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Jurisprudence : E-commerce

mardi 13 février 2007
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Cour d’appel d’Aix en Provence 1ère chambre C Arrêt du 07 novembre 2006

France Telecom / Nuria B.

contrat - e-commerce - résiliation

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La société France Telecom a relevé appel de l’ordonnance rendue le 5 juillet 2006 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille qui, au visa des articles 1134 du code civil, et 445 et 809 du ncpc l’a condamnée sous astreinte à rétablir l’exécution du contrat d’abonnement téléphonique de Nuria B. aux « conditions spécifiques 100% illimité 24h/24h » souscrites par elle en juillet 2005, et qu’il l’a condamnée à lui verser une provision de 1500 € à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices financier et moral et à lui payer une somme de 800 € en application de l’article 700 du ncpc.

La procédure a été fixée pour plaider à l’audience du 19 septembre 2006 par une ordonnance rendue au visa de l’article 910 alinéa 2 du ncpc du 13 juillet 2006.

France Telecom a assigné Nuria B. par acte d’huissier du 31 juillet 2006 portant dénonce de ses conclusions d’appel qui ont été déposées le 1er août 2006 et de l’ordonnance fixant la date de l’audience.

A l’audience du 19 septembre 2006 l’affaire a été renvoyée à la demande de Nuria B. qui déclarait n’avoir pu utilement préparer sa défense pendant le mois d’août, à l’audience du 9 octobre 2006.

Elle a fait signifier ses conclusions le 4 octobre 2006 auxquelles France Telecom a répondu le 6 octobre 2006.

Nuria B. a à nouveau sollicité le jour de l’audience un renvoi auquel l’appelante s’est opposée.

Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 6 octobre 2006 la société France Telecom a conclu à l’infirmation de l’ordonnance déférée en faisant pour l’essentiel :
– que le juge des référé a statué en méconnaissance des principes directeurs du procès en allant au-delà de ce qui était demandé, en fondant sa décision sur des faits et des textes qui n’étaient pas dans le débat sans inviter les parties à s’en expliquer contradictoirement et sans s’expliquer à l’inverse sur l’argumentation qu’elle développait en défense,
– qu’il existait à tout le moins une contestation sérieuse sur l’interprétation du contrat et qu’il a tranché une question de fond excédant son pouvoir d’appréciation,
– qu’elle n’a commis aucun manquement contractuel ni fait preuve de mauvaise foi ou cherché à induire en erreur Nuria B. comme l’a retenu à tort le juge des référés en procédant à une analyse erronée du contrat en confondant les conditions de résiliation du contrat et celles de sa modification,
– que la modification contractuelle de l’abonnement en cause est intervenue conformément aux conditions générales d’abonnement aux services téléphoniques, auxquelles renvoient les conditions spécifiques qui sont conformes aux dispositions de l’article L 121-84-1er alinéa du ncpc, et qui a été mise en œuvre régulièrement.

La société France Telecom estime en conséquence qu’en l’absence de trouble manifestement illicite et de préjudice moral ou matériel démontré il n’y a pas lieu à référé.

Elle demande reconventionnellement la condamnation de Nuria B. à lui verser la somme de 5000 € par application de l’article 700 du ncpc.

Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 4 octobre 2006, Nuria B. a conclu à la confirmation de l’ordonnance de déférée en opposant pour l’essentiel à l’appelante :
– que le juge des référés n’a pas méconnu l’objet du litige tel qu’il résultait de son argumentation développée devant lui, quand il a statué comme il l’a fait,
– que les conditions générales d’abonnement ne peuvent lui être opposées, comme toute argumentation fondée sur leur application, et que seules les conditions spécifiques au contrat d’abonnement en cause doivent être retenues,
– que la décision de France Telecom ne s’analyse pas comme une simple modification de l’abonnement au sens de l’article L 121-84 du code de la consommation mais comme une novation du contrat par changement d’objet dans son obligation avec un bouleversement corrélatif de toute l’économie du contrat puisque l’offre illimitée vers les mobiles était l’un des éléments substantiels du contrat qui l’avait déterminée dans sa souscription,
– que le juge des référés n’a pas tranché le fond mais que le trouble manifestement illicite est caractérisé par la non application des conditions spécifiques,
– que France Telecom élude le débat sur l’application de bonne foi de l’article 7 des conditions spécifiques retenue par le juge des référés et qu’elle a voulu délibérément l’induire en erreur par son courrier du 19 avril 2006.

Elle demande reconventionnellement la condamnation de France Telecom à lui verser la somme de 1500 € par application de l’article 700 du ncpc.

DISCUSSION

Il résulte des productions :
– qu’en juillet 2005, Nuria B. a souscrit à l’offre tarifaire dite « 100% illimité 24h/24 » de France Telecom qui permettait, contre versement d’un abonnement mensuel de 79 € TTC, sans limitation les communications du numéro fixe de l’abonné vers les numéros de téléphone fixes et mobiles de métropole et des départements d’outre mer, et les communications vers les numéros de fixes et mobiles de 30 pays d’Europe et en Amérique du Nord,
– que les « conditions spécifiques 100% illimité » qui définissent et détaillent les conditions de cette offre stipulent expressément à l’article 1 que ces conditions spécifiques relèvent des conditions générales de l’abonnement au service téléphonique de France Telecom,
– qu’en avril 2006, France Telecom a adressé aux souscripteurs de cette offre « 100% illimité 24h/24 » un courrier leur annonçant une modification de ses conditions à partir du 30 mai suivant et que l’offre devenait « illimité fixes France, Europe et Amérique du Nord 24h/24 » les appels vers tous les mobiles étant inclus dans l’offre jusqu’à 600 minutes par mois puis tarifés au-delà selon les prix détaillés dans ce courrier, auquel étaient jointes les nouvelles conditions spécifiques, et qui précisait ensuite les modalités d’information mises en œuvre ainsi que la faculté de résilier à tout moment leur offre compte tenu de ces évolutions.

Pour faire droit à la demande de Nuria B. qui avait, après réception de ce courrier, mis en demeure France Telecom de maintenir les conditions contractuelles d’origine par un courrier du 24 avril 2006 puis l’avait assignée en référé par acte d’huissier du 2 juin 2006, le juge des référés a retenu que le trouble manifestement illicite était caractérisé en considérant « qu’en modifiant unilatéralement, par son courrier du 19 avril 2006, les conditions de l’offre 100% illimité 24h/24 sans avoir résilié ce contrat pour l’un des motifs disciplinaires énumérés dans cette convention et imputable personnellement à Nuria B. dans l’utilisation du service, la société France Telecom a gravement manqué à ses obligations contractuelles », et ce après analyse des dispositions des articles 7 et 15 des conditions spécifiques qui règlent les conditions de résiliation du contrat par France Telecom en cas d’utilisation abusive.

Mais l’article 121-84-1er alinéa du code de la consommation qui traite des contrats de services de communications électroniques (loi n°2004-669 du 9 juillet 2004), applicable à tout contrat souscrit par un consommateur avec un fournisseur de communication électronique au sens de l’article 32 du code des postes disposent que :

« Tout projet de modification des conditions contractuelles de fourniture d’un service de communications électroniques est communiqué par le prestataire au consommateur au moins un mois avant son entrée en vigueur, assorti de l’information selon laquelle ce dernier peut, tant qu’il n’a pas expressément accepté les nouvelles conditions, résilier le contrat sans pénalité de résiliation et sans droit à dédommagement, jusque dans un délai de quatre mois après l’entrée en vigueur de la modification.

Pour les contrats à durée déterminée ne comportant pas de clause déterminant précisément les hypothèses pouvant entraîner une modification contractuelle ou de clause portant sur la modification du prix, le consommateur peut exiger l’application des conditions initiales jusqu’au terme de la durée contractuelle.

Toute offre de fournisseur d’un service de communications électroniques s’accompagne d’une information explicite sur les conditions relatives aux modifications contractuelles. »

Il n’est pas discuté qu’en l’espèce l’offre dite « 100% illimité 24h/24 » est une offre à durée indéterminée.

L’article 14 « modifications » des conditions générales d’abonnement au service téléphonique dont relèvent les conditions spécifiques 100% illimité en vertu de son article 1 reprend ces dispositions légales en prévoyant que « France Telecom informe le client de toute modification de ses prestations ou de toute modification contractuelle au moins un mois avant leur entrée en vigueur (et que) le client peut résilier son contrat à l’occasion des modifications par France Telecom des prestations ou du contrat jusque dans le délai de quatre mois après l’entrée en vigueur de la ou des modifications ou suppressions susmentionnées… ».

Il en résulte que, s’agissant d’une offre à durée indéterminée, France Telecom pouvait conformément aux dispositions légales et contractuelles modifier l’une des conditions de l’offre sans que cette modification ne soit liée à une résiliation préalable du contrat en application des articles 7 et 15 des conditions spécifiques qui s’appliquent aux seuls cas de résiliation et non de modification des conditions de l’offre.

En l’espèce le courrier adressé le 19 avril 2006 à Nuria B. pour lui notifier dans les formes prévues au contrat, un mois avant son entrée en vigueur, la modification portant sur l’un des paramètres de l’offre initiale (la durée limitée à 600 minutes par mois de communications vers les mobiles), lui rappelait la faculté de résilier le contrat à tout moment, ce qui, s’agissant d’une offre à durée indéterminée, lui était à l’évidence plus favorable qu’une faculté de résiliation enfermée dans un délai de 4 mois.

La modification notifiée ne constituait pas, compte tenu du maintien des autres conditions de l’offre illimitée, une modification substantielle emportant novation par changement d’objet du contrat comme le soutien Nuria B.

La circonstance que Nuria B. a reçu par erreur un exemplaire du courrier qui comporte la mention « Au regard de votre dernière facture, cette évolution serait sans impact pour vous », ce qui résultait d’un changement de numéro de téléphone pendant la période analysée par France Telecom et explique l’erreur matérielle commise, détectée depuis après enquête quand elle a adressé le courrier en cause, est sans effet sur les conditions dans lesquelles la notification de la modification contractuelle est intervenue et ne caractérise pas la mauvaise foi prêtée à France Telecom par Nuria B.

Une telle précision, purement informative, apportée selon les cas dans le courrier adressé par France Telecom à chacun des abonnés ne résultait d’aucune obligation légale ou contractuelle à sa charge et était sans effet sur la régularité de sa notification intervenue, avec un préavis d’un mois avant sa mise en vigueur, des modifications apportées à l’offre « 100% illimité 24h/24 » que Nuria B., qui pouvait disposer d’une information complète sur ses consommations et le détail des nouvelles conditions, pouvait résilier à tout moment en en informant France Telecom.

Les autres développements des conclusions de Nuria B. sur la pratique anticoncurrentielle et l’abus de position dominante imputés à France Telecom sont sans portée dans la présente instance et excédent le pouvoir d’appréciation du juge des référés dans tous les cas.

Aucun trouble manifestement illicite et aucune faute dans la mise en oeuvre des modifications de l’offre ne peuvent donc être caractérisés à l’encontre de France Telecom au regard des dispositions de l’article L 121-84 du code de la consommation.

L’appel est donc bien fondé.

DECISION

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort,

. Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 5 juillet 2006 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille,

Statuant à nouveau,

. Vu l’article 809 du ncpc,

. Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de Nuria B.,

. Vu l’article 700 du ncpc, la condamne à payer à France Telecom la somme de 1500 €,

. La condamne aux entiers dépens,

. En autorise le recouvrement direct pour ceux d’appel.

La cour : M. Dominique Bruzy (président), Mmes Anne Vidal et Anne Fenot (conseillers)

Avocat : Me Marguerite Bilalian,

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