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Jurisprudence : Vie privée

mardi 21 janvier 2014
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Cour administrative d’appel de Paris 7ème chambre Décision du 20 décembre 2013

M. A. / Ministère public

accès - accès indirect - données à caractère personnel - refus - traitement automatisé de données

Vu le recours, enregistré le 30 août 2012, présenté par le ministre de l’intérieur, qui demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1019733 du 13 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision refusant de communiquer à M. A… les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur, et lui a enjoint de communiquer à l’intéressé les informations sollicitées dans un délai de deux mois, à l’exception, le cas échéant, de celles d’entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l’arrêté du 27 juin 2008 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A… devant le tribunal administratif de Paris ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 décembre 2013, présentée pour M. A…, par Me Lévis ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;

Vu l’arrêté du 27 juin 2008 relatif à la protection des secrets de la défense nationale au sein des services de la direction centrale du renseignement intérieur et portant abrogation des arrêtés du 6 novembre 1995 relatif à l’organisation et aux missions de la direction centrale des renseignements généraux et de ses services déconcentrés et du 17 novembre 2000 fixant l’organisation et le fonctionnement de la direction de la surveillance du territoire ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

DISCUSSION

1. Considérant que le ministre de l’intérieur relève appel du jugement en date du 13 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision refusant de communiquer à M. A… les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et lui a enjoint de communiquer à l’intéressé les informations sollicitées dans un délai de deux mois, à l’exception, le cas échéant, de celles d’entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l’arrêté du 27 juin 2008 ; que M. A… présente pour sa part des conclusions d’appel incident tendant à la réformation de ce jugement en tant qu’il a assorti d’une réserve l’obligation faite au ministre de l’intérieur de lui communiquer les informations le concernant figurant au fichier de la DCRI ;

Sur la régularité du jugement attaqué

2. Considérant qu’aux termes de l’article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : “ (…) lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique, le droit d’accès s’exerce dans les conditions prévues par le présent article pour l’ensemble des informations qu’il contient. / La demande est adressée à la commission qui désigne l’un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d’Etat, à la cour de cassation ou à la cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d’un agent de la commission. Il est notifié au requérant qu’il a été procédé aux vérifications. / Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant (…) “ ; qu’aux termes de l’article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l’application de cette loi :

” Aux termes de ses investigations, la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, celles des informations susceptibles d’être communiquées au demandeur dès lors que leur communication ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique. Elle transmet au demandeur ces informations (…) / Lorsque le responsable du traitement s’oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, la commission l’informe qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La commission peut constater, en accord avec le responsable du traitement, que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu’il y a lieu de l’en informer. En cas d’opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires. / Lorsque le traitement ne contient aucune information concernant le demandeur, la commission informe celui-ci, avec l’accord du responsable du traitement. / En cas d’opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La réponse de la commission mentionne les voies et délais de recours ouverts au demandeur “ ;

3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, s’agissant de l’exercice du droit d’accès indirect et de rectification relatif à des données à caractère personnel contenues dans des fichiers intéressant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique, il revient à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), à laquelle la demande d’accès aux données est adressée, d’une part, de désigner l’un de ses membres pour mener, en son nom, les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires ; que le Conseil d’Etat est compétent, en application du 4° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, tant dans sa rédaction applicable au litige que dans sa rédaction désormais en vigueur, pour connaître en premier et dernier ressort de telles décisions, prises, au titre de sa mission de contrôle et de régulation, par l’une des autorités collégiales à compétence nationale désormais mentionnées à cet article ; que, d’autre part, il appartient à la Commission, en accord avec le responsable du traitement, en premier lieu, de constater les informations qui peuvent être communiquées au demandeur et de les lui transmettre, en deuxième lieu, de constater que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et de l’en informer ou, en troisième lieu, d’informer le demandeur que le traitement ne comporte aucune information le concernant ; que lorsque le responsable du traitement s’oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, à ce qu’il soit informé que ces informations doivent être rectifiées ou supprimées ou à ce qu’il soit informé que le traitement ne contient aucune information le concernant, l’indication alors fournie au demandeur par le président de la Commission, selon laquelle il a été procédé aux vérifications nécessaires, ne peut être regardée comme l’exercice par la Commission de l’une de ses compétences mais comme la simple notification d’une décision de refus d’accès prise par le responsable du traitement ; que ni l’article R. 311-1 du code de justice administrative ni aucune autre disposition ne donne compétence au Conseil d’Etat pour connaître en premier et dernier ressort d’une telle décision, qui relève, en application de l’article R. 312-1 du même code, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel l’autorité qui l’a prise a son siège ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par courrier du 17 juillet 2007, M. A… a demandé l’accès aux informations le concernant, contenues dans les fichiers de police et de gendarmerie ; que, par courrier du 7 avril 2009, le président de la Cnil a informé l’intéressé des résultats des vérifications effectuées dans les fichiers de la police judiciaire et de la gendarmerie nationale et lui a indiqué que les investigations étaient en cours en ce qui concerne les fichiers de renseignement ; que, par courrier du 17 septembre 2010, le président de la Cnil, en application de l’article 88 du décret du 20 octobre 2005, a informé M. A… que les vérifications effectuées ne permettaient pas de lui apporter de plus amples informations ; que, saisi par M. A…, le tribunal administratif de Paris a annulé, par le jugement attaqué, la décision de refus de lui communiquer les informations le concernant qui pourraient figurer au fichier de la DCRI ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 3, d’une part, que l’indication fournie à M. A… par le président de la Cnil dans sa lettre du 17 septembre 2010, selon laquelle il a été procédé aux vérifications nécessaires, constitue la simple notification d’une décision de refus d’accès prise par le ministre de l’intérieur, responsable du fichier de la DCRI et, d’autre part, que le recours pour excès de pouvoir formé par M. A… contre cette décision relevait bien de la compétence du tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel le ministre de l’intérieur a son siège ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à ce moyen par M. A…, que doit être écarté le moyen tiré par le ministre de l’intérieur de ce que le jugement attaqué a été rendu par une juridiction incompétente ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué

En ce qui concerne les conclusions du ministre de l’intérieur dirigées contre l’article 1er du jugement attaqué :

6. Considérant que, par l’article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision par laquelle le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a refusé de communiquer à M. A… les informations le concernant qui pourraient figurer au fichier de la DCRI ;

7. Considérant que lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique, il peut comprendre, d’une part, des informations dont la communication à l’intéressé serait susceptible de mettre en cause les fins assignées à ce traitement et, d’autre part, des informations dont la communication ne mettrait pas en cause ces mêmes fins ; que, pour les premières, il incombe à la Cnil, saisie par la personne visée par ces informations, de l’informer qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires ; que, pour les autres, il appartient au gestionnaire du traitement ou à la Cnil, saisis par cette personne, de lui en donner communication, avec, pour la Commission, l’accord du gestionnaire du traitement ;

8. Considérant que si, conformément au principe du caractère contradictoire de l’instruction, le juge administratif est tenu de ne statuer qu’au vu des seules pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties, il lui appartient, dans l’exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige, tels que, en l’espèce, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur la question de savoir si les informations concernant M. A… contenues dans un fichier de la DCRI intéressent ou non la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique ; que, dans le cas où un refus est opposé à une demande d’information formulée par lui, il appartient au juge administratif, conformément aux règles générales d’établissement des faits devant lui, de joindre, en vue du jugement à rendre, cet élément de décision à l’ensemble des données fournies par le dossier ;

9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par jugement avant dire droit du 12 janvier 2012, le tribunal administratif de Paris a ordonné au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration de lui communiquer – pour versement au dossier de l’instruction écrite contradictoire – tous éléments utiles à la solution du litige et relatifs aux informations concernant l’inscription de M. A… dans le fichier de la DCRI, et a indiqué que, dans l’hypothèse où le ministre estimerait que la communication de ces informations mettrait en cause les fins assignées à ce fichier, et où il estimerait en conséquence devoir refuser leur communication, il lui appartiendrait néanmoins de verser au dossier de l’instruction écrite contradictoire tous éléments d’information appropriés sur la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion, de façon à permettre au tribunal de se prononcer en connaissance de cause sans porter, directement ou indirectement, atteinte aux secrets imposés par des considérations tenant à la sûreté de l’Etat, à la défense et à la sécurité publique ; qu’il est constant qu’en réponse à ce jugement avant dire droit le ministre de l’intérieur n’a produit devant les premiers juges aucun élément relatif aux informations concernant l’inscription de M. A… dans le fichier de la DCRI ou concernant la nature des pièces écartées de la communication et les raisons de leur exclusion ;

10. Considérant que, devant la cour, le ministre de l’intérieur se borne à justifier son refus de faire droit à la demande de communication présentée par M. A… ou de déférer à l’injonction qui lui a été faite par le jugement avant dire droit susmentionné, en faisant valoir que le fichier de la DCRI est un “ fichier de souveraineté “ et qu’il peut par conséquent refuser de communiquer toute information comprise dans ce fichier, alors même que cette communication ne mettrait pas en cause la finalité de ce traitement, la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique ;

11. Considérant que, dans ces conditions, et eu égard à ce qui a été dit au point 7, M. A… est fondé à soutenir que le ministre de l’intérieur, en refusant pour ce motif de faire droit à sa demande de communication des informations le concernant figurant au fichier de la DCRI, a commis une erreur de droit dans l’application des dispositions de l’article 41 de la loi du 6 janvier 1978 et de l’article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l’application de cette loi, dès lors qu’il s’est abstenu de rechercher si certaines de ces informations n’auraient pu lui être communiquées sans qu’il soit porté atteinte aux fins assignées à ce fichier, à la sûreté de l’Etat, à la défense ou à la sécurité publique ;

12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’exception de chose jugée soulevée par M.A…, que le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à se plaindre de ce que c’est à tort que, par l’article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son refus de communiquer à l’intéressé les informations le concernant figurant au fichier de la DCRI ;

En ce qui concerne les conclusions de l’appel principal du ministre de l’intérieur et de l’appel incident de M. A… dirigées contre l’article 2 du jugement attaqué :

13. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : “ Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution “ ; et qu’aux termes de l’article L. 911-2 du même code : “ Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé “ ;

14. Considérant que, par l’article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a enjoint au ministre de l’intérieur de communiquer à M. A… dans un délai de deux mois les informations le concernant figurant au fichier de la DCRI, à l’exception, le cas échéant, de celles d’entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l’arrêté du 27 juin 2008 ;

15. Considérant que, eu égard au motif d’annulation de la décision ministérielle attaquée retenu ci-dessus, tiré de l’erreur de droit commise par le ministre de l’intérieur, le présent arrêt n’implique pas nécessairement qu’il soit fait droit à la demande de communication dont M. A… avait saisi le ministre, mais implique seulement que ce dernier réexamine, conformément aux principes rappelés ci-dessus, la demande de M. A… d’accéder aux informations le concernant contenues dans le fichier de la DCRI ; qu’il y a lieu, en application de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, de prescrire au ministre de l’intérieur de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;

16. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, d’une part, que le ministre de l’intérieur est fondé à demander l’annulation de l’article 2 du jugement attaqué et, d’autre part, que doivent être rejetées les conclusions d’appel incident de M. A… tendant à ce que la cour modifie la portée de l’injonction prononcée par le jugement attaqué sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative et assortisse cette injonction d’une astreinte ;

DÉCISION

. Article 1er : L’article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 13 juillet 2012 est annulé.

. Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur de se prononcer à nouveau sur la demande de M. A… d’accéder aux informations le concernant contenues dans le fichier de la DCRI dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

. Article 3 : Le surplus du recours du ministre de l’intérieur et les conclusions d’appel incident de M. A… sont rejetés.

La cour : Mme Driencourt (président), M. Olivier Couvert-Castera (rapporteur), M. Boissy (rapporteur public)

Avocat : SCP Marc Levis

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