Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Paris 21ème chambre A Arrêt du 13 mai
Philippe X... / Heppner
vie privée
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS
Par jugement du 29 septembre 2005 auquel la cour se réfère pour l’exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :
– condamné la société Heppner à payer à Monsieur Philippe X… les sommes suivantes :
– 3514,40 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied.
– 351,44 € à titre de congés payés afférents.
– 22 687,32 € à titre d’indemnité de préavis.
– 2268,73 € à titre de congés payés afférents.
– 26 417,55 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2004, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation par la partie défenderesse.
– 500 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
– ordonné la remise des documents sociaux conformes.
– débouté Monsieur X… du surplus de ses demandes.
Monsieur X… a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 5 juillet 2006.
Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l’audience du 3 mars 2008, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses moyens et arguments aux termes desquelles Monsieur X… demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que le licenciement ne pouvait se fonder sur la faute grave telle que retenue par l’intimée.
– réformer le jugement sur les autres points,
– dire que le licenciement tel que prononcé par la société Heppner est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– condamner la société Heppner au paiement des sommes suivantes :
– 219 032,96 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 54 758,22 € au titre du préjudice moral.
– 27 391,10 € au titre de la brusque rupture.
– 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– dire que ces condamnations porteront intérêts à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.
Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l’audience du 3 mars 2008, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses moyens et arguments aux termes desquelles la société Heppner demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la faute grave ;
– dire que la faute grave est constituée.
– débouter Monsieur X… de l’ensemble de ses demandes.
– le condamner à restituer les sommes versées au titre des indemnités de rupture.
DISCUSSION
Sur les motifs du licenciement
Considérant que Monsieur X… employé par la société Heppner depuis le 2 novembre 1995 comme directeur des services maritimes et aériens, a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire le 29 mars 2004, puis a été licencié le 8 avril 2004 pour faute grave suite à la découverte dans le disque dur de son ordinateur portable de fichiers pornographiques insérés entre des fichiers professionnels.
Considérant que les motifs du licenciement tiennent en substance aux faits suivants :
– utilisation du matériel informatique de l’entreprise à des fins strictement personnelles pour la consultation de sites pornographiques, suite son inscription auprès de ces sites.
– comportement anormal dans ses relations avec des personnes de sexe féminin dans le cadre ou à l’occasion de ses activités professionnelles.
– risques pour l’entreprise au regard de la loi (consultations de sites pornographiques à partir d’outils appartenant à l’entreprise).
– atteinte à l’image de l’entreprise.
Considérant que la présence sur le disque dur de l’ordinateur du salarié à la date du 14 janvier 2004, de 22 images représentant des scènes pornographiques et une zoophile et de trois vidéos montrant des scènes pornographiques et une zoophile, n’est pas contestée.
Que ce fait résulte notamment du procès verbal de constat d’huissier des 2 et 3 novembre 2004 bien que le dit constat ait été établi postérieurement au licenciement et hors la présence de Monsieur X….
Considérant toutefois que, comme l’a relevé le conseil et comme le soutient l’appelant, aucune des pièces communiquées ne prouve son inscription sur des sites pornographiques, ni d’ailleurs des connexions sur de tels sites.
Considérant que plusieurs salariés du groupe Heppner attestent sans être contredits, qu’ils étaient destinataires comme Monsieur X…, d’images pornographiques transmises par des collègues ou des clients se trouvant en Asie, sans que ces images aient été sollicitées.
Considérant que les documents versés aux débats par l’employeur ne permettent nullement d’infirmer les affirmations de l’appelant selon lesquelles il n’a fait que recevoir des » mails » accompagnés des images litigieuses et que leur présence sur le disque dur de son ordinateur ne démontre pas qu’il les ait enregistrées.
Considérant au surplus que les documents incriminés sont en nombre limité, ce qui exclut une utilisation habituelle du matériel informatique à un usage autre que l’accomplissement des tâches qui lui étaient confiées.
Considérant que le premier grief invoqué doit être écarté.
Considérant par ailleurs que le grief tenant au comportement anormal du demandeur envers les personnes de sexe féminin ne repose que sur une lettre datée du 8 mars 2004 émanant de Madame Z… ancienne salariée du groupe, selon laquelle l’intéressé aurait eu une attitude déplacée à son égard lors d’un trajet en automobile dans Paris.
Considérant que ce témoignage qui est formellement contesté par l’appelant et qui rapporte des faits remontant au mois d’octobre 2001 jamais signalés auparavant, ne peut être considéré comme probant du comportement général allégué.
Considérant en outre que l’un des anciens collègues de travail de Monsieur X… atteste avoir déjà été l’objet d’accusations mensongères identiques de la part de Madame Z….
Que plusieurs autres témoins salariés ou non du groupe Heppner attestent au contraire du comportement normal et courtois de Monsieur X… avec le personnel féminin de la société.
Considérant enfin que l’employeur ne démontre pas que les faits dénoncés aient nuit à la bonne marche de l’entreprise ou à sa réputation ou lui aient causé un préjudice même minime.
Considérant qu’en l’état de ces constatations le licenciement de Monsieur X… se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui conduit à infirmer le jugement sur ce point.
Sur les demandes en paiement
– indemnité de préavis et de licenciement
Considérant que le salarié percevait un salaire brut mensuel de 6589,64 € prime d’ancienneté comprise.
Considérant qu’il n’y a pas lieu d’y inclure les sommes versées à titre d’indemnités kilométriques et de repas, s’agissant de frais professionnels remboursés sur justificatifs (cf. contrat de travail).
Qu’il lui revient donc la somme de 19 768,92 € et non celle de 22 687,32 € comme fixée par le conseil, outre 1976,89 € au titre des congés payés afférents.
Considérant que l’indemnité conventionnelle de licenciement s’élève pour 8 ans 8 mois d’ancienneté à la somme de 24 736,40 €.
Que le jugement sera modifié en ce sens.
– rappel de salaire pour la période de mise à pied
Considérant que la somme accordée à ce titre est conforme au montant retenu sur le bulletin de paie.
Que le jugement mérite confirmation sur ce point.
– dommages et intérêts
Considérant qu’il y a lieu à application de l’article L. 122-14-4 du Code du Travail ;
Considérant qu’eu égard à l’ancienneté du demandeur dans l’entreprise, aux conditions particulièrement brusques et vexatoires dans lesquelles est survenu le licenciement, aux motifs invoqués dans la lettre de rupture et au préjudice moral qui en est résulté pour le demandeur ainsi qu’aux justificatifs produits, la réparation du préjudice subi, toutes causes confondues peut être fixée à la somme de 80 000 €.
Considérant que l’intimée qui succombe supportera les dépens et indemnisera Monsieur X… des frais exposés en appel à concurrence de la somme de 2000 €.
DECISION
Par ces motifs, la cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
. Infirmant partiellement le jugement déféré,
. Condamne la société Heppner à payer à Monsieur Philippe X… les sommes suivantes :
-19 768,92 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis.
-1976,89 € à titre de congés payés afférents.
– 24 736,80 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le défendeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes.
– 80 000 € à titre de dommages et intérêts.
. Confirme le jugement en ses autres dispositions non contraires aux présentes.
Ajoutant au jugement,
. Condamne la société Heppner à payer à Monsieur Philippe X… la somme de 2000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
. Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
. Condamne la société Heppner aux dépens d’appel.
La cour : M. Alain Chauvet (président), Mme Françoise Froment (présidente), M. Claude Terreaux (conseiller)
Avocats : Me Guillaume Abadie, Me Pascal Bathmanabane
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