Jurisprudence : Responsabilité
Cour européenne des droits de l’homme, 5ème section, arrêt du 2 avril 2015
Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services / France
avocat - convention européenne des droits de l'homme - correspondances - messagerie électronique - proportionnalité - saisie
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section),
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mars 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 63629/10 et 60567/10) dirigées contre la République française et dont deux sociétés de droit français, Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 7 octobre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La société Vinci Construction France, dont le siège social se trouve à Nanterre, a été représentée par Me E. Trichet, avocat à Paris. La société GTM Génie Civil et Services (GTM GCS), dont le siège social est situé à Nanterre, a été représentée par Me F. Molinie et Me I. Saint-Esteben, avocats à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, Directeur des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants allèguent une violation de leur droit à un recours effectif, ainsi que de leur droit au respect de leur domicile, vie privée et secret des correspondances et, en particulier, de la confidentialité qui s’attache aux messages échangés entre un avocat et son client, du fait d’opérations de visites et saisies réalisées au sein de leurs locaux.
4. Le 10 avril 2013, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Par une requête du 3 octobre 2007, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) demanda au juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Paris l’autorisation de procéder à des visites et saisies dans les locaux de plusieurs sociétés, dont ceux des requérantes, sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, et ce dans le cadre d’une enquête ouverte pour des faits d’entente illicite prohibés par les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité de Rome, qui auraient été commis à l’occasion de la passation de marchés publics pour la rénovation d’hôpitaux publics.
6. Par une ordonnance du 5 octobre 2007, le JLD autorisa les agents de la DGCCRF à procéder à ces visites et saisies.
7. Aux termes d’une motivation de 15 pages, celui-ci rappela l’ensemble des éléments de preuve produits par l’administration requérante et conclut à la licéité apparente de leur obtention. Il procéda ensuite à l’analyse du déroulement des différentes procédures d’appel d’offres sur les marchés publics en cause et du contenu des offres faites par les entreprises candidates, dont les sociétés requérantes, et releva un certain nombre d’anomalies. Sur la base de ces éléments, le JLD caractérisa l’existence d’indices permettant de présumer l’existence de pratiques prohibées au sens de l’article L. 450-4 du code de commerce.
8. Le JLD circonscrit ensuite l’autorisation de procéder à des visites et saisies aux locaux des sociétés expressément visées, ainsi qu’à leur activité dans le secteur de la construction et de la rénovation des établissements de santé.
9. Sur commission rogatoire du JLD parisien, un JLD du tribunal de grande instance de Nanterre fut chargé du contrôle de l’exécution de ces visites domiciliaires. Par une ordonnance du 11 octobre 2007, ce dernier désigna des officiers de police judiciaire pour assister aux opérations de visite menées par les agents de la DGCCRF.
10. Les visites eurent lieu le 23 octobre 2007 dans les locaux des requérantes. De nombreux documents et fichiers informatiques, ainsi que l’intégralité de la messagerie électronique de certains employés des sociétés requérantes furent saisis.
11. Les requérantes présentèrent chacune une requête en annulation de ces visites et saisies au JLD du tribunal de grande instance de Paris. Elles firent notamment valoir que les saisies pratiquées avaient été massives et indifférenciées et avaient porté sur plusieurs milliers de documents informatiques, ainsi que sur la messagerie électronique de plusieurs personnes, et que de nombreux documents saisis étaient sans lien avec l’enquête ou étaient couverts par la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, et ce sans que ne soit dressé un inventaire suffisamment précis des documents saisis. Elles soutinrent également ne pas avoir pu prendre connaissance du contenu des documents avant leur saisie et n’avoir pu ainsi s’opposer à ces dernières. Elles demandèrent l’annulation des visites et saisies et à défaut la restitution des documents indument saisis.
12. Dans ses conclusions en défense, la DGCCRF soutint que les visites et saisies avaient été pratiquées conformément à l’autorisation reçue, ainsi qu’aux dispositions légales et conventionnelles encadrant leur mise en œuvre. Elle fit notamment valoir que les saisies avaient été ciblées et avaient donné lieu à un inventaire précis indiquant le nom des fichiers, leur extension, l’endroit où ils se situaient sur l’ordinateur visité, ainsi que leur empreinte numérique. Elle soutint qu’une copie des documents saisis gravée sur DVD-R avait été remise aux sociétés visitées. Elle indiqua ensuite que le secret professionnel d’avocat n’était pas absolu et ne faisait pas obstacle à la saisie de document. Elle ajouta toutefois ne pas s’opposer à la restitution des pièces qui concernaient des correspondances entre un avocat et son client, tout en minimisant le nombre des pièces concernées.
13. Par deux ordonnances des 2 et 9 septembre 2008, le JLD débouta les requérantes de l’intégralité de leurs demandes, aux motifs que les visites et saisies pratiquées étaient conformes aux articles L. 450-4 du code de commerce et 56 du code de procédure pénale, ainsi qu’aux droits garantis par la Convention. Le JLD considéra, notamment, que le respect du secret professionnel attaché aux correspondances échangées avec un avocat n’interdisait pas les saisies des pièces et documents couverts par celui-ci, pourvu que ce secret ait été respecté vis à vis des personnes éventuellement présentes lors des opérations.
14. Les requérantes se pourvurent en cassation contre ces ordonnances. Par deux arrêts du 8 avril 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta les pourvois des requérantes, jugeant que les dispositions de l’article L. 450-4 du code de commerce, dans sa version applicable aux visites et saisies en cause, étaient conformes aux exigences issues des articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention. La Cour de cassation rejeta également le moyen tiré du non-respect de la confidentialité qui s’attache aux correspondances entre un avocat et son client, au motif que les requérantes n’avaient invoqué, parmi les documents saisis émanant de leurs avocats ou leur ayant été adressés, aucune correspondance liée à l’exercice des droits de la défense.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPEENS PERTINENTS
A. Les textes applicables aux visites et saisies en cause, ainsi qu’à la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client
15. Sur les normes de droit interne relatives aux visites et saisies en droit de la concurrence, il convient de renvoyer à l’arrêt Société Canal Plus et autres c. France (no 29408/08, §§ 20-25, 21 décembre 2010).
16. S’agissant des règles internes et internationales applicables à la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, il y a lieu également de renvoyer à l’arrêt André et autre c. France (no 18603/03, §§ 14-20, 24 juillet 2008).
B. La jurisprudence de la Cour de cassation
17. La Cour de cassation juge de manière constante que l’administration saisissante ne peut appréhender que les documents se rapportant aux agissements retenus par l’ordonnance d’autorisation de visite et saisie domiciliaires, ainsi que les documents « pour partie utiles » à la preuve desdits agissements. À défaut, les documents saisis doivent être restitués (par exemple, Cass. com., 13 mai 1997, no 95-30.097 et Cass. crim., 29 juin 2011, no 10-85.479). Dans cette dernière affaire, plusieurs messageries électroniques avaient notamment été saisies ; la Cour de cassation a considéré que le juge du fond avait souverainement constaté que celles-ci n’étaient pas divisibles.
18. S’agissant des documents relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, la Cour de cassation leur réserve un sort particulier, lequel a connu une évolution dont il convient de rappeler les principales étapes. La chambre criminelle a, dans un premier temps, jugé que de tels documents étaient insaisissables, sous peine de nullité de la saisie, en vertu du « principe de la libre défense », sauf si les documents étaient de nature à établir la preuve de la participation de l’avocat aux faits illicites en cause (notamment, Cass. crim., 12 mars 1992, no 91-86.843, Cass. crim., 20 janvier 1993, no 92-85.548, Cass. crim., 5 octobre 1999, no 98-80.007, Cass. crim., 27 juin 2001, no 01-81.865).
19. La chambre commerciale de la Cour de cassation, compétente notamment pour connaître des visites domiciliaires en matière fiscale, avait adopté une position très proche de celle de la chambre criminelle et jugé qu’en toute matière les consultations adressées par un avocat à son client sont couvertes par le secret professionnel et qu’une saisie de documents répondant à cette définition ne peut être autorisée ou maintenue qu’à la condition que les documents saisis soient de nature à établir la preuve de la participation de l’avocat à la fraude présumée (par exemple, Cass. com., 5 mai 1998, no 96-30.116 et 9 mars 1999, no 97-30.029).
20. Dans un second temps, la chambre criminelle a considéré que seules étaient insaisissables, sous peine de nullité de la saisie, les correspondances émanant d’un avocat, ou lui ayant été adressées, qui sont liées à l’exercice des droits de la défense (Cass. crim., 13 décembre 2006, no 06-87.169, ainsi que les arrêts rendus dans la présente affaire).
21. Enfin, dans plusieurs arrêts du 24 avril 2013 (dont un publié au bulletin : no 12-80.331), la Cour de cassation a considéré qu’il appartenait au premier président de la cour d’appel, saisi d’un recours contre le déroulement des opérations de visites et saisies réalisées dans le cadre de l’article L. 450-4 du code de commerce modifié, de rechercher si les pièces et supports informatiques – dont la saisie était contestée par les sociétés visitées – étaient ou non couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client. Elle a estimé qu’il appartenait ensuite au premier président de la cour d’appel d’annuler la saisie de correspondances lorsque celles-ci relevaient de la protection de ce secret, au motif que la violation de ce dernier intervenait dès la saisie du document litigieux et non pas après que les enquêteurs en ont pris connaissance.
22. Dans un arrêt du 27 novembre 2013 (no 12-85.830), la chambre criminelle a précisé que la présence parmi des fichiers informatiques saisis, susceptibles de contenir des éléments intéressant l’enquête, de pièces insaisissables ne saurait avoir pour effet d’invalider la saisie de tous les autres documents. La chambre commerciale de la Cour de cassation avait également retenu la même interprétation et en avait déduit que la juridiction saisie n’avait pas à procéder à la recherche du caractère divisible ou insécable d’une messagerie électronique ou d’un disque dur (Cass. com., 18 janvier 2011, no 10-11.777).
23. Par ailleurs, dans un arrêt du 20 février 1996 (94-13.062), la Cour de cassation a jugé que les officiers de police judiciaire, dont la présence est requise aux côtés des enquêteurs de l’autorité administrative concernée, ont pour seule mission d’assister aux opérations de visite domiciliaire et saisie en veillant au respect du secret professionnel et des droits de la défense, en qualité de représentants de la juridiction qui a autorisé la visite.
24. Enfin, dans des arrêts des 17 juin 2009 (no 07-88.354) et 18 janvier 2011 (10-11.777), la Cour de cassation a jugé valables les inventaires réalisés en indiquant le seul nom des fichiers saisis, dès lors, notamment, qu’une copie de ces fichiers avait été réalisée et remise aux sociétés visitées, leur permettant ainsi de prendre connaissance du contenu de ces fichiers. Elle a également considéré, dans le premier arrêt, que la possibilité de constituer des scellés provisoires était une faculté laissée à l’appréciation des enquêteurs.
C. La pratique de la Commission européenne en matière d’inspections et saisies ordonnées sur le fondement de l’article 20(4) du règlement no 1/2003
25. La Commission européenne effectue des inspections et saisies dans le cadre de la poursuite des pratiques prohibées par les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Sa façon de procéder en cette matière a connu une évolution récente. Initialement, les enquêteurs de la Commission consultaient les données informatiques (et notamment le contenu des messageries électroniques) sur place, au cours de l’inspection, laquelle pouvait se dérouler sur plusieurs jours. Ils imprimaient les éléments qui les intéressaient au fur et à mesure et remettaient à l’entreprise visitée, à l’issue de l’inspection, une copie de l’ensemble des documents papier saisis. Il était possible aux représentants de l’entreprise de s’opposer à la saisie de documents susceptibles de relever de confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client à la condition qu’ils donnent « une justification appropriée, accompagnée d’éléments utiles pour appuyer [leur] demande » (Communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 du TFUE (2011/C 308/06), § 52).
26. Depuis une note révisée publiée le 18 mars 2013 (Explanatory note to an authorisation to conduct an inspection in execution of a Commission decision under Article 20(4) of Council Regulation no 1/2003, paragraphes 9 à 15), les enquêteurs de la Commission procèdent de la façon suivante : ils extraient tout d’abord les données électroniques (issues de tout support) en en faisant une copie stockée sur un serveur sur lequel les dossiers sont indexés. Les enquêteurs procèdent ensuite, sur les lieux de l’inspection, à la recherche des dossiers par mots clés grâce à des ordinateurs portables ou postes dédiés à cet effet. Les données entrant dans le champ de l’investigation sont finalement extraites sur un support crypté (clé USB ou disque dur) dont une copie avec inventaire détaillé est laissée à l’entreprise visitée. À la fin de l’investigation, l’équipement informatique des inspecteurs est intégralement nettoyé. Si la recherche de documents n’est pas terminée, les enquêteurs font une copie des données qu’il reste à exploiter et la placent dans une enveloppe scellée. Les représentants de la société visitée sont ensuite invités à assister à l’ouverture de l’enveloppe et à faire valoir leurs éventuelles contestations à cette occasion.
27. Dans un arrêt du 14 novembre 2012 (aff. T-140/09), le Tribunal de l’Union européenne a jugé que « lorsqu’elle effectue une inspection dans les locaux d’une entreprise […], la Commission est tenue de limiter ses recherches aux activités de cette entreprise relatives aux secteurs indiqués dans la décision ordonnant l’inspection et, donc, une fois qu’elle a constaté, après examen, qu’un document ou une information ne relevait pas de ces activités, de s’abstenir de l’utiliser aux fins de son enquête. (…) En effet, si la Commission n’était pas soumise à cette limitation, tout d’abord, elle aurait en pratique la possibilité, à chaque fois qu’elle est en possession d’un indice lui permettant de soupçonner qu’une entreprise a commis une infraction aux règles de la concurrence dans un domaine précis de ses activités, d’effectuer une inspection portant sur l’ensemble de celles-ci et ayant pour but ultime de déceler l’existence de toute infraction auxdites règles ayant pu être commise par cette entreprise, ce qui est incompatible avec la protection de la sphère d’activité privée des personnes juridiques garantie en tant que droit fondamental dans une société démocratique » (points 62 à 63).
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUȆTES
28. La Cour considère que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu, en application de l’article 42 § 1 de son règlement, de joindre les requêtes, eu égard à leur similitude quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posent.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
29. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérantes allèguent une violation de leur droit à un recours effectif, d’une part en ce qu’elles n’ont pas pu exercer un recours de pleine juridiction contre l’ordonnance ayant autorisé les visites et saisies et, d’autre part, en ce qu’elles n’ont pu contester le déroulement de ces opérations que devant le juge les ayant autorisées, lequel ne présente pas les conditions d’impartialité requises.
30. La Cour rappelle que les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, qui impliquent l’ensemble des garanties propres aux procédures judiciaires, sont en principe plus strictes que celles de l’article 13, qui sont absorbées par elles (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI). Il lui paraît donc plus approprié d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. (…) »
A. Thèses des parties
1. Les requérantes
31. Les requérantes indiquent que le seul recours prévu en droit interne contre l’ordonnance ayant autorisé les visites domiciliaires et les saisies est le recours en cassation, lequel ne permet pas de faire apprécier, en fait et en droit, la régularité des opérations et d’apporter un redressement approprié du grief.
32. Elles estiment que le recours tendant à faire contrôler la régularité du déroulement de ces opérations n’est pas davantage effectif, en l’absence d’impartialité de la juridiction compétente. Elles rappellent que cette juridiction est le JLD qui a préalablement autorisé ces opérations. Elles considèrent qu’en autorisant les mesures de visites et saisies, cette juridiction s’est déjà forgée une opinion et ne peut plus porter sur le déroulement des opérations un regard objectif.
33. Elles soutiennent à cet égard que l’exigence d’impartialité vise la juridiction et non la personne du magistrat qui l’exerce. Les requérantes font valoir qu’en tout état de cause cette juridiction est exercée par des magistrats délégués sur la même fonction ou appartenant au même service, dont l’organisation assure une forme de continuité et de suivi des affaires, ainsi qu’une sorte de perméabilité et d’homogénéité des décisions. Elles estiment dès lors que cette juridiction ne présente pas l’impartialité objective et plus précisément l’apparence d’objectivité requise.
2. Le Gouvernement
34. Le Gouvernement soutient que la présente affaire est différente de celles ayant donné lieu aux arrêts Société Canal Plus et autres (précité) et Compagnie des Gaz de Pétrole Primagaz c. France (no 29613/08, 21 décembre 2010), dans lesquelles la Cour était saisie de l’effectivité des voies de recours ouvertes contre la décision autorisant les visites et saisies domiciliaires. Il considère qu’en l’espèce le grief tiré du défaut d’impartialité porte en réalité sur l’effectivité des recours existant contre le déroulement des visites domiciliaires.
35. Il conteste ensuite le reproche de partialité fait au JLD, aux motifs que celui-ci n’est pas amené à se déjuger puisqu’il ne se prononce pas dans ce cadre sur les mêmes questions. Il considère que la question est différente de celle posée dans l’affaire Ravon c. France (no 18497/03, 21 février 2008), puisque le JLD n’examine pas un contrôle sur la régularité de l’autorisation de visite qu’il a lui-même délivrée, mais sur la régularité du déroulement des opérations et saisies, notamment au regard du périmètre de cette autorisation.
36. Il rappelle que la jurisprudence de la Cour en matière d’impartialité n’empêche pas une juridiction de prendre plusieurs décisions au cours d’une même procédure et que sa bonne connaissance de l’affaire ne saurait faire présumer un préjugé de sa part. Il ajoute qu’en l’espèce les JLD ayant autorisé les mesures, puis contrôlé leur déroulement, étaient des individus différents.
37. Le Gouvernement soulève ensuite, à l’égard de la seconde requérante, la société GTM GCS, l’irrecevabilité du grief tiré de l’absence de recours effectif contre la décision d’autorisation des mesures de visites et saisies, en raison du non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Il fait valoir que cette société n’a pas exercé le recours en cassation prévu par les textes applicables.
38. Il indique enfin que la voie de recours ouverte à l’égard du déroulement des opérations de visites et saisies est celle prévue par l’alinéa 12 de l’article L. 450-4 du code de commerce qui prévoit un recours devant le JLD ayant autorisé les mesures, lequel statue par voie d’ordonnance susceptible de faire l’objet d’un recours en cassation. Le Gouvernement estime que cette voie de recours offre un recours effectif en fait et en droit, ainsi que la possibilité d’un redressement approprié au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
39. S’agissant du grief tiré du défaut d’impartialité du JLD ayant statué sur le déroulement des mesures de visites et saisies, la Cour relève que ce grief n’a pas été soulevé, même en substance, à l’appui des pourvois des requérantes devant la Cour de cassation. Elle rappelle qu’en principe le pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours à épuiser pour se conformer aux exigences de l’article 35 (Civet c. France [GC], no 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI, Jans c. Belgique (déc.), no 68494/10, §§ 24-27, 1er octobre 2013, et Garbo c. France (déc.), no 53362/10, § 29, 13 mai 2014).
40. Il convient dès lors de déclarer le grief tiré du défaut d’impartialité du JLD irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 § 1 de la Convention.
41. La Cour considère ensuite que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement à l’égard de la seule société GTM GCS, concernant le grief tiré de l’absence de caractère effectif du recours ouvert contre l’autorisation des visites domiciliaires et saisies, est étroitement liée à la substance du grief énoncé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle décide donc de joindre cette exception au fond (voir, par exemple, Société Canal Plus et autres, précité).
42. Par ailleurs, la Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
2. Sur le fond
43. La Cour relève qu’elle a déjà jugé que la procédure prévue et organisée par L. 450-4, alinéa 6, du code de commerce, dans sa version applicable à l’espèce, ne répond pas aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (Société Canal Plus et autres, précité, §§ 44-45, Compagnie des gaz de pétrole Primagaz, précité, §§ 32-33, et Société Métallurgique Liotard Frères c. France, no 29598/08, §§ 22-23, 5 mai 2011). Elle ne voit aucune raison de s’écarter de ce constat en l’espèce.
44. Partant, la Cour rejette l’exception du gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et considère qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
45. Les requérantes allèguent également que les visites domiciliaires dont elles ont fait l’objet ont donné lieu à des saisies massives et indifférenciées de documents informatiques, dont un grand nombre avaient un caractère personnel, en tout cas étranger aux faits qui leur étaient reprochés, et dont certains relevaient de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, ce qui caractérise, selon elles, une atteinte disproportionnée au droit au respect du domicile, de la vie privée et des correspondances.
46. Elles se plaignent également à ce sujet de la violation de leurs droits à un recours effectif et à un procès équitable, compte tenu de l’absence d’inventaire exhaustif des documents saisis qui ne leur ont pas permis de vérifier l’adéquation des saisies avec l’autorisation de la visite, ainsi que du caractère non suspensif des voies de recours pouvant être exercées à l’encontre du déroulement des mesures litigieuses. Elles invoquent à l’appui de ces deux séries de griefs les articles 6 et 8 de la Convention.
47. Toutefois, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour considère, qu’en l’espèce, les griefs, concernant le déroulement des mesures litigieuses et leur contrôle juridictionnel, portent principalement sur le droit au respect du domicile, de la vie privée et du secret des correspondances relevant notamment de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client et doivent être analysés sous l’angle du seul article 8 de la Convention, lequel comprend également un volet procédural (mutatis mutandis, Société internationale de règlement c. France, no 52149/08, 9 novembre 2010, et Société Canal Plus et autres, précité, §§ 56-57) et se lit comme suit :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Thèses des parties
1. Les requérantes
48. Les requérantes considèrent que les visites et les saisies dont elles ont fait l’objet constituent une ingérence disproportionnée dans leur droit au respect du domicile, des correspondances, ainsi que du droit au respect de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.
49. Elles soutiennent que ces visites ont donné lieu à des saisies massives et indifférenciées de centaines de milliers de documents informatiques, dont l’intégralité des messageries électronique de certains de leurs employés et responsables. Elles ajoutent que la très grande majorité des dossiers saisis n’avaient pas de rapport avec l’enquête en cause et relevaient de la vie privée des intéressés, du secret des affaires et surtout de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.
50. Les requérantes estiment que les services d’enquêtes disposaient des moyens juridiques et techniques adéquats pour procéder à la sélection et la saisie des seuls documents utiles à l’enquête. Elles se réfèrent notamment aux dispositions de l’article 56, alinéa 4, du code de procédure pénale et citent également la pratique de la Commission européenne dans le contentieux européen de la concurrence.
51. Elles contestent ensuite l’argument en vertu duquel les seuls éléments qui devraient rester couverts par le secret seraient ceux en lien avec la défense dans l’affaire en cause. Elles considèrent enfin que la présence parmi les documents saisis de correspondances relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client nécessite la mise en place de garanties particulières, inexistantes en l’espèce.
52. Elles font valoir que la jurisprudence de la Cour, ainsi que le droit de l’Union européenne, interdisent à l’administration de saisir et prendre connaissance des documents couverts par le secret professionnel et notamment ceux relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.
53. Les requérantes prétendent en outre ne pas avoir été en mesure, en l’absence d’inventaire exhaustif des documents saisis, de connaître avec précision les faits et éléments retenus contre elles afin d’exercer leurs droits de la défense ni de pouvoir faire apprécier par le juge, saisi de la régularité des opérations, l’adéquation des saisies effectuées avec les contours de l’autorisation.
54. Les requérantes se plaignent également de l’absence de caractère suspensif des voies de recours ouvertes contre le déroulement des opérations de saisies. Elles relèvent à cet égard que ces opérations ont eu lieu il y a plus de six ans et qu’aucune enquête n’a encore été ouverte. Elles soutiennent que même si les services de l’Autorité de la concurrence ne pourraient pas faire état de ces pièces en cas d’annulation, ils auront eu le temps d’en connaître le contenu et de se forger une opinion sur les suites à donner à l’enquête, de nature à influencer leur comportement futur. Elles ajoutent que l’Autorité de la concurrence a par ailleurs la possibilité de s’autosaisir d’une autre affaire sans avoir à justifier cette décision, ce qui la met en mesure d’ouvrir d’autres enquêtes sur la base d’éléments obtenus irrégulièrement.
2. Le Gouvernement
55. Le Gouvernement ne conteste pas que les saisies de messageries informatiques réalisées lors des visites des locaux des requérantes constituent une ingérence dans l’exercice du droit au respect de leur correspondance. Il considère toutefois que cette ingérence était prévue par la loi, nécessaire et proportionnée.
56. Il indique qu’il n’est pas contesté que l’ingérence était bien prévue par la loi. Il ajoute que les mesures en cause s’inscrivaient dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et poursuivaient donc un but légitime de défense de l’ordre et de prévention des infractions en matière de concurrence.
57. Sur la nécessité et la proportionnalité des mesures en cause, le Gouvernement estime que les saisies informatiques ont été ciblées au sein des sociétés, puisque l’ordonnance ayant autorisé ces opérations limitait le champ des investigations au seul secteur de la construction et de la rénovation des établissements de santé et que seuls les ordinateurs des personnes dont les fonctions étaient en lien avec l’enquête ont fait l’objet d’une investigation. Il ajoute que les investigations menées sur ces ordinateurs étaient également raisonnablement circonscrites. Il fait enfin valoir que les documents saisis ont fait l’objet d’un inventaire précis et ont été gravés sur CD ou DVD et qu’une copie a été remise aux requérantes.
58. S’agissant de la saisie de documents et messages d’ordre privé ou couverts par la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, le Gouvernement soutient qu’une dizaine de messages seulement correspondent à ces catégories et considère que ces saisies étaient strictement nécessaires et pouvaient faire l’objet de demandes en restitution dans le cadre des procédures internes.
59. Il considère que la procédure de contrôle des documents saisis issue des dispositions de l’article L. 450-4 du code de commerce offre des garanties équivalentes à celle suivie par la Commission européenne, dans la mesure où les opérations de visites et saisies s’effectuent sous le contrôle du juge qui les a autorisées, lequel est tenu informé de leur déroulement et peut à tout moment se rendre sur place et décider de la suspension ou de l’arrêt des mesures.
60. Le Gouvernement soutient que la régularité des saisies peut faire l’objet d’un débat, en fait et en droit, devant le JLD et que les pièces dont la saisie serait déclarée irrégulière ne peuvent être retenues comme moyen de preuve dans quelque affaire que ce soit. Il relève également que, si le recours exercé contre les mesures de visites et saisies n’est pas suspensif, il est néanmoins inséré dans des délais rapides, en l’espèce moins de neuf mois. Il fait enfin valoir que l’absence de caractère suspensif du recours permet en tout état de cause de raccourcir le temps de l’enquête et d’assurer ainsi une meilleure sécurité juridique aux entreprises.
61. Il considère qu’en l’espèce le JLD a précisément pris en compte le déroulement concret des mesures litigieuses pour en apprécier la conformité notamment au périmètre de l’autorisation.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
62. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle estime par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence bien établie, des perquisitions ou visites et saisies opérées dans les locaux d’une société commerciale portent atteinte aux droits protégés par l’article 8 de la Convention (Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, §§ 40-42, CEDH 2002-III, et Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 109, 15 juillet 2003). Plus précisément, la fouille et la saisie de données électroniques s’analysent en une ingérence dans le droit au respect de la « vie privée » et de la « correspondance » au sens de ces dispositions (voir, entre autres, Sallinen et autres c. Finlande, no 50882/99, § 71, 27 septembre 2005, Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), no 54934/00, § 77, 29 juin 2006, Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, no 74336/01, § 43, CEDH 2007‑IV, et Robathin c. Autriche, no 30457/06, § 39, 3 juillet 2012).
64. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
65. S’agissant de cette dernière condition, la Cour rappelle que la notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché. Si, pour se prononcer sur la « nécessité » d’une ingérence « dans une société démocratique », la Cour doit tenir compte de la marge d’appréciation laissée aux États contractants, elle ne se borne toutefois pas à se demander si l’État défendeur a usé de son pouvoir d’appréciation de bonne foi, avec soin et de manière sensée. Dans l’exercice de son contrôle, il lui faut considérer les décisions critiquées à la lumière de l’ensemble de l’affaire et déterminer si les motifs invoqués à l’appui des ingérences en cause sont « pertinents et suffisants » (Keslassy c. France (déc.), no 51578/99, 8 janvier 2002, et Société Canal Plus et autres, précité, § 54).
66. S’agissant en particulier des visites domiciliaires et des saisies, la Cour relève que, dans des affaires comparables, elle a recherché si la législation et la pratique internes offraient des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire (voir, entre autres, Miailhe c. France (no 1), 25 février 1993, § 37, série A no 256‑C, Funke c. France, 25 février 1993, § 56, série A no 256‑A, Crémieux c. France, 25 février 1993, § 39, série A no 256‑B, Société Colas Est et autres, précité, § 48, Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH, précité, § 57, et Robathin, précité, § 44).
67. La Cour note également que figure parmi ces garanties l’existence d’un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l’article 8 de la Convention (Lambert c. France, 24 août 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).
68. La Cour rappelle enfin que la protection du secret professionnel attaché aux correspondances échangées entre un avocat et son client est, notamment, le corollaire du droit qu’a ce dernier de ne pas contribuer à sa propre incrimination (André et autre, précité, § 41) et que, dès lors, ces échanges bénéficient d’une protection renforcée (Michaud c. France, no 12323/11, §§ 117-118, CEDH 2012, avec les références citées).
b) Application des principes au cas d’espèce
i. Sur l’existence d’une ingérence
69. En l’espèce, les requérantes dénoncent, pour l’essentiel, la fouille et la saisie de données électroniques, constituées de fichiers informatiques et des messageries électroniques de certains de leurs employés, comprenant notamment des messages relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.
70. Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que les mesures en cause constituent bien une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas.
ii. Sur la base légale et le but de l’ingérence
71. La Cour estime que pareille ingérence était « prévue par la loi », puisque ces visites et saisies étaient régies par l’article L. 450-4 du code de commerce combiné aux dispositions de l’article 56 du code de procédure pénale (voir, par exemple, Société Canal Plus et autres, précité, § 52). Les requérantes ne se plaignent d’ailleurs pas d’un défaut de base légale, mais de l’absence de proportionnalité et de nécessité des mesures litigieuses dans les circonstances de l’espèce.
72. Par ailleurs, l’ingérence dans le domicile et le secret des correspondances des requérantes tendait à la recherche d’indices et de preuves de l’existence d’ententes illicites. Elle poursuivait donc à la fois le « bien-être économique du pays » et « la prévention des infractions pénales » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention (Société Colas Est et autres, précité, § 44, et Société Canal Plus et autres, précité, § 53).
73. Reste à examiner si l’ingérence apparaît proportionnée et peut être considérée comme nécessaire à la poursuite de ces objectifs.
iii. Sur la nécessité dans une société démocratique
74. À l’instar de ce qu’elle avait fait dans l’arrêt Société Canal Plus et autres (précité, § 55), la Cour relève d’emblée que les visites domiciliaires effectuées dans les locaux des requérantes avaient pour objectif la recherche de preuves de pratiques anticoncurrentielles possiblement imputables à ces dernières et n’apparaissent pas dès lors, en elles-mêmes, disproportionnées aux regards des exigences de l’article 8 de la Convention. La Cour réitère également son constat selon lequel la procédure interne en cause prévoyait un certain nombre de garanties et renvoie sur ce point à ce qu’elle avait dit dans l’arrêt Société Canal Plus et autres (précité, §§ 56-57).
75. Il reste que la question plus spécifiquement posée par la présente affaire est celle de savoir si ces garanties ont été appliquées de manière concrète et effective, et non pas théorique et illusoire, notamment au regard du grand nombre de documents informatiques et messages électroniques saisis, ainsi que de l’exigence renforcée du respect de la confidentialité qui s’attache aux correspondances échangées entre un avocat et son client.
76. En l’espèce, la Cour considère, avec le Gouvernement, que les enquêteurs se sont efforcés de circonscrire leurs fouilles et de ne procéder qu’à des saisies en rapport avec l’objet de leur enquête. De plus, la Cour ne souscrit pas à l’argumentation des requérantes selon laquelle elles n’auraient pas été mises en mesure d’identifier les documents saisis à l’issue des opérations en cause. Elle relève à ce titre qu’un inventaire suffisamment précis, indiquant le nom des fichiers, leur extension, leur provenance et leur empreinte numérique avait été dressé et leur avait été remis, ainsi qu’une copie des documents saisis. Partant, la Cour estime que les saisies pratiquées ne pouvaient être qualifiées de « massives et indifférenciées ».
77. En revanche, la Cour constate que les saisies ont porté sur de nombreux documents informatiques, incluant l’intégralité des messageries électroniques professionnelles de certains employés des sociétés requérantes. Or, il n’est pas contesté que ces documents et messageries comportaient un certain nombre de fichiers et informations relevant de la confidentialité attachée aux relations entre un avocat et son client. Elle note à ce titre que la DGCCRF avait expressément indiqué dans ses conclusions en défense devant le JLD ne pas s’opposer à la restitution des pièces couvertes ainsi par le secret professionnel.
78. La Cour relève ensuite que, pendant le déroulement des opérations en cause, les requérantes n’ont pu ni prendre connaissance du contenu des documents saisis, ni discuter de l’opportunité de leur saisie. Or, de l’avis de la Cour, à défaut de pouvoir prévenir la saisie de documents étrangers à l’objet de l’enquête et a fortiori de ceux relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, les requérantes devaient pouvoir faire apprécier a posteriori et de manière concrète et effective leur régularité. Un recours, tel que celui ouvert par l’article L.450-4 du code de commerce, devait leur permettre d’obtenir, le cas échéant, la restitution des documents concernés ou l’assurance de leur parfait effacement, s’agissant de copies de fichiers informatiques.
79. À cet effet, la Cour estime qu’il appartient au juge, saisi d’allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu’ils étaient sans lien avec l’enquête ou qu’ils relevaient de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur leur sort au terme d’un contrôle concret de proportionnalité et d’ordonner, le cas échéant, leur restitution. Or, la Cour constate qu’en l’espèce, si les requérantes ont exercé le recours que la loi leur ménageait devant le JLD, ce dernier, tout en envisageant la présence d’une correspondance émanant d’un avocat parmi les documents retenus par les enquêteurs, s’est contenté d’apprécier la régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans procéder à l’examen concret qui s’imposait.
80. Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge que les saisies effectuées aux domiciles des requérantes étaient, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnées par rapport au but visé.
81. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
82. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
83. La société Vinci Construction France entend se réserver le droit de demander son indemnisation des condamnations qui pourraient être à l’avenir prononcées à son encontre sur la base des documents irrégulièrement saisis et réclame en l’état la somme de 8 000 euros (EUR) au titre de son préjudice moral.
84. La société GTM GCS sollicite l’attribution de la somme de 100 000 EUR au titre du préjudice moral en raison de l’atteinte portée à sa réputation du fait des abus dont elle a été victime.
85. Le Gouvernement s’oppose à ces demandes aux motifs que le préjudice matériel de la société Vinci Construction France est purement hypothétique et de l’absence de justification du préjudice moral invoqué par les requérantes.
86. En l’espèce, compte-tenu du caractère seulement éventuel du dommage matériel allégué par la société Vinci Construction France, la Cour rejette cette demande.
87. La Cour estime enfin que le constat de manquement figurant dans le présent arrêt constitue, en soi, une satisfaction équitable suffisante au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
88. La société Vinci Construction France demande également 16 896,31 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 106 054,82 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
89. La société GTM GCS sollicite quant à elle une somme de 106 812,07 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 33 748,03 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
90. Le Gouvernement s’oppose à ces demandes aux motifs qu’elles sont déraisonnables et ne sont pas justifiées par la nécessité de faire prévenir ou corriger les violations alléguées de la Convention. Il conclut que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 5 000 EUR pour les frais engagés devant les juridictions internes et la même somme pour les frais engagés devant la Cour.
91. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour qui estime raisonnable la somme de 15 000 EUR, pour la procédure devant les juridictions internes et devant elle, l’accorde à chacune des requérantes.
C. Intérêts moratoires
92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
DECISION,
1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;
2. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement pour non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;
3. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 et 8 de la Convention, s’agissant du recours contre l’autorisation des visites et saisies, ainsi que du déroulement de ces mesures, et irrecevables pour le surplus ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
6. Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation constitue, en soi, une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral subi par les requérantes ;
7. Dit, à l’unanimité,
a) que l’État défendeur doit verser à chacune des requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérantes, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette, à l’unanimité, les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge B.M. Zupančič, à laquelle se rallie le juge V. De Gaetano.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE ZUPANČIČ, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE DE GAETANO
(Traduction)
Nous sommes tout à fait d’accord avec le dispositif du présent arrêt. Notre opinion concordante, toutefois, vise à clarifier certains points de droit comparé, surtout dans le domaine du droit constitutionnel. La question qui se pose en l’espèce porte sur l’encadrement des perquisitions et saisies dans les locaux d’un suspect – ce qui en droit américain touche aux restrictions posées par le quatrième amendement à la Constitution [[« Il ne sera pas porté atteinte au droit des citoyens d’être exempts de toute perquisition ou saisie déraisonnable concernant leur personne, leur domicile, les documents et biens leur appartenant ; aucun mandat de perquisition ne pourra être délivré s’il ne se fonde sur des motifs plausibles, s’il ne s’appuie sur des déclarations ou des affirmations sous serment et s’il ne mentionne de façon détaillée les lieux qui doivent faire l’objet de la perquisition et les personnes ou objets dont il faut s’assurer. » (Quatrième amendement à la Constitution des Etats-Unis d’Amérique ; traduction de J.-P. Lassalle, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/election-presidentielle-americaine-2008/constitution-americaine.shtml).]] –, d’où l’approche comparatiste de l’ensemble du problème.
Le premier point est la spécificité et le motif plausible (soupçon raisonnable) comme conditions préalables à la perquisition et à la saisie d’éléments à charge, en l’espèce un ordinateur et des documents.
Aux paragraphes 6 et 7 de l’arrêt, nous avons une description de l’acte délivré par le juge des libertés et de la détention (« le JLD »), qui autorisait la visite des locaux de la société requérante et la saisie des documents, messages électroniques, etc., en question : « [l]e JLD circonscrit ensuite l’autorisation de procéder à des visites et saisies aux locaux des sociétés expressément visées, ainsi qu’à leur activité dans le secteur de la construction et de la rénovation des établissements de santé » (§ 8). L’arrêt ne nous dit pas dans quelle mesure cette autorisation du JLD était circonscrite ni en particulier sur quels motifs plausibles elle reposait. Pour les besoins de l’argumentation, cependant, nous supposerons qu’il existait des soupçons suffisamment solides et raisonnables de croire que l’infraction en question avait bel et bien été commise.
Manifestement, les soupçons raisonnables doivent être exposés a priori, c’est-à-dire que les agents de la DGCCRF ne peuvent justifier a posteriori leur intrusion dans la sphère privée de la requérante par ce qu’ils auraient trouvé une fois dans les locaux et en conduisant la perquisition et la saisie des pièces à charge. Autrement, nous parlerions d’une « pêche aux informations » (fishing expedition).
En d’autres termes, justifier au préalable la perquisition est nécessaire parce que, en principe, chacun doit être protégé de toute intrusion de l’État dans sa sphère privée. L’intrusion n’est donc justifiée qu’une fois le soupçon déjà « raisonnable », c’est-à-dire lorsqu’il est très probable que le suspect a déjà enfreint la loi.
Dès lors, c’est ce soupçon et seulement lui qui justifie l’intrusion consécutive des pouvoirs publics. Le second paragraphe de l’article L.450-4 du code de commerce dispose : « [l]e juge doit vérifier que la demande d’autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite » (les italiques sont de nous).
L’article 56 du code de procédure pénale, quant à lui, ne semble prévoir aucune condition de soupçon raisonnable, lequel devrait être 1) a priori [[Voir Henry v. United States [13 mars 2015], 361 U.S. 98 (1959).]], 2) concret [[Draper v. United States, 358 U.S. 307 (1959) et voir Sherry F. Colb, Probabilities in Probable Cause and Beyond: Statistical Versus Concrete Harms [13 mars 2015], 73 Law and Contemporary Problems 69 (2010).]], 3) spécifique et 4) articulable [[Voir Terry v. Ohio [13 mars 2015], 392 U.S. 1 (1968).]], de manière à permettre au juge de disposer au préalable d’informations réelles et pas seulement de l’intuition de l’autorité auteur de l’intrusion. Si le juge ne dispose pas de ces informations, c’est alors la police qui prend cette décision et la protection judiciaire fait défaut. Pour les besoins de l’argumentation, cependant, nous supposerons que ces conditions préalables avaient néanmoins été satisfaites antérieurement à la visite problématique de la DGCCRF.
Cependant, au cours de la perquisition, une fois sur les lieux, se pose la question des modalités d’encadrement de la recherche des éléments de preuve spécifiquement autorisée en l’espèce par l’ordonnance de saisie et perquisition délivrée par le JLD.
Lorsqu’est recherché un élément de preuve spécifique dans un lieu concret, la règle a toujours été bien sûr que la police ne peut fouiller que là où cet élément est susceptible d’être trouvé. Par exemple, si elle devait rechercher un fusil, elle ne serait pas autorisée à fouiller les petits tiroirs où l’arme ne pourrait être cachée. Si cette règle était enfreinte, les éléments recueillis, par exemple des stupéfiants retrouvés sur les lieux, ne pourraient être versés au dossier par l’effet de la règle de l’exclusion.
Cette règle connaît toutefois une exception. Si, lorsqu’elle recherche légitimement un élément de preuve particulier, la police tombe par inadvertance sur une pièce prouvant qu’une autre infraction a été commise, le principe dit des « objets bien en vue » (plain view doctrine) entre en jeu : tout objet trouvé parce qu’il était bien en vue est une preuve admissible de l’infraction en question ou d’une autre. Le complément subjectif au principe des objets bien en vue est ce qu’il est convenu d’appeler la « découverte par inadvertance » (inadvertent discovery), c’est-à-dire que la police doit démontrer que la découverte de l’élément en question n’était pas prévue et qu’elle s’est donc faite « par inadvertance ».
Comme dans le cas d’espèce, ces critères deviennent très difficiles à appliquer. De nombreux articles de doctrine [[Voir, par exemple, Orin S. Kerr, Searches and Seizures in a Digital World, 119 Harvard Law Review 531 (2005) et Allison Bonelli, Computer Searches in Plain View: An Analysis of the Ninth Circuit Decision in United States Comprehensive Drug Testing, Inc. [13 March 2015], 13:3 Journal of Constitutional Law 759 (2011). Voir aussi Searching and Seizing Computers and Obtaining Electronic Evidence in Criminal Investigations, publié par l’Office of Legal Education, Executive Office for United States Attorneys, consultable à l’adresse http://www.justice.gov/criminal/cybercrime/docs/ssmanual2009.pdf.]] ont été écrits sur les perquisitions et saisies d’ordinateurs et de documents y relatifs et, dans certains pays, des unités spéciales d’agents ont été formées à l’application des critères sélectifs définissant ce qui peut ou ne peut pas devenir une preuve légitime.
Au paragraphe 11 de l’arrêt, on peut lire que les requérantes ont fait valoir « que les saisies pratiquées avaient été massives et indifférenciées et avaient porté sur plusieurs milliers de documents informatiques, ainsi que sur la messagerie électronique de plusieurs personnes, et que de nombreux documents saisis étaient sans lien avec l’enquête ou étaient couverts par la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, et ce sans que ne soit dressé un inventaire suffisamment précis des documents saisis. Elles soutinrent également ne pas avoir pu prendre connaissance du contenu des documents avant leur saisie et n’avoir pu ainsi s’opposer à ces dernières. Elles demandèrent l’annulation des visites et saisies et à défaut la restitution des documents indument saisis. »
Voilà précisément, à nos yeux, le problème dans les affaires de ce type et, bien sûr, le respect, constaté par la Cour de cassation, des dispositions précitées du code de procédure pénale et du code de commerce, ne le règle malheureusement pas. Nous ignorons donc si les éléments obtenus étaient précisément et concrètement ceux que le JLD avait autorisé la DGCCRF à rechercher et recueillir.
La question préliminaire n’est donc pas de savoir s’il y a eu ou non violation de l’article 8 de la Convention. Le problème qui demeure est de savoir si une recherche et une saisie de preuves dûment sélectionnées, comme en l’espèce, sont un tant soit peu possibles. La doctrine assimile la recherche et la saisie de données informatiques à celles d’éléments dans un lieu ou dans tout autre « contenant » (container). Il y a des discussions autour du « parfait outil [de programmation] », d’une technologie avancée, qui permettrait grâce à un algorithme de déterminer précisément et à l’avance ce qui peut être extrait ou non d’un ordinateur. Malheureusement, un tel outil ne semble pas encore exister, si bien qu’une équipe hautement spécialisée d’experts en informatique peut passer des semaines voire des mois à examiner les données électroniques de tout ordinateur saisi.
Manifestement, au cours d’un tel examen, d’autres éléments à charge pourront apparaître « bien en vue », ce qui veut alors dire qu’ils deviendront eux aussi admissibles à titre de preuves.
Le droit français et la jurisprudence de la Cour n’adhèrent pas encore au principe des « objets bien en vue », dont est à l’origine l’attachement des Américains à la protection constitutionnelle offerte par le quatrième amendement à leur Constitution. C’est pourquoi un grand nombre de décisions de justice et d’articles de doctrine se débattent avec précisément le même problème que celui soulevé en l’espèce et dans l’affaire française Société Canal Plus et autres c. France, citée comme source du droit interne français au paragraphe 15 du présent arrêt. De même, le paragraphe 16 de l’arrêt renvoie à l’affaire André et autre c. France, où se posait le problème, similaire dans une certaine mesure et inhérent aussi en l’espèce, de la protection de la confidentialité des relations entre un avocat et son client.
Le sujet est extrêmement complexe et vaste : il ne peut pas même être résumé, et encore moins résolu, dans une opinion séparée. Toutefois, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme devrait à nos yeux prendre clairement position sur ces situations où la frontière entre une perquisition légitime fondée sur une autorisation légitime et une « pêche aux informations » reste incertaine et imprécise.
La Cour : Mark Villiger (président), Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, Vincent A. De Gaetano, André Potocki, Helena Jäderblom, Aleš Pejchal (juges), Milan Blaško (greffier adjoint de section)
Représentants des parties : Me E. Trichet, Me F. Molinie et Me I. Saint-Esteben, M. F. Alabrune, Directeur des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
Source : hudoc.echr.coe.int
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