Jurisprudence : Responsabilité
Cour d’appel de Toulouse 3ème chambre, section 1 Arrêt du 19 mai 2009
Amen / M. K.
contenu illicite - délai - hébergeur - responsabilité - retrait
FAITS ET PROCÉDURE
A l’occasion de l’enquête judiciaire qui a fait suite aux événements du 21 septembre 2001, Monsieur K. a été mis sur écoute en sa qualité de correspondant de presse, à l’occasion de l’enquête judiciaire. Le contenu de ses conversations téléphoniques a été diffusé sur le site internet www.arme-collection.com édité par Monsieur Pierre G. et hébergé par la société Agence des Médias Numériques (société « Amen »).
A la demande de M. K., la société Amen a suspendu le site internet le 12 février 2008.
Le 11 février 2008, M. K. a assigné la société Amen en référé en vue de la voir solidairement condamnée avec M. G. à supprimer sous astreinte le contenu du site internet www.arme-collection.com et au paiement d’une provision de 45 000 € en réparation du préjudice moral subi en violation des articles 9 et 1382 du code civil et de la loi du 6 janvier 1978.
Le 13 mars 2008, le président du tribunal de grande instance de Toulouse statuant en référé a déclaré sans objet la demande de suppression du site www.arme-collection.com, et a condamné solidairement M. Pierre G. et la société Amen à payer à Monsieur K. une indemnité provisionnelle de 6000 € en réparation de son préjudice moral, ainsi qu’une indemnité de 1186 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Amen a interjeté appel de cette décision le 17 mars 2008.
PRETENTIONS
La société Amen, appelante, dans ses conclusions en date du 22 décembre 2008, demande à la cour d’infirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance du 13 mars 2008 et de :
– constater que M. K., dans son acte introductif d’instance, n’a pas respecté les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 prescrites à peine de nullité portant sur
* l’exclusivité du fondement de la Loi de 1881 sur d’autres fondements réglementaires,
* l’exclusivité des demandes au titre de l’injure ou de la diffamation,
* la mention expresse des textes visés dans le corps de l’acte introductif d’instance,
* l’indication précise des faits incriminés
– constater que le président du tribunal de grande instance de Toulouse n’a pas examiné ses demandes formulées au titre de la nullité de l’acte introductif d’instance,
en conséquence
– infirmer l’ordonnance entreprise ;
– prononcer la nullité de l’acte introductif d’instance pour défaut de conformité à la loi du 29 juillet 1881,
à titre subsidiaire,
– constater que la notification que lui a adressée Monsieur K. n’a pas respecté le formalisme de l’article 6.I.5 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique,
– constater l’absence de caractère manifestement illicite du site internet,
– constater qu’elle a agi promptement conformément ses obligations inhérentes à son activité d’hébergeur de sites internet,
– d’écarter des débats les impressions écran et attestations produites par M. K. pour absence de force probante et d’identification du site internet www.arme-collection.com.
à titre subsidiaire :
– constater que la condamnation solidaire dont elle a fait l’objet est parfaitement disproportionnée et infondées aucune faute autonome n’ayant été identifiée à l’encontre de M. G.,
– constater que cette faute ne peut résider dans le fait d’avoir laissé le site internet quelques jours après la notification reçue le 9 février 2008 et constater la faiblesse du préjudice qui en découlerait,
– limiter sa responsabilité pécuniaire à 2 % des dommages et intérêts dont le paiement est imputé à M. G. et limiter la solidarité à cette somme,
– constater que la médiatisation de cette affaire organisée par M. K. lui cause un préjudice grave,
– constater que M. G. doit la garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre et le condamner en ce sens,
– condamner M. K. à verser une provision de 10 000 € en réparation du préjudice qu’elle a subi,
– ordonner la publication de l’arrêt à intervenir aux frais de M. K. dans deux journaux sans que le coût de ces publications ne puisse être supérieur à 5000 € HT,
– ordonner à M. K. de consigner 5000 € HT entre les mains du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris en qualité de séquestre sous astreinte de 500 € par jour de retard compter de la signification de l’arrêt à venir,
– dire que le bâtonnier lui attribuera cette somme sur présentation des bulletins de commande d’insertion dès publication de l’arrêt à venir,
– condamner M. K. au versement de 5000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur K., intimé, dans ses conclusions en date du 1e septembre 2008, demande à la cour de :
– confirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance du 13 mars 2008, préciser que la condamnation de M. G. et Amen aux entiers dépens comprend le paiement de 250 € correspondant au procès-verbal de constat réalisé par la SCP Malavialle,
– condamner la société Amen société au paiement de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. G. a été assigné aux formes de l’article 659 du code de procédure civile ; il n’a pas constitué avoué.
Pour le détail des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
DISCUSSION
A l’appui de sa demande de réformation, la société Amen soutient la nullité de l’acte introductif d’instance au visa de la loi du 29 juillet 1881, le respect par elle des dispositions de la loi sur la confiance en l’économie numérique.
Elle forme ensuite des demandes reconventionnelles, soulève une omission de statuer du premier juge sur des dommages et intérêts sollicités et forme à nouveau une demande de dommages intérêts.
Sur l’application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 de presse
Le premier juge a constaté, comme la cour le constate à son tour, que la demande indemnitaire de M. K. est fondée sur l’atteinte à sa vie privée et non sur l’atteinte portée à son honneur ou à sa réputation ; dès lors, les moyens tirés du défaut de mise en œuvre de la loi de 1881 sur la presse sont inopérants, cette loi ne s’appliquant pas. Si M. K. a dénoncé son assignation au procureur de la République, c’est afin d’informer cette autorité d’une possible infraction relative au secret de l’instruction et de la présence de ce dossier sur internet.
Ces moyens, mal fondés, sont rejetés.
Sur la responsabilité de la société Amen en sa qualité d’hébergeur
Là aussi le premier juge a, par des motifs pertinents que la cour adopte, soulevé que s’il est exact que la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique pose en son article 6-1-1 le principe de l’irresponsabilité de l’hébergeur quant au contenu des sites hébergés il en va différemment selon le même article lorsque, averti du contenu illicite d’un site, il n’en suspend pas promptement la diffusion.
Dans le cas présent, le premier juge a justement relevé que M. K. a prévenu la société Amen du contenu du site litigieux par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 2008 distribuée le 8 février 2008.
Par conséquent, la société Amen ne peut tirer argument de l’inertie de la société qui assure sa domiciliation pour justifier d’avoir attendu jusqu’au 12 février selon elle pour faire cesser la diffusion, cessation qui, pour être qualifiée de prompte, aurait dû intervenir dès le 8 février ; que l’erreur matérielle commise dans la lettre du 7 février dans le nom de domaine du site « fr” au lieu de “com » n’apparaît pas de nature à retarder considérablement cette suppression.
C’est donc à juste titre, le contenu du site étant manifestement illicite et l’hébergeur n’en ayant pas promptement suspendu la diffusion, que la responsabilité de la société Amen a été retenue au vu de ses propres fautes distinctes de celle de M. G.
Ces fautes l’engagent par provision dans la responsabilité et la condamnation solidaire à indemniser M. K. du préjudice subi sans qu’il y ait lieu en l’état de cette condamnation provisionnelle à statuer sur les demandes reconventionnelles ou en garantie.
L’ensemble de ces demandes est rejeté comme ne ressortissant pas de la compétence du juge des référés saisi au visa des articles 808 et 809 du code de procédure civile pour faire cesser un trouble manifestement illicite et accorder, dans la mesure où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, une provision au créancier.
Sur le préjudice
Les copies d’écran réalisées le 13 février 2008 prouvent que le site litigieux était maintenu à cette date et le procès-verbal de réquisition confirme également que le site était accessible le 13 février 2008 puisque le procès verbal est du 13 février 2008. C’est donc à juste titre que M. K. a sollicité la suppression du site, et ce contrairement aux affirmations de la société Amen qui déclare avoir procédé au retrait du contenu le 12 février 2008.
Enfin, le nom de K. était accessible depuis Google après le 14 février, ce qui confirme la carence de la société Amen à faire promptement disparaître toute trace de ce contenu illicite.
La cour, réformant sur ce point la décision du premier juge, a donc des éléments pour chiffrer provisionnellement le préjudice subi par M. K. du fait de cette atteinte à sa vie privée (les écoutes téléphoniques notamment donnant tous éléments d’identification : nom, adresse, situation maritale et familiale, nationalité) à la somme de 10 000 €.
L’équité commande en outre l’application à son profit des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés devant la cour
Les dépens suivent le sort du principal.
DÉCISION
La cour,
Vu les articles 808 et 809 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l’article du code civil,
. Rejetant toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties comme irrecevables ou mal fondées ;
. Se déclare incompétente pour statuer au fond sur les demandes de garantie, de partage de responsabilité et d’allocation de dommages intérêts ;
. Renvoie la société Amen à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;
. Confirme la décision du juge des référés de Toulouse du 13 mars 2008 dans toutes ses dispositions, à l’exception de celle portant sur le montant de l’indemnisation provisionnelle ;
. Réformant sur ce seul point ;
. Fixe cette indemnisation provisionnelle à 10 000 € aux lieu et place de 6000 € ;
Y ajoutant,
. Condamne également solidairement M. G. et la société Amen à payer à M. K. une somme complémentaire de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Condamne sous la même solidarité M. G. et la société Amen aux entiers dépens.
La cour : M. C. Dreuilhe (président), M. M.O. Poque (conseiller), M. J.L. Estebe (vice président)
Avocats : SCP OJFI-Alexen, SCP Priollaud-Cohen-Tapia
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