication de la présente ordonnance sur le site d’Euromaster pendant une durée de 3 semaines ;

Sur les demandes au titre d’un préjudice commercial et des dommages-intérêts provisionnels

Attendu que la société Feu Vert soutient que les divers communiqués de presse ont été relayés depuis plusieurs mois et qu’un préjudice commercial nait de cette publicité comparative, qu’il est genèse d’un dommage imminent et qu’il convient d’y adjoindre des dommages et intérêts à titre provisionnel ;

Attendu qu’il est rappelé qu’il ne relève pas des pouvoirs du juge des référés, juge de l’évidence, de prévenir un dommage imminent ou d’accorder des dommages et intérêts, sans que ces derniers ne soient motivés et chiffrés avec exactitude ;

Attendu, de surcroît, que l’octroi d’une provision n’a lieu d’être qu’en présence d’une obligation non sérieusement contestable alors que tel n’est pas le cas en la présente instance ;

Attendu, enfin, qu’il convient de constater que la société Euromaster soulève des moyens de défense qui constituent une contestation sérieuse ;

Attendu dès lors, les présentes demandes excèdent les pouvoirs du Juge des référés qui renvoie ainsi la société Feu Vert à se mieux pourvoir, de ce chef, devant les Juges du fond ;

Attendu, ce faisant, qu’il convient de dire qu’il n’y a pas lieu à référé de ce chef et de renvoyer la société Feu Vert à se pourvoir au fond ainsi qu’elle avisera ;

Attendu que sont écartés tous autres fins, moyens et conclusions ;

Attendu qu’il convient de condamner la société Euromaster à la somme de 5.000 €, en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que les dépens sont à la charge de la société Euromaster ;


DÉCISION

STATUANT PUBLIQUEMENT, PAR ORDONNANCE CONTRADICTOIRE ET EN PREMIER RESSORT :

In limine litis

DISONS le juge des référés compétent ratione materiae ;

En conséquence,

RECEVONS en l’état les demandes de la société Feu Vert ;

LES DISONS partiellement fondées ;

REJETONS des cinq constats d’huissier pratiqués par la société Feu Vert ;

DISONS que la publicité comparative « Révision au meilleur prix – Euromaster reconnue enseigne la mains chère en France en moyenne » diffusée par la société Euromaster France est trompeuse et de nature à induire en erreur les consommateurs,

DISONS que la société Euromaster a effectué une publicité comparative illicite qui cause un trouble manifestement illicite à la société Feu Vert ;

En conséquence,

ORDONNONS la cessation immédiate sur tous les médias de la publicité comparative « Révision au meilleur prix – Euromaster reconnue enseigne la moins chère en France en moyenne » diffusée par la société Euromaster sous astreinte de 600 € par jour à compter du prononcé de la présente ordonnance ;

NOUS RESERVONS le droit de liquider l’astreinte ;

ORDONNONS la publication de l’ordonnance à intervenir sur le site internet d’Euromaster pendant une durée de trois semaines à compter du prononcé de la présente ordonnance ;

REJETONS la demande au titre des dommages et intérêts ;

CONDAMNONS la société Euromaster à la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

DISONS que les dépens sont à la charge de la société Euromaster.

Prononcé par mise à disposition au greffe, après avis aux parties, conformément à l’article 450 al. 2 du code de procédure civile.


Le Tribunal :
Jean-Pierre Durand (président), Christian Bravard (greffier)

Avocats : Me Sophie Dechelette-Roy, Me Antoine Arminjon, Me Eric Andrieu

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