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Jurisprudence : Responsabilité

vendredi 03 février 2012
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Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 7 Ordonnance du 08 février 2011

M. X… / Directeur général des finances publiques

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FAITS, CIRCONSTANCES ET PROCÉDURE

Le 9 juillet 2009, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice a fait transmettre a l’administration fiscale, des données informatiques qui ont été analysées par les services de la Direction nationale d’enquêtes fiscales et ont donné lieu à la production de documents de synthèse présentant différentes informations relatives aux comptes bancaires, aux personnes physiques ou morales liées, aux évaluations du patrimoine et aux échanges entre gestionnaire du compte et client.

Les informations reçues de l’autorité judiciaire comportaient une documentation interne de la banque HSBC Private Bank présentant les différentes procédures internes de la banque dans le cadre de ses relations avec ses clients, ce qui permettait de présumer que les personnes apparaissant sur les documents de synthèse étaient titulaires de comptes ouverts à la banque suisse HSBC Private Bank, ayant un identifiant IBAN commençant par « CH.0868 9… ».

Le document intitulé Synthèse individuelle-Code BUP:50901 09511 mentionnait l’identité de M. X… exerçant la profession de directeur qui apparaissait comme étant le mandataire des personnes identifiées au travers des profils clients sous les noms de :
– société B., depuis 2005,
– 4…PH, depuis 2003,
– 4…QH, depuis 2003

La société B. créée en 2005 à l’adresse … était titulaire de deux comptes bancaires ouverts à la Banque HSBC Private Bank.
Le titulaire du compte (profil client) 4…PH était domicilié à Paris qui était titulaire de deux comptes bancaires ouverts à la banque HSBC Private Bank;
Le titulaire du compte (profil client) 4…QH était domicilié à Singapour qui était titulaire d’un compte bancaire ouvert à la banque HSBC Private Bank.

Selon les documents analysés, il a semblé à l’administration que :
– l’importance des fonds qui apparaissait confiés par MM. Y… et Z… à M. X… faisait ressortir l’existence d’une activité professionnelle de gestion financière.
– la présentation de nouveaux clients à la banque HSBC Private Bank par M. X… avait pu donner lieu à rétribution sous quelque forme que ce soit.
– M. X… serait en fait le seul animateur et bénéficiaire de la société B. Ltd.
– M. X… avait clôturé en 2005, le compte numérique dont il était titulaire auprès de HSBC Private Bank et fait transférer tous ses avoirs sur le nouveau compte de la société B., dont il serait l’unique bénéficiaire.
– la société B. était établie aux Seychelles à une adresse où elle ne disposait pas de moyens propres d’exploitation.
– M. X…, à titre individuel ou sous couvert de la société B., utilisait dans le cadre de l’exercice d’une activité indépendante de conseil, représentant et de mandataire financier, pour le compte de tiers, en relation avec un établissement financier de droit étranger, les moyens matériels de la société C., dont il est le dirigeant.
– et que la société A représentée par son associé-gérant M. P. et qui avait son siège social sis … disposait également d’un établissement sis … adresse du siège social de la société C.

Ces constatations faisaient craindre à l’administration des impôts que M. X… à titre individuel et/ou sous couvert de la société B., n’exerce une activité indépendante de conseil, représentant et de mandataire financier, pour le compte de tiers, en relation avec un établissement financier de droit étranger, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et en omettant sciemment de passer les écritures comptables correspondantes.

Par ordonnance en date du 15 juin 2010 du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, des agents de l’administration des impôts ont été autorisés à procéder à des opérations de visite domiciliaire à l’encontre de M. X… présumé s’être soustrait et/ou se soustraire à l’établissement et au paiement de l’impôt sur le revenu (catégorie des bénéfices industriels et commerciaux-BIC et/ou bénéfices non commerciaux-BNC) et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts/articles 54 pour les BIC, 99 pour les BNC et 286 pour la TVA.)

Cette ordonnance a autorisé la visite des locaux et dépendances sis à Paris :
– … susceptibles d’être occupés par la société C. et/ou la société A.
– … susceptibles d’être occupés par M. Y… et/ou Mme Y. et/ou M. N.

Par une ordonnance complémentaire en date du 17 juin 2010, le juge des libertés et de la détention tribunal de grande instance de Paris a autorisé la visite d’un coffre ouvert au nom de M. X… auprès de la banque HSBC à Paris.

Les opérations ainsi autorisées se sont déroulées les 17 et 18 juin 2010 et ont été relatées par procès-verbaux de même date.

Il a été interjeté appel par M. X… des ordonnances rendues les 15 et 17 juin 2010 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, en application des dispositions de l’article L 16 B du Livre des procédures fiscales.

D’autres ordonnances rendues par les juges des libertés et de la détention de Nanterre, Versailles, Thonon-les-Bains, Lisieux et Lorient ont autorisé la visite de locaux relevant de leur ressort, sur la base des mêmes présomptions de fraude.

A l’appui de sa demande d’annulation des ordonnances des 15 et 17 juin 2010, l’appelant :
– in limine litis, demande qu’il lui soit donné acte des refus successifs qui ont été opposés par le greffe de la Cour d’appel à sa demande de délivrance d’une copie du dossier de l’affaire transmis par le greffe du TGI à la Cour d’appel et en conséquence qu’il soit ordonné au greffe de lui délivrer une copie du dossier et qu’il soit sursis à statuer jusqu’à la délivrance effective de la copie sollicitée.

– au fond, allègue :
– l’illicéité de 18 des pièces soumises au JLD par l’administration à l’appui de sa requête,
– le défaut de qualité de l’agent qui a sollicité la mise en œuvre de la procédure de visite domiciliaire,
– le défaut de respect de l’exigence d’un jugement par un tribunal indépendant et impartial en raison de la prérédaction intégrale de l’ordonnance par l’administration,
– en l’absence de tout contrôle de proportionnalité de la mesure, le défaut d’établissement de l’utilité réelle des visites au regard des buts poursuivis,
– ajoute concernant l’ordonnance du 17 juin 2010 que la simple référence à l’ordonnance initiale n’est pas suffisamment précise pour constituer une motivation puisque l’ordonnance initiale n’a pas été annexée à l’ordonnance complémentaire,
– et sollicite la condamnation du Directeur général des finances publiques à lui verser pour chaque appel la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du CPC ;

Le Directeur général des finances publiques, sollicite la confirmation en toutes leurs dispositions des ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris les 15 juin et 17 juin 2010, le débouté de … de l’ensemble de ses autres demandes et sa condamnation pour chaque appel au paiement de la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du CPC.

DISCUSSION

Attendu que l’appel contre l’ordonnance rendue le 15 juin 2010 et celui contre l’ordonnance rendue le 17 juin 2010 ont un lien de connexité évident ;

Qu’il y a lieu pour une bonne administration de la justice de les joindre ;

Sur la demande d’injonction au greffe de délivrer une copie du dossier et sur la demande de sursis à statuer jusqu’à la délivrance de celle-ci

Attendu que l’appelant expose que par télécopie en date du 26 octobre 2010 adressée au greffier un de ses avocats a sollicité la délivrance d’une copie du dossier de l’affaire déposé au greffe de la Cour d’appel, ce qui lui a été refusé par courrier électronique en date du 2 novembre 2010 ;

Qu’il ajoute que l’intimé lui a communiqué sur sa demande, un CD comportant des pièces numérisées mais que cette communication des pièces a posteriori par l’administration ne garantit pas leur authenticité ;

Qu’il sollicite en conséquence, qu’il lui soit donné acte des refus qui ont été opposés par le greffe à sa demande de délivrance d’une copie du dossier de l’affaire, demande qu’il soit donné injonction au greffier de lui communiquer une copie du dossier et qu’il soit sursis à statuer jusqu’à ce que cette délivrance soit effective ;

Mais attendu que c’est à juste titre que le greffe n’a pas répondu favorablement à la demande de l’appelant en indiquant que cette faculté n’était pas prévu par la loi, puisque l’article L16BII avant dernier alinéa du Livre des procédures fiscales dispose uniquement que le greffe du tribunal de grande instance transmet sans délai le dossier de l’affaire au greffe de la cour d’appel où les parties peuvent le consulter ;

Que l’administration a satisfait à ses obligations en adressant à l’appelant par lettre de communication en date du 23 juillet 2010, les requêtes et la copie des pièces présentées au juge y compris la copie des habilitations ;

Qu’en conséquence tout en donnant acte à l’appelant du refus par le greffe de lui délivrer une copie du dossier, il y a lieu de rejeter sa demande d’injonction et sa demande de sursis à statuer ;

Sur le fait que l’ordonnance du 15 juin 2010 n’a pas été annexée à l’ordonnance complémentaire du 17 juin 2010

Attendu que l’ordonnance du 15 juin 2010 est l’une des deux pièces présentées au juge pour solliciter l’autorisation complémentaire de visite d’un coffre-fort dans les locaux de la banque HSBC à Paris mais qu’elle n’avait pas à être annexée ou notifiée en même temps que l’ordonnance du 17 juin 2010 ;

Qu’en conséquence le moyen selon lequel la référence à l’ordonnance initiale n’est pas suffisamment précise pour constituer une motivation puisque l’ordonnance initiale n’est pas annexée à l’ordonnance complémentaire doit être rejetée.

Sur l’illicéité de 18 des pièces soumises au JLD par l’administration à l’appui de sa requête initiale ayant conduit à la signature de l’ordonnance du 15 juin 2010

Attendu que l’appelant soulève outre l’illicéité de seize pièces qui seraient de simples attestations d’agents des impôts, celle de deux pièces 1-1 Annexe A et 1-1 Annexe B aux motifs :

a) qu’elles sont issues du retraitement de données obtenues par la commission d’une infraction pénale, celles-ci étant issues des supports informatiques dérobés par Hervé F. à la banque HSBC Private Bank en Suisse,
– la pièce 1-1 Annexe A reproduisant une documentation interne à la banque HSBC Private Bank(Suisse) intitulée « Private Client Desk Manuel Procedure « en langue anglaise, non accompagnée d’une traduction en français, en violation de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française et
– la pièce 1-1 Annexe B étant un document intitulé « Synthèse individuelle » issu des retraitements informatiques effectués par la DNEF (retraitements avoués et décrits par le Directeur de la DNEF dans son « Attestation » datée du 1er juin 2010-cf. pièce 1-1 produite par l’administration), sur les données informatiques contenus dans les supports informatiques volés par Mr Hervé F. à la banque HSBD Private Bank ;

b) qu’il s’agit de données informatiques volées par Hervé F. et que la transmission de ces données par le Procureur de la République de Nice à la DNEF au titre de l’article L.101 du LPF est irrégulière puisque cet article vise la communication par l’autorité judiciaire à l’administration des finances de toute indication qu’elle peut recueillir de nature à faire présumer une fraude en matière fiscale …, et qu’ainsi qu’en a jugé la CEDH dans l’arrêt Medvedyev du 10 juillet 2008, le parquet ne fait « pas partie de l’autorité judiciaire » ;

c) que la pièce 1-1 Annexe A est issue d’un fichier nominatif clandestin élaboré par la DNEF en violation de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dite « Informatique et libertés » ;

d) que cette pièce est en outre dépourvue de toute valeur probante en raison des traitements informatiques dont elle procède et compte tenu des inexactitudes et des incohérences de la liste incriminée.

Attendu que le Directeur général des finances publiques soutient dans ses écritures que :

a) s’il est vrai que la pièce 1-1 Annexe A a été produite en langue anglaise, sans traduction intégrale, l’administration a également remis au juge une pièce 2-3 constituée de l’analyse en français des informations contenues en langue anglaise, qu’il n’est pas démontré que le juge ne se serait pas fondé sur cette pièce mais sur le document en langue étrangère pour asseoir sa décision et que les dispositions de la loi du 4 août 1994 sont tout à fait étrangères à la question posée d’une pièce en langue étrangère produite en justice ;

b) les pièces soumises au contrôle du juge sont issues de la communication qui en a été faite par le Procureur de la République de Nice ;
– il n’est nullement discuté que les pièces utilisées proviennent de la procédure concernant Hervé F., la référence Dénonciation Hervé F. -HSBC private bank (Genève), de même que le numéro de procédure 09/10584 figurant sur le bordereau d’envoi du 9 juillet 2009 par le Procureur de le République au Directeur des services fiscaux des AIpes-Maritimes (pièce 1-2) mais cette circonstance n’est pas de nature à rendre illicite leur détention par l’administration car d’une part celle-ci n’a pas utilisé dans le cadre de ce dossier, la liste « des 3000 », évoquée dans le rapport d’enquête parlementaire publié le 11 juillet 2010, qui a été transmise à l’administration centrale et d’autre part, dans le cadre de ce dossier, ce sont les informations transmises par le Procureur de la République de Nice qui ont été exploitées ;
– par ailleurs, le Conseil constitutionnel ayant jugé que l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet (Décision 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010), c’est donc parfaitement régulièrement que le Procureur de la République a communiqué les documents qu’il détenait dans le cadre d’une procédure en cours sur le fondement des dispositions de l’article L101 du Livre des procédures fiscales ;

c) contrairement à ce qui est soutenu, l’administration n’a pas constitué de fichier nominatif de détenteurs de comptes bancaires détenus hors de France antérieurement à la création du fichier Evafisc autorisé par arrêté du 25 novembre 2009 sur avis de la Cnil ;

d) l’attestation établie par le Directeur de la Direction nationale d’enquêtes fiscales a exposé le traitement par ses services des données effectivement présentes sur les fichiers remis par la gendarmerie et le détail de la méthode suivie pour exploiter les fichiers communiqués par la gendarmerie est produit dans la présente instance ; ces pièces, recoupées par les autres éléments de l’enquête réunis pouvaient constituer des éléments de présomptions, seules nécessaires à ce stade de la procédure ;

Mais attendu :
– que si l’administration soutient que la DNEF a obtenu des données informatiques de l’autorité judiciaire les 9 juillet 2009, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010 en application de l’article L.101 du LPF par le Parquet de Nice, l’appelant démontre quant à lui, que selon le rapport d’enquête n° 2010-M-062-01 établi par l’Inspection générale des finances (IGF) à la demande du Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’Etat, et rendu public le 11 juillet 2010, « la DNEF a transmis le 28 mai 2009 à l’administration centrale une liste de contribuables disposant d’un compte en Suisse dite liste des « 3000 » et qu’il s’avère donc que la DNEF était en possession de cette liste et « l’a exploitée bien avant sa transmission officielle par l’autorité judiciaire en application de l’article L. 101 du LPF » ;
– qu’en tout état de cause, il s’agit de données volées, la réalité de la commission de ce vol ayant été confirmée par le Ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat de l’époque,
– que l’origine de ces pièces est donc illicite, que l’administration en ait eu connaissance par la transmission du Procureur de la République ou antérieurement à cette date ;
– que procède au contrôle qui lui incombe en application des dispositions de l’article L.16 B du livre des procédures fiscales, le premier président d’une cour d’appel qui, lorsqu’il est saisi d’une contestation sur ce point, vérifie que les pièces produites par l’administration fiscale, au soutien d’une demande d’autorisation de visite domiciliaire, ont été obtenus de manière licite ; (Cass.Com.7 avril 2010 pourvoi n°09-15.122 ; BIV n°73) ;
– que ces pièces dont l’origine est illicite, ont servi de base pour rendre son ordonnance au JLD qui les a citées à de très nombreuses reprises ;
– que du tout, il s’évince que le JLD en l’absence de ces deux pièces illicites ne disposait pas d’éléments suffisants pour présumer la fraude et devait en conséquence rejeter les requêtes de l’administration fiscale ;

Considérant qu’ainsi, et sans avoir à trancher les autres moyens de forme et de fond, avancés par le requérant, il y a lieu d’accueillir ses appels à savoir annuler l’ordonnance n°2010/26 rendue le 15 juin 2010 par le JLD de Paris et ainsi que, celle n°2010/20 rendue le 17 juin 2010 qui la complète, et il y a lieu de l’indemniser pour les frais de sa défense ;

DÉCISION

Par ces motifs :

. Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 10/14507 et 10/14509,

. Déclare recevables et bien fondés les appels interjetés par M. X…,

. Annule l’ordonnance n°2010/26 du 15 juin 2010 et l’ordonnance n°2010/28 du 17 juin 2010 du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris,

. Condamne le Directeur général des finances publiques (Direction nationale d’enquêtes fiscales) à verser à M. X… la somme globale de 3000 € au titre de l’article 700 du CPC pour les deux procédures et laisse à sa charge les entiers dépens,

. Déboute les parties pour le surplus.

La cour : Mme Line Tardif (conseillère)

Avocats : Me Delphine Ravon, Me Alain Marsaudon, Me Dominique Hebrard Minc

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